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ŒUVRES
DB
JEAN lEMAIRË DE BELGES
poMléet par
J. 8TECHER
Membr* de rAoadémie royale de Belgique
TOMB PRBMIBR
LES ILLDSTRATIONS DE GAULE ET SINGULARITEZ
DE TROYE
PREMIER LIVRE
4 9^ ■ ' <
LOOYAIM
IMPRIMERIE DE J. LEFBVER
1881
I
I
• • •
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• • •
• • • •
• -- •
• • • . • • •
• • • •• • •
125485
LA LIGNE DES ROYS DE TVSCIE.
OV HETRVRIE, DESQVELZ SONT
DESCENDTS LES TROTEMS. (1)
/ Cam, qoi fol ramoaMé Zorotit,
Pan, Syluanos, et Sakarna, scifocor , Oairia roy d*Bg7pte, dit lipi-
w^ «.»>__A Tm«« iff«... i ^ (*"(* Afriqna, et nacqnit anaat la i ter la laala, Empiveiir da taat
^T2î!ïrJL!S^:ïf„?u\I^^ et ahea « ■«» at faBnalla Haoda. et an!? « UMr et
ena et Patnarene de loat la i rL-*, u iwin.» 1 ' i-j- ^i*« r*,^
llaorfa,et«feii»aTyt«ala;"*'P^'«'^***«'- Heii»a laia. dila Caraa.
fH^iHL vS?* '*** ****** i ï«pl^ «ipMar de toata Eaiope / Herealca da Libye, eeitadira
"**™^ ^""^ f et M remma \9ê^ nn aoant f Partvfaa. Baj de Gaale, d'Ita»
I le Delofe. \ lia et diepaigaa.
LA LIGNB DES ROTS DES GAVLOIS.
I II m nn ▼ vi th
Samothet preaier Roy Magas. Serran. Dryios. Bardu. Loofbo. Bardot la iMM.
de» Ganloii, tnmom- TIII IL
mé Satnraa et IHs. Lncna. Celte, père de Galatae.
LA LIGNE DES ROTS DE TVSCIE.
De Araxa Tomqs Boy Aliéna. Bla a eo a - Camboblaaeoo,
la ieane de Toacie dit lopiiar la
X I atdMtaUa.
Barenlaa de Libye, père
vSil^TES^VSi } LIGNE DES GAVLOIS.
Gaala et d'ItaJ
r'
DeGalateeflUe XI xn XIH Xim
de Celte Roy des Galates, doqnel BarboD. Lnsdna. Balgina.
Gaulois. sont nommas las
Ganlois.
fDardanos, foodataor da Troye, et premier Boy.
IV
lasios Iani|ene, Boy dltaHe et de Gaole.
LA LIGNE DES ROTS DE TROTE
APRB8 DAROANV8.
Bricàthonins. Tro». Uns. Laomedon. Priam. Hedar. Franeas.
dnqael sont detcen-
dns les Troyens.
LA LIGNE DES ROTS DE GAVLE
APRXS lASlTS.
ivi XVII XVIII XIX XX XXI xxn xxin
Allobrox. Romns. Paris. Lenaonns. Olbins. Galatae, le ieone. Namnee. Bhemoa.
xxim
A ... - ( XXIIU
Apres les mines de Troye. denx Princes ) En la Belgique, Bano roy de Phrygie, oowla de Pria».
En la Celtique, Irancns, Inn des fils d*Heclor.
Troyens ont régné es Gaules, eestasanoir, i * XXV
* Dans rëdition 1512, cette généalogie est en latin : linea' Tuscorum
regum a q%ibui Trojandi. — Quelques noms en lettres rouges.
PROLOGUE DU PREMIER LIVRE.
Mdrerrd» iadis repvte Diev d'eloqvence» ingéniosité et
bonne invention, heravlt et trvchemant des dievx, A la
tresnoble, et plas que tressuperillustre Princesse, Madame
Marguerite Âygvste fille vniqve dv tresgrand et tressouue-
rain monarque, Mazimilian, Cesarauguste, Roy de Ger-
manie, et tante de Larchiduc Charles d*Austriclie et de
Bourgongne, Prince des Espaignes, etc. Salut, auec renom-
mée immortelle. (1)
Q^is çenus Iliadûm f quis Troia neseiat trbem f
Qui ne congnoit le noble sang de Troje,
Et la dtë, qoi des Grecs fot la proje T
Dido Royne de Carthage, parlant à Eneas, au premier
Imre dee Eneïdes Yirgiliennes, semble vouloir entendre,
que aucun viuant ne doiue ignorer lorigine et illustrité des
Troyens, ny aussi les fortunes et auentures diceux. Et
pource que ie Mercure, ay congnu que plusieurs (et pres-
qaes tous) escripteurs em vostre langue Gallicane, Princesse
(1) Maguârite (éd. 1512).
4 PROLOGUB
tresclere, ont toosionrs erré iosques icy, et moins satisfisdt,
que la dignité de Ihistoire ne le reqneroit, dont an moyen
desdits escrits imparfisdts et mal corrigez, sest ensayni, qne
toutes peintures et tapisseries modernes de quelque riche
et coustengeuse estoffe quelles puissent estre, si elles sont
faites après le patron desdites corrompues histoires» per-
dent beaucoup de leur estime et réputation entre gens
sauans et entenduz. Laquelle diose doit trop desplaire à
tous cœurs rempliz de générosité : attendu que la glorieuse
resplendissance presques de tous les Princes qui dominent
auiourdhuy sur les nations occidentales, consiste en la
rememoration véritable des hauts gestes Troyens. A fin
donques de redresser, et ressourdre ladite tresnoble histoire,
qui presques estoit tombée en décadence, et deprauation
ruineuse, comme si elle fust destime fiîuole, et pleine de
£EibuIosité par la coulpe des dessudits mauuais escriuains,
qui ne lont sceu desueloper, laquelle certes est véritable et
fertile, et toute riche de grans mystères et intelligences
poétiques et philosophales, contenant fructueuse substance
souz lescorce des fables artificielles. Et veu que à moy
(plus que à nul autre) des esprits célestes appartenoit de
procurer la restauration dicelle histoire, attendu, que ie
fuz (comme chacun scait) ministre presential au iugement
des trois Déesses , auquel gist lesclarcissement de toute
Ihistoire Troyenne. Â ceste cause, en ce temps heureux et
prospère de la monarchie de ton géniteur, Empereur des
Chrestiens, que toutes sciences sont plus esclarcies que
iamais, ie stimulay et enhardis lentendement du tien tresa-
donné seruiteur voluntaire, Secrétaire, Indiciaire et His-
toriographe lean le Maire de Belges, enuiron lan xxvn.
de son aage, qui fut lan de grâce Mil cinq cens, à ce quil
osast entreprendre ce labeur : et luy ay administré toutes
DU PMMIER LITEE. 5
choses à ce seruans et conuenables par lespace de neuf ans
de ma part (et aussi de la tienne, et dont ie te scay gré) voicy
desia le sixième an que par mon propre mouuement et
enhort, ta debonnaireté palladienne luy ha donné faueur
et entretenance libérale. Au moyen desquelles choses il ha
tant trauaillé aux fins de nostre emprise tresaffectueuse,
que pour satisfaire à mon iniunction, et au désir de ta
beniuolence, il ha finablement clarifié ladite histoire, par
trois liures Cûsans vn volume, lequel il ha nommé par
appellation décente, Les illustrations de Gaule, et singula-
ritez de Troye. Laquelle œuure yniuerselle, en sa totalité
(pource que maintes choses autresfois obscures, y sont cle-
rement interprétées) pourra estre appropriée à moymesmes»
et à tous ceux de mon influence : cestadire à tous nobles et
clers entendemens de lun et de lautre sexe, qui sont de la
bende Mercurienne, et ayment la lecture des bonnes choses.
Mais les trois liures particuliers, seront par moy dédiez et
intitulez aux seigneuries et hautesses de trois grands
Déesses : cestasauoir , Pallas , Venus, et luno. Et repré-
senteront (selon ma fantasie) les trois aages de Paris Alex-
andre, fllz du Roy Priam de Troye. Duquel la vie nous
est principalement déduite en ce volume : et consiste en
trois choses : cestasauoir, sa natiuité, son decours, et son
definement. Donques par mon adueu, le premier liure sera
consacré, et intitulé particulièrement, au nom tresrenommé
de dame Pallas : pource que la ieunesse de Paris y est
principalement descrite. Auquel aage il mena vie palla-
dienne : cestadire, contemplatiue, en habit pastoral et hum-
ble fortune. En laquelle, pour lapparence de ses vertuz,
ioelle Déesse guidée par moy, sofirit au sien entendement,
par démonstration aperte, et luy semonnit le trésor de sa
sapience, duquel il estoit capable par la bonté de sa nature.
6 PROLOGUE
Dont il appert, que qui veult tirer ceste matière à sens
moral, on la peult appliquer à linstruction et doctrine dun-
chacun ieone Prince de maison Royaiie, comme estoit Paris
Alexandre. Or ne scay ie nulle Princesse viuant auiour-
dhuy sur terre (sauue la bonne paix des autres) qui puist
en ce premier liure plus conuenablement tenir le lieu de
dame Pallas, que ta personne. Princesse illustre : Ne aussi
ne scay ie, qui mieux puist figurer le personnage du tresbel
enfant Royal, Paris Alexandre, que le tien trescher neueu
Larchiduc Charles d'Austriche et de Bourgongne, Prince
des Espaignes, etc. Parquoy nous en prendrons icy la simi-
litude de mesmes : et présupposerons que la lecture de ce
présent premier liure luy représentera le cours de son aage
puéril, depuis ores quil est sur le dixième an, iusques à ce
quil soit parcreu en adolescence. Lequel temps pendant en
ses iuueniles exercices il peult (louablement et sans repre-
hension) ensuiure les actes de Paris Alexandre, filz du Roy
Priam de Troye, tant à la chasse comme en armes, et en
amours : cestasavoir, en donnant franchement son cœur à
vue seule chaste Nymphe, ou demydeesse, par loy de ma-
riage (et non autrement) auec laquelle il hantera (par
gayetë amoureuse) les bois et les foretz, en habit de pas-
teur, et de veneur. Pareillement en cest affaire (ie qui suis
Mercure) vn cler entendement angelique, de noble et diuine
nature, que les Philosophes appellent bonys obnivs, qui
comme messager des Dieux quand ledit enfant ieune Prince
commencera à yuider de puérilité, et sera encores en estât
de pastoureau : cestadire, de douce simplesse sans rusticité
ne malice, alors ie luy presenteray la pomme dor, cesta-
dire, son propre franc arbitre : Et le feray luge de la
beauté des trois Déesses : œstasauoir Prudence, Plaisance,
et Puissance. Lequel (oomme sage) choisira la meilleure et
DU PftBHlBR LIVRE. 7
phis belle. Par ainsi, tu Princesse pacifique, qui es vne
autre Pallas, et tressage Minerue, cestadire, Immortelle :
Et Bellona, qui signifie Martiale, Princesse de fortitude et
de prouesse, ayant en chef larmet de prudence, couronne
doliuier en signe de paix (de laquelle tu es seule instaura*
trisse, ^i laage moderne) tymbré dun Duc (qui voit cler
de nuict) pour signifiance que rien ne peult estre obscur à
ta sage personne (lequel tymbre est le propre aomement de
¥ostre maison de Bourgongne). Tu seras armée (comme desia
as esté) pour defiendre la querele, iuste et droituriere, de
Tostre maison Troyenne. Pour laquelle despieça ta hautesse
tient en main la lance de bonne action, et est touiours cou-
uerte de lescu cristalin, au chef Gorgonique, et cheueux
serpentins, qui désigne la monstrueuse teste dinfortune,
par toy défiait et surmonté. Mais encores ce qui te fait
mieux resembler la forte pucelie Pallas, procréée du chef de
lapiter son père : cest que comme Pallas luy assista en
armes, alencontre des Geans, qui vouloient escheller le
del stellifere, tout ainsi donnes tu filiale assistence de tout
tûu pouuoir et prudente industrie au tien tressacré géniteur,
et terrestre lupiter : cestadire ivvàns patbb. Qui tient les
saintes Aigles Rommaines, et le sacré Ghesne glandifere,
en sa protection et sauuegarde. Parquoy les fiers tyrans
Vénitiens et autres de téméraire et oultrecuidee hardiesse,
et vilenie incomparable, qui tousiours ont blasphémé et
irrité les Princes, sont et seront en parfin rudement fou-
droyez et confonduz. Et ce pendant croit et croîtra en
force, et formosité corporelle (et encore plus en vertuz)
nostre beau Paris Alexandre, larchiduc Charles. Duquel
(quand il sera en aage parfait) tu feras vn second Hector,
et ladouberas de belle armature céleste. Or donques Prin-
cesse tresrenommee, après la ressourse de vostre maison
8 PROLOGUE DU PREMIER UVRB.
Troyenne, tu auras oultre plus, ceste gloire palladienne et
louenge Mercuriale, que dauoir esté cause de redresser
Ihistoire, et icelle restituer en sa dignité pristine, si que
(comme ie croy) pour la faueur et reuerence de ton nom
trescelebre, à qui lœuure est vouée et consacrée, et boue
lombre de tes heureux Auspices elle ne sera plus désor-
mais peinte, âguree, ne patrocinee pour laomement des
salles et chambres Royalles, sinon après la narration pré-
sente, antique et véritable. Et par ce moyen seras dite et
renommée, La seconde restablisseresse de ^ nobilité Troy-
enne. Parquoy tous nobles cœurs qui voudront cueillir
fruit ou flouriture , cestadire , doctrine ou passetemps
dedens ce iardin, remply et illustré de singularitez, seront
bien si humains, quilz en rendront grâces à la tresnoble
fleur, pour laquelle il est ainsi cultiué, en extirpant diceluy
toutes erreurs et scabrositez, qui parauant le rendoient
stérile et malgracieux. Atant âne icy mon Epistre, laquelle
nous seruira de Prologue. Voyons maintenant que nous
dira lean le Maire en ses Illustrations, et Singularitez,
lequel par manière de préambule, ha cy douant mis aucunes
figures bien nécessaires à son propos.
Vade, âge, et ingentem factis fer ad aethera Troiam.
Margarita Augustapacis instauratrix.
LE PREMIER LIVRE
DES ILLVSTRATIONS DE GAVLE,
ET SINGVLARITEZ DE TROYE.
CHAPITRE I.
Comment la publication de cette œuvre ha esté par le commandement
exprès de madame Margaerite Auguste. Et comment par lin titilla-
tion et adresse dudit labeur, les dames de la langue Françoise sont
benignement saluées. Et puis par trois poincts principaux sont ren-
dues tresamples raisons du tiltre de ce volume. Et de la concorde
et adhérence que ont ensemble ces deux termes icy, Oaule et Troye.
Aussi j est faite mention de Francus et de Bano Troyens» qui
dominèrent en Oaule après les ruines de Troye.
A la lovenge, exaltation et gloire éternelle du fouuerain
Largiteur de toutes graœs, dequel au commencement de
ceste œuure le nom tressaint et tresbenit par tous siècles
doit estre inuoqué, et consequemment à Ihonneur, hautesse
10 ILLYSTRATIONS DB GAYUS, KT
et prééminence de noz tressacrez, tresexcellens et tresre-
doatez Princes des deux nations citramontaines, cestasauoir
Françoise et Gallicane, qui dominent auiourdbuy sur plu-
sieurs autres, et sont encores apparentes de plus. Lesquel-
les deux nations combien quelles vsent de langues différen-
tes, cestasauoir Germanique et Thyoise, Vualonne, on
Romande, et Françoise, toutesuoies la dernière nommée
est maintenant la plus élégante, congnue et vsitee es nobles
courts de nosdits Princes. Entre lesquelz obtiennent la
principauté souueraine deux maisons les plus nobles de tout
le monde, cestasauoir la treschrestienne couronne do
France, et la tresillustre maison d*Austriche et de Bour-
gongne, desquelles extraite tresclere et tresrenommee paci-
fique Princesse, madame Marguerite Auguste, Duchesse
douagere de Sauoie, Contesse palatine de Bourgongne, etc.
Régente et gouuernante des païs de larchiduc Charles son
neueu, Prince des Espaignes, etc. Apres que ceste pré-
sente année. Mil cinq cens et neuf, elle par vne merueil-
leuse félicité qui est don de Dieu, ha employé sa vertu, son
sens, et sa diligence, auecques Monseigneur tresreuerend,
George Cardinal d*Amboise, Légat de France, (1) à pacifier
deux chefz monarques. Princes et pères de famille desdites
deux maisons, cestasauoir l'Empereur Maximilian le propre
géniteur délie, et le Roy treschrestien Loys xn. à qui elle
est coniointe par affinité de lignage, et que comme chacun
scait, elle ha tant fait Dieu mercy, que de nostre aage il
ne reste aucune doute ou souspeçon de voir renouueller le
tumulte de guerre entre lesdits Princes, parquoy toutes
Princesses, dames et damoiselles, et autre noblesse fémi-
nine de ladite langue Françoise, pourront mieux vaquer.
(1) La l%ue de Cambrai.
SOIfTLABlTIZ M TROTE. tIVU 1. 11
a leur gracieux et honnestes plaisirs et passetemps, entre
iesquek la lecture diuers volumes leur est familière et bien
décente, dont parauenture entre les autres la matière de
ce liure ne leur sera point désagréable, selon lopinion de
ladite Princesse pacifique, et comme elle le désire. A cause
dequoy, et à fin que tousiours quelque bien vienne de sa
main libérale à la chose publique, elle ha commandé À lean
le Maire de Belges Indiciaire et Historiographe stipendié
dadit seigneur Archiduc et délie, de labourer en ce beau
temps de paix À lacheuement de ce présent volume despieca
commencé, à fin quil puist estre publié et diuulgué par plu*
sieurs exemplaires, pour donner occupation voluptueuse,
et non pas inutile, ausdites dames de France, en cueillant
la substance de ceste œuure, par laquelle icelle treshumaine
Princesse les salue debonnairement, comme celles auec les-
quelles elle ha eu conuersation priuee et délectable, au
temps de sa prospérité : et oultreplus courtoisie consolatiue
en son aduersité : si luy souuient touiours délies.
Maintenant Lacteur dessusnommé, pour fournir à son
pouuoir le tresnoble commandement de ladite tresillustre
Princesse pacifique, sa tresredoutee dame et maistresse,
prétend h layde de Dieu faire démonstration certaine de la
signification du tiltre de ce volume^ Cestasauoir esclareir
en ce langage François, que les Italiens par leur mespri-
sance acoustumee appellent Barbare (mais non est) la très*
vénérable antiquité du sang de nosdits Princes de Gaule
tant Belgique, comme Celtique : Et au surplus mettre en
lumière les choses arcanes et non vulgaires de Ihistoire
Troyenne, non touchées si À plein par autre quelconque
qui par cy douant en ayt escrit, en cestedite langue. Et si
parauenture aucuns sesbahissoient, par quel moyen on
peolt Uir% symboliser et eonuenir ensemble ces deux ter-
IS IU.T8TRATI01I8 M 6ATU, R
mes et vocables gayle et trotb, attendu que ce sont noms
de régions si tresdistantes lune de lautre, et qui nont pro-
ximité ne voisinage aucon, on leur respond à ce, que silz
veulent auoir considération à trois poincts principaux, les
quelz ont esté motifz de mettre la main à ce labeur, ilz
auront semblable affeetiony à le parlire, comme Lacteur ha
eu à lentreprendre : Et parauenture seront bien contons
dentendre ce quilz ne sauoient pas.
Le premier poinct donques est. Que comme les ancestres
des Troyens sestimoient les plus nobles et premiers Princes
du monde, gueres moins aussi ne se prisoient les Gaules.
Car si les vus se vantoient destre descenduz de lupiter le
luste, autrement dit Osiris, qui domina iadis sur tout le
monde, les autres aussi se glorifioient dauoir prins origine
du tresnobleet tresvertueux Saturne, surnommé Dis. louxte
ce que dit luUes César, au v. liure de ses Commentaires :
Oalli se omnes db Dite pâtre prognatos pradicant. Et À
ceste cause fut premièrement faite lalliance matrimoniale
du grand Hercules de Libye filz dudit Osiris auecques la
belle Galatee fille de Celte Roy de Gaule, desquelz deux
tresnobles personnages nasquit le Roy Galates : duquel les
Gaules portent iusques auiourdhuy le nom. Pour le second
poinct il est à noter, que lasius lanigena estant pour lors
lupiter de Toscane, et Roy d'Italie et de Gaule, fut frère
aisné de Dardanus, premier fondateur de Troye. Et à cause
dune merueilleuse dissension quilz eurent ensemble pour le
royaume d'Italie, Dardanus fut contraint de laisser le pais,
et depuis non osant retourner, il fonda Troye. Quant au
tiers poinct : Cest que après la désolation de Troye, deux
des principaux Princes de ladite noblesse vindrent habiter
auecques les Gaulois : sachans que leurs prédécesseurs, y
auoient eu alliance, parentage et domination. Le premier
SmGTLAEITBZ Dl nOTl. UfKL I. 15
desdits Princes qui y Tint habiter, fat le Roy Bauo, de la
haute Phrygie, cousin germain de Priam, lequel fonda
iadis la tresgrande cite de Belges : si disent aucuns que
cest Beauuais en Picardie, et les autres soustiennent que
ce fut Bauais en Haynnau, dont ont voit encores les mer-
veilleuses ruines : mais de ce nous disputerons plus à
plein au m. liure. Si dominèrent les successeurs dudit Roy
Bauo iusques à Dannemarch, et à la mer Balthee. Lautre
Prince ensuyuant qui vint en Gaule, fut Francus âlz d'Hec-
tor, et régna en Gaule Celtique, laquelle pour lors sesten-
doit depuis Tartarie iusques aux monts Pyrénées, et À la
mer Britannique, comme nous prouuerons en son lieu, et
donna le nom aux François. Ainsi par ces trois poincts il
appert assez* que les Gaulois et les Troyens ont non seule-
ment grande adhérence ensemble tant vieille comme nou-
nelle, mais sont si meslez quon ne les peult bonnement discer-
ner ne séparer lun de lautre. Dont si ainsi est, que nous
puissions prouuer tout le présupposé, ce sera assez satisfait
pour le tiltre de ce volume. Pour laquelle prûbation dé-
duire, il faut premièrement inférer vne conclusion qui est
telle.
La Gaule généralement se diuise en deux parties : cest-
asavoir Cisalpine et Transalpine. La Cisalpine est deçà les
monts : La Transalpine delà les monts. César en ses Com-
mentaires inespart la Cisalpine en trois parties : Cestasa-
noir Belgique, Âquitanique et Celtique. Auguste son suc-
cesseur (comme met Strabo au mi. Hure de sa Géographie)
y adiousta la quarte, laquelle il nomma Lyonnoise. Et fut
alors diuisee par limites de fleuues et de montaignes. Main-
tenant on ne sauroit proprement limiter les Gaules, sinon
par la difiference des dominations. Les successeurs de Fran-
cus fllz d*Hector en tiennent plus que les deux pars : et la
14 ILLTSTRÀTIÛIIS M OATLB, R
reste possèdent les héritiers de Bauoi cousin germain de
Priam.
Or donques puis que les successeurs de Francus et Bauo,
dominateurs de Gaule, comme yssuz des Troyens remet-
tent leur origine à Dardanus premier fondateur de Troye,
et Dardanus à lupiter, il se faut enquérir qui fut celuy lupi-
ter. Et si nous le voulons bien sauoir, il nous faudra
inuestiguer du grai^d Hercules de Libye, et de lupiter le
luste son père, et de là monter iusques à Cam, qui fut
Saturne d^Afrique, et à son père Noë surnomme lanus,
premier Prince et Patriarche de tout le monde, après le
déluge. Pareillement puis que les Troyens, comme posses-
seurs et habitateurs de Gaule, déduisent leur extraction
depuis leur premier Saturne et Roy nommé Samothes filz
de lapbet, et surnommé Dis, et de là viennent à Galates
âlz du grand Hercules, de la belle Galatee Royne de Gaule,
et puis à lasius leur Roy, frère de Dardanus fondateur de
Troye, et consequemment à Francus Roy de Gaule Celti-
que, et à ses Sicambriens et François dune part : et dautre
part à Bauo regnateur de Gaule Belgique, et à ses succes-
seurs Roys et Ârchidruïdes, et consequemment à Pépin et
Charlemaigne, qui régnèrent sur toutes lesdites Gaules, si
auant comme elles sestendent, il est bien mestier de rame-
ner à lumière toute ceste belle antiquité, laquelle ha este
absconse et celée iusques à présent à la pluspart des hom-
mes. Voila la conclusion que nous entendons monstrer par
ce volume. Mais encores elle demonstree, ce seroit peu, si
elle nengendroit vne fin finale.
La fin donques qui resuite de tout le présupposé est dou-
ble. Cestasauoir, à fin que quand les subietz de nosdits très-
hauts Princes, entendront la merueilleuse et tresantiqua
SnOTLAimc DE TROTB. LHAB I. 15
générosité, et illostritë (1) de leurs Princes ancestres, iadis
fondateurs des tresnobles citez, ou ilz habitent auiourdhuy,
que à ceste cause ilz conforment leur vénération, amour,
seruice et obéissance^ envers les Princes modernes. Et dau-
tre part, À fin que les nobles esprits de la langue Françoise
et Gallicane, prennent cœur chacun en son endroit, den-
horter tant par viue voix comme par leurs escritures, nos-
dits tresillustres Princes du temps présent, à ce quilz se
congnoissent vrays Gaulois et vrays Troyens la plus noble
nation du monde : et ne laissent plus fouler leur honneur
par les Turcz. Lesquelz feulsement et torçonnierement (2)
vsurpent, non seulement le nom de la nobilité de Troye,
mais aussi tous les règnes, terres et seigneuries iadis du
Roy Priam de Troye. Laquelle chose nont peu souffrir nos-
dit Princes, se congnoissans estre tenuz, non seulement
comme Troyens, mais dauantage comme Chrestiens et tres-
chrestiens. Ces choses dites par manière de préambule, il
nous faut commencer de satisfaire à ce que nous auons pro-
mis, ce que nous ferons à layde de Dieu. Et pour mieux y
donner ordre, et entendre le vray fondement de ce premier
liure, nous auons cy douant mis vue figure de lancienne
généalogie des princes de Gaule et de Troye.
(1) illutirie, illuitricité (éd. 1512).
(2) mjoBtement, ioriionarû.
16 ILLTBTRATIOIIS DB GATLB, BT
CHAPITRE IL
Lm expotitions de oe terme Gallni, lequel est eqniaoque, et eignifle
plneieiira choses. Comment et en quelle manière les Oaalois et les
Troyens ded assoient iadis leur origine et noblesse» par la trespar-
fonde antiquité du Patriarche Nod, surnommé lanus : qui luy hui-
tième seulement au temps du déluge, fut sauuë des vndes.
La figure douant mise au Prologue, (1) bien entendue, sert
de beaucoup à singulariser Troye, et illustrer Gaule, selon
nostre propos prétendu : car nous nentendons point faire
lun sans lautre. Pour donques commencer À vn bout, la
première et plus digne illustration que nous puissions faire
À nostre nation Gallique, cest de monstrer lexposition de ce
noble terme Gallus, lequel est equiuoque, et dénote plusieurs
choses, selon diuerses langues. Car en letymologie Grecque,
il signifie blanc comme lait. En langue Phrygienne, cesta-
dire Troyônne, il désigne les prestres de la grande Déesse
Cibele, mère des Dieux, et vn fleuue dudit païs. En Fran-
çois cest vn coq : Mais en langage Babylonien ou Hebraïc,
cest autant à dire, comme sur vnde ou surmontant les
vndes : Et de ce prennent leur dénomination vne manière
de nauires quon dit Galees, ou Galleres. Desquelles choses
le prens à tesmoings trois bons acteurs, cestasauoir Xeno-
phon en ses equiuoques, Isidore en ses etymologies, et saint
Hierome, sur les interprétations des noms Hébraïques.
(1) CI La ligne des rojs de Tuscie. »
SniGVLARITBZ DE TROTB. UYBI I. 17
Donques selon ladite dernière interprétation Hébraïque,
le premier entre les humains qui eut ce tresnoble surnom
de Gallus, fut Noë le bon Patriarche : autrement surnommé
Ogjges, comme met ledit acteur Xenophon en ses Ëquiuo-
ques, disant ainsi : Ogyges plures fuere : Primus supra^
dicltu atlauus Nini : quem Babylonij Gallum cognomi'
natU : quàd in inundatione eiiam super stes altos eripue^
rit: et genuerit. Hinc Sagœ apud quos nauigio saluatus
est et ereptuSy ratem vocant Oallerim : quàd vndis saluet^
etc. Le second après, qui fut surnommé Gallus, fut le ne-
ueu dttdit saint Patriarche, nommé Gomerus, ou Gomer,
selon la sainte escriture : filz de laphet premier Roy de
Gaule, selon laques de Bergame en son supplément des chro-
niques. Mais selon Berosus de Chaldee, premier Roy dlta-
lie, iouxte ce quil dit en ses Déflorations : Jtaliam tenuit
Gomerus Gallus. (1)
Or si nous voulons bien descendre à la généalogie de Dar-
danus premier fondateur de Troye, il nous faut prendre
nostre theume audit premier Prince et Patriarche Noë,
surnommé Gallus. Laquelle chose nous ferons par abbreuia-
tion, en ensuyuant la chronique de Berosus de Chaldee,
lequel saceorde merueilleusement à la sainte escriture du
Vieil testament escrite par Moyse. Et est asauoir, que les-
dits Ghaldeens estoient grans Philosophes, et de leur nation
fut le Patriarche Abraham. Ausquelz Ghaldeens Noë après
le déluge auoit enseigné Ihistoire et la vérité de la création
du monde, iusques à son temps : et Noë lauoit aprinse de
son père Lamech, lequel en auoit esté informé par son grand
père, le saint Prophète Enoch, auant quil fust transporté
en Paradis terrestre : Et ledit Enoch lauoit sceu du pre-
( 1 ) JUnilegium^ extrait.
1. 2
18 ILLYSTRATIORS DE GAVLB, BT
mier père Adam, qui de ce fut aduerty par reuelation diuine.
Voyons donques que nous dira Ihistoire de Berosus de
Chaldee, acteur tresancien et tresrenommé, lequel flouris-
soit auant le temps d'Alexandre le grand, et auquel selon
Pline en son histoire naturelle, les Athéniens pour sa grand
éloquence et sagesse, feirent en leur vniuersité me statue
publique à sa semblance, ayant la langue dorée. A laquelle
autorité de Berosus nous ne nous sommes par arrestez sim-
plement, ainçois lauons corroborée des dits de la sainte
escriture, et dautres dignes de foy.
Noë se peult interpréter, reposant, selon saint Hierome,
es noms Hébraïques : et fut filz de Lamech, qui signifie
humilité : et fut ledit Noë géant et homme de merueilleuse
stature et grand corpulence. Si auoit attaint lan cinq cens
de son aage, comme escrit Moyse au vi. chapitre du liure
de Genèse, quand il eut de sa femme Tytea la grande,
autrement surnommée Aretia, ses trois premiers enfans :
cestassauoir Sem, qui est interprété fameux, ou renommé,
autrement nommé Melchisedech : Cam le second , ou selon
Berosus, le plus ieune, qui vaut autant à dire, comme cha-
lereux ou cauteleux : Et laphet, qui signifie eslargissement.
Si se tenoit pour lors Noë auecques sa famille en vne cité
nommée Enos, qui fut la première en tout le monde, fon-
dée par Cayn le fiiz d'Adam, au pied du mont Libanus en
Syrie, et en la prouince de Phenice, non pas trop loing de
Hierusalem en la terre sainte.
Icelle cité estoit lors toute habitée de terribles Geans,
qui dominoient sur la terre vniuerselle, depuis le soleil
couchant, iusques au louant. Lesquelz se confians en leur
force et corpulence énorme et nompareille, après auoir
trouué lusage des armes, opprimoient et tyrannisoient vn
chacun. Si auoient aussi esté inuenteurs de faire tentes et
SniGYLARITEZ DB TROTB. LITRB I. i9
pâuillons : Et dinstrumens de Musique, et de toutes autres
délices efféminées : Et (qui est grand horreur à raconter)
ilz faisoient entremetz de chair humaine. Et commettoient
tous crimes d inhumanité, luxure, et abomination quon sau-
roit dire ou penser, sans auoir regard au droit de nature,
honnesteté, ne crainte de Dieu.
En ce temps là plusieurs sages Vaticinateurs et Âstrono-
miens prophetisoient, ou prognostiquoient et grauoient en
marbre la future destruction du monde. Mais iceux horri-
bles geans, obstinez et endurciz en leurs vices détestables,
tournoient tout à moquerie. Cestasavoir pource que la puis-
sance diuine estoit prochaine de les punir, et leur infelicité'
leur bendoit les yeux. Excepté le bon père Noë, qui seul
dentre tous les geans, estoit sage preudhomme, et crain-
gnant Dieu, auecques sa famille, Cestasavoir Tytea la
grande sa compaigne, Sem, Cam, et laphet, leurs enfans :
Pandora, Noëla, et Noëgla, leurs femmes. Lesquelz de
long temps il auoit instruit en bonnes mœurs, et en la
reuerence du souuerain Créateur. Luy donques, tant par
le commandement diuin, comme par la science dastronomie,
par laquelle il preuoyoit le futur déluge, commença à fabri-
quer la grand arche et nauire, assez congnue par les his-
toires de la sainte escriture, tant pour la saluation du
genre humain, comme des autres créatures. Et quand il sen-
tit approcher celle grand et horrible inondation de toutes
les eaues du ciel, de la terre, de la mer et des abysmes, des
montaignes creuses, qui sassemblerent tout à vne flotte, il
se sauua dedens son arche, lan six cens de son aage. Le
xvin. iour du moys d'Auril. Et lors commença à âner le
premier aage du monde, lequel auoit duré seize cens cin-
quantesix ans, selon lautorité de Philo le luif.
9fi ILLY8TRATI<»f8 DE GÂYLB, ET
CHAPITRE III.
Nod lanus, et aa femme Tjtea la grande, réparateurs do genre
humain, eurent plusieurs enfans après le déluge. Et acquist ledit
•aint Patriarche Noe plusieurs nobles filtres et surnoms. II mons-
ira aux Scythes et Arméniens lusage de labourer la terre, et culti-
ner la vigne. Et fut en parfin ledit Noë, rendu stérile, charme, et
enchanté par son filz Cam.
Toys les animaux de dessus le descouuert de la terre,
morts et suffoquez par le déluge vniuersel, le bon père Noë
et ceux de sa maison seulement, furent reseruez en la
grande arche et nauire dessus mentionnée, laquelle finable-
ment sarresta sur le haut mont Gordiens en Arménie. Et
après que les eaues furent descrues et retournées en leurs
abysmes, Noë le tresnoble Prince et Patriarche, aagé pour
lors de six cens ans, comme met Moyse au septième chapi-
tre du liure de Genèse, au commandement de Dieu vuyda
dillec lan reuolu, le xvii. iour du moys d'Auril, qui fut
huit cens et trente ans douant la fondation de Troye, et
deuant lincamation de nostre Seigneur, deux mille trois
cens dixsept ans, comme met frère lean de Viterbe, com-
mentateur de nostre acteur Berosus. Et lors commença le
second aage du monde. Si feit Noë sortir hors de larche sa
famille, et tous les animaux, bestes et volatilles, dune par-
tie desquelz il feit solennel et agréable sacrifice à la maiesté
dittine, laquelle dealers donna bénédiction à Noë, et aux
siens.
SIH6TLA111TBZ DE TROTB. LIVRB I. 21
Par ainsi le bon Prince Noë se voyant seul Roy, Monar-
que, Empereur, Patriarche, Maistre et seigneur de toute
la terre vniuerselle, quand il apperceut que les fanges se
commencèrent à seicher, par la grand ardeur du Soleil, il
descendit du haut mont Gordiens en Arménie, luy huitième
seulement : car plus nen y auoit au monde et vint en la
plaine qui estoit toute ionchee de corps morts, et illecques
graua en vne grand pierre toute Ibistoire de déluge. Et
encores appellent ceux du païs iusques auiourdhuy ledit lieu,
Myriadam, qui signifie, Lyssue de Noë. Mais puis que nous
sommes tombez sur le propos d*Armenie, il est asauoir,
que cest vne grande prouince d*Asie la maiour, laquelle
touche deuers Orient à la mer Hyrcane, deuers Mydi à
Mésopotamie, deuers Septentrion à la mer Maiour, à Col-
chos, et à Albanie : et deuers Occident à Cappadoce. Et
passent par ladite prouince deux grans fleuues descendans
de Paradis terrestre, comme met la sainte escriture : cest-
asavoir, Tigris, et Eufrates. Mais de ladite région nous
parlerons plus à plein en nostre œuure de Grèce et de Tur-
quie. Quand donques le bon père Noë, Sem, Gam, et la-
phet, et leurs femmes Tytea la grande, Pandora, Noëla, et
Noêgla, se veirent estre tous seulets au monde, ilz furent
ententifz aux œuures de mariage, à fin de reparer la perte
du genre humain : Et tant labourèrent que dedens peu de
temps ilz peuplèrent Arménie : car Dieu et Nature, qui ne
faillent iamais au besoing, leur faisoient produire à chacun
enfantement deux enfans iumeaux, masle et femelle : les-
qnelz paruenuz en aage competant faisoient le semblable.
Apres ledit déluge vniuersel, Noë eut de sa femme
Tytea la grande, trente enfans cy après nommez : Cesta-
sauoir, Tuyscon le géant, Prometheus lancien, lapetus le
2S ULTSTRATIONS DE GAVLB, ET
ieune, (1) Macnis, et les dix sept Tytans , qui furent tous geans
Cranus, Granaus, Oceanus et Typheus. Et des filles Araxa
la grande, Regina, Pandora la ieune, Crana et Thetis. Les
autres histoires y adioustent aussi lonichus qui premier
enseigna lastronomie à Nembroth le géant. Pareillement
Sem, surnommé Melchisedech. Cam et laphet, eurent plu-
sieurs enfans, lesquelz nostre acteur Berosus nomme tous.
Et ie men déporte à cause de brieueté, et aussi pource quil
ne fait pas maintenant à nostre propos. Or dit nostredit
acteur, que le bon père Noë estant encores en Arménie,
instruisit ses enfans et toute sa famille en sainte Théologie:
cestasavoir, en la congnoissance de Dieu, et des choses
appartenantes au diuin seruice : Cestasavoir, es cerimonies
des sacrifices, à sainteté et à religion. Et oultre ce, les
introduisit en bonnes mœurs et sapience humaine. De
toutes lesquelles choses, il composa des liures : et aussi des
secretz des choses naturelles, lesquelles depuis les prestres
deScythie et d'Arménie, gardèrent en grand secret et
reuerence, et nestoit loisible à autre den auoir la congnois-
sance. Et à ceste cause, fut il premièrement appelle Ogyges
Saga, en langue de Scythie, qui vaut autant à dire,
comme illustre Souuerain prestre, grand Patriarche et
Sacrificateur. louxte ce que dit Berosus. Primum itaque
dixerunt, Ogygisam Sagam (2) : id est illustrem sacrorum
pontiAcem Noam Dysir, Encores leur enseigna il oultre-
plus le cours des estoiles, et diuisa lan en douze moys,
selon le cours de la Lune. Et par la science d'Astronomie,
prognostiquoit des le commencement de lan toutes les
choses aduenir. Pour lesquelles causes les Scythes et Armé-
niens lestimerent estre participant de nature diuine : Si le
(1) Capetas (éd. 1512).
(2) Ogygem sagam (ëd. 1528).
SmCTLÀRlTEZ DE TROTE. LIVRE I. 25
surnommèrent Oljbama et Ârsa : cestadire, le Ciel et le
Soleil : et fondèrent par trait de temps plusieurs citez en
son nom, et pareillement honnorerent ilz grandement
Tjtea sa femme, à cause de ses vertuz et grand bonté.
Noë oultreplus monstra aux Scythes et Arméniens, lusage
dagriculture et de labourer la terre tout simplement : cest-
adire sans trop grande curiosité et superfluitë des choses
tendans à délices : Car il aymoit mieux leur enseigner
preudhommie, et bonne manière de viure, sachant que lire
de Dieu auoit esté prouoquee par luxure illicite et autres
vices exécrables, qui ne procedoient que de trop grand
abondance des biens. Neantmoins ce fut le premier qui
trouua lusage de planter la Vigne, et de faire le vin : et
fut loccasion telle, comme met laques de Bergame, au
second liure du Supplément des chroniques. Noë regardoit
paistre plusieurs bestes en vne montaigne d'Arménie, nom-
mée Corycus : Et entre les autres il se donna garde dun
bouc, lequel broutoit les grappes et raisins de la lambrus-
que : cestadire de la vigne saunage, dont il deuint tantost
yure, et commença à sauter dun costé et dautre, et à hurter
de ses cornes tout lautre bestial, pour laquelle chose Noë
congnut tantost que celle plante auoit grand vertu. Si la
cultiua incontinent, et print le sang de quatre diuerses
bestes : cestasauoir de Lyon, de Pourceau, d'Aigneau, et
de Singe, dont il arrousa la racine de la vigne, pour signi-
fier sa force qui se diuersifie selon les quatre complexions
de Ihomme : et par ainsi la vigne cultiuee porta bon fruit,
et Noë la vendengea, et monstra aux autres comment ilz
deuoient faire. Pour laquelle inuention par luy communi-
quée aux humains, il fut surnommé lanus, qui signifie en
langue Scythique, largiteur de vin. Mais ainsi que ce fut
le premier qui trouua la vigne, aussi fut ce celuy qui
24 ILLTSTRATIONS DE GATLB, ET
sentit premièrement la force de son bruuage : Car comme
il ne fust encores accoustumé de sa vapeur véhémente,
et il leust beu en moust en vn grand conuiue quil feit à
toutes ses gens, il cheut en ebrieté tout plat estendu comme
vn mouton, et se trouua couché moins honnestement sur la
terre, et tout descouuert. Or auoit il son âlz Cam, le plus
ieune de trois engendrez douant le déluge, comme dit nos-
tredit acteur Berosus. (lasoit ce que la sainte escriture le
mette le deuxième comme desia auons dit cy dessus) lequel
pour ce quil sestoit tousiours adonné à lart Magique, auoit
acquis le surnom de Zoroast, et hayoit son propre géniteur,
pource quil luy estoit aduis quil aymoit mieux ses autres
frères engendrez après le déluge, quil ne faisoit luy. Mais
au vray dire, la cause pourquoy Noë ne laymoit gueres,
estoit la grande enormite des vices lesquelz il perpetroit, et
enhortoit les autres à les commettre, en ensuyuant toutes
les abominations que les horribles Geans faisoient auant
le déluge. Par ainsi Cam quand il voit son père gisant à
terre endormy tout yure, il luy sembla auoir trouué heure
et opportunité de soy venger. Si toucha les parties viriles
de son père, et ietta son charme dessus par enchantement
et art diabolique, dont il estoit ouvrier, tellement que des-
lors en auant il le rendit inhabile et impotent de iamais
pouuoir fecunder femme ny avoir autres enfans. Pour tous
lesquelz maléfices il encourut la grieue indignation et malé-
diction de son père, lequel le chassa daupres de luy pour
aucun temps. Et à ce concorde la sainte escriture.
SIHGVLAirrSZ DE TIOTB. UTRB I. 95
CHAPITRE IIII.
Le genre humain desia grandement multiplia, Noë lanus, commença
à distribuer la terre vniuerselle k ses enfans et neuenx : et leur
monstra la cosmographie : cestadire, la situation de la terre, comme
il lauoit Yeûe auant le déluge. Et premièrement establit la monar-
chie des Babyloniens en Asie. Mais en Europe il institua quatre
Royaumes principaux : dont celuy de Gaule fut Inn. Et puis alla
visiter sa génération par tout le monde, et fonda pluiieani citez en
Asie.
Le genre hamain se maltiplia tant par succession de
temps au païs d'Ârmenie, que force fut de commencer à
quérir nouuelles mansions. Alors le bon père Noê, sur-
nommé lanus, Empereur et souuerain Patriarche de tous
les humains, commença à enhorter tous les Princes et
chefz dhostel de sa famille, quilz pensassent de se mettre
enqueste, pour trouuer autre résidence chacun en son
endroit, et illecques fonder villes et citez, pour entretenir
les gens en communication humaine. Si leur feit partage
de la terre vniuerselle, laquelle il désigna en trois parties,
ainsi quil auoit veu douant le déluge. Sem, surnommé Mel-
chisedech, laisné, eut pour sa part Asie la maiour qui con-
tient la moitié du monde : Et eut xxv. Ducz en sa famille.
Il fonda la cite de Salem qui depuis ha esté nommée Hie-
rusalem, et vescut iusques iusques au temps d* Abraham,
laphet son frère fut fait chef d'Europe, qui ne contient que
le quart de la terre. Et eut auec luy xini. Ducz de sa gène-
26 ILLYSTRATIONS DE GAVLE, ET
ration : Et à ces deux donna Noë sa bénédiction tresam-
pie, selon le texte de la Bible. Mais Cam, combien quil ne
fust en la grâce de son père, si ne fut il pas fraudé de
Iheritage, ainçois obtint pour luy et pour les siens, lautre
tierce partie du monde, comme nous dirons cy après plus
à plein.
Frère lean Annius de Viterbe, expositeur de nostre
acteur Berosus, recite quun autre acteur luif nommé Philo,
met, que le centième an après le déluge, Noe pour mons-
trer la cosmographie, cestadire la description de la terre,
k ses enfans, lesquelz le suiuirent en grand nombre de peu-
ple, il monta premièrement sur la mer Pontique, quon dit
la mer maiour, et vint enuironner toute la mer mediter-
rane, comme il auoit veu parauant le déluge. Si monstra
à son âlz aisné, Sem Melchisedech, tout le riuage Asia-
tique, depuis le fleuue Tanaïs, qui est en Tar tarie, iusques
au Nil, qui est en Egypte. A Cam, il monstra toute la riue
de la mer d'Afrique, depuis le fleuue du Nil iusques au des-
troit de Gybalthar (1). Et à laphet, tout le riuage d'Europe
depuis le destroit de Gybalthar en passant pardeuant les
terres d'Espaigne, Gaule, et Italie. En laquelle Italie, il
entra premièrement par le fleuue du Tymbre, et laissa
illec certaine quantité de peuple, au lieu ou depuis fut fon-
dée Romme, du costé de Toscane, Lan cviii. après le
déluge, au temps de laage doré. Puis partit dilec, costoyant
toute la riue de Grèce pour y mettre du peuple, et rentra
au destroit de Constantinoble, et en la mer maiour, et par-
uint iusques au dessusdit fleuue de Tanaïs en Tar tarie,
dont il estoit premièrement party. Et esta noter, que en
faisant le tour dessusdit, lequel il parfeit en dix ans, il
(1) Qibalthar(ëd.l512 6t 1528).
8I1I6VLAR1TEZ DE TROTE. LITEB I. 27
avoit distribue parmy lesdites prouinces, sur chacun riuage
certain nombre de peuple pour y habiter. Parainsi luy
retourne en Arménie, il y seiourna lespace de cinquante-
neuf ans, en laissant croître et multiplier son peuple : Pen-
dant lequel temps, il en enuoya vne grande partie dehors,
pour habiter nouuelles terres, chacun en son endroit,
comme il leur auoit desia monstre.
Car enuiron xxi. ans après son retour du voyage des-
susdit, ledit bon père Noë commença à fonder les Roy-
aumes et Monarchies du monde, dont le premier fut celuy
de Babylonne, sur lequel Nembroth le géant, âlz de son
neueu Cur, qui fut filz de Cam, fut premièrement estably,
Lan cxxxi. après le déluge : Et fut dit le premier Saturne
et Roy des Babyloniens, ou Assyriens. Si lenuoya son
grand père Noë celle part, auecques ceux de sa famille
pour édifier vne cité. Alors Nembroth auec son filz BeLus,
qui depuis fut surnommé lupiter, et tout son peuple allèrent
en la champaigne de Sennaar : Et illec commencèrent à
fonder la grand tour et cité de Babel. Laquelle ilz esleue-
rent iusques à la hauteur des montaignes, pour designer
que le Royaume de Babylone estoit la première et souue-
raine monarchie de tout le monde. Mais Nembroth nacheua
point sa tour ne sa cité, à cause de la confusion des lan-
gues. Toutesuoyes il régna illec en paix et tranquillité par
lespace de cinquantesix ans.
Tantost après le règne de Babylone, quon peult dire
Monarchie, Noë fonda en Europe quatre Royaumes parti-
culiers : Cestasauoir celuy d'Italie, celuy d'Espaigne, celuy
de Gaule, et celuy d'Alleraaigne. Car le dixième an du
règne de Nembroth, Comerus Gallus, dont dessus est faite
mention, aisné filz de laphet, par le commandement de
son grand père Noë, mena son peuple en Toscane, qui est
18 ILLfSTRÀTIONS DE GATLB, BT
vne partie d'Italie, laquelle estoit lors appelée Rytim (1) : et
establit illec sa station et son règne, lan trentetroisieme
après que son grand père lanus y auoit premièrement mis
du peuple, comme nous aûons dit. Deux ans après son
frère Tubal qui aussi est appelle lubal, cinquième filz de
laphet, print possession du Royaume d*Espaigne : Et peu
après Samothes surnommé Dis, quatrième âlz de laphet,
entra en Gaule pour y régner. Et puis le vingtcinquieme
an du règne de Nembroth, Tuyscon le géant, lun des filz
de Noe, de ceux qui nasquirent après le déluge, se saisit
de la domination des AUemaignes. Et oultre ce, en plusieurs
autres parties du monde Noë enuoya des gens, et des
Princes desquelz ie me déporte, pour ce quilz ne sont pas
à nostre propos, neantmoins trestous chacun en son quar-
tier, par le commandement exprès de Noë leur père, impo-
sèrent leurs noms aux peuples, païs, citez, fleuues et mon-
taignes, quilz tenoient, à fin que les postérieurs sceussent
par ce moyen, de qui ils auoient premièrement esté fondez.
Quand donques le bon Patriarche Noë eut ainsi enuoyé
ses gens peupler le monde, et que dabondant, il leur eut
promis de leur mener par luy mesmes des gens de renfort,
quand il veit le temps prochain de son partement d'Armé-
nie, il diuisa ce qui luy restoit de peuple en deux parties.
La première (en laquelle estoient beaucoup de ses enfans
engendrez après le déluge, auecques grand' multitude de
peuple) il retint auec luy : Et sur lautre bende, laquelle il
laissa pour habiter en Arménie, il ordonna pour Roy et
souuerain Patriarche Sabatius Saga, dit Saturne, son
neueu, frère de Nembroth Roy de Babylone Et Araxa la
grande sa fille, mère dndit Sabatius Saga. Et confina leur
(1) Kytim (éd. 1512). Kytin (éd. 1528).
SmCTLARlTKZ DB TIOTB. UVKÊ I. 99
tellement, depuis Arménie iasques à la terre des Bactriens,
qui sont Ters les Indes, laquelle estendue, iusques auiour-
dhuy sappelle Scjthie, ou Tartarie.
Ces choses ainsi ordonnées, Noe surnommé lanus, partit
pour la seconde et dernière fois du pais d*Armenie, lan
GLXix. après le déluge, qui fut le trentehuitieme an du
règne de Nembroth, et le cinquanteneufieme an après le
premier Toyage dessudit. Et certes son parlement fut au
tresgrand regret, et lamentation de tout le peuple d*Arme-
nie, et mesmement de sa fille Araxa la grande, et de son
neuea Sabatius Saga, surnommé Saturne. Si emmena
auecques luy sa femme Tytea la grande, et plusieurs de ses
mfans nez après le déluge, auec grand multitude de peuple,
en délibération daller visiter ses enfans et neueux desia dis-
persez par tout le monde, et voir leur gouuernement,
comme bon père de famille doit faire, et les ayder de son
bon conseil, et de son peuple : et finablement aller vser le
demeurant de ses iours en Italie. En ce propos il com-
mença à faire son voyage par terre, premièrement en Hyr-
canie, laquelle il peupla de gens, quil nomma lanees de
son nom. Et dillec alla habiter en Mésopotamie deuers la
mer, au dessouz de Babylone, là ou il laissa aussi des gens.
Puis après en Arabie la bienheureuse, en laquelle il fonda
deux citez de son nom et de son surnom : Lune nommée
Noa, et lautre laninea, lan quarantecinquieme du règne de
son beau neueu Belus, surnommé lupiter, filz de Nem-
broth, second Roy de Babylone : cestasauoir ccxxxii. ans
après le déluge. Lesquelles citez il fournit de peuples. Et
en fonda aussi des autres, puis laissa Arabie, et sen vint
en Afrique.
En Afrique, qui est lune des tierces parties du monde,
assignée en souueraineté à Cam, second fllz de Noë regnoit
SO IliLYSTRATIONS DB GATLB, BT
poar lors Triton filz de Saba, qui fut filz de Cur, aisnë filz
de Gam. Lequel Triton receut à ioye inestimable son grand
ayeul Noë et Tjtea la grande, auecques tout leur train. Si
seiourna illecques le bon père Noë vne bonne espace de
temps, pendant lequel iceluj Roy Triton mourut, et laissa
son âlz Hammon, héritier du Royaume d'Afrique, autre-
ment appelle Libye. Ledit Hammon print à femme Rhea
sœur de Gam, Saturne des Egyptiens : Mais ladite Rhea
labandona depuis par ialousie, comme nous dirons cy après
quand il escherra den parler. Puis après le bon père Noë
partit d'Afrique, et sen vint en Espaigne, lan ceux, après
le déluge : Gestasauoir quatre vingts et dix ans après son
dernier parlement d'Arménie, qui fut le dixième an du
règne de Ninus, troisième Roy de Babylone.
SUGVL&BITBZ DB TROTR. LITRB I. 31
CHAPITRE V.
En Espaigne vint le bon Patriarche Noë, du temps de son neueu
lubalj premier Roy des Espaignolz, et y fonda deax citez. Puis
alla finablement régner en Italie, et en chassa son filz Gam, lequel
lanoit Ysurpee par tyrannie, et corrompue de tous maux. Et y
fonda ledit Prince Noè lanus, là cit^ de laniculum, ou depuis
Romme ha esté assise. Si recueillit benignement son neueu Sabatius
Saga, autrement dit Saturne : et régnèrent ensemble pacifique-
ment. Puis trespassa ledit bon père Noë lanus : et après son très-
pas fut estimé Dieu. Et furent grans honneurs attribuez à luy ^t à
sa femme Tytea la grande,
lubal cinquième filz de laphet, premier Roy d'Espaigne,
ainsi quil est à présupposer, receut en grand honneur son
grand père Noë lanus, et Tjtea sa grand mère, lesquelz
furent tresioyeux du bon gouuemement de leur neueu
lubal : Car ilz trouuerent quil regentoit son peuple en
grand iustice et police : Et leur auoit establi depuis six ans
au parauant, plusieurs loix et manière de bien viure :
Disant ainsi nostre acteur Berosus, Anna huius Nini
quarto : Tuyscon gigas Sarmatas legibus format apud
Rhenum. Idipsum agit lubal apud Ceîtiberos : et Samothes
apud Celtas. Noë donques pour ayder son neueu lubal à
peupler Espaigne, fonda deux citez, lesquelles il nomma
Noëla, etNoëgla, en Ibonneur et remembrance de ces
deux belles filles, ainsi nommées, les femmes de laphet et
de Gam. Puis se délibéra daller en Italie, et illec se repo-
32 ILLVSTRATIOMS DE GAYLB, ET
ser désormais auprès de son neueu Gomerus Gallus, pre-
mier fllz de laphet, lequel il auoit ordonné premier Roy
d'Italie, comme dessus est dit : Et meit Noë neuf ans en-
tiers, tant en seioumant en Espaigne, comme en allant
d*Espaigne en Italie, là ou il arriua pour la deuxième fois
lan après le déluge cclxviii. Cestasauoir, quatre vingts
dixneuf ans après son dernier partement d'Arménie. Lac-
teur ne dit point quel chemin il tint, ou par mer, ou par
terre. Toutesuoyes il est bien vraysemblable, que le bon
père ne passa point sans Toir le tressage Prince son neueu
Samothes, cinquième filz de laphet, et frère dudit lubal
Roy d'Espaigne. Lequel Samothes il auoit institué premier
Roy de Gaule, comme dessus est touché. Et pouuoit auoir
lors régné enuiron six vingts ans. Et vescut encores trente-
cinq ans depuis.
Ainsi vint le bon père lanus pour la seconde fois en^
Italie auec sa femme et toute sa famille, lan de son aage
hait cens soixantehuit. Car au temps du déluge, il auoit
six cens ans : tesmoing la sainte escriture, cestasavoir,
huit vingts ans, depuis la première fois qu'il y auoit esté.
Si trouua que son neueu Comerus Gallus premier Roy
dltalie, estoit pieça mort. Mais son filz Cam, contre lin-
tention dudit Noë, non content de la souueraine domina-
tion d'Afrique, laquelle luy estoit assignée pour partage,
estoit venu vsurper la seigneurie d'Italie, et y auoit desia
régné vingt et cinq ans ou enuiron. Et, qui pis est, en lieu
que les autres Roys d'Europe, comme dessus est dit, auoient
informez leurs subietz des bonnes loix, iustes et droitu*
rieres, Cam au contraire auoit desia corrompu les ieunes
gens d'Italie, de tous vices et infametez : et principalement
k layde dune manière de gens nommez Aborigines, lesquelz
il auoit amené auecques luy pour mieux peupler Italie. De
SmOTLAlITBZ DB TIOTB. LITEB I. 35
toutes ces choses fat terriblement mal content le bon père
Noë. Toatesfois il eut patience lespace de trois ans pour
Toir si Cam samenderoit. Mais quand il Teit que non, il
hxj commanda Tuyder hors d'Italie : et luy donna aucun
nombre de peuple pour laccompaigner, et sen alla habiter
en risle de Sicile. Ainsi fut despouillë Cam du Royaume
d'Italie, quil auoit vsurpé à tort.
lanus donques le bon Patriarche commença à régner
tout seul, en Italie, lan ocLXxn. après le déluge. Et pour
donner ordre à son Royaume, premièrement et auant toute
(Boure, comme bon pasteur doit faire, il sépara les brebis
saines arrière des infectes : cestadire, le peuple bon et
innocent il retint pour luy : Et lautre qui auoit esté gasté
et corrompu par la mauuaistié de Cam, il feit passer oultre
le flenue du Tybre : nommé premièrement laniculum de
son nom. Lequel peuple estoit nommé Âborigines. Et de-
mandèrent à Noë sa fille Crana pour estre leur Royne, ce
quil leur ottroya : et luy bailla sceptre et domination sur
eux. Mais ceux sur lesquelz régna lanus, ilz voulurent estre
nommez lanigenes, à la difierence des autres. Et le qua-
trième an de son règne, il édifia sur le riuage du Tybre (I),
de la part de deçà, cestasauoir deuers Toscane, vne cité sur
Tn tertre, ou montaigne, laquelle il nomma laniculum, et
depuis ha esté nommée Vaticanum (2) : Maintenant on lap-
pelle le Bourg saint Pierre de Homme. Et est le propre lieu
auquel est située lesglise de saint Pierre, et le palais du
Pape, quon dit maintenant Belvédère, en Italien : cesta-
dire Beauregard, en nostre langage. Et voulut estre illec*
ques le siège perpétuel de son Royaume, iusque au fleuue
(1) Tymbre (èà. 1512). Tybre (éd. 1528).
i^ytÊÊtÉMum {éd. 1612).
I. S
34 ILLTftTRATlORS DE GAnJS, ET
Ârnos qui passe parmy Florence, aatour duquel fleuue il
enuoya habiter du peuple, et fonder citez, lesquelles il
nomma Arjn lanas, là est â lano ewaltatas. Et com-
mença premièrement k escrire et enseigner les Droits -et les
Loix, en vne cité nommée pour lors Vetulonia, quon dit
présentement Viterbe. Et oultre plus, le bon père lanus
commença à enseigner à ses lanigenes, les sciences de Phy-
sique, d'Astronomie, et de Diuination, et les Gerimonies des
diuins sacrifices : et leur en composa des liures. Si Tse-
rent de mesme langage au seruice divin, comme ilz auoient
fait premièrement en Arménie, iusques au temps des Rom-
mains.
Nous auons cy dessus fait mention comment au dernier
partement que le bon père Noë feit d'Arménie, il y consti-
tua et establit son neueu Sabatius Saga, surnommé Saturne,
Roy et Patriarche d* Arménie : lequel y régna paisiblement
aucun temps : cestasavoir, iusques à la fin du règne de
lupiter Belus, filz de Nembroth, deuxième Roy de Baby-
lone : lequel par rage désordonnée, désirant régner tout
seul au monde, fut le premier violateur de laage doré,
auquel toutes choses estoient communes et pacifiques : tas-
cha par tous moyens de defiaire ledit Saturne, et commanda
à son filz Ninus ainsi le faire. Parquoy Saturne homme
tout bon et tout pacifique, ayant à peine peu eschapper
des mains desditz Belus et Ninus, sen vint rendre à refuge
k son grand père Noë, le premier an du règne de Semira-
mis quatrième Royne de Babylone. Et cecy demonstre Vir-
gile en vn passage, ou il dit :
Prîmua ab «thereo vônit SatutnUÂ oljtnpo,
Arma looii fugiena, et regnis exal ademptia.
Noë recueillit tresbenignement son neueu Saturne, et
SIIfGVLAEinZ DB TROTE. LITRK I. 35
luy feit grand honneur : Car il le créa Roy et Patriarche
des Âborigines, dont dessus est faite mention. Si luy feit
fonder vne cité du costé de lautre riûage du Tymbre,
laquelle il nomma Satumia, vis à vis de celle de lanus, qui
sappellcit laniculum. Et est la partie de Romme qui sap-
pelle auiourdhuy Transtymbre : louxte ce que met Virgile,
au vin. des Eneïdes, là ou il introduit Euander parlant k
Enea, et disant :
H»c dao pmterea diaiectia oppida morâi,
Relliqaiaa veterum^videa monumeiiU viroram :
laniculum huic faerat, illi Satarnia nomen.
Par ainsi régnèrent ensemble daccord, lanus et Satur-^
nus. Et en ce temps là, la bonne et sainte dame Tytea la
grande surnommée Yesta, femme de Noë, commença en
Italie la religion des Vierges et Nonnains Vestales, et.
aprint aux filles de maintenir virginité, et de garder per-.
petuellement feu et lumière ardant au temple: Laquelle,
institution dura iusques au temps des Rommains en grand
honneur et reuerence. Le bon Saturne aussi monstra à son
peuple quelque enseignement de labourage, et de religion.
Et après auoir créé son filz et successeur nommé Sabus,
Roy des Sabins et des Âborigines (1), il mourut lan cccxliiu.
après le déluge. Et ceste mesme année, Koë lanus le très*»
ancien père et Patriarche, sentant la fin approcher, créa
lun de ses fil2, nommé Cranus, Roy et Patriarche des lani-
gènes, quon dit maintenant Toscanes. Et le huitième an
après, il rendit son tresnoble esprit au commandement de
Dieu, après auoir régné en Italie quatre vingts deux ans,
depuis son dernier partement dltalie enuiron neuf vingts
(1) Aborigenea (éd. 1512).
36 OLTSTRÀTIOIIS DB QkfUi BT
ans, après le déluge trois cens cinquaate, deoant la fonda-
tion de Troye, quatre cens quatre vingts ans, auant lincar-
nation nostre Seigneur, mille neuf cens soixantesept ans :
et de laage dudit Noô neuf cens cinquante. Parquoy il
appert quil vescut moins que son grand père Mathnsalem,
seulement dixneuf ans.
Or fut il plaint et plouré généralement par tout le monde.
Et les Arméniens, Italiens et autres nations, incontinent
quilz sceurent son trespas, célébrèrent ses obsèques, et luy
attribuèrent honneurs diuins. Si luj édifièrent temples et
autels comme nous fidsons maintenant aux saints de Para-
dis : Car ûz cuyderent que son ame fust transmuée en
aucun des corps célestes. Parquoy ilz lappellerent le Ciel,
le Soleil, Labyme, la Semence du monde, le Père des Dieux,
maieurs et mineurs : Lame du monde qui mouaoit les
oieux : Le Dieu de paix, de iustice et de sainteté : Expul-
leur des choses nuisibles : et le Gardien des bons. Encores
lappellerent ses successeurs enfans et neueux : lanus^ Gémi-
nés, Quadri/^ons, Oenotrius, Ogyges, Uertumnus, Uadf-
mon, Protheus^ MuUisorSy JHespiter, là est matutinus et
diei (1 ) pater : lupiter, id est iuuans pater^ optimus, maxir
fMêS. Et tant dhonneur luy feirent ilz par lesdites intitu-
lationn, comme ilz peurent. Ainsi que mettent plusieurs
acteurs, et mosmement frère lean Annius de Viterbe, expo-
sitour do nostre acteur Berosus.
Hz le figurèrent aussi de plusieurs et diuerses sortes :
aucunosfois h deux visages, pour dénoter sa prudence de
tous costoz : aucunesfois à quatre, pour signifier quil estoit
leur Dieu de toute lannee : Car il auoit diuisé lan en quatre
pars : cestasauoir, printemps, esté, automne, et hyuer.
(1) dHpt^ier (id. 1512).
SIRGTLAEITBS Dl TROIB. UfU I. 57
louxte ce que dit Macrobe au premier liure des Saturnaux.
lanus apud nos in quatuor partes speetat : vt demonstrat
dus simulacrum Ualeriis (1) aduectum^ etc. Et puis il dit
encores tantost après, que les Phéniciens le pourtrayoient
en goise dan dragon qui mordoit sa queue : pour dénoter
qnil est le commencement et la fin de lan. Et encores sap*
peUe auiourdhuy le premier moys de douze, lanuarius : en
l'honneur de luy. Et à ce saccorde Seruius sur le quatrième
liure des Ëneïdes. Les anciens encores ouït replus le peingni-
rent triant vn sceptre de domination Royale en lune de ses
mains» par lequel il fouloit rebouter et dechasser les mau*
uais : Et deux clefz en lautre, par lesquelles ilz denotoient
quil avoit esté inuenteur des portes et des serrures, à fin
que les humains entretinssent religion et chasteté : et que
les larrons nocturnes, et les adultères, fussent par ce moyen
prohibez dentrer es bonnes maisons. Et dudit lanus por-
tent iusques auiourdhuy les noms tous les huys et les por-
tes, du nom quon nomme en Latin lanua : et de plusieurs
autres sortes le formèrent ilz, comme on peult mieux voir
par vn acteur Rommain, nommé Properce, qui de son
Image, Idole, ou simulacre fait ample mention au mi. liure
de ses El^es. Et commence ainsi :
Qaid mirara meas tôt in vno corpore formas ?
Accipe Vertumni signa paterna dei.
Toscas ego, Tuscis orior, etc.
Certainement lacteur qui ceste histoire ha recueilli et mis
en la forme telle quelle est, ne treuue nulz des humains
anant laduenement de nostre Seigneur (lequel estoit Dieu
(\)epktUeriê (éd. 1512, 1528 et 1533). C*est pour Phaleris dans
Maerob« I, 9.
38 UJéVSTRATlOnS DE GAVLB, BT
et homme) qui faase à comparer au bon père Noë, Empe-
reur et Patriarche de tout le monde, ne qui ayt receu plus
dhonneurs de son mesme viuant et après sa mort, que luy.
Et si aucun lecteur estoit scandalisé de ce quil fut appelle
Dieu, après sa mort, il faut quil sache, quen ce temps \k
tous bons Princes et iustes, estoient appeliez Dieux, sans
aucune idolâtrie. louxte ce que dit Metasthenes historien
Persan : Ante Ninum^ ducentis et quadraginta nouem
annis regnatum fuisse sub tribus dits regibus : quorum
qui primus tniuerso imperauit orbi, fuit Ogyges : qui
prafuit inundationi terrarum^ etc. Et Caton lancien le
conforme en ses fragments, disant : Italia complura à diis
et dueibus sortita fuit nomina : à lano quidem laniculay
quem quidam Oenotrium dictum existimant : quia inuenit
vinum et far. Et par ceste mesme raison, Moyse et les
autres bons Princes et Patriarches furent appeliez Dieux,
non par essence, mais par participation : comme il est escrit
au vu. chapitre d'Exode : Fgo te dedi Deum PAaraoni,
Et au xxni. chapitre : Diis non detrahes : et principem
populi tui ne maledicas. Et Dauid le Prophète psalmiste
Royal, par la bouche duquel le saint Esprit parloit, dit
ainsi : Principes popuUrum congregati sunt cum deo Abra-
ham : quoniam dii fortes terra veAementer eleuati sunt.
Ces choses sont exposées vn petit amplement, à fin que
les Lecteurs ne sesbahissent point, si nous faisons souuent
mention en ce Hure des Dieux et des Déesses : desquelz ainsi
nommer cestoit au temps passé lusage, comme cest main-
tenant de Saints et de Saintes. Et certes Noë estoit tres-
saint homme: comme tesmoigneMoyse au sixième chapitre de
Genèse, disant ainsi : Noë vir iustus afque perfectus fuit :
in generationibus fuis cum Deo ambulauity etc. Et vn peu
devant il dit : Noê verà inuenit gratiam coram Domino.
SIIfGVLÀRITBZ DE TROTB. UniB I. 99
Four lesquelles raisons si lancien peuple, avant lidolatrie le
nommoit Dieu pou^ ses mérites, il nen fsdsoit point k
reprendre. Et nous mesmes qui aussi ne sommes point ido-
lâtres, ne douons faire nulle difficulté (si Lesglise le permet)
de ladorer comme Saint, non plus que saint lob, ou saint
Abraham. Donc pour reuenir à nostre propos principal, il
est à sauoir, que laage doré (dont les Poètes parlent tant)
commença à faillir tantost après sa mort : Et ce tesmoigne
Ouide au premier iiure des Fastes, disant en la personne
dndit lanus, que lustice et Chasteté regnoient en son temps :
Tune ego regnabam, patiens cùm terra deonim
Esaet, et humanis numina mista locia.
Nondam lastitiam facinus mortale fugarat :
Ultima de snperis illa reliqnit hamam.
Proqae metu popolom aine vi podor ipse regebat,
Nallos erat iastis reddere iura labor.
Nil mihi oam bello : pacem postesq taebar,
Et olauem ostendena, Hœc, ait, arma gero.
Donques si lanus fut fort estimé et honnoré par tout le
monde, et quen la cité nommée alors Vetulonia, et main-
tenant Yiterbe, luy fut fait le premier temple et statue :
aussi la bonne dame Tytea la grande sa femme, après son
trespas fut réputée Déesse et mère des Dieux : et fut gran-
dement honnoree par Sicanus huitième Roy dltalie, et
nommée Harchia^ Uesta^ Terra siue Aretia^ Regina sacro"
rum^ magna Cyheles, Materq deûm : atque Uestalium
princeps sine Abbatissa. Comme mettent nostre acteur
Berofus, et frère lean de Yiterbe son expositeur.
40 lU.V8TEAT101iS DB GATILB, ET
CHAPITRE VI.
Des gestes de Cam, qui fat tresperners et tresmaliceuz tjrant, et sar-
iiomm4 Zoroast» pource quil fut premier inaentear de lart Magi-
qae. Et aussi Ihistoire de sa femme surnommée Rhea.
Apres que nous auons sommairement descrit le decours
de la vie du tressaint Patriarche Noë, en laquelle dédui-
sant nous auons aussi touché la narration de la mauuaise
vie de Cam, son second filz» ou (selon Berosus) troisième,
laquelle combien quelle soit odieuse et détestable, neant-
moins nous est il nécessaire la continuer, pour descendre à
la généalogie du grand Hercules de Libye, ataue de Darda-
nus premier fondateur de Troye. Et certes il nest point de
si grand lignage, ou il ny ayt eu de gens vicieux, comme il
appert par le liure de la génération de nostre Seigneur
lESVS CHRIST. Or faut il donc repeter ce que nous auons
touché de Ihistoire de Cam. Mais ce ne sera pas sans grans
merueilles, douyr comment dun si tresbon père peult yssir
vn âlz si tresmalicieux et tresperuers.
Gy dessus est narré comment le bon Prince Noë, en dis-
tribuant la terre vniuerselle à ses enfans, combien que
Cam poilu de tous vices et ayant encouru lindtgnation
paternelle ne fust pas digne den auoir sa portion, neant-
moins la debonnaireté du père ne volut frauder le mauuais
enfant du droit de la succession héréditaire, ainçois luy
assigna pour luy et pour les siens en sa part et portion de
SniGVLAEITBZ M TBOTB. UfBB 1. 41
perpétuel héritage, la tierce partie dn monde : Gestasavoir
Egypte et Afrique, quon dit maintenant Barbarie. Et luy
commanda partir d'Arménie, et sen aller habiter celle part
auecques sa femme Noëgla, et trentecinq Ducz : cestadire
chefz de famille de son sang, et de sa maison, et leurs fem-
mes et enfans, ce quil feit, et fut Roy et Saturne d'Egypte :
Si luy édifièrent yne cite, nommée Chem Myn. Et nom-
mèrent Cam leur Roy, Pan et Syluanus. Et pour recom-
pense des honneurs quilz luy faisoient, il les introduisit
selon sa nature, en toutes vilenies, ordures, et infEimetez :
affermant publiquement, que les humains deuoient avoir
compagnie auec leurs mères, leurs sœurs, leurs filles,
conune paravant le déluge, et autres choses détestables qui
ne sont point à dire. Lesquelles doctrines toutesfois ilz ne
retindrent point, par instinct de propre naturelle vergon-
gne, sinon seulement de prendre en mariage leurs sœurs,
pour multiplier le monde. Et à fin de manifester les vices
de leur Prince, ilz lappelloient communément Cam Ese-
nuus : cestadire leur Dieu Pan ou Syluan infâme. Si
demoura en Egypte long temps : cestasauoir iusques à lan
dnquantesixieme du règne de lupiter Belus deuxième Roy
de Babylone, laquelle année il vint en Italie, qui lors sap-
pelloit Kitim, vers son neueu Comerus Gallus, premier Roy
dicelle. Apres la mort duquel il vsurpa à luy le Royaume
dltalie, comme desia auons touche par cy deuant.
Cam donques le corrupteur du genre humain, et lusur»
pateur dltalie, tandis que les autres Princes de son lignage,
en Germanie, Espaigne, et Gaule, monstroient bon exemple
à leurs peuples, et les introduysoient en bonnes loix, il
tout au contraire gastoit et corrompoit la ieunesse dlta-
lie, de toutes manières de vices, non seulement de ceux qui
sont cy dessus touchez, mais aussi les induysoit k vsure,
43 ILLTBTRATIOm DE GATLB, ET
larrecin, homicide, et empoisonnement, et mesmement à
exercer lart Magique : à cause de laquelle il fut surnommé
Zoroast ou Zoroastres. Et fut le premier inuenteur de ladite
art diabolique, selon lopinion de tous les historiens, et qui
diœlle composa plusieurs liures. En perseuerant en tous ces
maux, Noë lanus son père suruint en Italie, non pensant y
tronuer son filz Cam, là ou par sa bonté il le soufirit
demeurer quelque trois ans, et puis flnablement luy com-
manda partir, et luy bailla aucun nombre de gens pour
aller peupler vne autre contrée : Et fut deslors appelle
publiquement par tout le monde Cam Esenuus : là est^
Oam infamis et impuiicus, incubusy propagatar. le croy
que le Turc pour semblable cause sappelle en ses lettres
patentes Ghan, et le grand Gan de Tartarie : comme nous
monstrerons plus amplement en nostre œuure de Oreoe, et
de Turquie. Et certes on congnoit bien que ce nom de Cam,
sonne en mal, et est dissonant du nom du bon père Noë,
lequel iusques auiourd*huy en toutes ioyes publiques (si
comme à la natiuité de nostre Seigneur, et aux entrées
des Princes, et à la publication dune paix, comme elle fut
dernièrement à Gambray) est acclamé et vocifère par la
tourbe des enfans, Noë Noë Noë. (1) Si nha on garde de crier
le nom de Cam.
Or auoit Cam vne sœur nommée Rhea, mariée au Roy
Hammon de Libye, lequel fut amoureux dune autre belle
dame, nommée Amalthee, et eut délie, par adultère, vn
filz qui eut nom Dionysius, lequel il enuoya secrètement
nourrir en vne cité d'Arabie, appellee Nysa : toutesuoyes
la chose ne fut point si celée, que Rhea sa femme ne le
sceust. Dont de despit et ialousie elle abandonna son mary
(1) Autrefois N(M et Noé pour le même nom.
SmCTLAElTIZ M TMtB. UfWM I. 43
Hamnum, et sen vint rendre à son frère Cam, en li^ de
Sicile, leqael incontinent lespousa. Si ne dit point Ihistoire
si sa première femme Noëgla estoit morte ou non. Neant-
moins il en auoit eu plusieurs enfans. Cestasavoir» Cur,
père de Nembroth premier Roy de Babylone, Typhon le
géant» et autres.
Cam et Rhea sa sœur, ainsi remariez ensemble, délibé-
rèrent d'eux venger du Roy Hammon de Libye. Si mirent
sas vue grosse armee« à layde de leurs frères les dixsept
Titans, qui furent tous geans. Partirent de lisle de Sicile, et
sen allèrent par mer en Libye : donnèrent la bataille au
Roy Hammon, et le vainquirent, tellement quil sen fuyt en
lisle de Crète, quon dit maintenant Candie, et se feirent
Roysdudit Royaume de Libye. Et tantost après Rhea eut vn
filz de son mary Cam, lequel fut nommé Osiris, et depuis
surnomme lupiter le Juste : le meilleur et le plus noble
Prince du monde. Par ainsi appert que ce fut le premier
bien que Cam feit onques, que dengendrer ledit Osiris.
Certain temps après, cestasauoir enuiron lan quarante-
troisième du règne de Ninus souuerain Roy de Babylone,
Dionysius filz du Roy Hammon de Libye, et de la b^lle
Amalthee, estant desia paruenu en aage, puissant assez
pour porter armes, voulut venger loutrage que Cam et Rhea
auoient ùdt à son père Hammon, en vsurpant son Royaume
de Libye : Et de fait vint à grand puissance contre eux, et
les dechassa et exila. Si se restablit luy mesmes en son
Royaume paternel. Et neantmoins vsa de si grand debon-
naireté enuers le petit enfant Osiris son parent, quil le
garda et retint pour son filz adoptif : et pour Ihonneur et
remembrance de son père le nomma Hammon, et lupiter.
Et luy bailla vn maistre descole nomme Olympus : à cause
duquel ledit Osiris fut aussi surnommé Olympiens.
44 ILLYSTRÀTJOM DB GAfLB, BT
Apres que Gam et sa sœur Rhea eurent esté deaconfiB
par Dionysius nouueau Roy de Libye, et quilz se fureat
retirez en Egypte, Rhea enfanta à son mary Gam vne âUe,
qui fut nommée luno Egyptienne, et depuis surnommée
Isis la grande. Laquelle nasquit le premier an du règne de
Semiramis, qui fut lan cccii. après le déluge. Et fut ladite
Isis lune des meilleures dames du monde : et la plus heu-
reuse et de plus longue vie, aumoins de toutes celles <3[ui
nasquirent après le déluge comme nous dirons cy après.
Mais son malheureux père Gam estant audit païs d'Egypte
ny demeura gueres paisiblement. Tant estoit il haï et dé-
bouté de tout le monde : comme celuy qui auoit encouru la
malédiction de son père Noë. Si sen alla au païs des Bao»
trions, qui est loingtain en tirant vers les Indes, et les
Perses : là ou à force denchantemens, et dart diabolique
dont il estoit le maistre et le grand ouurier (comme celny
qui lauoit premièrement inuentee) feit tant quil attira le
peuple dudit païs à sa subiection, tellement quil dominoit
en grand force et puissance sur eux. Et de ce non content,
il assembla vne merueilleuse armée, et alla enuahir les
Assyriens. Alencontre duquel marcha en bataille le Roy
Ninus, le ieune filz de ladite Semiramis, cinquième Roy de
Babylone, pour deffendre son païs : Si se trouua vainqueur,
et tua Gam surnommé Zoroast, Saturne des Egyptiens : le
commun ennemy de Dieu et du genre humain : et brusla
ses liures dart Magique, autant quil en peut trouuer.
Neantmoins aucuns historiens afferment, que ledit Zoroas-
tres, (1) que nous disons estre Gam, fut homme de merueil-
leux engin : Et trouua premièrement les sept ars libéraux :
Si les graua en sept colomnes de marbre, et autres sept de
(1) Zoroai«es (éd. 1512).
SIIfGVLARim DE TEOTB. LITHB I. 4S
terre caitte, à fin quelles demourassent à perpétuité contre
le feu et leaue. Et disent encores que ledit Cam Zoroast,
seul entre tous ceux du monde, risit incontinent au partir
du ventre de sa mère .: qui estoit chose montrueuse et con-
tre nature, et ne signifioit point de bien. Yoyla le conte
finy du plus peruers tyrant qui onques fut sur terre :
Lequel laissa pour héritier de sa malice Typhon le géant
Egyptien, engendré en Noëgla sa première femme.
46 ILLYSTEATIONS DE GATLB, BT
CHAPITRE VIL
Da treinoble Empereur Osiris, qui drcuyt et enoironna tout U
monde : et fut filz de Cam et de la grand Déesse Isis, autrement
nommée Ceres, qui fut sœur et femme dudit Osiris. Et da grand
Hercules de Libye filz dudit Osiris. Et aussi est faite mention espe-
ciale des grans Oeans du temps iadis.
Maintenant se tourne nostre histoire à parler des denx
derniers enfans de Cam Zoroast. Lesquelz furent aussi
accompliz en bontë comme leur père auoit esté excellent en
malice. Or di{ nostre acteur Berosus de Chaldee, que la
mesme année que le cler Soleil du monde, le saint Pa-
triarche Noë, alla de vie à trespas, comme cy dessus auons
dit, à fin que le genre humain ne tombast totalement en
ténèbres de viciosité, par la mauuaise doctrine de Cam
Zoroast, et de ses semblables. Dieu feit resplendir vue nou-
velle lumière de vertu : Cestasauoir le tresnoble Osiris,
filz légitime et naturel dudit Cam et de Rhea, sa femme :
Lequel comme dessus est dit, auoit esté adopté en filz, par
Dionysius Roy de Libye, qui le feit nourrir et introduire en
toute science et vertu, par son précepteur Olympus. Et
quand il fut paruenu en aage, il luy donna à femme sa
sœur Isis, la plus belle et la plus vertueuse dame du monde,
auec le Royaume d'Egypte.
Par ladite année du trespas de Noë, eu regard à la nati-
uité dudit Osiris, on peult conter quil pouuoit auoir lors
S1M6VLAE1TEZ DE TROTB. UVRB I. 47
soixante ans, et sa femme et sœur Isis enuiron cinquante.
Et toutesuoyes nostre acteur Berosus les appelle ieunes
enfans audit aage. A quoy respond son commentateur frère
lean de Viterbe, que bien les pouuoit on dire estre encores
en enfance en cest aage là, attendu quilz paruenoient à si
grand nombre dans, comme de six cens et plus. Or don-
ques Osiris en laage de soixante ans, et sa sœur et femme
Isie aagee de cinquante, sestudierent par ensemble de faire
autant de biens au monde, comme le père y auoit fait de
maux. Si trouuerent premièrement au païs de Libye, quon
dit maintenant Afrique ou Barbarie, lusage de semer et cueil-
lir le froument, (1) dont Osiris premièrement Talla ensei-
gner à ses voisins, les habitans de Palestine, Ik ou regnoit
encores son oncle Sem, surnommé Melchisedech, lequel
offrit premièrement pain et vin à Dieu. Et dillec Osiris vint
en ^ypte, là ou il fut inuenteur de la charrue, et de tout
ce qui appartient au labourage. louxte ce que dit le poëte
Tibulle :
Primas aratra mann solerti fscit Osiris,
Et teneram ferro sollicitaait hamam.
Et de là se print à voyager par toutes contrées, en mon-
strant aux rudes gens qui lors viuoyent de glands et dau*
très fruitages, tout ce dont il auoit trouué linuention. Et
par ainsi il fut seigneur souuerain de la terre vniuerselle,
excepté de ceux qui desia estoient souz lempire des Babylo-
niens. Si dirons par le menu comment il conquist le monde
plus par amour que par force, en ensuyuant tant nostredit
acteur Berosus, comme Diodorus Siculus, lequel en parle
bien amplement au premier, deuxième, et cinquième liure
de ses Antiquitez.
(1) foorment (éd. 1512).
48 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, ET
Osiris donques surnommé lupiter le luste, ayant de sa
femme et sœur Isis, autrement appellee luno, et dautres
dames aussi, desquelles on ne scait le nom, plusieurs beaux
enfans, cestasauoir le grand Hercules de Libye, Anubis,
Macedon, Lydus, Meon, Neptune, Oros et autres, assembla
▼n grand exercite, et merueilleux peuple, de toutes gens
puissans, forts et hardiz, et experts en toutes sciences : Et
laissa le gouuemement du Royaume d*Egypte à la Royne
Isis, et emmena auec luy aucuns de ses enfans dessusdits,
et de ses neueux. Entre lesquelz enfans estoit chef de toute
son armée, son âlz aisné, le grand Hercules de Libye, por-
tant en ses armes vn Lyon rampant couronné, tenant vne
hache darmes en ses pattes. Ses deux autres frères Anubis
et Macedon, portoient en leurs blasons, lun vn Chien, et
lautre vn Loup, selon la signification de leurs mœurs et
nature. Mais les armes de lempereur Osiris, estoient vn
sceptre Royal, et dessus la forme dun œil, comme on voit
encores es colomnes antiques : laquelle chose nestoit pas,
sans grande signifiance. Parquoy appert que lusage des
blasons est de merueilleuse ancienneté. Et tous lesdits
Princes estoient appeliez Dieux : Et y furent aussi Pan et
Apollo, et autres Demydieux, auec aucunes dames, qui se
nommoient Muses et Demydeesses.
A tout ceste grande noble et puissante armée, Lempereur
Osiris cîrcuyt toute la terre yniuerselle. Et au partir d'E-
gypte commença premièrement à entrer en Libye, quon dit
maintenant Afrique, ou Barbarie, là ou il desconfit le géant
Antheus, et son père de mesme nom en Arabie. Et puis
alla en la terre des Indes et des Ethiopiens, ausquelz il
feit de grans biens, en monstrant au rude peuple la manière
de labourer la terre, et vne bonne manière de viure en
ordre de Police et lustice, en punissant les inaouais, et
SUfGVLàBtTEZ BE TROTB. LIYAB I. 48
gaerdonnant les bons. Et mesmement en subiuguant les
terribles Oeans, pleins de grand cruauté, qui tyrannisoient
et guerroyoient les bons par toute Asie la grande. Dont
quand il leut enuironnee, et rué ius Busiris le tyrant de
Phenice, qui sacrifioit les hommes à ses Dieux, et que ledit
Empereur Osiris eut oultreplus occis au territoire de Phry-
gie, auquel depuis fut assise Troye, vn autre tyranniseur
de gens, nommé Typhon, et restablit son û\z en son lien,
il voulut passer deçà en nostre Europe, par le destroit de
la mer Hellesponte, quon dit maintenant le bras saint
George, diuisant la Turquie de Grèce.
Pour le temps dadonques (1) regnoit au pals de Thraoe,
qui est vne partie de Grèce, ou Constantinoble est assise,
Yn grand tyrant et horrible géant nommé Lycurgus, lequel
voulut destourber le passage au grand Empereur Osiris,
surnommé Jupiter le luste, et se rengea en bataille contre
luy, mais il y fut tué (2) par les propres mains dudit Osiris.
Lequel constitua Roy en son lieu, pour estre Roy de
Thrace, yn vaillant Prince de sa compagnie, nommé Maron :
puis passa oultre en yne prouince nommée alors Emathie,
là ou il abolit et rua ius tous les Geans, lesquelz y auoient
vsurpé tyrannie et domination : Et constitua en ladite pro-
uince pour Roy, vn de ses filz dessus nommez : cestasavoir
Macedon, qui donna le nom à la contrée : et de luy des-
cendirent les Macédoniens, et leur tresnoble Roy Alex-
andre le grand. De là Osiris passa en lisle de Crète, quon
dit maintenant Candie, là ou il desconfit Milinus le tyrant,
et constitua le filz diceluy mesme, Roy de ladite isie : puis
retourna en la terre ferme de Grèce, et de là trauersa en
(1) doncques (éd. 1512).
(2) il fot taé (éd. 1512).
1. 4
80 ILLVSTRATIONS DE GAVLE, BT
Scythîe, quon dit maintenant Tartarie, là ou le grand Her-
cules de Libye son âlz aisné fut amoureux dune dame nom-
mée Âraxa la ieune, en laquelle il engendra vn âlz nommé
Tuscus, qui depuis fut Roy dltalie : et de luy descendit
Dardanus le premier fondateur de Troye : comme nous
dirons en son lieu. Et de ladite Araxa Hérodote le prince
des historiens, en son quatrième liure raconte quelle estoit
Faee et demy femme et demy serpente, comme nous lisons
de Melusine.
En après lempereur Osiris, et Hercules son âlz, au par-
tir (1) de Tartarie vindrent en Hongrie, et en Allemaigne,
iusques à la sourse du grand fleuue Dunoë : qui part de la
noire montaigne eh Soaue, non pas trop loing de la sourse
du Rin. Si enseigna premièrement aux Allemans la manière
de semer bledz, enter arbres, et planter vignes en lieux
conuenables. Et là ou le terroir (2) nestoit point ydoine à
porter vin, il leur aprint à faire vn bruuage dorge dassez
bon goust, lequel il nomma ceruoise, du nom de sa sœur,
surnommée Ceres. Si fonda là entour aucunes citez. Dont
il est yraysemblable que de luy qui estoit surnommé Apis,
porte encores le nom la tresancienne maison des Contes de
Hasbourg, en Allemaigne, quon dit en Latin Axisburgus,
desquelz sont yssuz noz Princes de la tresillustre maison
d*Austriche. Pareillement aussi donna il le nom aux montz
Apennins, par lesquelz il passa pour venir en Italie, comme
nous dirons présentement. Et de ce ây ie mon acteur Ca-
ton lancien, en ses fragments, disant ainsi : Aurea œtas
usque ai Apim^ deorum Italie tltimum : vt Antiochus
Syracusanus scribit : à quo Apennina^ quam Tawrinam
idem interpretatur.
(1) départir (ëd. 1512).
(2) terroy {éd. 1512).
SmGVLARITEZ DE TROTS. LItBB I. 51
En ce temps là regnoit en Âllemaigne vn Prince nommé
Gambriuius, (1) septième Roy des Germains, de la lignée de
Tujscon le géant, premier Satarne de Germanie, et filz de
Noë. Âuecques celuy se festoya le grand Empereur Osiris,
comme il est vraysemblable : car il estoit son parent. Et ce
temps pendant les peuples dltalie, oppressez des grans
Geans nommez Titans, lesquelz après la mort de leurs bons
Princes successeurs de Noë les molestoient, sans nulle
miséricorde, enuoyerent leurs embassades au bon Prince
Osiris, dit lupiter le luste, luy supplier humblement quil
luy pleust les venir deliurer de la misérable seruitude ou
ilz estoient, comme il auoit fait les autres prouinces. Alors
en obtempérant à leur tresraisonnable requeste, il fut con-
tent de laisser Germanie, pour aller contre les Qeans. Les-
quelz combien quilz fussent tous ses parens, comme yssuz
des dixsept Tytans âlz de Noë, neantmoins pour ce quilz
estoient iniustes et inhumains, il les desconfit en trois
grands batailles, et les subiuga du tout : à layde de son
filz aisné le grand Hercules de Libye. Si tint deslors le
Royaume de Toscane, auquel auoit regnë son père Gam, et
son grand père Noë. Et régna sur les Italiens par lespace
de dix ans, résident pour la pluspart du temps en la cité
de Viterbe, pour lors appellee Yetulonia, en grand triomphe,
paix, et tranquilité. Au bout diceux dix ans, il constitua
Roy d'Italie son neueu Lestrygon le géant, filz de son filz
Neptune.
Mais pource que souuent en ce premier liure Ihistoire
bit mention des Geans, et que parauenture aucun scrupu-
leux pourroit cuyder que ce sont fables, oultre ce que la
(1) Cegt Gambrinas, le légendaire inventeur de la bierre. C*eat
aoiai on géant de la cavalcade de Cambrai*
itS ILI.TSTRATIONS DE OATLE, BT
sainte escriture fait mention diceux, si comme de Nem-
broth et de Golias : et que losephus en lantiquité ludaïque
les cuyda estre engendrez daucuns esprits de nature Angé-
lique, lesquelz habitèrent auecques les femmes mortelles. Il
seroit bien séant damener à ce propos lautorité de Bocace,
lequel afferme au Lxvm. chapitre du quatrième liure de la
généalogie des Dieux, que de son temps fut trouuë au creux
dune montaigne prochaine de la cité de Drepane en lisle de
Sicile, le corps dun merueilieux géant, tout entier, estant
assis, et tenant en sa main vn baston, ou plustost vn
arbre, de la forme, grosseur et hauteur dun mast de nauire :
lequel baston incontinent quil fut touché, tomba en cen-
dres. Mais il estoit gamy par dedens tout de plomb : lequel
demeura debout, et depuis fut fondu : si trouua on quil
pesoit quinze quintaux, chacun quintal de cent liures. Le
corps aussi touché, tomba tout en cendres, excepté aucuns
os et trois de ses dens. Des os il ny auoit sinon la partie
antérieure du crâne de la teste, et los dune cuisse non pas
tout entier, mais pourry et consumé en plusieurs lieux. Les
dens furent pesez, et reuenoient à cent onces communes, les
trois ensemble. Et fut trouuépar les geometriens du païs, tant
par la longueur dudit baston de plomb, comme par les pro-
portions particulières desdits os, que le corps entier dudit
géant pouuoit auoir deux cens coudées de haut. Les dens
furent penduz à chaines de fer, en leglise de Nostredame de
Drepane, pour monstre et pour mémoire. On voit aussi en
autres lieux assez dos de geans, mais non pas de quantité
si énorme. Car cestuy là fut de ceux du premier aage. Les
autres par trait de temps allèrent tousiours en décroissant,
si comme nous faisons auiourdhuy. Dont ie croy que auant
la fin du monde les gens deuiendront nains. Mais de cest
incident suffise, et retournons à nostre propos principal.
^ * •».
SUIGTLAEITEZ M TROTB. LIYRB I. S5
CHAPITRE Vra.
La mort da Prince Osiris fat procurée par son frère Tjphon le géant
Egyptien : et depuis vengée par la sœur et femme dudit Osiris,
laquelle estoit nommée Isis ou Ceres, et par le grand Hercolet dô
libje son filz et nenen.
Les choses dessusdites acheuees contre les Geans, et
autrement par lempereur Osiris, dit lupiter le luste, il
partit d*ltalie auec son tresnoble exercite tout equippé de
Dieux, Demydieux, et Heroës : Cestadire, de tous vaillans,
preux et vertueux Princes, à la différence des mauuais
tjranniques Geans. Et nest pas en Ihistoire sil print son
chemin par Gaule, quon dit maintenant France, ou sil alla
par mer. En Gaule regnoit pour lors Lucus leur huitième
Roy, duquel nous parlerons en son lieu. Neantmoins Osiris
se trouua en Espaigne, là ou derechef il eut vne mortelle
guerre contre les Titans geans, parens de ceux quil auoit
deffaits en Italie, lesquelz il deffit aussi. Puis laissa le
Royaume d'Espaigne es mains de Geryon. Et derechef
nauigua en Grèce, cestasauoir, en la prouince de Pélopon-
nèse, quon dit maintenant la Moree. Et régna en la cité
d'Ârges, par lespace de xxxv. ans : comme met Eusebe en
son liare des Temps. Puis ânablement constitua son fllz
Egialeus Roy d'Âchaie : et auec son peuple sen retourna
glorieusement en son Royaume d'Egypte, vers sa tresnoble
sœur et femme, la Déesse Isis, surnommée luno, qui le
54 ILLYSTRATIONS DE GATLE, ET
receut à grand ioye. Et lors luy furent baillez par tout le
monde vniuersel ces tiltres triomphans : lupiter iustus,
Pater ^ Dux, ReXy et Consultor, Cuius regnum perpetuum^
et Aabitatio in Olympo. Lesquelz sont bien difierens de
ceux que son père Gam auoit.
Luy retourné du tout en Egypte, feit dresser vne haute
colomne triomphale, en laquelle il feit grauer, pour mémoire
éternelle, ce qui sensuit. Comme met Diodorus Siculus en
8on{)remier liure : Mihi pater Satur^nus dcorum omnium
iunior. Sum verà Osiris rex qui tniuersum peragraui
orbem,vsque adindorum desertos fines. Ad eos quoquesum
profectus, qrn arcto subiacent : vsque ad Istri fontes, (1)
Et iterum alias quoq or bis adii vsque ad mare Oceanum
parteis. Sum Saturni Mius antiquior : germen expulchro
et generoso ortum, oui non semen genus/uit. Neque xllus
est in orbe, ad quem non accesserim^ locus : docens omnes
ea quorum inuentorfui. Apres lesquelles choses ainsi heu-
reusement acheuees, son frère Typhon Egyptien, en qui
toute l'a malice de Cam son père estoit ressuscitee, fut tant
enuieux et despit de la gloire de ce tresnoble Empereur,
Monarque de tout le monde, quil conspira auec tous les
autres Geans de la terre pour machiner sa mort : dont fina-
blement il fut le ministre, et le tua murtriereraent et en
trahison : et le despeçaenxxvi. pièces : lesquelles il distri-
bua et bailla à xxvi. autres Tyrans qui lauoient aydé
en son maléfice. Lesquelles depuis par Isis la Déesse et
Princesse tresdolente furent diligemment recouurees, et
mises en sépulture. Et fut par les Egyptiens estimé Dieu,
tant que la chose tourna en idolâtrie : et fut adoré en la
forme dun bœuf ou dun veau, mesmes par les enfans d*Israël
(1) et Itti fontes et usqae occasnm (ëd. 1512).
SINGYLARITEZ DE TBOTE. UTRB I. 85
an désert. Et depuis sa mort fut uommé Serapis, comme
met Bocace au secpnd liure de la généalogie des Dieux. Les
Poètes Pajens lont appelle Dionysius, Liber pater, et Bac-
chus : et disent que ce fut le premier qui onques porta cou-
ronne, et qui triompha des Indes. (1)
le treuue par le recueil de nostre acteur Berosus, que le
Rôy Osiris fut tué comme en la fleur de son aage : cesta-
savoir ayant seulement enuiron trois cens ans. Car il nas-
quit du temps de Ninus troisième Roy de Babylone, et fina
durant le règne de Baleus onzième Roy des Babyloniens.
Parquoy il estoit apparent de viure encores assez. Car sa
sœur et femme la Déesse Isis le survuescut de trois cens
ans, comme nous dirons cy après, laquelle Isis Royne
d*Egypte, trescourageuse dame, après quelle eut honnorë
de sépulture le corps de son frère et mary, conuoqua ses
enfans et neueux, desquelz estoit chef le grand Hercules de
Libye, pour faire yengeance solennelle de ladite mort. Et
auec eux entra en champ de bataille contre Typhon le géant
son frère. Et le desconfit auprès dun grand fleuue en Arabe,
au lieu mesmes auquel le Roy Osiris son mary auoit occis
Antheus le tyrant. Et par ainsi quand le monde futdeliuré de
ceste peruerse génération de Cam, Isis la Déesse demeura
Royne pacifique d'Egypte, tant par sa propre vertu, comme
par la prouesse de son filz ou neueu, le grand Hercules de
Libye. Si se taira le conte présentement de ladite Déesse
Isis iusques à vne autre fois : et parlerons de son filz Her-
cules.
' Hercules donques le trespuissant Prince, après que par
son ayde cheualereuse la mort de son père eut esté yengee
sur son mauuais oncle Typhon TEgyptien, il tascha aussi
(1) Hérodote identifie déjà Osiris et Bacchus.
K6 ILLTSTRATIOHS DE GAYLB, ET
promptement den faire repentir tous les autres quelzcon-
ques qui sur ce auoient ottrojé leur consentement et machi-
nation. Pour laquelle chose faire, il partit d*Egjpte à tout
yne grosse armée : et oiiurit la guerre à tous les Geans du
monde, lesquelz auoient desia reprins de nouueau la tyran*
nie, chacun en son quartier, souz la confidence de la mort
de son père lupiter le luste. Si marcha tout premièrement
en la prouince de Phenice, ou il occit Busiris le tyrant, filz
de celuy lequel Osiris auoit tue. Puis alla en Phrygie, ou
depuis fut assise Troye, et tua Typheus le ieune tyrant de
ladite contrée. Et donna la terre à son filz Athus, lequel il
auoit eu dune dame nommée Omphale, comme nous dirons
& la fondation de Troye. Pareillement il desconfit Mylinus
le ieune, Roy de la mer en lisle de Candie. Et de là vint
en Afrique, quon dit maintenant Barbarie, et renuersa sur
les sablons dicelle Antheus le géant, et nomma le païs de
son nom Libye, lequel parauant se nommoit Phutee : et y
esleua vne haute colomne en mémoire de sa conqueste. Et
puis passa le destroit de Gybaltar, et vint en Espaigne ou il
combatit corps à corps les trois Geryons qui estoient frères,
et Roys d'Espaigne, et les rua ius. Si créa son filz Hispalus
neuuieme Hoy d'Espaigne, duquel iusques auiourdhuy porte
le nom la cité d*Hispalis, quon dit vulgairement Siuile en
Espaigne. Ce fait. Hercules se délibéra daller en Italie,
pour defifaire les Tyï*ans, qui nouuellement sestoient esleuez
en icelle : Pour laquelle chose acheuer, voulant faire son
voyage par terre, luy fut mestier de passer par le Royaume
Celtique, qui depuis sappella Gaule, et maintenant se
^omme France.
SIMGTLAaiTU DB TftOTE. UVIE 1. 57
CHAPITRE IX.
De Inpiter Celte neanieme Roy de Ghinle, qui donna le nom à la
Gaale Geltîqoe, laquelle est amplement descrite. Et colloqua ledit
Roj Celte, en tiltre de mariage, sa fille Oalatee la belle geande, an
grand Hercalea de Libye. Et de la fondation de la paissante cité
d'Âlezia, faite par ledit Hercules dixième Roy de Gaale. Laquelle
cité fat fondée en yne province dadit Royaume, qaon dit mainte-
nant la Duché de Bourgogne.
Pvis que Dieu mercy nous sommes maintenant paruenuz
4 ce poinct désiré, auquel lopportunite nous ameine» de
declairer la merueilleuse noblesse et antiquité de ce Royaume
de Gaule :,il nous faut sauoir premièrement en quel temps
et en quel aage, le grand Hercules de Libye y vint à ceste
tbis : Car il nest pas bien certain sil y auoit passé parauant,
c^aand il alla en Espaigne auec son père lupiter le luste,
au temps de Lucus huitième Roy de Gaule, comme nous
^uons dit cy douant. Si pourrons nous bien cecy sauoir par
le temps que ledit Hispalus fut establi Roy d*Espaigne :
Dont frère Jean Annius de Viterbe tresdiligent historiog-
raphe, au recueil de la chronique d*Espaigne, dit que ledit
Hispalus fut couronné Roy d'Ëspaigne par son père Hercu-
le, le xxYi. an de Baleus second de ce nom, onzième Roy
de Babylone, qui est depuis le déluge, cinq cens quatre
vingts et dix ans. Deuant la fondation de Troye, ccxli. et
auant lincarnation de iesvs christ, mille sept cens et vingt-
sept. Or nasquit Hercules tantost après Ninus, troisième
56 ILLUSTRATIONS DB 6ATLB, BT
Roy de Babylone. Depuis laquelle mort iusques au trente-
sixième an de Baleus onzième Roy, il y ha iustement deux
cens quatre vingts et dix ans. Par ainsi peult on bien voir
et (1) clerement en quel temps, et en quel aage Hercules vint
en Gaule : Car ce fut tantost après la couronnation dudit
Hispalus son âlz en Espaigne .
En ce Royaume Gallique, quon dit présentement France,
dominoit pour lors vn Roy nomme lupiter Celte, filz du
Roy Lucus, dont nous auons touché cy douant : lequel
estoit tresriche et trespuissant en bestial, et en pasturage :
laquelle chose estoit lauoir des Princes du temps d'adonq :
Car il nestoit point encores question de leuer tailles ne tri-
buts, ny aussi vsage de monnoye, comme maintenant. Or
aduint il en son temps vne chose mémorable en Gaule,
comme met nostre acteur Berosus : et à ce se concorde
Diodorus Siculus en son sixième liure. Les pasteurs dudit
Roy lupiter Celte, repairans parmy les montaignes, quon
dit maintenant Pyrénées, lesquelles séparent le Royaume
de France dauec Espaigne, boutèrent le feu es bois desdites
montaignes : tellement quelles bruslerent par yne merueil-
leuse inflammation et longue espace de temps. Et furent
cuites par la force du feu les roches et les mynes, tellement
que grans ruisseaux dargent pur couloient iusques aux
yalees. Dont les rudes pasteurs de ce temps là, non sachans
que cestoit, ne faisoient autre conte, sinon quilz sen esmer-
ueilloient. Mais dauenture aucuns marchans de Phenice,
qui est en Syrie, passèrent par là, et congnurent tantost la
valeur du métal. Si feirent change avec lesdits pastoreaùx
daucunes marchandises de petite valeur : et emportèrent
largent en masse aux autres nations qui desia sauoient que
(1) bien Teoir cler ornent (éd. 1512).
SllfGTLABITEZ DE TROTB. LIYRB I. SO
cestoit, dont ilz foirent yn merueilleux gain. Voire et estoii
ladite cendrée dargent en telle quantité, que après auoir
ohargé leurs nauires à comble, ilz en feirent des ancres de
mesmes, laquelle chose on ne feroit pas maintenant. Et
dudit feu portent encores le nom lesdites montaignes Pyre^
nées : Car pyr en Grec signifie feu en François.
Le noble Roy lupiter Celte auoit vne seule fille, laquelle
excedoit toutes les autres dames du monde en grandeur,
force et beauté naturelle. Dont il est facile à coniecturer
quelle estoit geande. Â laquelle soy confiant en toutes ses
valeurs et prééminences, il sembloit bien quil ny auoit
Prince au monde qui la vaillit : et ne voulut iamais saccor*
der à estre mariée : combien quelle en fust requise et soli-
citée par plusieurs hauts personnages : dont son père estoit
bien desplaisant, attendu quelle luy estoit vnique, iusques
à ce quelle ouyt parler de la renommée du grand Herôules '
de Libye, lequel auoit fait tant de merueilles par le monde,
et mesmement de récente mémoire en Espaigne. Comme
donques ledit Hercules en grand gloire et triomphe fust
venu d*Espaigne en Gaule, et que le Roy lupiter Celte leust
receu en grand appareil, sadite fille ayant nom Galatee,
quand elle veit la hautesse et corpulence, force et beauté
d*Hercules, qui estoit Géant, et fut aussi informée de sa tres-
noble extraction, elle accorda à son père, et à tous ses
parens, par grand et affectionné désir, ce quelle avoit tous-
iours refusé de tout autre homme : cestasavoir destre alliée
par mariage auec le preux Hercules.
Par ainsi du consentement du Roy lupiter Celte, et de tout
le parentage, furent célébrées les noces triomphantes et
solennelles du grand Hercules de Libye, et de la belle
geande Galatee (1) : Laquelle conceut tantost vn filz nommé
(1) Oalathëe (éd. 1512).
00 1LLT8TRATI0M8 IMI GATLB, BT
(îalateas, qui passa tous ceux de son aage, en force, et en
yerta, comme nous dirons cy après quand le cas y escherra.
Et en ces entrefaites, comme ie puis coniecturer par Ihis-
toire, mourut le Roy lupiter Celte. Lequel fut de si grand
estime, que iusques auiourdhuy la tierce partie de Gaule
porte son nom, et se dit Celtique : combien que maistre
Alain Charretier la vueille aussi nommer Lyonnoise. Pour-
tant est il bien raisonnable que nous mettons icy lestendue
de la Gaule Celtique portant le nom de son Roy. Et ce
ferons nous bien selon la description de messire Robert
Oaguin (1) es chroniques de France, et Raymond Marlian
sur les commentaires de Iules César.
La Gaule Celtique est située entre quatre grans fleuues
renommez : cestasauoir Rhône, Seine, Garonne (2), et Marne.
Et courent parmy icelle assez dautres fleuues : Si comme
Vienne, Lysere, Âube,Sorgue, Durance,etc. Les principales
citez dicelle sont, Lyon, Authun, Mascon, Chalon, Auxerre,
Troyes, Sens, Paris, Meaux, Orléans, Chartres, Eureux, (3)
Lysieux, Auranches, Constance, Bayeux, Lemans, Nantes,
Vannes, Rennes, Angers, Neuers, Vienne, Grenoble,
Embrum, Gap, Sisteron, Carpentras, Orenge, Viuiers, Aui-
gnon, Arles, Marseille, Aix en Prouence, Cauaillon, et Nice.
D est bon de sauoir les limites de ladite Gaule Celtique,
pour la remembrance dudit Roy Celte. Lequel encores
comme faisoient les vertueux Princes du temps passe,
estendit son nom plus loing quen Gaule. Car de luy furent
nommez les Celtiberes en Espaigne (ie croy que ce sont
ceux qui habitent sur les frontières dentre Aragon et Cas-
(1) Oaaguin (éd. 1512).
(2) Gammne (éd. 1512).
(3) Rouan (éd. 1512).
smeruLtiTBz db trotb. tnrui i. 61
tille) et les Celtosoythes en Tartane : desquelz Strabo fidt
mention en son premier linre.
Apres donques le trespas du bon Roy Jupiter Celte, le
grand Hercules de Libye régna en Gaule, pour le dixième
Roy, auec sa compaigne, la belle Galatee. Et comme met
Diodorus Siculus en son y. liure, il enuironna (1) toutes les
provinces de Gaule, en enseignant au peuple toute bonne
manière de viure. Et leur esta Ihorrible coustume qnilz
auoient de sacrifier les estrangers. Et comme il eut vne
merueilleuse suyte de peuple innumerable, il se meit À fon-
der vne grosse et puissante cité, sur vne haute montaigne en
yne partie de Gaule Celtique, quon dit maintenant la Duché
de Bourgogne, entre Âuthun et Langres, qui est lun des
bons pals du monde. Laquelle cité il nomma Alexia, qui
signifie coniunctiue ou copulatiue : pource que le tresnoble
sang de deux diuerses nations y fut conioint : et peupla
icelle grandement. Si fut depuis en grand florissance, mes-
moment du temps de Iulius César. Deuant laquelle il planta
yn merueilleux siège, et feit des bastillons en forme de
fleurs de liz, comme luy mesmes escrit au vu. liure de ses
Commentaires. Laquelle chose sembloit auoir quelque pré-
sage et signification de la prééminence future de la Duché
dé Bourgongne en la couronne de France. Maintenant Ale-
xia, nest quune petite bourgade, au païs de Lauxois, non
pas loing de Flauigny.
La grand cité d'AIexia ainsi peuplée et fortifiée par le
grand Hercules Roy de Gaule, laquelle il constitua chef de
son Royaume, après auoir donné bon ordre à toutes cho-
ses, il se délibéra daller conquester Italie. Si meit sus vne
tresgrosse armée, print congé de sa femme, la Royne Gala-
(1) C. 'Mi. il parcourut.
6S ILLVSTRATIOIIS DB 6A¥LB, ET
tee, et de son fliz le noble Galatens aage de cinq ans ou
enuiron : Et entra an pais des Âllobroges, quon dit main-
tenant Sauoye. Et rompit prenâerement les dures roches et
montaignes dicelle à force de gens : car elles estoient trop
difficiles et trop inaccessibles. Si y feit onuerture assez
large pour passer ses ckeuaux et bagages : et destruisit
tous les larrons et brigans desdites montaignes, lesquels
auoient accoustumé de molester les passans : et rendit le
chemin seur et net. Puis descendit à grand force et puis-
sance en Italie, pour faire vindication des Geans lesquelz
auoient donne leur consentement à la mort de son père
lupiter le luste. Mais de luy se taira vn peu le conte, ius-
ques À ce que nous ayons monstre quelz Roys auoient régné
en Gaule, avant ledit lupiter Celte père de Galatee, la belle
Geande.
SIHGVLAUTEZ BB TROTB. UTRB I. 63
CHAPITRE X.
De la tresADcienne nobleud et pareniage de la belle Geande Galatee,
Royne de Gaule : commençant an tressage Prince nommé Samo-
thes, filz de laphet : lequel Samothes saruommë Dis, fut ordonné
premier Saturne, et Roy de Gaule, par son grand père Noë lanas.
Des gestes dudit Roy Samothes, et de sa tresnoble postérité, ini-
ques audit neunieme Roy Celte, père de Galatee. Et daacnnes citez
premièrement fondées en Ganle, saccessiuement par lesdits Roys.
Puis que Dieu mercy nous auons fait le mariage du grand
Hercules de Libye, auec la belle Galatee Royne de Gaule, et
que la noblesse Herculienne est assez congnue, et entendre
par le dessus narré, il faut selon nostre intention monstrer
aussi lexcellence et illustrité (1) du sang de Galatee mère
des Gaules. Pour laquelle chose faire, il faut commencer an
premier Roy et Saturne des Gaulois : et dillec amener
toute sa suite, de père en âlz, iusques au Roy Celte père
de Galatee, pour mieux fournir noz Illustrations de Gaule :
ce que nous ferons À peu de langage, et le plus clerement
que nous pourrons.
Gy dessus au quatrième chapitre, il est dit comment le
centième an après le déluge le bon Père Noe partit pour la
première fois d'Arménie, auecques plusieurs de ses enfSuis,
et neueux, et grand nombre de peuple. Si se meit sur la
(1) illoatrio (éd. 1512).
04 ILLt8TRAtl(mS im oatls, bt
mer maiour, quon dit la mer Pontique, et entra en la mer
Mediterrane, de laquelle il costoya tous les riuages dune
part et dautre, pour monstrer À tous sesdits enfans et
neueux, la situation de la terre : comme il la sauoit estre
auant le déluge. Et la différence des trois parties du monde,
Asie^ Afrique, et Europe, desquelles auoit proposé de dis-
tribuer la souuerainetë, À ses trois enfans nez deuant le
déluge, Sem, Cam, et laphet. En laquelle chose faisant, et
en enuironnant toute ladite mer Mediterrane, il meit en
chacun riuage des diuerses contrées de ladite mer aucun
nombre de peuple, et de bestail : et leur commanda guili
creussent et multipliassent, et possédassent la terré, cha-
cun en «on endroit. Parquoy il est nécessité de conclure,
quen passant par deuant les riuages de Gaule, sur les quar-
tiers quon dit maintenant Languedoc et Prononce, il y
laissa du peuple et des bestes pour les nourrir, et alimenter.
Et est vraysemblable, que parauenture Noë y entra par le
fleuue du Rhône : et puis quand il eust fait ainsi par tout,
il retourna en Arménie le dixième an après quil en estoit
party. Par ainsi peult on clerement voir, en quel temps la
terre de Gaule commença destre habitée après le déluge :
Cestasauoir enuiron cent et sept ans. Car il est certain que
après auoir mis du peuple en Gaule, Noë entra pour la pre-
mière fois en Italie, par le fleuue du Tymbre, lan cent et
huit après le déluge.
Apres ledit voyage, Noë retourné en Arménie commença
le XXI. an après son retour, fonder les Royaumes et
segneurier (1) par tout le monde : tellement, que lan cxxxi.
après le déluge, il instaura la première monarchie des
Babyloniens, de laquelle fut le premier Roy Nembroth son
(1) •eignonriea (ëd. 1512).
SINGNXARITEZ DB TROTB. LITRE I. 65
xieueu. Et enuiron le xiii. an du règne dudit Nembroth, il
ordonna pour estre Roy des Gaules, vn autre sien neueu,
mommé Samothes, et surnommé Dis, quatrième fliz de
laphet, comme le plus prudent, et propice à ce. Par ainsi
ledit Samothes constitué premier Roy de Gaule, print
congé du saint Patriarche Noë, lequel luy donna sa béné-
diction : et de sa grand mère Tytea, et aussi de son père
laphet, et de sa mère Noëgla, et de ses autres parens. Et
auec sa femme, sa famille et sa suite, en grand nombre de
peuple, vindrent iusques à la mer roaiour. Et est à noter,
quilz menoient auec eux toute leur substance et richesse,
Cestasauoir toutes manières de bestes priuees, et qui ser^
uent à lusage de Ihomme, et aussi volaille (1) domestique.
Esquelles choses consistoit pour lors le trésor des Roys. Et
à tout ce train, Samothes monta sur ses nauires. Et feit
tant à layde des vents, quil aborda sur le riuage de Gaule
xxxvuu ans ou enuiron, après la première fois, quil luy
auoit esté monstre par son grand père Noë. Cestasauoir
cxLim. ans après le déluge. Si peult on facilement cbniec-
turer, que laage dudit Samothes quatrième filz de laphet,
nestoit gueres moindre de cxl. ans quand il arriua en
Gaule.
Or descendit le noble Samothes, en son Royaume de
Gaule, auec sa femme, dont nous ne sauons le nom, ses
enfans, son peuple et son bestail, et cheuance. Et en print
possession lan que dessus : cestasauoir deux mille quatre
vingts et treize ans auant lincarnation nostre Seigneur. Si
trouua desia la terre peuplée, dun grand nombre de gens :
comme ceux qui pouuoient estre beaucoup multipliez, en
lespaœ de xxxvn. ans, depuis que Noë les y auoit mis. Si
(1) voaUtille(éd. 1512).
I. 5
66 ILLYSTRATI0N8 BB GAVLB, BT
lay feit ledit peuple obéissance comme à son Roy. Et foi-
rent trestons grand chère À sa venue. Et le nommeront
leur Roy, leur Patriarche et leur Saturne. Car tous chefz
de famille estoient ainsi nommez par excellence et dignité,
comme declaire Xenophon en ses Equiuoques, disant ainsi :
Satumi dicuntur familiarum nobilium regum^ qui vries
condidcrunt^ senissimi (1) : Primogeniti eorum loues et
Junones : Hercules ^erd, nepotes eorum fortUsimi, etc.
Mais il est bien facile à coniecturer que ces gens là, qui
long temps auoient esté sans chef, viuoyent rudement, sim-
plement et pastorallement, selon la loy de Nature : Néant-
moins le bon Roy Samothes les laissa croistre et multiplier
en telle manière de viure vn long temps : Cestasauoir
ovin, ans auant quil leur baillast loix, ne restrictions de
leur liberté : auquel espace, ilz peurent bien parauenture
décliner de leur simplicité primeraine, et tomber en quel-
que desordre et malice, ainsi que Nature est tousiours en-
cline à mal. Et à caste cause le tressage et tresuertueux
Prince Samothes, pour refréner et modérer la fragilité de
son peuple, leur commença à donner loix, et ordonner
police, lan quatrième du règne de Ninus, troisième Roy de
Babylone. Et le semblable feirent Tuyscon le Géant son
oncle, Roy d'AUemaigne, et Tubal son frère, Roy d'Es-
paine, comme nous auons allégué cy douant au cinquième
chapitre. Si leur enseigna aussi beaucoup de philosophie,
dastronomie et de lettres, lesquelles il aùoit aprinses de
son grand père Noë, et de son père laphet : Et qui deman-
deroit de quelz lettres et caractères ilz vsoient lors, Bero-
sus respond, que de lettres Phéniciennes, desquelles ilz
auoient vsé en Arménie, lesquelles estoient semblables à
(1) «uvistiiui (éd. 1512].
SIMGVLARITEZ DE TROYB. LIVRE I. 67
celles que Cadmus apporta long temps après de Phenice,
en Grèce. Et pource dit Iulius César au sixième liure de
ses Commentaires, que les Gaulois de son temps vsoient de
lettres Grecques. Mais certes ilz les auoient telles beaucoup
auant que les Grecz. Tesmoing Xenophon en ses Equiuo-
ques, qui dit, que Cadmus vn peu deuant les ruines de
Troye, apporta aux Grecz xvi. caractères de lettres, non
tant resemblans les Phéniciennes que les Galatees.
Samothes donques surnommé Dis , fut le plus sage
Prince de tout son temps, qui nest pas petite louenge.
louxte ce que dit nostre acteur Berosus : Samothes qui
et Dis^ CeUas colonias fundauit. Neque quisquam illa
ataiôf isto sapientior fuit : ac propterea Samothes dictus
est. Entre les autres choses de philosophie quil aprint à
ses gens, fut, que les âmes estoient immortelles. Et après
quil eut establi loix droiturieres à son peuple, il yescut
encores xlyu. ans, et puis mourut plein dans et de gloire,
laissant son âlz aisné nommé Magus, pour héritier de son
Royaume, le cinquantevnieme an du règne de Ninus troi-
sième Roy de Babylone, qui fut lan du règne dudit Samo-
thes, sept vingts et quinze, et de son aage peu moins de
trois cens, enuiron cinquante ans deuant la mort de son
grand père Noë régnant en Italie. Et fut ce noble Prince
Samothes de si grande estime, que les Gaulois ne se glori-
fioient dautre chose, que destre yssuz de luy, iusques au
temps de Iulius César, comme il tesmoigne au sixième liure
de ses Commentaires.
A cause de ce tresnoble Roy Saturne, et Patriarche
Samothes, surnommé Dis, nostre Gaule commence bien
destre illustrée et anoblie. Et ne fust ce que pour lamour
des lettres et de philosophie quil enseigna premier en
icelle, ne desplaise à la vanterie de Grèce, qui long temps
68 nLTSTRATIONS DE GAVLB, BT
ha Tsurpë ce los : Car dudit Samothes procéda la première
secte des Philosophes de toute Europe, nommez Samothees :
Lesqnelz estoient experts en toute science diuine, et hu-
maine : iouxte ce que dit Diogenes Laërtius au commence-
ment du liure de la vie des Philosophes. Philosophiam à
Barbarie initia sumpsisse, complures anciores asserunt.
Constat enim apud Persas claruisse Magos : apud Bahy-
lonios et Assyrios Jloruisse Chaldaos : apud Celtas et
Cfallos^ Druidas : et gui SamotTtei dicuniur. Et à tant
suffise de nostre premier Roy de Ganle : et viendrons à ses
successeurs, qui tous furent bons Princes et sans vice, dont
nous douons grâces et louenges au bon père Noë qui telz
nous les bailla : Et en ce appert qui! auoit grand désir que
le monde fust bon, quand il leur bailloit telz Princes.
En Gaule commença à régner Magus, deuxième Roy filz
aisnë de Saturne Samothes, surnomme Dis. Justement
tfois cens ans après le déluge, huit ans après la natiuité
du Patriarche Abraham, et deuant lincamation nostre Sei-
gneur deux mille dixsept ans. Cestuy Magus fut sage
Prince, et grand edificateur, comme son hom le declaire :
Car Magus en langue Scythique signifie edificateur : et en
langue de Perse, cest autant à dire, comme sage et philo-
sophe. De Cestuy Magus dit Berosus en son histoire : IVini
u. anno apud Celtas regnauit Samothis filius Magus, à
quo mis oppida plurima posita snnt. Et par cela peult on
entendre, que ce fut le premier Roy de Gaule, qui com-
mença à édifier villes, citez et maisons. Car parauant les
gens viuoyent aux champs, en lombre des arbres. Ce terme
icy Magus, comme met frère lean Annius de Viterbe,
expositeur de Berosus, signifioit iadis en la première lan-
gue Gallique, palais ou édifice, ou bourg. Et pource en la
Cosmographie de Ptolomee, on treuue les noms de plu-
8INGTLA&1TKZ DE TBOTE. UVRK I. 69
£6urs villes qui se terminent en magus. Si comme en Âqui-
Nouiomagus : En la prouince Lyonnoise, Neomagus :
la Gaule Belgique Rhotomagus. Cest la cité de Rouen
n Normandie. Belgitomagus (l),Vindomagus et autres, per-
le nom dudit Roy Magus : et mesmement Nouiomagus,
quon appelle Nymeghe, la première ville de Gheldres. Par-
qaoy II appert assez, que ce fut celuy qui premièrement
réduisit son peuple de Gaule en villes et en bourgz. Mais
le temps de la duration de son règne, ne des autres subse-
qoens, nest pas proprement distingué en Ihistoire de nostre
acteur Berosus, parquoy nous ne le mettrons pas de peur
de faillir.
Apres Magus régna en Gaule, son filz nommé Sarron,
troisième Roy dicelle, lequel à fin quil refrenast la ferocitë
des hommes encores tous crudz et tous nouueaux, institua
les premières estudes de lettres, quon dit maintenant vni-
uersitez publiques. Et de luy vindrent vne secte de philo-
sophes nommez Sarronides desquelz parle Diodorus Siculus
en son vi. liure des Antiquitez, disant ainsi : Sunt apud
Celtas théologie vt (2) phUosophi : quos vocant Saronidas^
qui pracipuè ab cis eoluniur : Nam moris est apud eos,
null%m àbsque philosopha sacrificium/acere^ etc. Cestadire,
que lesdits philosophes estoient en grand estime, et ne se
Êûsoit nul sacrifice sans eux.
Le quatrième Roy de Gaule, fut Dryius filz de Sarron :
Auquel Berosus baille ce tiltre : Apud Celtas Dryius péri-
tim plenus. Il commença à régner, lan quatre cens et dix
après le déluge : Cestasauoir, deux cens cinquantecinq ans,
depuis "la première fondation du Royaume de Gaule. De
(1) Berbetomagas (ëd. 1512).
(2) oc (éd. 1512).
70 ILLVSTRATIONS DE GATLB, ET
cestuy Dryius tant plein de grand science et Philosophie,
il est certain que print son nom la cite de Dreux, en Nor-
mandie, et vne manière de philosophes appeliez Druides,
lesquelz estoient grans deuins, Augures, Magiciens, et
sacrificateurs. Mais leurs sacrifices et diuinations estoient
pleins dhorreur et de cruauté : et ne faisoient rien sinon
par effusion de sang humain. Et pourtant fut leur super-
stition deffendue : et depuis abolie, du .temps des premiers
empereurs Rommains, Auguste, et diuus Claudius, comme
mettent Suétone Tranquille, et Iulius César, au vi. liure
de ses Commentaires, lesquelz en racontent merueilles.
Aussi fait Pline, au xvi. liure de son Histoire Naturelle,
disant que les Druides cueilloient en grand cerimonie et re-
uerence, le guy, qui croit sur les chesnes, et autres arbres,
et le gardoient pour guérir de toutes maladies.
Quand le Roy Dryius fut mort, son filz Bardus, régna en
son lieu cinquième Roy de Gaule, lequel fut inuenteur de
rhythmes, (1) cestadire de Rhétorique et de musique. Et
pource fut il fort renommé entre les siens. Et introduisit
vne secte de Poètes et rhetoriciens, (2) lesquelz furent nom-
mez Bardes, qui chantoient mélodieusement leurs rhyhtmes,
auec instrumens, en louant les vns et blasmant les autres,
comme met Diodorus Siculus en son vi. liure des Anciquitez.
Voire, et estoient de si grand estime entre les Gaules, que
si deux armées ennemies estoient prestes à combatre, et
lesdits poètes se missent entredeux, la bataille cessoit, et
moderoit chacun son ire, en faisant reuerence ausdits poètes.
Dont ledit acteur dit vn bon mot, sur ce passage : Ita
apud agrestiores harharos ira cedit sapientia : et Mars
reueretur Musas.
(1) ryme8(ëd. 1512).
(2) rbetoricques (ëd. 1512).
SUIGULAUTEZ DE TROTE. UTRE I. 71
Consequemment régna le filz dudit Bardus , nomme
Longho, Yi. Roy de Gaule, duquel nous nauons autre chose
que le nom. Se ce nest quon peult coniecturer, quil eust
fondé la cité de Langres, quon dit en Latin ciuitas Lin-
gonensiSy qui nest pas loing de Langhonensis, et approche
assez du nom dudit Roy Longho. Lequel eut vn âlz,
nommé Bardus le ieune, qui fut septième Roy de Gaule.
Et commença à régner cccxli. ans après la première fon-
dation du Royaume Gallique, duquel aussi nous ne trou-
uons rien des gestes, sinon quon pourroit imaginer, ce qui
est vraysemblable : Cestasauoir, que du nom de ces deux
Roys ensemble, cestasauoir, Longho et Bardus, print sa
dénomination le peuple des Lombards, qui se dit en Latin
Longobardi. Lesquelz combien quilz fussent extraits d*Âl-
lemaigne, dominèrent depuis en Italie par lespace de deux
cens ans et plus, iusques au temps de Charlemaigne, qui
leur en tolut la domination.
Le huitième Roy de Gaule fut Lucus filz de Bardus le
ieune. De cestuy cy semble bien que fussent fondez aucuns
peuples, lesquelz Ptolomee en sa Cosmographie nomme
Luces et Lucenses : et les situe auprès et autour de Paris.
Et autre chose nauons nous de luy, sinon quil engendra
Jupiter Celte, neuuieme Roy de Gaule, père de la belle
Geande Galatee, duquel nous auons parlé cy dessus assez
amplement. Si peult on conter selon nostre acteur Berosus,
depuis le premier Roy et Saturne de Gaule, Samothes
surnommé Dis, iusques au règne de lupiter Celte, enuiron
quatre cens ans. Maintenant nous retournerons au conte
du grand conquérant Hercules de Libye, dixième Roy de
Gaule, lequel nous auons laissé à lentree des Italies. (1)
(1) Ytallea (éd. 1512).
72 ILLVSTRATIONS DE GAYLE, ET
CHAPITRE XI.
Ed Italie passa à force le grand Hercules de Libye, dixième Roy de
Qaaie : et y dompta les orguillenx et tyranniques Geans. Puis y
régna pacifiquement lespace de vingt ans. Et finablement couroana
•Ott filz aisné Tuscus Roy et lupiter dicelle. Et establit aussi aon
filz puisuë Galateus onzième Roy de Gaule. Puis ledit grand Her-
cnles alla finer ses iours en Espaigne, dont il mourut Roy, et y
feit de grans biens, parquoy luy furent faits de grans honneurs
après sa mort.
Or avons nous ce me semble, quelque peu desia proufité,
commençant à faire ouuerture des illustrations de Gaule :
Maintenant nous faut il approcher les singularitez de
Troye, et retourner à Ihistoire du preux Hercules de
Libye, dixième Roy de Gaule. Lequel ayant renforcé son
armée de plusieurs nobles et vaillans hommes, de la nation
Gallicane, auoit premièrement trenché les montaignes du
costé de deçà, et estoit entré par force eu Italie, comme
nous auons dit cy dessus. Et après auoir deffîé les orguil-
leux Geans, nommez Lestrygons, tous tyrans et mengeurs
de gens, lesquelz auoient consenty à la mort de son père
Osiris surnommé lupiter le luste, commença à les guer-
royer fort et ferme. Mais tant ne sceut auoir de force et
de prouesse, quil ne meist dix ans à les desconfire, tant
trouua il grande et fiere resistence en eux. Toutesuoyes au
bout de dix ans, ilz furent tous deffaits et dechassez par la
vertu Herculienne. Et le lieu de lune des batailles ou il les
SllfGTLARlTEZ DB TROYB. UTEB 1. 73
vainquit, sappelle encores iusques auiourdhuy la Yalee
des Geans, près de la cité de Tuscanelle en Toscane. Et
lors le grand Hercules Roy de Gaule, fut paisible posses-
seur d'Italie, en laquelle depuis il régna pacifiquement les-
pace de vingt ans, comme son père Osiris y auoit regnë, et
son grand père Cam, et son aue Noë.
Régnant ainsi le grand Hercules Libyus en Italie, il y
feit beaucoup de biens, édifia plusieurs citez : Et enuoya
vn Prince nommé lolaus, de la lignée d*Âpollo, auec les
Tespiades (1) ses filles, habiter premièrement et peupler lisle
de Sardaine, laquelle iusques à ce temps nauoit point esté
cnltiuee. Puis en Italie il seicha, et escoula plusieurs paluz
et maretz inutiles, mesmement autour du fieuue Âmus, qui
passe parmy Florence : et rendit la région ydoine à labou-
rage. Et audit fieuue Amus il donna son nom : Car ledit
Hercules estoit aussi surnommé Musarnus. Laquelle chose
est enseignement quil habita voulentiers enuiron ledit
fieuue, et en la cité de Fesule, en Toscane, laquelle iusques
auiourdhuy porte les armes dudit Hercules : Et aussi tint
il son siège Royal à Yiterbe cité capitale du Royaume
dltalie.
Hercules donques Roy pacifique de Gaule et dltalie,
pouroe quil vouloit aller finer ses iours en Espaigne,
pensa destablir desalors et de son plein viuant, deux de ses
enfians successeurs esdits Royaumes. Si manda À la Royne
Galatee sa femme, quelle luy enuoyast son filz Galateus (2) :
Car il estoit desia grand assez pour armes porter. Et dau-
tre part, il envoya en Scythie, quon dit maintenant Tarta-
rie, quérir son filz aisné nommé Tuscus, lequel (3) il auoit
(1) Cospiades (ëd. 1512).
(2) Galathens (ëd. 1512).
(3) Membre de phrase omis dans Véd, 1512.
74 ILLY8TRAT10NS BE GAVLB, ET
engendré auec la belle Âraxa. Icelle Âraxa (comme nous
pouuons comprendre) fut fille, ou nièce d'Araxa la grande,
lune des filles de Noë, engendrée après le déluge : et donna
le nom au grand fleuue Araxes et Tartarie. Ladite Araxa
la ieune, comme nous auons touché cy deuant, estoit demy
femme et demy serpente, comme on dit de Melusine la
Faee : Et estoit Royne de Scythie, habitant sur le fleuue
Tanaïs, et sur les paluz Meotides.
Au mandement du grand Roy Hercules» Galatea la belle
Geande enuoya son filz Galateus en Italie à son père, tri-
omphamment accompagné de la noblesse de Gaule, lequel
le receut à grand ioye, en sa court et en son palais : et luy
monstra grand signe damour paternelle : Car ledit enfant
estoit grand et bel à merueille, comme celuy qui estoit né
de deux plus beaux, et plus nobles personnages de tout le
monde. Et certain temps après suruint, de la terre loing-
taine de Tartarie, Tuscus son filz aisné, lequel estoit desia
de grand aage : Car Hercules lauoit engendré en sa prime
ieunesse, et estoit grand et corpulent, sage, vaillant, et
attrempé. Si fut bien ioyeux de le voir tel : et alors tint
court ouuerte. Et en la présence de tous ses barons de
diuersea contrées, cestasauoir d'Egypte, de Libye, quon dit
Afrique, d'Espaigne, de Gaule, d'Italie, et de Tartarie, par
grand solennité, créa et establit son filz aisné Tuscus Roy
d'Italie, en la dignité de Coritus, cestadire lupiter cou-
ronné, ou Patriarche de Toscane. Et son filz puisné le bel
adolescent Galateus de laage de xxv. ans, il lecouronna Roy
de Gaule à Grand triomphe et merueilleuse pompe. Et fut
fait ce glorieux acte en la cité de Viterbe, lan depuis le
déluge six cens vingt et cinq, deuant la fondation de Troye,
neuf vingt et un ans, et deuant lincarnation nostre Sei-
gneur, mille six cens soixante et huit ans.
SINGVLARITBZ DE TROYB. UVBB 1. 75
Ces choses ainsi noblement acheuees par le grand et
magnanime Hercules, despouillé voluntairement de deux
grands couronnes Royalles, mais (de ce) non moins glo-
rifié, il se prépara daller finer le demourant de sa vie en
Espaigne, autresfois par luy conquise : Donc après que le
bon père eut ses deux enfans Tuscus et Galateus nouueaux
Roys amonnesté de bien faire et de bien viure tousiours en
paix et en concorde, il leur dit adieu, et aux autres Princes
de leur fuite. Et en partant d'eux, À leur tresgrand regret,
il monta sur mer, auecques sa plus ancienne baronnie, et
se retira en Espaigne. Là où il trouua que son filz Hispa-
lus, (1) lequel il auoit couronné Roy, estoit desia mort, et
nauoit régné que xvii. ans. Si regnoit après luy son neuen
nommé Hispanus, dixseptieme Roy d*Espaigne, et le pre-
mier qui luy donna ce nom : car parauant elle sappelloit
Hiberie : Et régna ledit Hispanus (2) lespace de xxxii. ans.
Lan dixneuuieme dudit Hispanus son neueu, le grand
Hercules desia fort ancien, vint en Espaigne, et y demeura
XIII. ans sans auoir nom de Roy, ains soufiroit patiemment
et luy plaisoit bien que son neueu regnast, puis quil nestoit
point vicieux. Parquoy appert la grand noblesse de son
courage : Car sil auoit conquesté plusieurs grans Roy-
aumes, comme souuerain Prince et monarque du monde,
ce nauoit pas esté par ambition tyrannique, ou par vaine
gloire, comme plusieurs autres conquereurs ont fait depuis :
Mais il estoit content de les ester aux mauuais tyrans vsur-
pateurs, pour les donner aux bons Princes. Et qui deman-
deroit quelle chose il faisoit donques en Espaigne, sans
auoir tiltre de Roy en icelle : Â ce respond Ihistoire, qnil
(1) Hispanas (éd. 1512).
(2) Hesperos féd. 1512).
76 ILLTSTRATIONS DE GAYLE, ET
passoit le temps à faire tousiours quelque grand bien au
païs : Car des grans trésors innumerables quil auoit, il
édifia plusieurs villes et citez. Dont encores À ceste cause
iusques auiourdhuy les Espaignolz lappellent, Hercules
l'edificateur. Et oultre ce par art Magique et astronomie,
dont il estoit grand clerc (mais il nen vsoit sinon en bien)
il trouua plusieurs remèdes et enchantemens contre les ser-
pens, et autres mauuaises bestes nuisibles, dont la terre et
les habitans d*Espaigne estoient par trop greuez et moles-
tez. Et disent encores les Modernes, quil enchanta les
coleuures qui sont si priuees à Tolette (1), quelles ne font
iamais mal. Et plusieurs autres choses merueilleuses en
racontent ilz.
Le trespreux Hercules ainsi se reposant en sa vieillesse,
après ses grans trauaux, Hispanus son neueu Roy d*Es-
paigne alla mourir. Alors par le commun consentement de
tous, et pour le bien nécessaire de la chose publique, il
reprint le gouuernément du Royaume en sa main, et fut
le quatorsieme Roy diceluy. Si régna glorieusement et
saintement la reste de sa vie. Cestasauoir xix. ans et non
plus : comme met frère Jean de Viterbe, au recueil des
chroniques d*Espaigne. Et puis rendit son vertueux esprit
au commandement de la diuine clémence, enuiron lan de
son aage cccl. Apres quil eut régné en Europe, cestasauoir
Gaule, Italie, et Espaigne, lxvii. ans. Si luy feirent les
Espaignolz vne riche et somptueuse sépulture, au lieu quon
appelle encores Gades Herculis, ou les Colomnes (2) d'Her-
cules, près du destroit de Gilbalthar : Et luy attribuèrent
honneurs diuins, et édifièrent plusieurs citez triomphalles
(1) ToaletteCëd. 1512).
(2) Coulompnes (ëd. 1512).
SUIGVLARITKZ DE TEOTB. LIfRB I. 77
en son nom. Si trespassa ayant encores en vie la Déesse
Isis Royne d'Egypte sa tante. Car nous nauons pas de cer-
tain quelle fust sa mère, laquelle vescut encores col. ans
après, comme nous dirons en son lieu.
Les surnoms dudit grand Hercules d*Egjpte, furent Her,
Hercol, Ârno, Musarno. Qui signifient en langue Hébraïque
<tesmoing S. Hierome) Her, poilu : Hercol, tout poilu :
Arno, Lyon de grand renommée : Musarno, enseigne de
Lyon de grand renommée. Et estoit ainsi surnommé, tant
pource quil estoit barbu et velu par tout le corsage, comme
pource quil estoit arme de peaux de fieres bestes saunages :
comme sont Ours, Lyons et Leopars, attendu que lusage
des harnois nestoit pas encores trouué : et pource aussi
quil portoit en son escu vn grand Lyon rampant couronné,
tenant vne hache darmes entre ses pattes. Â tout lequel
blason, il se feit renommer par tout le monde. Les Viter-
biens portèrent en leur monnoye limage dudit HercuiéTét
de son Lyon, iusques au temps de Didier Roy des Lom-
bards. Vn acteur nommé Iginius, en son liure d'Astro-
nomie met ledit Hercules entre les Images du ciel : cesta-
sauoir entremy la couronne d'Ariadné, et la lyre de Mer-
cure. Et plus ne dirons nous présentement dudit tresuer-
tueux Prince Hercules, sinon quil ordonna pour son suc-
cesseur au Royaume d*Espaigne Hesperus, qui fut père
d* Atlas. Maintenant se tourne Ihistoire à parler des deux
filz dudit grand Hercules, cestasauoir Tuscus Roy d'Italie,
et Galateus Roy de Gaule, et de leurs postérieurs.
78 ILLTftTRATIONS DB GAVLE, KT
CHAPITRE XII.
Lhistoire de Tqscqs filz do grand Hercules de Libye : et d'Araxa la
ieune Royne de Scjthie, quon dit maintenant Tariarie, laquelle
estoit demy femme et moitié serpent. Et de la postérité dudit Tas*
cas Roy et lupiter d'Italie, duquel porte le nom la prouince de
Toscane. Et de luj descendit lupiter Camboblascon, père de Dar-
danuSy premier fondateur de Troye.
At chapitre précèdent ha esté veu, comment le grand
Prince Monarque Hercules de Libye retournant en Es-
paigne, laissa en Italie ses deux enfans Tuscus et Galateus,
après les auoir couronnez tous deux Roys lun d'Italie et
lautre de Gaule : Lesquelz sentreaymerent fraternellement :
et se festoyèrent aucun temps après le partement de leur
père ensemble. Puis quand le Roy Galateus sen uoulut
aller, Tuscus son frère aisné, pour luy monstrer signe
damour et libéralité, luy donna lisle de Sicile, estant des
appartenances d'Italie : Et luy pria que pour exaucer (1) sa
renommée, il y allast fonder aucunes citez, auant que
retourner en Gaule. Et pour ce faire luy bailla grand nom-
bre de gens d'Italie, hommes, femmes et enfans. De laquelle
chose fut content le Roy Galateus, et en remercia le Roy
Tuscus son frère. Si print congé de luy, et auec son peuple
sen alla habiter en Sicile, et y fonda aucuns peuples, de
son nom appeliez Gallatenes (2) , et vne cité nommée Cène-
(1) exaulcer (éd. 1512).
(2) Galathenes (éd. ^512).
SmGTLARITSZ DE TROTK. UVAB I. 79
galata, dont fSeût mention Pline au troisième liare de Lhis-
toire Naturelle. Or est il à sauoir, quen ce temps là cestoit
le plus grand honneur quon sceust faire à vn Prince, ,que
de luy bailler charge daller fonder villes et citez en son
nom. Et nappartenoit ceste autorité sinon à celuy qui estoit
laisné de toute la lignée, estant en la dignité de lupiter :
cestadire, Patriarche, ce questoit ledit Tuscus. Par ainsi
appert quil honnora grandement Galateus son frère, en
luy donnant charge daller peupler ladite Isle : laquelle
neantmoins auoit premièrement esté habitée par Cam âlz
de Noë, comme nous auons dit cy deuant. Mais peult estre
quelle estoit retournée en solitude par faute de gens, si fut
repeuplée par ledit Galateus. Laquelle chose acheuee, il
sen retourna par mer en son Royaume de Gaule. Mainte-
nant de luy se taira vn peu nostre histoire pour acheuer le
conte du Roy Tuscus, et des siens.
Tuscus donques demeura seul regnateur, lupiter, et
Patriarche dltalie : et donna le nom à la prouince de
Toscane, en laquelle il se tint le plus : autrement nommée
Hethruria (1), laquelle parauant sappelloit lanicula, de par
le bon père lanus : et tous ceux qui auoient seigneurie en
Italie sappelloient lanigenes : cestadire enfans de lanus.
Or régna Tuscus pacifiquement et sans guerre quelconque :
et feit adouber (2) et consacrer ses nobles hommes dessusdits
nommez lanigenes en lordre et dignité de cheualerie Pal-
ladienne. Laquelle chose se faisoit à force denchantemens
par aucuns prestres à ce ordonnez par son père Hercules,
auprès dun lac sulphuré. Et des gestes dudit Tuscus ne se
treuue autre chose. Sinon quil laissa son âlz Altheus héri-
tier du Royaume d*Italie.
(1) Ethrurla (éd. 1512).
(2) adoabter (éd. 1512).
80 ILLTSTRATlOnS DE GAVLE, ET
Altheus donques fllz du Roy Tuscus commença à régner
en Italie le troisième an après la mort de son père Hercules
Roy d*Ëspaigne. Lequel comme cy dessus est dit, aaoit
laisse pour testament à Hesperus frère d'Atlas (1) son parent,
iceluy Royaume d'Espaigne, auquel Hesperus régna aucun
temps : mais ânablement il en fut débouté par sonditr frère
Atlas le Géant, surnommé Italus. Par ainsi Hesperus des-
pouillé de son Royaume d*Ëspaigne, sen vint en Italie et y
régna, et lappella de son nom Hesperie. Derechef après sa
mort, sondit frère Atlas Italus, créa et constitua son filz
Sicorus, xiiii. Roy d*Ëspaigne en son lieu : et sen alla en
liste de Sicile, en laquelle il mena du peuple pour illec
habiter, comme parauant auoit fait Galateus Roy de Gaule :
et après y auoir régné aucun espace, il nauiga en Italie
auecques ses Siciliens : et entra au fleuue du Tymbre (2),
à lenteur duquel il fonda son Royaume. Et de son nom
appella toute la contrée Italie : dont encores iusques
auiourdhuy luy demeure le nom, tous les autres aboliz.
Gestuy Italus estoit descendu de la lignée de laphet, et de
son filz Comerus Gallus, premier Roy d'Italie. Et, selon
les acteurs, estoit grand astrologue. Et à ceste cause fei-
gnent les Poètes, quil soustenoit le ciel sur ses espaules.
Pour reuenir à nostre propos d*Altheus lupiter de Tos-
cane, filz de Tuscus, ayeul de Dardanus, fondateur de
Troye, nous ne trouuons point quil feist aucune grande
chose, oppressé parauenture de la puissance dudit Atlas
Italus : et ne sauons comment se portèrent ses besongnes.
Toutesuoyes il nest point de mention que son fllz Blascon
fttst couronné ne Roy, ne Coritus : cestadire lupiter de
(1) Datias (ëd. 1512).
(2) Tjbre (éd. 1528).
SIROVLABITEI VE TROTI.UTRft I. 8t
Toscane. Mais bien trouaons nous que ledit Atlas Italos,
Roy d'Italie, créa et consacra le sien propre fllz nommé
Morges, Coritos, et lupiter : qni vaut autant à dire oomm^,
Roy, Patriarche couronné de Toscane, au desauantago
dndit Blascon, yssu de la lignée d'Hercules : et sa flUe noih«
mee Roma (1), il la feit Duchesse des Âborigines. Laquelle
fat mariée à vn Prince de Toscane, dont elle eut va ^
nommé Romanessos, qui fonda Romme, et la nomma de
son nom. Parquoy ceux errent beaucoup (comme met Sem-
promus en la diuision d'Italie) qui escriuent Romme auoir
esté premièrement fondée par Romulus : mais bien fat aile
instaurée par luy. Et nest pas dite Romme de Romuhu,
mais Romulus de Romme.
Par ainsi Atlas surnommé Italus florissant puissamment m
Italie, combien quil fust affectionné à son filz Morges, comme
dessus est dit, ne mesprisa point pourtant la tresnoble lignée
du grand Hercules de Libye : Cestasauoir Camboblascon
fll2 de BlascQp, qui fut fllz du dessusnommé Altheus fils de
Tuscus, Roy et lupiter de Toscane, ainçois donna audit
Camboblascon Prince des lanigenes sa fille Ëlectra en ma-
riage : et pour douaire luy assigna certaine quantité de
peuple, pour venir habiter aux Alpes et montaignes pro«
chaînes d'Italie. Et encores quand ledit Roy Atlas Italus
fut mort, son filz Morges Roy dltalie, et lupiter de Tos-
cane, considérant parauenture que son père auoit eu tort
de son beau frère Camboblascon, se desmit de la dignité de
Coritus : cestadire, lupiter ou Patriarche de Toscane, et
la céda et transporta audit Camboblascon mary de sa scBur
Blectra, et peu de temps après mourut.
Or k fin que la matière de scrupule et murmuration soit
(1) Rhoma(ôd. 1512 et 1528).
I. • 6
8S ILLYSTRATIORS DK GAVLB, BT
toUoe à plusieurs qui pourroient ouyr ce liure : Disans»
qui! nest ia besoiug si souuent ramenteuoir aux oreilles
Chrestiennes les noms des Idoles, que iadis les Payens ado-
roient : Cestasauoir, Saturne, Jupiter, et Hercules, etc.
Tout homme de sain entendement peult bien congnoitre,
que le nom de Coritus (1) ou lupiter couronné, estoit en oe
temps là tiltre de dignité Royale ou Pontificale, si comme
lés Pharaons en Egypte, et les Césars à Homme : Et ce
quilz appelloient lupiter leur Dieu, cest comme nous appel-
ions le Pape, nostre tressaint père : car lupiter signifie,
Ittuans pater. Et Papa, Pater patrum. Âusurplus conmie
met Xenophon en ses Ëquiuoques, iadis au premier aage
doré le plus ancien père de chacune noble famille Royale,
fondateur de Royaume ou de cité, estoit dit Saturne : Leurs
eniSsuas aisnez lupiter et luno : et leur neueuz les plus fors
et les plus Taillans, estoient nommez Hercules, comme cy
dessus est allégué au dixième chapitre. Donques si noz
ancestres nommoient leurs Princes Dieux, il appert que ces-
toit pour quelque excellence de bonté et iustice quilz trou-
noient en eux, ainsi que dit Fabius Pictor, au commence-
ment de son liure de lorigine de Romme : Principes quia
iuêti erant, et religionibus dediti, iure hàbiti Dii et dicti :
Non enim arHtria illorum ab ajuo, vel populus à iure
innato discedebant.
Puis que nous auons satisfait à ce poinct, nous parlerons
maintenant plus hardiment de lupiter lancien, père de noz
Princes de Troye, duquel lupiter le propre nom estoit Cam-
boblascon : et comme met frère Jean de Viterbe, commen-
tateur de nostre acteur Berosus, il fonda la cité de Mont-
blascon (2) et Toscane, laquelle se dit maintenant par lan-
(1) Corj7tu«(éd. 1512 et 1528).
(2) MoDtoblascon (éd. 1512 et 1528).
SUfGYLARlTBZ DE TROTB. U?RB 1. 8d
gage corrompu, Montflascon, à cause du bon muscadel qui
y croit. II édifia aussi vue cité nommée Coritus : et on lap-
pelle maintenant Comète : et sied sur la mer à xl. miliai-
res de Romme. Or eut il de sa femme Ëlectra, fille du
grand géant Atlas Italus, Roy dltalie, trois enfans : cesta-
sauoir, lasius, Dardanus et Ârmonia : lasius laisnë, fut
créé et couronné en la dignité de Patriarche, quilz nom-
moient Coritus, par son père Camboblascon. Lequel néant-
moins se reserua le tiltre, et la prééminence de Roy. Et
lannee ensuiuant, escheut audit lasius le Royaume de
Gaule. Si nous faut bien voir comment ne par quel manière.
84 lUiVSTRànons ds gavlb, kt
CHAPITRE XIII.
GfllateiM on£i«me Roy de Oanle, filz da grand Hercules de Libye, et
de la belle Oalatee, penpla Haie de Sicile. Et de lay est dénommée
tonte la nation de Oanle, en gênerai. Si eat laite deeeription de
deox partiea principales dioelie : ceataaauoir, Aqiûtanique et Bel-
gique. Et touche des fondations de Narbonne, Lyon, et Belg^ea» qui
portent les noms des Roys fondateurs dicelles : cestasauoir Harbon,
Lugdus, et Belgins. Puis Tient Ihistoire A lasius lanigena, frère de
Dardanus descendu de Tuscns. Lequel lasius fut Roy d'Italie, et
de Oaule. Et des noces triomphantes dudit lasius et de la Royne
Çybeles, esquelles la Déesse Isis enseigna la manière de faire les
premiers pains.
Gy dessvs nous auons laissé le conte (1) des Roys de Oaule,
au tresnoble Galateus âlz du grand Hercules de Libye, et
de la belle Galatee : Si auons dit comment son frère aisné
Tuscus pour luy faire honneur luy bailla des gens pour aller
peupler lisle de Sicile. Apres laquelle peuplée il sen retourna
en Gaule,, et ne dit Ihistoire rien plusauant de ses gestes,
sinon que de luy sappelle iusques auiourdhuy toute la con-
trée de deçà les monts. Gaule. Car parauant elle auoit nom
Saraothee ou Celtique. Encores au (2) vieil langage de nostre
païs de Belges, nous nous appelions Vualons, par deux w,
dont nous vsons en lieu dun G, (3) et vaut autant adiré comme
(1) compte (éd. 1512 et 152d).
(2) ou (éd. 1512 et 1528).
(3) en lieu d*ung (éd. 1512).
SmOTLAimE DB TEOTB. UfKB I. 85
Gaulois, qae nous disons en Latin, Galli, à la différence
des bas Âllemans, et des François naturelz de deçà la ri«
uiere de Seine. Aussi vue partie de Brabant sappelle Vua-
lon Brabant, et vne partie de Bretaigne, Bretons Galotz, à
la différence des autres. Et tout cela vient dudit Galateus
Roy de Gaule, qui feit florir son nom si auant, quil offusqua
et obombra toute la gloire de ses prédécesseurs. Et pource
quil donna le nom à la Gaule vniuerselle, il est vraysem-
blable quil domina principalement en la prouince quon dit
maintenant Aquitaine, qui est la tierce partie de Gaule :
Laquelle sentend porter le nom de son Roy Galateus, quand
nous disons Gaule. Mais quand nous nommons Aquitaine,
cest à cause des eaues, dont il y ha grand quantité. Et
pour la différence des deux autres parties de Gaule, cesta*
sauoir Celtique et Belgique, lesquelles portent chacune le
nom de son Roy comme nous auons dit, et dirons en son
lieu. Dont pour illustrer le nom dudit Galateus onzième Roy
de Gauie,nous nommerons les citez et Seigneuries principales
de la Gaule d'Aquitaine : qui sont Narbonne, Thoulouse,
Cahors, Rodetz, Lymoges, Perigort, Bourdeaux, Xainetes,
Angolesme, Rayonne, Clermont, et le Puy en Auuergne,
Bourges et Tours, Carcassonne, Foix, Lestore, Aux, Alle-
breth : Saint pons, Lodeue, Nantes, Resnes, Saint malo,
etc. Et les fleuues plus renommez Gironde, Dordonne,
Garonne, Loire, Lalier, Cher, et Cherante, eto (1).
Apres Galateus le Prince tresrenommë, régna son fils
Harbon, xn. Roy de Gaule. Lequel fonda la cité de Har-
bonne, quon dit maintenant Narbonne, comme met lexpo-
siteur de nostre acteur Berosus. Et autre chose naucns
nous de luy fors quil laissa vn fllz nommé Lugdtis xm. Roy
(1) Charente (éd. 1512 et 1528).
/
86 ILLYSTRATIOIIS DE GATLB, ET
de Gaule, lequel fonda la noble cité nommée Lugdunum,
quon dit en langage François Lyon sur le Rhône, cité tres-
noble et tresantique, auiourdhuy le second œil de France :
et de tous temps esleuee en grand prerogatiue : Laquelle
donna iadis le nom à toute la prouince Lyonnoise. Qui
est vne grand partie de Gaule Celtique. Le commentateur
de Berosus, est dopinion telle, que ce terme Ludouicus,
qui est familier des Roys de France, vient dudit Roy Lug-
dus, comme si on deust dire Lugdouicus, et certes il est
assez vraysemblable. A fin donques que les Seigneurs Lyon-
nois ne ignorent plus lantiquité de leur noblesse, et le temps
de leur premier fondateur : Sachent sans nulle doute que
ledit Roy Lugdus commença à régner le xu. an du règne
de Mancaleus xiiii. Roy de Babylone. Cestasauoir, lan
après le déluge, six cens quatre vingts, depuis la fondation
du Royaume de Gaule, cinq cens et seize ans. Âuant la fon-
dation de Troye, sept vingts et dix ans. Ains que Paris
fut édifiée, ccxx. Deuant Romme, occcclxxviii. ans. Et
douant lincamation nostre Seigneur, mille six cens et tren-
tesept. Et du temps de cestuy Roy Lugdus, Isis la Déesse
vint en Gaule.
Du Roy Lugdus fut filz Belgius, xnn. Roy de Gaule :
Duquel le nom declaire assez, que de luy est dénommée la
grande et noble, et populeuse prouince de Gaule Belgique,
dont lacteur de ce liure est natif. De laquelle nous descri-
rons lestendue, comme nous auons fait des deux autres
précédentes. Les fleuues et riuieres dicelle plus congnuz
sont, Lescault, la Sambre, le Lis, le Rin, Meuse et Moselle,
Seine, Marne, Somme, le Doulx, et la Saône. Les grands
forestz Mormault, et Ardenne. Les plus hautes montaignes,
le Mont saint Claude, les Faucilles, et Yosegus. Les citez
et villes plus renommées, Cambray, Valenciennes, Cou-
SUfGVLARITBZ DB TROTB. LITEE I. 87
longne, Conflans, Vtrecht, Treues, Mayence, Strasbourg,
Aix la chapelle, Basle, Constance, Liège, (1) Tournay, Ârras,
Amiens, Beauuais, Senlis, Laon, Nojon, Soissons, Meaux et
Eouen, Reims, Chaalons en Champaigne, Metz, Langres,
Toul, et Verdun, Besanson, Salins, Dole, Losanne, Geneue,
et Ghamberi. Les seigneuries principales, sont les Duchez
de lulliers, Cleues, et Gheldres, Brabant, Lorraine, et
Bar, Lembourg et Luxembourg. Et les Contez palatines de
Hajnau, et Bourgogne, Ferrettes, Montbeliard, Flandres,
Artois, et Champaigne, Hollande, Zelande, Namur, et le
Marquisat d'Anuers. (2)
Belgius donques qui donna le nom à toute ceste grande
prouince, fonda la grand cite de Belges, de laquelle appa-
rent encores les trasses et ruïnes en la Conté de Haynau,
et dicelle fait mention César au vi. liure de ses Commen-
taires, et lappelle Belgium. Ce terme cy Belgius, se peult
interpréter en langue Hébraïque ou Phénicienne, de laquelle
Ysoient pour lors les Gaulois, Ancien Dieu luittant. Or
appelloient ilz en ce temps là leurs Princes Dieux (comme
nous auons assez prouué par cy deuant). Parquoy il est à
coniecturer, que ledit Roy Belgius estoit grand luitteur. Et
encores auiourdhuy le peuple de Gaule Belgique, est fort
adonné à la luitte, et au ieu des barres. Belga aussi selon
saint Hierome en linterpretation des noms Hébraïques,
signifie ancienne commotion. Aussi voit on ladite nation
tantost esmue aux armes. Et à ce propos dit luUes César
au commencement de ses Commentaires : FortisHmi autem
(mnium Belga. Et Strabo au quatrième liure de ses Corn*
mentaires, en comparant les Belgiens aux autres Gaulois
(1) Lyege (éd. 1512).
(2) deaTers {éd. 1512).
88 lUTSTRATIO!» DE CAfLB» BT
dit : E fuibus summcs Belgas asserunt esse. Comme oeox
qui pouuoient mettre trois cens mille hommes aux champs.
En ladite Gaule Belgique on parle deux langages : cesta*
sauoir Thiois ou Teuthonique, cestadire bas Alleman» et
Yualon, ou Romman. (1)
Encestuy Belgius faillit la lignée de Galateus filz du grand
Hercules de Libye. Parquoy les peuples de Gaule, voula-
rent auoir recours au plus prochain du sang Herculien.
Cestasauoir, au dessusnommé lasius lanigena, désir cou*
ronnë Patriarche de Toscane par son père lupiter Gambo-
blascon, comme nous auons dit. Et fut ledit lasius esleué par
eux XV. Roy de Gaule. La mesme année que le Royaume
d'Athènes commença en Grèce, disant ainsi expressément
nostre acteur Berosus : Apud lanigenas tandem à paire
lasius creatus est Ooritus : et anno sequente sirwul ccBpe^
Tunt duo reges : videlieet primus JBex A theniensiufn Cs*
crops prisai et lasius lanigena^ apud Celtas. Et fut cecy
enuiron quatre vingt ans douant la fondation de Troye.
lasius lanigena, filz aisnë de lupiter Camboblasoon, ainsi
glorieusement sublimé en Roy de Gaule, et Patriarche de
Toscane, en fleur daage, cestasauoir de xxxviii. ans, feit
aussi presque tout en vn mesme temps aliance de mariage^
auecques vue haute, et noble pucelle, nommée Ipitis Cybe*
les, de laage dexv. ans. Et furent faites, et solennisees les
noces en la cité de Viterbe, chef du Royaume de Toscane :
lan deuant la fondation de Troye lxxviii. et en la présence
de Dardanus fondateur de Troye, et frère dudit lasius, si
triomphantes et si somptueuses, que plusieurs anciens ac*
teurs en ont bien voulu faire mention : car elles sont bien
dignes de mémoire : attendu que toute la noblesse du monde
(1) rommant (éd. 1512 et 1528).
y fut assemblëe : Mesmement à cause de œ que la grand
Déesse Isis Royne d'Egypte, âUe de Cam, femme et sœur
de lupiter le laste, dit Osiris, tante du grand Hercules,
iadis Roy de Oaule, dltalie, et d'Espaigne, fut présente i
la célébration desdites noces : et y offrit les premiers pains
<im iamais farent mengez en Italie. Car combien que le
^and Empereur Osiris son frère et mary, eust monstre à
ix>at le monde lusage dagriculture, cestadire de labourer la
"terre, si ne sauoit on encores mouldre le blé, ne cnire le
pain, ans cuide ie, que les gens mengeoient le fonrment
tout emd, comme ilz faisoient les glands au paraoant. De
ces noces parle Diodorus Siculus en son vi. linre, disant
que ce furent les premières célébrées par les Dieux et
Déesses de la terre. Desquelz chacun y apporta soi\ présent,
disant ainsi : Jlas nuptias à Diis primum edebratas fé--
fwnt : Cereremque i% gratiam lasii ei ex frumento panem
attulUsâj Ifercurwm Ifram, Palladem decantatummimile^
péplum ae tibias, etc.
Geste Déesse Isis, autrement dire Ceres, IwM, Frugifèra,
Legiferay fut yne merueilleuse femme, et de longue Tie,
comme desia nous auons dit cy deuant : Car quand elle Tint
en Italie ausdites noces, elle auoit quatre cens et soixante
ans : comme celle qui auoit esté née le premier an du règne
de Semiramis, Royne de Babylone : et vescut en tout, laage
de six cens ans : Cestasauoir iusques après la fondation de
Troye, au temps de laquelle elle auoit cinq cens et trente
ans, et vescut encores lx. ans après. Elle enuironna tout
le monde, comme auoit fait son mary Osiris, et son neueu
le grand Hercules de Libye, en enseignant aux humains
encores rudes et simples, tout ce dont elle auoit esté inuen-
teresse. Et comme met Pline au vu. liure de Lhistoire
naturelle, elle, au partir de son Royaume d'Egypte, en-
90 ILLYSTRATIONS DB GAYLE, ET
seigna premièrement comment on deuoit mouldre la farine,
et faire du pain, en la cité d'Âthenes, et puis en lisle de
Sicile, et après en Italie. Frère lean de Viterbe expositeur
de Berosns, met aussi quelle fut en Âllemaigne du temps
d*Hercules ÂUemanus, lonzieme Roy, en allegant sur ce
Cornélius Tacitus, qui dit : Pars Sueuorum etiam Isidi
saeri/lcat. Nous trouuons aussi, quelle fut en Gaule du
temps de Lugdus, xiir. Roy dicelle, comme nous auons
touché cy deuant. Encores voit on son simulacre en France,
quon appelle Tldole de saint Germain des prez.
QueUe fut aux noces dudit lasius Roy de Gaule, et
Patriarche de Toscane, il nest rien plus certain : Conune
il appert tant par liures autentiques, comme par certaines
vieilles statues, marbres, et escritures qui nha gueres furent
trouuees auprès de la cité de Viterbe, et monstrees au pape
Alexandre Yi. Gomme recite frère lean Annius dudit Viterbe,
disant quon tira hors la terre, quatre simulacres ou images
triomphales. Lune de lasius, lautre de sa mère Electra, la
tierce de sa sœur Armonia, qui ne fut iamais mariée, ainçois
demeura vierge, et nonnain de la religion Vestale, et la
quarte, de Cy bêles femme dudit Roy lasius. Et oultreplus
on trouua vne grand table de marbre, en laquelle estoit
escrit en lettres Grecques, ce qui fut translaté en Latin, ainsi
quil sensuit : CorUina desponsatio cum Electra A tlai ki-
tyi, (1) iandudum pertransiuerat :Et maxima Isis f rumen-
taria atque panifica concessit ad nuptias lasii filii Coriti,
in hdbitaculum turrita Cyhelis, sponsa lasii, in pradio (2)
Cybelario, ad fontem Cyhelarium : paulo (3) ^i^^ Uadimona
{ (1) kyru (éd. 1528).
(2) preHo (éd. 1512).
(3) po8t (éd. 1512 et 1528).
SINGTLARITBZ DE TROTB. LITRE I. 91
pdlatia. Et paulopost à scélérat o fratre Darddno, lasius
malè periit in agro lasinello, ad thermas lasinellas, in
Theiscis, Par ainsi nj ha il nulle doute, que ladite Déesse
Isis ne fust ausdites noces. Dont après quelle eut enuironnë
tout le monde, ainsi que nous auons dit, et quelle fut de
retour en son Royaume d'Egypte, elle feit dresser vne haute
colomne triomphale, en laquelle il y auoit escrit ainsi : Ego
Isis sum Aegypti Regina^ à Mercurio erudita. Qua ego
legihus statui nuHus soluet. Ego sum mater Osiridis : (1)
Ego sum prima frugum inuentrix : Ego sum Ori régis
mater. Gela est prins du liure de Diodorus Siculus.
(1) ego sum Osyrides (4d. 1512 et 1528).
/
02 ILL^TRATIOIIS DE GATL!, BT
CHAPITRE XIIII.
Entre lasini laolgena lapiter et Patriarche d*Italie et xv. Roy de
Gaule, et son frère Dardanni, sonrdit goerre trescriminelle, A
cause de laquelle Dardanus le plus ieune, occit traytrensement son
frère aisné lasius, anz bains de Viterbe. Lequel cas perpétré, il
senfujt en vne nie de TArchipel, appeilee Samoa, en Grèce. Et
audit lasius occis, succéda au Royaume dltalie, son filz Coryban*
tus et en celuy de Gaule, Allobrox. Lequel fonda ploaieurs dtes
en Dauphinë et Sauoye,
Revenons donques à nostre paissant Roy de Gaule, lasios
lanigena, frère aisné de Dardanus fondateur de Troye.
Iceluy lasius en tesmoignage desdites noces, et de sa cou-
ronnation, en laquelle le peuple Herculien, cestasauoir de
Gaule et d'Italie, lauoit salué son Roy et son Patriarche,
feit faire les statues et images dessus mentionnées, nha
gueres trouuees à Viterbe, et en la souzbasse de la sienne
estoit graué ce qui sensuit, lasio acclamauit populus Ser-
euleus : Dux inuicte : Inuicta corona. Et puis ne tarda
gueres après que son père lupiter Camboblascon alla mou-
rir. Si ioingnit lors le Royaume dltalie auec celuy de
Gaule : et fut le plus puissant Prince de son temps. Et eut
de sa femme Cybeles yn beau âlz nommé Gorybantus. Mais
comme il est de coustume en ce monde, de tant plus que les
prosperitez des hommes sont haut esleuees, de tant tom-
bent elles en plus grande ruine. Comme il apperra de ce
Roy cy.
SHIGTLiAlTBE DE TROTK. Lina I. 93
Car quand Dardanos son firere puisné, lequel estoit
homme de cœur, veit le Roy lasius constitué en si hautaine
gloire et resplendissance, augmentée de deux si grans Roy-
aumes, comme celuy de Gaule et d'Italie, il en eut dueil et
ennie à merueilles : Attendu mesmement, quil nauoit ne
tiltre de Royaume, ne grand estât assez à son gré. Pour
laquelle cause il demanda partage à son firere le Roy lasius.
Laquelle chose il refusa de faire, ou aumoins ne luy voulut
pas ottroyer à son appétit. Et à ceste cause, commença vne
gaearre ciuile et intestine, aspre et cruelle à oultrance entre
\es deux fireres. Tous les peuples» villes et citez, de delA le
flauue du Tymbre, cestasauoir les Latins, que nous nom-
xnons présentement le Royaume de Naples, la terre de la*
l3our. Fouille et Calabre, estoient de la part de Dardanus.
;Xid[ais ceux de deçà le Tymbre, cestasauoir les Toscanes,
mxxeo les Gaulois, tenoient le party de lasius leur Roy. En
<56 temps aduindrent plusieurs merueilles par le monde
"vniuersel. Si comme tremblemens de terre, monstres et
<x>mett6s. En Thessale y eut vn grand déluge deaue. Et en
^vne autre partie de Grèce vn horrible embrasement de feu.
Aussi en ce temps mesmes Pharaon Roy d*Egypte poursui*-
"oant Moyse et les enfans dlsraël, périt en la mer rouge,
auec toute son armée. Toutes lesquelles diuersitez de signes,
signifloient mutations de Royaumes par tout le monde,
comme il apperra cy après.
Estant donques ainsi enfiambee la terrible guerre et ini-
mitié entre les deux fireres, Dardanus auoit du pire : Mes-
mement pource que de nouueau, Siceleus Roy de lisle de
Sicile, qui depuis aussi fut xvi. Roy d*Espaigne, estoit
venu de renfort à layde du Roy lasius son parent, alencon-
tre de Dardanus. Parquoy Dardanus soy sentant de beau-
coup trop foible, sappensa que puis quil nauoit peu auoir
94 ILLTdTaATIOMS DE GAVLS, JBT
raison de son frère par amour, ne par £3rce, il sen venge-
roit par cautelle et trahison. Pour laquelle chose faire, il
feit secrètement sa preparatiue daucuns nauires, au plus
prochain port et riuage de mer, non pas loing de Viterbe :
et meit dedens ce quil peut âner de trésor, et les plus
féaux de ses gens et seruiteurs. Puis espia tant les allers
et les venirs du Roy lasius son frère, lequel ne se donnoit
garde pour Iheure (car parauenture auoient ilz tresues
ensemble, ou vne paix fourrée) que finablement ledit Dar-
danus le trouua à despourueu, qui se baignoit aux thermes
lasinelles, ce sont aucuns bains sulphurez en la plaine de
Viterbe : Et le tua et murtrit de sa main : puis cheuaucha
hastiuement iusques à ses nauires, tout chaut et tout en-
sanglanté de loccision fraternelle, dont toute leaue de la
mer ne leust sceu lauer.
Ainsi mourut piteusement par les propres cruelles mains,
homicides de son frère, le tresnoble et trespuissant Roy de
Gaule et dltalie lasius lanigena, lan de ses règnes, cin-
quantième et de son aage quatre vingts et quatre, deuant
la fondation deTroye, xxix. ans. De laquelle mort estrange
et scandaleuse, non seulement Italie et Gaule furent trou-
blées, mais aussi toute la terre vniuerselle. Attendu quil
auolt tousiours eu paix et amytié auec tous les autres
Princes du monde, ses parens et alliez. Mais sur tous en
fut la plus dolente la noble Royne Cybele deuenue vesue.
Toutesuoyes son filz Corybantus succéda au Royaume d'Ita-
lie. Mais non en celuy de Gaule, aingois furent les Gaulois
aucun temps sans chef : et puis finablement en eslurent vn
autre tousiours de la lignée d'Hercules, pource quilz ay-
moient ce tresillustre sang. Et eut non AUobrox, leur xvi.
Roy. Lequel domina depuis le pié des monts Apennins
affrontans Italie, iusques aux monts Pyrénées, qui séparent
SINQVLARITBZ DB TROYE, LIfRB I. 95
Espaigne de Gaule, et depuis la mer Mediterrane iusques à
la grand mer Oceane, et au fleuue du Rin. Et fonda plu-
sieurs citez es contrées quon dit maintenant Piémont,
Sauoie, Prouence et Dauphiné : Lesquelz peuples de son
nom furent appeliez AUobroges. Et de son temps fut fondée
la tresrenommee cité de Troye, comme nous dirons assez
tost. Si nous faut retourner au conte de Dardanus.
Quand Dardanus eut perpétré ce criminel oultrage en la
personne de son frère germain, comme nous auons monstre,
et il fust effroyeuscment et en grand trouble monté sur mer,
il feit dresser la pointe de son nauire vers orient pour tirer
en Grèce, et se sauner quelque part, en lune des isles
Cyclades, en attendant meilleur auenture. Si feit tant quil
paruint iusques en la mer quon dit Larchipel : et aborda
en Tne isle de Grèce, nommée Samos, ou Samothrace.
louxte ce que dit Virgile au yii. des Eneïd.
AurancoB ita ferre senes : his ortus ut agris.
DardanuB, Idœas Phrygias penetraait ad Trbes,
Threîciamque Samum, quee nu ne Samothracia fertar.
Ladite isle est opposite à la région de Thrace en Grèce,
en laquelle siet Constantinoble. Et fut iadis noble isle et
bien peuplée : fertile de vignes et doliuiers, et abondante
de tous biens. Et en fut natif Pythagoras le grand philo-
sophe : et lune des Sibylles nommée Samie. Maintenant
elle est souz la main du Turc, lequel la tient déserte et
inhabitée. Et ne veult quil y demeure personne : de peur
des Chrestiens : comme nous declairerons plus à plein en
nostre œuure de Grèce et de Turquie. Ainsi peupla Darda-
nus premièrement ladite isle, et y demeura long temps
auant quil edifîast Troye : espérant tousiours moyenner et
96 ILLVSTBATI0N8 DE GAVUI, JST
impetrer son retour en Italie. Mais quand il en eut du tout
perdu lespoir, il meit son entente et délibération totalle,
de demeurer es parties de pardela : comme nous verrons
maintenant.
SIRGTLAlim M THOTK. UtftB I. 97
CHAPITRE XV.
I>irdaDiif qai sen estoit fay an litle de 8amot, froitré de tout etpoir
de iamain retourner en Italie, poar le crime de parricide par lay
m
commie en la personne de sondit frère latiut, passa de liale de
Samos en Asie la Minear, quon dit maintenant Turquie. Là ou il
fonda la cite de Dardanie, qui depuis fut appellee Troje» en la
prouince de Phrygie la basse, par eschange quil feit du droit quU
pooooit auoir en Iheritage du Royaume de Toscane en Italie. Le-
quel droit il resigna à Turrhenus filz de Atbus le ieune Roy de
Meonie, extrait d'Athus lancien fils du grand Hercules de Libye,
et dune dame nommée Omphale : et lors se font gprand mutations
et rénovations de Royaumes, sans toutesfois changer le sang Her-
eulien.
Il est à saaoir que oultre la mer Hellesponte, qaon dit
X« destroit de Constantinoble, en la terre ferme d'Asie la
^3iineur, quon dit maintenant Natalie ou Turquie, et non
;^a8 trop loing de ladite isle de Samos, est yne prouince
^toonmiee Lydie, qui parauant sappelloit Meonie. En laquelle
^t aussi en la prochaine nommée Phrygie, regnoit pour lors
"^n Prince duquel le nom estoit Athus le ieune, du mesmes
iBang et parentage de Dardanus. Car comme nous auons
^ucbé cy dessus, le grand Hercules de Libye eut dune
<3ame nemmee Omphale vn filz appelle Athus le grand. Et
«iicelny estoit descendu en la quatrième génération ledit
^thus le ieune, Roy de Meonie et de Phrygie. Lequel auoit
deux enfans, lun nommé Lydus, et lautre Turrhenus. Si
I. 7
98 ILLTSTBATI01I8 DB GAVLB» BT
estoit Âthus le père assez poure Prince, et chargé de grand
multiplication de peuple. Et qui pis vaut, il y auoit Ceunine
et stérilité en son païs. Parquoy luy estoit force de se des-
charger dune grand partie de ses subietz, et les enuojer
cercher habitation en autre contrée.
En telle solicitude et nécessité estoit le poure Prince
Âthus. De laquelle chose, Dardanus estant en liste de Samos,
fut tantostaduerty. Si se transporta promptement celle part,
et alla voir son parent Athus, et luy fit telle ouuerture.
Cestasauoir puis quil estoit besoing audit Athus de soy def-
faire dune partie de son peuple, et lenuoyer habiter en
autre région, ledit Dardanus ne sauoit plus beau ne meilleur
expédient audit Athus, que de leur bailler pour chef, lun
de ses enfans, et lenuoyer habiter en Italie. En quoy fai-
sant, Dardanus offroit de resigner et remettre à celuy qui
yroit tout tel droit et action quil auoit et pouuoit auoir au
Royaume dltalie, pourueu et moyennant ce que ledit Roy
Athus luy donnast vne certaine portion de sa seigneurie
pour édifier vne cité.
Les conuenances furent tantost agréables au Roy Athus
de Meonie et de Phrygie, comme celuy qui ne queroit autre
chose sinon se defiaire honnestement de la charge de tant
de peuple, quil ne pouuoit plus soustenir. Si fut fait lap-
pointement tel que Dardanus auoit mis en termes. Et à fin
quil ny eust point de dissension entre les deux frères, asa-
uoir mon (1) lequel yroit ou demoureroit, on ietta le sort. Si
aduint par ledit sort, que Lydus devoit demeurer héritier
du Royaume, qui depuis fut appelle Lydie de son nom : Et
Turrhenus fut appointé daller mener son peuple en Italie à
tout le droit que Dardanus luy auoit resigné. Et par ce
(1) Autrefois saveir mUn, C.-à-d. saàë Contredit, déànitifement.
SIIIGn.ABITIZ DB TROTS. UTRB I. 99
moyen, le Roj Âthus bailla et deliura à son parent Darda-
nos, la prooince de Phrygie pour la tenir luy et les siens à
iamais, et en faire ce quil luy plairoit.
Ainsi forent faits les eschanges des seigneories : sans
toutesuoyes riens aliéner ny estranger do sang Hercnlien.
Turrhenos aoec son people .et eqoipage, partit d*Asie la
mineor, qoon dit maintenant Torqoie, poor Tenir en Ita-
lie. Et Dardanos aoec ses gens et sa soite, laissa lisle de
Samos, poor aller prendre la possession de Phrygie. Si
commença illec à édifier vne cité, laqoelle il nomma de son
nom Dardanie, qoi depois fot appellee Troye. Et commença
iUecqoes à régner lan xxix. après la mort de lasios son
frère, qoi fot six ans après le trespas de Moyse : comme
met frère lean de Viterbe. Mais poor troooer ao yray
lannee de la fondation de Troye, noos dirons ainsi. Depois
la natioité do Patriarche Abraham, qoi fot lan XLm. do
xegne de Ninos, troisième Roy de Babylone, Moyse en lon-
2ieme chapitre de Genèse, conte deox mille qoatre vingts
«t dooze ans. (1) Et à ce saccorde nostre acteor Berosos. Et
cLepois lan xlui. de Ninos qoe ledit Abraham fot né, ios-
^oes àla fondation de Troye, Eosebeen son liore des Temps,
et ledit Berosos en ses Antiqoitez, content cinq cens et
trentetrois ans. (2) Ainsi depois le déloge iofqoes à la dite fon-
ction de Troye, ce sont iostemént, hoit cens et trente ans.
Or est il ainsi qoe ledit Eosebios conte depois la natioité
^'Abraham, iosqoes à iestchrist, deox mille vintcinq ans.
Par ainsi ostez lesdits cinq cens trentehoit, qoi sont depois
Abraham iosqoes à Troye, il appert clerement qoe depois
Troye fondée par Dardanos, iosqoes à lincamation nostre
(1) 2082 (éd. 1512). 2420 (éd. 1528).
(2) 534 (éd. 1512 et 1528).
100 UXVSTBATIORS DE GAVLB, ST
Seigneur, on doit conter sans nulle faute, mille quatre cens
quatre vingts et sept ans. Et douant la fondation de
Romme par Romulus, quatre cens uingt et huit. Et anant
que Paris fut fondée, lxx. ans. Et ainsi nous sommes nous
reiglez en toute ceste histoire, et ferons encores au plaisir
de Dieu, tant comme elle durera.
Gy deuant nagueres que nous auons dit, que selon les
conuentions leschange fait entre Dardanus et Athus, de la
terre de Phrygie au droit que Dardanus auoit en Italie, Tur-
rhenus filz dudit Athus estre party d*Asie la Mineur, quon
dit maintenant Turquie, arriua en Italie, pour prendre la
possession dudit droit, et vint saluer la Rojne Cybeles,
Tefue du Roy lasius, et son âlz Corybantus Roy de Toscane,
ausquelz il apporta de par son père le Roy Athus de Mec-
nie, plusieurs riches et triomphans presens. Et ilz le recueil-
lirent à grand ioye, comme celuy qui estoit du vray sang
du grand Hercules de Libye, comme ilz estoient. Et luy
donnèrent tresliberalement de prime face la cité Royale de
Viterbe : Puis se délibérèrent de se retirer en Phrygie vers
le Roy Dardanus. Si ordonnèrent en Toscane vne police,
de XII. Ducz, et de xii. peuples, qui fussent tousjours de la
famille des lanigenes, et le Roy Turrhenus par dessus tous.
Duquel print le nom la mer Tyrrhene de laquelle dit Virgile
au commencement des Eneïdes :
Gens inimica mihi Tyrrhenam nanigat œqaor.
Et ce fait la Royne Cybeles et son filz Corybantus, mon-
tèrent sur mer auecques grand peuple et grand suite et
merueilleux trésor, et sen allèrent habiter en la nouuelle
cité de Dardanie, auecques le Roy Dardanus. Et icy se
termine Ihistoire de Berosus de Chaldee. Laquelle nous
SIHGTLARITKZ DE TROTE. UVRB I. 101
auons feablement recueillie. Doresenauant nous suiurons vn
autre acteur nommé Manethon d*Ëgypte : lequel ha reprins
ladite histoire, depuis le règne de Dardanus iusques à Fran-
cus filz d*Hector.
10^ ILLTSTBATIOfIS W GàTUS, ET
CHAPITRE XVI.
Deuers le Roy Dardanat de Phryg^e, se retira la Royne Cybelea,
vesae de lasias, iadis Roy de Gaule et d*Italie : et y mena son
filz Corybantus anec multitude de peuple et grans trésors : dont le
pouuoir de Dardanus se augmenta beaucoup en Asie, quon dit
maintenant Turquie. Il estoit grand clerc et magicien, dont il
composa des liures : et eut vn filz nommé Erichthonius. Enairon
lequel temps Allobrox successeur de lasius lanigena (quant au
Royaume de Gaule) laissa pour héritier son filz Romus, qui fonda
Romans au Dauphiné, et donna le nom à la langue Rommande. Et
eut vn filz nommé Paria fondateur de la noble cite de Paria en
France.
Manethon fut prestre d*Egjpte, fort recommandé entre
les historiens par Eusebe et losephus. Lequel ha continué
Ihistoire des règnes du monde, là ou Berosus lauoit laissée,
iusques après Troje destruite. Si suiurons son ordre, tant
des Roys de Troye, comme de Gaule. Et neântmoins nous
ayderons dautres acteurs autentiques ainsi que mestier
sera, pour la décoration de nos Illustrations et singularitez.
Or auons nous veu par le chapitre précèdent, comme par
chanse tournée, se fait merueilleuse mutation de Royaumes.
Car les Occidentaux vont dominer en Orient, et les Orien-
taux viennent en Occident. Mais combien que se fasse
transmutation de lieu et de fortune, si ne se change en
riens la droite généalogie du tresnoble sang d^HercuIes,
comme nous auons desia dit, ains demeure tousiours en son
smOTLAElTBZ PB TROTB. UTRB I, i03
entier, dnn costé et dautre, et ny eut fraude ne dol aussi :
<»r Turrheaus (comme met nostre acteur Manethon) régna
3)aisiblement en Toscane lespace de Lxim. ans. Et après luy
son filz Abas. Mais de luy ne du Royaume d'Italie, nous
-parlerons peu désormais : Pource que le Royaume de
Troye requiert désormais sa description.
Corybantus ayant resigné le Royaume d'Italie à son
parent Turrhenus, après que ledit Corybantus y eut régné
xLvm. ans, comme met frère lean de Viterbe, et quil sen
fut allé auec sa mère, la Royne Cy bêles, habiter auecques
son oncle, le Roy Dardanus, en Phrygie : et quilz eussent
porté lusage et les cerimonies des sacrifices de leur grand
mère Cybeles, dite Vesta ou Tytea la grande, femme de
Noë lanus : louxte ce que dit Diodorus Siculus en son yi.
liure. Uerum ad deos translata lasio, Dardanus Cybeles
ac Corybantus sacra deorum matris in Phrygiam detule-
runt. Au moyen de toutes ces choses, la puissance dudit
Roy Dardanus creut soudainement. Or auoit il vn voisin
nommé Teucrus, riche et puissant Prince : Dont les Phry-
giens ont aucunefois esté nommez Teucres, comme met lao-
teur dessusdit. Lequel Teucrus ou Teucer, estoit filz du
fleuue Scamander, et dune nymphe nommée Idea. Et auoit
yne belle fille, appellee, Batea : laquelle il donna en ma-
riage audit Roy Dardanus, filz de lupiter et d'Electra. Et
dicelle Batea il eut vn filz et successeur, nommé Eric-
thonius. Si ne treuue ie plus rien des gestes diceluy Dar-
danus, sinon quil fut grand Magicien selon vn acteur
nommé Petrus Crinitus. Lequel en son liure intitulé, de
la Discipline honneste,(l) allegant Pline en Ihistoire Natu-
relle, met que ledit Dardanus souuerain en lart Magique,
(1) De kanesta diseipUna. Florence 1500, in-fol.
104 ILLYSTRÀXIOIIS DE GAVLB, KT
composa aucuns liures dicelle, lesquelz il commanda eatre
mis en sa sépulture. Mais depuis sa mort, vn grand philo-
sophe nommé Abderites Democritus, fieit tant qoil les
recouura : et les esclarcit et amplia de commentaires. Si
régna zxxi. ans. A tant nous nous tairons de Dardanus le
premier des Roys Troyens. Et pour mieux autoriser les
Illustrations de Gaule auec les singularitez de Troye, en
ensuiuant lordre de nostre acteur Manethon d'Egjrpte,
nous meslerons les Roys Galliques entremy les Troyens :
Car ilz ont ensemble affinité certaine, à cause du tresnoble
sang du grand Hercules de Libye qui tousiours dure en eux.
AUobrox xvi. Roy des Gaulois duquel nous auons tait
vltime mention au quatorzième chapitre, et dit quil fonda
le peuple des AUobroges, quon dit maintenant Dauphinois
et Sauoyens, fut contemporain à Dardanus. Et régna en
Gaule, iusques au xxix. an après la fondation de Troye. Le
temps de son règne fut enuiron Lxviu. ans, comme on
peult cueillir par les escrits de noz acteurs Berosus et Ma*
nethon. Si succéda au Royaume de Gaule, son filz nommé
Romus, xvi. Roy, lequel fonda vn peuple nommé Rom-
mandz. Disant ainsi expressément nostre acteur Manethon :
AnM eiusdem xxxv. apud Celtiberos regnauU Romus , à
quo Romandi. Ce sont ceux que Ptolomee descrit en sa
Cosmographie, en la Gaule Belgique : et les appelle Ro-
maudisses. Nous disons encores auiourdhuy la ville de
Niuelle estre située au Romanbrabant, à cause de la diffé-
rence du langage. Car les autres Brabansons parlent Thiois,
ou Teuthonique : Cestadire bas Alleman : Et ceux cy par-
lent le vieil langage Gallique, que nous appelions Vualon
ou Rommand. Et les vieux liures en ladite langue, nous
les disons Rommandz : Si comme le Rommand de la Rose.
Et de ladite ancienne langue Vualonne, ou Rommande,
s]iiGn«AJUTS2 Ml menu ufnm i. 105
iioug Tsons 6Q no6tre Gaule Belgique : Cestadire en Hay-
nau, Cambresis, Artois, Namur» Liège, Lorraine» Ardenne
et le Rommaabrabant, et est beaucoup différente du Fran-
çois, lequel est plus moderne, et plus gaillart. Il est don-
ques bien facile à conclure, que ladite langue Rommande,
ha prins sa dénomination du Roy Romus. Encores est en
Dauphiné vne bonne ville nommée Rommans, sur le fleuue
de Liseré, de la fondation dudit Roy Romus : et Valence
sur le Rhône, par interprétation, nest autre chose que Roma,
selon aucuns. Par ainsi Romus signifieroit vaillant. Mais
selon saint Hierome en linterpretation des noms Hébraï-
ques, cest autant à dire comme tenant haut et sublime.
Du temps du dessusdit Roy Romus de Gaule, commença
À régner en Phrygie, Erichthonius, âlz de Dardanus et de
la Royne Candauia sa femme et sœur, comme met Bocace.
laaoit ce que Diodorus Siculus, comme nous auons dit cy
dessus, met que la femme de Dardanus, fille du Prince
Teucrus, sappelloit Hatea : comme nous auons dit cy dessus.
De cela ie ny mets point de différence, car il nest pas im-
possible quil eust deux femmes. Cestuy Erichthonius fut le
premier des Roys Troyens qui commença à resplendir, en
félicité, et en richesse : comme met ledit acteur Diodorus
en son cinquième liure. Homère lappelle le plus riche des
hommes : Car il auoit trois mille chenaux paissans en ses
pastures. Il eut vn filz nommé Tros, ie ne scay de quelle
femme, lequel il laissa son successeur après auoir régné
Lxxv. ans, selon Archilocus en son liure des Temps.
Au mesmes temps, que le dessusdit Erichthonius com-
mença à régner sur les Phrygiens ou Dardaniens, qui puis
après furent nommez Troyens, commença aussi à régner
sur les Gaulois, quon dit maintenant François, le filz du
dessusdit Roy Romus, nommé Paris leur xvni. Roy, duquel
106 ILLTSTEÀTIOIIS DB GAVLB, ET
porte le nom iusques auioordhuy, la tresnoble cité Rojale,
assise sur le fleuue de Seine, qui conioint les Celtes auec
les Belges. Cest la tresheureuse Parisienne cite capitalle de
la couronne de France : mère et maistresse souueraine des
estudes de tout le monde, plus que iadis nulles Athènes,
ne nulles Rommes. De laquelle iay principalement succé
tout le tant (combien que peu) du laict de literature, qui
viuiûe mon esprit. (1) Et me tiens pour bienheureux, de ce
que ores il eschet que ie luy puisse rendre ceste grâce, que
dé declairer, premier que nul autre, aumoins que ie sache,
en nostre langue vulgaire, sa tresantique et tresueritable
origine. Laquelle fut, selon que ie puis cueillir par les dits
autentiques de Manethon d'Egypte , enuiron lxx. ans après
la première fondation de Troye par Dardanus : Qui est
depuis le déluge neuf cens ans. Deuant que Romulus in-
staurast Romme quatre cens quatre vingts et dixhuit
ans. Et auant lincarnation nostre Seigneur, mille quatre
cens et dixsept ans. Cest la vraye fondation de la cité de
Paris en France, laquelle est honnoree, du nom de son
Roy, après lequel régna son ôlz Lemanus, comme nous
dirons cy après.
(1) Témoignage curieux.
SraGVLàBlTEZ DE TROTE. LIVEB I. 107
CHAPITRE XVII.
Eoairon le temps que ledit Paris dixhuitieme Roy, regnoit snr les
Gaolois, Tros filz de Erichthonius commença à régner sur les Phry-
giens : et donna le nom à la cité de Troye, qui parauant se disoit
Dardanie. Et eut ledit Tros guerre mortelle à lencontre de Tanta-
1ns Roy de la haute Phrygie, son roisin, et aussi de Paphlagonie.
En laquelle guerre ledit Roy Tros perdit son bel enfant Ganymedas
frère de llus et Assaracus, desqnelz sortirent Laomedon et Anchises.
Et y sont aucunes fables poétiques exposées. Aussi est faite mention
danenns autres Roys de Gaule, contemporains à autres de Troye,
successeurs des dessusdits.
Régnant donques Paris duquel le nom est tant clarifié
sur la tresgenereuse nation Gallicane, maintenant Fran-
çoise, commença aussi à régner sur les Phrygiens, le tres-
renommé Roy Tros, ôlz de Erichthonius, qui fut filz de
Dardanus. Desquelz Dardaniens, ledit Tros changea le nom
en Troyens, qui tousiours ha depuis duré. Il agrandit sa
cité, et la nomma Troye, qui parauant se disoit Dardanie.
n eut trois enfans masles, llus, Assaracus et Gany modes.
Ledit Roy Tros hanta fort les armes, comme met Bocace
en son vi. liure. Et eut vne guerre par mer contre lupiter
troisième de ce nom, Roy de lisle de Crète, quon dit main-
tenant Candie, lequel portoit en ses armes vn aigle. Et
comme le Roy Tros et lupiter se fussent entrerencontrez
par bataille naualle, Ganymedes le plus beau iouuencel du
monde, suiuant son père, au tresnoble mestier des armes,
/
iOS ILLVSTRATIOnS DB GAfLI, BT
fat prins prisonnier par ledit lupiter. Et cest lopinion de
Fulgentius Placiades (l)en ses Mjthologies. Et àcestecause,
les Poètes ont trouue occasion de feindre, que lenfant
Ganymedes allant à la chasse, fut rauy par vn aigle, et
emporté au ciel. Si le feit lupiter eschanson des Dieux. Et
dit on, que cest Aquarius, lun des douze signes du zodiaque.
Les autres acteurs disent, que Tantalus Roy de la haute
Pbrygie, et aussi de Paphlagonie, tresmauuais et tresaua-
ricieux homme, combien quil fust tresriche, ayant en son
estandart vn aigle, rauit par aguet et par force ledit très-
bel adolescent Ganymedes, estant à la chasse : et lenuoya
par argent audit lupiter Roy de Crète. Laquelle chose est
assez vraysemblable, pource quil estoit voisin. Pour lequel
oultrage venger, le Roy Tros (comme Prince courageux et
hardy) liura vne forte et mortelle guerre audit Roy Tanta-
lus, tant quil chassa luy et son filz nommé Pelops, hors de
la haute Phrygie, et aussi de Paphlagonie, comme met
expressément Diodorus Siculus en son cinquième liure. En
fin, ledit Tantalus mourut meschamment. Et feingnent les
Poëtes que pour sa mauuaitié (2) et parfonde auarice, les
Dieux le condemnerent destre à iamais en enfer, mourant
de &im et de soif. lasoit ce quil soit en leaue iusques au
dens, et ayt vn pommier charge de pommes toucbfmt ses
leures. Son filz Pelops exillé et banny du Royaume paternel,
sen alla en Grèce, et y print femme, dont il obtint vn païs,
quil nomma de son nom Peloponnesus, quon dit présente-
ment la Moree subiette aux Turcz : de luy descendirent
Âgamennon et Menelaus qui depuis destruisirent Troye :
comme nous dirons en son lieu. Telz sont les diuers esbats
(1) F. PlaDciades, dâ Mythologia lihri très. Venet. 1495.
(2) maaTaistie (éd. 1512).
SmOTLAElTU DB TBOTB. LITâB I. 109
ie Fortane, de si long temps quil nest mémoire da con-
traire. Par ainsi le Roy Tros ayant perdu son ûlz Gany-
medeSy se reconfortoit à la vengeance quil en auoit prinse :
Et aussi à voir florir ses deux autres enfans Ilus et Âssa-
racus. De Ilus qui aussi se nomma Ilion, descendit Laome-
don père de Priam : Et de Âssaracus, Ânchises père d*Eneas,
comme nous dirons cy après. Et régna ledit Tros lespace
de Lx. ans, selon Ârchilocus.
Huit ans deuant que le Roy Tros regnast sur les Troyens,
comme met nostre acteur Manethon d*Bgypte, auoit com-
mencé à régner pardeça sur entre nous Qaulois le xix.
Roy nommé Lemannus, filz de Paris. Duquel Roy Leman-
nus, porte le nom le grand Lac Lemannus, quon dit main-
tenant, le Lac de Losanne, et de Geneue, duquel yst le
fleuue du Rhône. Parquoy il est facile à coniecturer quil
habita autour dudit Lac et fleuue. Et disent aucuns, que
les Âllemans, que nous disons Souyceres, portent le nom
dudit Lac. Combien que nous ne ignorons pas que des
yrays Allemans Germains leur xi. Roy eut nom Hercules
Âllemanus, comme nous auons touché cy deuant, là ou
nous auons parlé de la Déesse Isis, qui vint de son temps
en Âllemaigne. >
Encores du temps dudit Tros Roy des Troyens, régna
vn autre Roy en Gaule, filz et successeur dudit Lemannus,
qui fut leur xx. Roy et eut nom Olbius. Duquel il faut dire
quil fut merueilleusement puissant Roy, et grand conqué-
rant. Car Ptolomee en sa Cosmographie nomme plusieurs
citez de son nom, tant en Gaule, comme en lisle de Sar-
daigne, et au païs des Sarmates, quon dit maintenant les
Poulaques, ioingnans à Tartarie. Strabo en son quatrième
liure met vne cité nommée Olbia, entre Marseille et Nysse
ea Prouence. Et au septième liure vne autre Olbia en Tar-
no 1LLV8TIUTI0NS DE GAYLB, ET
tarie, à la bouque du fleuue Borysthenes, et met ainsi :
Urbs Olbia^ id est beata. Et au quatorzième liure il fait
mention dune autre cité de mesmes nom, située en Cilicie,
qui est vne prouince d*Asie la moindre, quon dit mainte-
nant Turquie. le ne scay bonnement si elles furent fon-
dées par ledit Roy Olbius, ou se son filz Galatas, duquel
nous parlerons cy après, les fonda en Ihonneur et au nom
de son père. Retournons maintenant à Troye.
Lan huit vingts et six, depuis la première fondation de
Troye par Dardanus^ commença à régner Ilus, ou Ilion,
filz du Roy Tros. Lequel à cause que son peuple croissoit
et multiplioit à merueilles, et que la première assiete dicelle
estoit au pié des montaignes Idées, loing de la mer, il édifia
vne grand cité beaucoup plus près de la marine, sur le
fleuue Scamander : et la nomma de son nom, Ilion : comme
met Diodorus Siculus en son vi. liure : Et en icelle regn&
pacifiquement lespace de lv. ans, selon lautorité d'Archi-
locus en son liure des Temps. Et eut vn filz nommé Lao-
medon qui régna après luy.
Assaracus fut frère dudit Roy Ilion, comme dessus est
dit, duquel nous nauons autre chose, fors quil engendra
Anchises père d'Eneas. Au temps duquel Anchises (comme
met frère laques de Bergame, en son Supplément des chro-
niques) florissoit au païs de Troye, et en vne cité nommée
Ancyre, vne des Sibylles, quon dit Phrygie : laquelle pro-
phétisa audit Anchises, que la cité d'Ilion deuoit périr. Et
à ceste cause, il abandonna Ihabitation de ladite cité, et sen
alla demeurer aux bois et aux montaignes, suiuant lestât
de pastourerie, comme cestoit la vocation des nobles hommes
du temps passé. Et repairoit voluntiers auec ses troupeaux,
sur le riuage du fleuue Simois, qui descend à Troye. Auquel
lieu la Déesse Venus senamoura de luy, et sapparut à luj
SINGVLARITEZ DE TROTE. LITRE I. 111
^n forme humaine : tellement quil engendra en elle Eneas^
duquel descendirent depuis les Rommains par son filz lulus,
uquel Iulius Gesar porta le nom. Tesmoing Virgile qui dit :
lalias à magno demissam oomen lalo.
Et disent les Poëtes, que pource que Ânchises se vanta
dauoir eu hantise auec ladite Déesse Venus, elle le priua
de la velie, et fut aueugle le demeurant de sa vie. Parquoj
il ne se trouua point en la guerre de Troye, nj au conseil
des Princes Trojens.
119 nXftTRATIOBS US 6ATLK, KT
CHAPITRE XVIII.
OaUUui le ieane xxi. Roy de Qaole, floriBsoît en grands vertaz, tant
de science de lettres, comme de conquestes lointaines : et eut m
ûh nommé Namnes, qni fonda la cité de Nantes en Bretaigne.
Enniron le temps que Laomedon fili du Roy Ilion et père de Priam
regnoit à Troye, ledit Namnes fondatenr de Nantes engendra Rhe-
mus zzii. Roy de Oaole. Lequel fonda la cité de Rheims en Cham-
paigne. En ces entrefaites Troye fut destruite, et Laomedon oods
par le petit Hercules Grec. Et fut Priam Roy des Troyens contem-
porain au Roy Rhemus de Gaule.
Si le Royaume de Troye alloit tousionrs florissant de
plus en plus, celuy de Gaule nalloit pas en abaissant : Car
après le dessusnommé Roy Olbius, régna son filz, xxi. Roy
de Gaule, nommé Galatas le ieune, à la différence de lan-
cien Galateus, filz du grand Hercules de Libye, et de Oala-
tee la belle Geande, dont nous auons fait ample mention
par cy deuant. Diceluy second Galatas nostre acteur Mane-
thon dit ces mots, bien dignes destre notez : Apud celtas
Oalatas iunior, qui idcit Sarmatas : et condidit Galatas
Asie. Voila en peu de paroles merueilleusement grand
effect et substance. Et dénotent, que ledit Galatas par sa
grand hautesse cheualeureuse, partant de son Royaume de
Gaule à tout grand armée, estendit ses conquestes, iusques
au païs des Sarmates, quon dit maintenant le Royaume de
Polone, et Rasie qui du nom dudit Galatas sappella Gala-
tie, comme met Raymond Marlian sur les Commentaires de
SniGTLARITBS DK TROTK. LITME I. 115
luliiis César. Et de là tira en Rousse, Prasse et Tartane :
là ou il vainquit et subinga tous ces peuples. Et de là
ysassL en Asie la Mineur, quon dit maintenant Natalie, ou
Turquie : et fonda le peuple des Galates, ausquelz saint
Paul escrit aucunes epistres. Et enseigna ausdits peuples,
les lettres et la philosophie de Gaule. Car (comme nous
auons dit cy dessus, en parlant du premier Roj et Saturne
de Gaule, Samothes, surnomme Dis) les Gaulois ont eu pre-
mier lettres que les Grecz. Et à ce propos dit frère Jean de
Viterbe, expositeur de Berosus : Neque Oalli à Oracis^
sedpotius à Oallis Asia et GreHa, cum Coloniis etiam
lUeras et disciplinas conseguiUa fuerunt. Et en vn autre
passage il dit : Xenophan quoque libro de œquimocis ait :
Cadmnm intulisse Crracia literas similes Oalatis et Mao^
nieiSj moffis quàm PAcmicibus. Igitur ante Oadmum
Juere litera, pkilosopMa^ carmina, theologia et leges^ Sis-
panis^ Oallis, Oermanis et Italie permulta secula et atates.
Certainement cest grand honneur et gloire à toute la
nation Oallique, quand le Roy Galatas non seulement vain-
quit les autres lointaines nations à force darmes, mais aussi
les dompta et surmonta par vertu de lettres et de philoso-
phie, et feit resplendir son nom par tout le monde. Et oul-
tre plus, porta tant dhonneur à son père, le Roy Olbius,
quen toutes lesdites contrées par luy conquises et subiu-
guees, il fonda citez, du nom de sondit père, comme cy
deuant est dit. Parquoy il appert, quil fut bien Prince
digne detemelle renommée. Et toutesuoyes ses hauts gestes
estoient perduz et enseueliz au gouffre dobliuion par lon-
gueur de temps, si le bon Manethon d'Egypte ne les nous
eust ramenteuz, par ce peu descriture, cy deuant mise.
Lequel par son histoire nous donne à entendre, que ledit
Galatas mourut, lan deuant que Laomedon commençast à
1. 8
114 ILLYSTRATIOlfS DB GAVLB, IT
régner à Troye. Parquoy on peult estimer quU régna enui-
ron cinquante ans. Et eut vn filz nommé Nanmes, duquel
nous parlerons, mais que nous ayons premièrement design^
le decours du règne de Laomedon cinquième Roy de Troye.
Laomedon filz du Roy Ilion, commença à régner à Troye
lan ccxxn. après la première fondation dicelle, par Darda-
nus. Il eut cinq enfans masles : cestasauoir, Priam, Titho-
nus, Lampus, Clytion et Letaon : desquelz Homère fidt
mention en son Iliade : et deux filles, Ântigone et Hesione.
Les poètes Grecz ont beaucoup menty de cestuy Laomedon,
disans que les Dieux Neptunus et Apollo, feirent marché
auec luy pour édifier les murs de Troye, moyennant cer-
taine quantité dor quil leur promit. Lesquelz murs acheuez
par iceux Dieux deuenuz massons, Laomedon ne leur tint
point promesse. Parquoy Âpollo courroucé, enuoya tantost
vne grand pestilence à Troye, et Neptune vn monstre
marin, auquel il failloit donner tous les iours vn enfant
Troyen pour deuorer, lesquelz enfans on eslisoit par sort.
Si tomba la maie fortune en parfin sur la belle pucelle
Hesionne. Laquelle liée contre vn rocher pour estre deuo-
ree par ledit monstre de mer, le petit Hercules Grec par
là passant, et allant auec lason à la conqueste de Colchos,
deliura dudit péril, et tua le monstre, par moyen que le
Roy Laomedon la luy deuoit donner en mariage. Et oultre
ce, luy promettoit aucuns chenaux de diuine semence. Mais
au retour de Golchos quand Laomedon deux fois pariure,
ne voulut point tenir sa promesse audit Hercules Grec,
ains comme met Diodorus Siculus en son cinquième liure,
voulut outrager ses ambassadeurs, ledit petit Hercules
occit Laomedon en bataille, destruisit et pilla sa cité. Et
pource que Thelamon son compaignon auoit fait vaillam-
ment à lassant, il luy donna pour esclaue et concubine, la
SUIGTLARITEZ DB TROTB. LIVRB I. 115
jpncelle Hesionne, laquelle il amena en lisle de Salamine,
dont il estoit Roj.
Toutes ces menterieset fictions Grecques, sont bien aisées
^ mespriser et annichiler par vne seule autorité de nostre
mcteur Manethon, lequel dit ainsi : Hercules AmpAitryanis
maseitur anno yi. Amenophis, lertii Zarthis Aegyptii :
^ixitfue annis lu. et periit igné. Primus ex maximis ptra-
tis. Par laquelle tant brieue autorité et tant pleine de sen-
tence, il appert, que si les Grecz pleins de mensonge et de
vaniloquence, attribuent les tiltres et les gestes du grand
Hercules de Libye, tant vertueux Prince à cestuj cy
(comme certes ilz font) cest faulsement et à tort : attendu
que ledit Grec, nestoit autre chose fors yn Pirate, larron
et escumenr de mer, homme de tresmauuaise vie, et qui
mourut meschamment. Comme celuy qui ne faisoit sinon
piller, rober et rauir nobles femmes par tout les riuages de
la mer : si comme Hesionne et Medee, et assez dautres.
Et qui tua Laomedon sans lauoir deffié. Et surprint Troye
à despourueu, sans la sommer, et non pas par tiltre de
ioste guerre, mais daguet, et de nùict, comme font larrons
nocturnes pour le pillage. Ainsi que soustient frère lean de
Yiterbe, expositeur de Manethon. laques de Bergame dit,
quen ce temps là Milan fut prinse et destruite par vn
Troyen nommé Palas.
Ainsi receut ce premier domms^e et infortune le Royaume
de Troye, par la trahison des Grecz. Et fut la belle He*
sienne emmenée. Laquelle chose causa la seconde et totalle
mine dudit Royaume. Laomedon fut occis lan xxxvi. de
son règne, selon Archilocus en son liure des Temps. Son
filz Tithonus sen alla chercher auenture comme cheualier
errant, poursuiuant les armes iusques aux Indes : et là se
maria à vne noble dame nommée Ida, selon Diodorus Sicu-
i16 ILLTSTRATIOlfS DB GATLE, ET
lus, et selon les Poètes Aurora : de laquelle il eut vn fllz
nommé Memnon, qui depuis vint au secours de son oncle
Priam, et y fat tué par les mains d'Achilles : comme nous
dirons en son lieu. Finablement ledit Tithonus fat mué en
vn Crignon, (1) selon les Poètes, et Antigona en Cicongne.
De tous les autres enfans dudit Tithonus ne se treuue autre
chose, sinon de t^riam son filz aisné et successeur, le plus
côngnu de tous les humains, duquel nous parlerons ample-
ment. Pourueu qu'ayons premièrement veu quelz Roys
florissoient en Gaule de ce temps.
Lan deuant que Laomedon commengast à régner à Troye»
selon nostre acteur Manethon, fat couronné en Gaule le
xxn. Roy, nommé Namnes, fllz du dessusdit grand conqué-
rant, Galatas le ieune. Duquel Namnes, nous auons autre
chose, sinon quil fonda la cité de Nantes en Bretaigne, et
régna XLini. ans. Et eut vn fllz nommé Rhemus, lequel
édifia la cité de Rheims en Cbampaigne, en nostre Gaule
Belgique, là ou les treschrestiens Roys de France sont con-
sacrez, et prennent leur couronne. Si commença à régner
iceluy Roy Rhemus, lan après la fondation du Royaume de
Gaule, neuf cens cinquante et trois ans : et après la fonda-
tion de Troye, cclxvii. et deuant la destruction de Troye,
trente ans. Si régna encores huit ans après icelle. Ainsi
appert que le Roy Rhemus commença à régner en Gaule»
dix ans après que Priam à Troye : et que la cité de Rhemus
fut fondée, enuiron le temps que Troye commença à pren-
dre sa destruction. Comme si Dieu voulsist que les nobles
Troyens laissassent Asie, pour venir habiter en Europe. Si
se taira icy le conte des Roys Galliques, dont nous auons
spécifié xxiii. Et est chose bien digne de noter, que de tous
(1) Cigale, crinchon en roachi.
SIHGVLÂEITEZ DE TROTB. UVRB I.
H7
l«s xxm. il ne sen treuue pas vn vicieux, mais tous Prin-
4^es de grand vertu, grans philosophes, grans conquerans,
^t grans edificateurs de citez et de villes. Et ne parlerons
]plus du Royaume de Gaule, iusques au troisième liure,
auquel nous dirons comment Bauo cousin germain de Priam
^int habiter en Gaule Belgique, et Francus filz d*Hector»
en vne autre partie de Gaule.
118 aLTSTHATlONS DE 6AVLB, ET
CHAPITRE XIX.
Du commencement da regpae de Priamue à Troye, au tempi duquel
regnoit en la haute Phrygie Bauo son cousin germain, lequel depuU
vint habiter par deçà en nostre Gaule Belgique : Et fonda la iadia
tresgrande cité de Bauais en Hajnau, et selon aucuns Beauuais en
Picardie. Et comment le Roy Priam restaura sa cité de Troje^
destruite par le petit Hercules Orec, et amplia grandement sa sei-
gneurie, et multiplia sa lignée en grand prospérité.
Or met Bocace en la généalogie des Dieux, que Priam
fliz aisné de Laomedon estoit ieune enfant, quand il perdit
son père. Et dit, que le petit Hercules de Thebes lemmena
prisonnier : mais depuis, sa rançon fut payée par ses su-
bietz et voisins. Et pource fut il appelle Priamus : cesta-
dire, racheté. Et (1) allègue sur ce pas Seruius commenta-
teur de Virgile. Diodorus Siculus met dautre part, que Priam
estoit en ladite prinse : mais pource que Hercules entendit
que ledit Priam auoit tousiours esté dopinion et conseillé à
son père Laomedon quil contentast ledit Hercules, et gardé
quil ne traitast mal ses embassadeurs, à ceste cause il sem-
bla audit Hercules que Priam estoit preudhomme et iuste :
et luy remit en ses mains le Royaume de Troye. Mais
pource que les Grecz ont tousiours parlé à leur auantage,
ie croiroye beaucoup plustost lautorité de Dares Phrygien,
qui met expressément, que pendant ce que ledit petit Her-
(1) « Boccace cite là-dessus Serrius. »
SUIGYLARlTfiZ DB TROTK. UYBI I. 119
cales desroba Troye» Priam estoit en la haute Phrygie, là
oa son père laaoit constitué chef dune armée. Si ne peut
^enir à temps à son secours : car parauenture plustost ouyt
ii les nouuelles dudit inconuenient, que de lentreprinse
diceluj.
Et à ce propos, maistre laques de Guise, homme de
merueilleuse literature (l)et diligence à inuestiguer les anti-
quitez de nostre Gaule Belgique, met au commencement de
son premier liure des chroniques de Belges, que au temps
que Laomedon fut tué, et sa cité destruite par le petit Her-
cule de Thebes, surnommé Âlceus, regnoit en Phrygie,
cestasauoir la haute (car Laomedon regnoit en la basse) vn
Prince nonmié Bauo, filz de la sœur légitime de la femme
dudit Laomedon, père de Priam. Par ainsi le Roy Priam,
et le Roy Bauo, estoient enfans de deux sœurs. Lesquelz
estans pour lors ensemble en ladite haute Phrygie, quand
ilz furent aduertis de la piteuse mort du Roy Laomedon,
de la désolation de Troye, et de la captiuité de la pucelle
Hesionne, ilz en menèrent vn merueilleux dueil. Et deslors
feirent vne forte alliance ensemble.
Iceluy Roy Bauo, cousin germain de Priam, le plus sage
Prince de tout son temps, estoit grand Astronomien, Magi-
cien, et Nécromancien : dont il ne se faut esmerueiller.
Car on treuue que les Princes dadonques mettoient fort
leurs estudes en telz sciences. Comme nous auons monstre
cy dessus du grand Hercules de Libye, et de Dardanus. Et
sur ce propos est à noter, que au temps iadis, cestoit chose
fort honnorable aux Princes de sauoir lart Magique, laquelle
comprenoit trois sciences principalles : Cestasauoir, Reli-
gion, Medicine, et Astronomie. Esquelles trois le sage Roy
(1) Même sens que Tanoien letreUre.
190 nxTsnuTiOM m gatlb, ibt
Salomon estoit par&it et accomplj. Et à oeste cause, ladite
art Magique fat iadis en grand reaerence et dignité, enoers
les Rojs et Princes dorient, et mesmement ceux de Perse,
lesqnelz (comme met Philippe Beroald, (1) au commencement
des commentaires de lasne doré) ne pouuoient régner sor
les Persans, silz nestoient introduits en ladite science :
Tellement que les enfiins du Roj y estoient endoctrinez de
leur prime ieunesse. Laquelle chose iaj voulentiers redtee,
à fin quen lisant le deuxième et troisième liure de ce vo-
lume, on ne sesbahisse pas de la Nécromancie (2) et Astro-
nomie dudit Roj Bauo, dont illecques sera souuent mention
feûte.
Reuenant donques à nostre propres, ledit Roy Bauo feit
alliance perpétuelle auec son cousin Priam : et luy promit
ayde et asisistenoe à tousiours, et de toute sa puissance
enuers tous et contre tous. Et lors Priam print congé de
luy et vint voir les ruines de sa cité de Troye en la basse
Phrygie : Là ou il feit en grand dueil et magnificence tout
ensemble les obsèques Royaux de son père le Roy Laome-
don. Et esleua sa sépulture hautement dessus vne des por-
tes de la cité de Troye : Laquelle porte estoit nommée Scea.
Puis recueillit son peuple dispersé çà et là : et print posses-
sion de son Royaume désolé, lan après la première fonda-
tion de Troye par Dardanus, cclyii. Depuis le déluge vni-
uersel, onze cens quatre vingts et sept. Qui fut auant lin-
carnation nostre Seigneur, onze cens et trente ans : Et ains
que Romme fust fondée, huit vingts et dix ans : Apres la
création d*Adam le premier homme, deux mille huit cens
quarante et trois ans : Estant iuge sur les enfans dlsraël
(1) B«roaldo l'ancien, professeur à l'UniTersiU de Bologne.
(2) Nigromancie (éd. 1512).
SniGTLARITEZ M TROTI. UYEB I. iSl
Tola : Régnant en Egypte Amenophis : En Italie, Picos
le ieone, père de Faunos : En Gaule Namnes, comme nons
auons dit par cy deuant : En Athènes Egeus, père de The*
8eu8 : et an Royaume de Mycenes, Atreus, père d'Agamem-
non et Menelaus.
Orée meit le ieune Roy Priam, le plus beau, le plus noble,
et le plus courtois Prince du monde, à restaurer en grand
diligence sa cité bruslee et démolie. Et pour mieux resis*
ter contre les (1) ennemis, print alliance auec yn puissant
Prince nommé Cypseus selon les aucuns, ou Dymas selon
les autres, Roy de Thrace, qui est vne prouince de Grèce,
deçà la mer Hellesponte : dont le chef est maintenant Gon-
stantinoble. Si espousa sa fille nommée Hecuba, belle Prin-
cesse â merueilles, grande, brune, et droite, vertueuse et
débonnaire : comme met le noble historien Dares de Phry-
gie. De laquelle il eut xix. enfans légitimes, tant masles
que femelles. Laquelle chose estoit vn grand fournissement
de bienheurté mondaine. Et oultre ce, eut il dautres di-
uerses femmes et concubines, faisans résidence en son palais
selon la manière d'adonques, autres xxxi. bastardz et bas-
tardes : qui faisoient en tout le nombre de cinquante en-
fans, louxte ce que dit Virgile au deuxième des Eneïdes :
Qoinquaginta iUi thalami, spes tanta oepotum.
Et Homère aussi le tesmoigne semblablement au dernier
liure de son Iliade.
Troye donques ainsi redoubleement fortifiée, embellie,
ampliee, enrichie, peuplée, garnie de toutes choses faisans
à la guerre, et autrement : Cestasauoir de riches temples
(1) Ml (éd. 1512 et 1588).
\
\
122 ULYSTRATIOlfS DB GAYLB, ET
pour la culture des Dieux, et multipliée en tant que cestoit
lune des principales citez du monde, voire et telle que par
les respons des Dieux elle estoit asseuree destre à iamaûi
imprenable et inexpugnable, pourueu que les trois destinées
dicelle fussent songneusement gardées et preseruees :
Comme met Seruius expositeur de Virgile : et Bocaee le
recite en son sixième liure de la Généalogie des Dieux :
Cestasauoir tant quilz feroient bonne garde de limage de
t^allas, nommée Palladium : Tant que le sépulcre de Lao-
medon, qui estoit dessus la porte Scea, demoureroit en son
entier : Et tant que Troilus seroit en vie. Par ainsi le Roj
Priam bien songneux de garder ces trois choses, et comme
asseuré de non iamais les perdre, resplendissoit en grand
triomphe et admiration de tous ses voisins. Si prospéra en
si merueilleuse afHuence de richesses, quil agrandit son
tenement par adionction de neuf prouinces. Tellement quil
ne sembla point seulement estre Roy de Phrygie, mais seul
dominateur de toute Asie, quon dit maintenant Natalie ou
Turquie : et réputé Roy des Roys, comme met Strabo au
XIII. liure de sa Géographie, disant ces mots par exprès :
Priamus magnus ex paruo : et rex regum effectus.
Et non seulement estendit il son empire en terre ferme,
mais aussi bien auant en mer : car lisle de Tenedos, et lisle
de Methelin, estoient subiettes de sa couronne. Parquoy
comme il fust ainsi exalté au plus haut throne de sa fortune,
plusieurs Princes d'Asie et d'Europe, priuez et estrangers,
se reputoient bienheureux dauoir son alliance. Et à ceste
cause il maria presques tous ses enfans hautement. Creusa
lune de ses allés légitimes, fut assignée au Prince Eneas,
filz d'Anchises son parent : Astyoche à Telephus, Roy de
Mysie. Et Hector print en mariage Andromacha, fille du
Roy Ection de Thebes en Cilicie. Et Polydamas lun des
SIH6VLARITEZ DB TEOTB. LIYMB I. 133
enfans d'Ântenor, voulut bien espouser Lycastes la bas-
tarde, pour lamour de sa beauté extrême. Aussi plusieurs
des autres furent bien richement colloquees, comme on
verra cy après. Mais de ce nous tairons nous, iusques à ce
que le conte sadressera à les ramenteuoir : et dirons prin-
cipalement de lenfant Paris, qui fut cause de mettre toute
ladite grand félicite du Roy Priam, en perdition et ruineux
infortune.
124 IU.TSTRATIONS DE GAVLE, ET
CHAPITRE XX.
D68 Tisions nocturnes, manuais présages et deainemens sinittiMi qui
précédèrent la naissance de lenfant Paris, filz de Priam et de la
Rojne Hecuba. Cestasauoir que par son mojen seroit mise Troje
en totalle ruine. A cause dequoj, ledit Roy Priam ennoya an tem-
ple d*Âpollo en Delphes : Auec description dudit temple, et de aes
circonstances. Et de la response de TOracle. Ensemble déclaration,
comment Paris fut condamné par ses parens, d*estre occis incon-
tinent après sa natiuité, à fin deuiter linfortune. Ce qui ne fut
point exécuté, ains fut sauué du consentement de sa mère, et
enuoyé secrètement pour estre nourry, es montaignes Idées, aaec
les pasteurs du Roy.
Gicero, acteur tressuffisant, en son liure de Deuination, (1)
recite que la Royne Hecuba compaigne du Roy Priam,
estant enceinte du cinquième de ses enfans masles (qui puis
fut appelle Paris) 7eit vn songe en son repos, par lequel il
luy sembla quelle enfantoit vne torche alumee, toute san-
glante, qui brusloit et enflamboit la cité de Troye : Et
aussi fait Ouide en lepistre d'Helaine à Paris, disant :
Fax quoque me terret quam se peperisse cruentam
Ante diem partus est tua visa parens . (2)
(1) Divination (éd. 1512 et 1528).
(2) pentamètre ajouté par l'éd. 1549.
SINQYLARmZ BB TROTB. U?BS 1. 425
Dictis de Crète, au troisième liure de son histoire Troy-
enne, met quelle songea enfanter vn flambeau, dont le feu
brusioit toute la grande forest Ida, et la flambe esparse
embrasoit tous les temples des Dieux, et redigeoit en cen*
dre la grand cité de Troye, sans dommager toutesuoyes les
maisons d'Antenor et Anchises. De ce songe après son reueil
la Royne Hecuba fut toute triste et le recita au Roy Priam
son mary. Semblablement en ce mesme temps, comme
raconte Seruius en son comment sur les Eneïdes de Virgile,
Thymates fllz bastard du Roy Priam, et dune sienne con- '
cubine nommée Arisba, lequel estoit grand Augure, Denin,
et Astronomien, prédit et prognostiqua à son père Priam,
que dedens peu de iours naistroit vn enfant, par lequel
Troye pourroit yne fois estre destruite. Aussi feit Calchas
archiprestre du temple d*Apollo, et grand deuinateur de
Troye. Disant clerement que la cité d'Ilion seroit arse et
bruslee par feu venant de Grèce. Pour ces choses de tres-
mauuais présage, et signification, Priamus fort douteux et
pensif, nensuiuit point lopinion de ceux qui disent que
songes ne sont que mensonges, et que par art de Deuination
et astronomie, on ne peult auoir aucune congnoissance des
choses aduenir : ainçois comme Prince gamy de grand
prudence quil estoit, feit faire sacrifices publiques, en tous
les temples de la cité, et à ce conuoqua tous les sages
Augures, Prestres, Arioles et Vaticinateurs quil peut. Si
trouua par leur conseil, quil deuoit enuoyer promptement
certains sages personnages, meurs, entenduz, et à ce con-
gnoissans au temple d'Apollo en Delphes pour en sauoir
laueuture asseureement.
Delphos est vue cité située en vne contrée de Grèce,
appellee Phocide, en la prouince de Locres : comme met
Pline au troisième chapitre du quatrième liure de Ihistoire
126 ILLVSTRÀTIONS DE GAYLB, ET
Naturelle, contingue au Royaume de Beotie, (1) non pas fort
loiûg d* Athènes. Et est ladite cité assise au pied du mont
Parnassus, et arrousee du fleuue Cephisus : comme sera
dit plus à plein en nostre œuure de Grèce, et de Turquie.
En celle cité auoit' pour lors vn temple de grand somp-
tuosité, et encores de plus grand vanité et superstition. Car
en iceluy estoit adoré, Phebus ApoUo, le Dieu de deuina-
tion, selon lerreur des anciens : lequel rendoit response de
toutes choses douteuses, du parfond dune caueme souzter-
raine. Parquoy les Roys et Princes prochains et loingtains
y alloient ou enuoyoient communément» pour auoir aduis
sur leurs affaires, et y donnoient grans dons, et offrandes.
Tellement, que cest chose increable des merueilleux trésors
et statues dor et dargent massif, qui estoient en iceluy : et
dura long temps en bruit : comme on peult voir par Ihistoire
de Herodotus Halicarnasseus, qui toute en est pleine. Mais
pour la conuoitise des richesses infinies qui là dedens es-
toient, les Princes estrangers et circonuoisins le pillèrent (2)
souuent. Mesmes Xerxes Roy de Perse, quand il enuahit
Grèce, le voulut violer et despouiller : mais il en fut re-
tardé par grans signes et prodiges. Mesmement pource que
deux merueilleuses roches tombèrent du haut mont Par-
nassus. Semblablement aussi le Roy Brennus et les Gaulx
Senonois qui destruisirent Romme, excepté le Capitole,
après ce quilz se furent transportez en Grèce, cuiderent
piller ledit temple, en commettant sacrilège, mais ilz y
furent tous foudroyez, comme recite Yalere. (3)
Et de Delphos fut la Sibylle nommée Delphique, laquelle
(1) Boôtie (éd. 1512 et 1528).
(2) piUoient (éd. 1512 et 1528).
(3) Valère-Maxime.
SniGVLARITBZ DB TROTB. LIVRB I. 127
:florit mille deux cens cinquante et cinq ans auant lincar-
nation nostre Seigneur, et prophétisa beaucoup de choses
concemans nostre foy : Mais ânablemeni iceluy oracle sane-
antist, tellement que des le temps d*Octouien, il nen estoit
plus nouuelle : comme met Strabo. Neantmoins autres ora-
cles furent en grand estime en diuers temps : Si comme
celuy aussi d'Apollo en lune des isles Gyclades, nommée
Delos, auquel Eneas, après la captiuité de Troye, alla pour
estre informé de ses destinées. En laquelle isle, Latona
enfanta Phebus et Diane. Guy de la Colomne (1) qui composa
en Latin celle destruction de Troye, quon lit vulgairement,
met et cuide estre ledit temple et cité de Delphes, en ladite
isle de Delos : Mais cest pour ce quil ignora la Géographie :
oestadire la situation de la terre, à cause dequoy il ha son-
nent failli, comme on peult entendre. Et est la raison pour-
quoy nous nous sommes vn petit arrestez à descrire ledit
Temple et cité de Delphes. ;
De ce temple donques dessus spécifié d'Apollo en Del-
phes, pour lors estant en grand reuerence et estimation,
les ambassadeurs enuoyez par Priam, rapportèrent res-
ponse correspondante à ce que Thymetes, Calchas, et les
autres sages Deuins, et Augures en auoient dit : cestasa-
uoir, que le premier enfant qui de là en auant naistroit au
Roy Priam, sil estoit produit en nourriture, seroit cause
de la totalle destruction de Troye, et de la ruine de ses
Pergames : cestadire des murs dicelle. Lors Priam acer-
tené de son meschef, fut plus angoisseux que deuant. Et
après longue délibération, conclut auec la Royne sa femme,
que attendu les mauuaises destinées prétendues, ce nestoit
(1) Gaido Colonna (cf. A. Jolj, Benoist de Sainte More, Introduc-
tion.
point chose idoine» de nourrir vn tel enfant, ains valoit
mieux quil mourust ieone» que par luy aduinst la destmc-
tion de son païs» et de ses parens. A quoy la Royne per-
suadée par paroles, et pour crainte du danger apparent, se
consentit flnablement, et promit ainsi le faire.
Venu le temps denfanter, elle feit vn beau fik, selon la
reqK)nse de loracle. Si aduint que ce mesme iour aussi en-
fiuita la femme de Thjmetes bastard de Priam, lequel auoit
prognostiqué (comme dessus est dit) que certain iour nais-
troit TU enfimt dont Troje periroit. Or feit ladite femme
yn tûz, lequel Priam commanda estre occis, comme il
anoit fait du sien. Et oultreplus, feit aussi tuer la mère,
qui fut vne chose inhumaine. Et ne treuue on par escrit,
que le Roy Priam commist iamais cruauté, que oeste là.
Toutesfois aucuns tiennent, comme met Bocace, au vx.
linre de la Généalogie des Dieux, que iceluy Thymetes nés-
toit point bastard de Priam, mais seulement mary dune
femme nommée Ârisba, laquelle ledit Roy entretenoit. Quoy
que soit, iceluy Thymetes print si grand desplaisir de la
mort de son filz et de sa femme, et aussi de ladultere com-
mis en icelle part par Priam, que depuis il conspira auec
les autres en la trahison de Troye. Comme met Seruius,
sur le comment du tiers liure des Eneïdes. Mais retournons
à la Royne Hecuba.
Quand elle voit lenfant quelle auoit fait, si beau, si doux
et si débonnaire, ainsi comme mères par naturelle incli-
nation sont piteuses et tendres de leurs enfans, elle mua
son propos de le faire mourir. Et non ayant regard au
digiger futur, postposa (1) la promesse quelle auoit faite au
(1) J. PalBgrave (éd. Gënin. p. 608) dit : « / levé aspde. — C'est
le plaisir du roj que, toutes anltres choses postposôes, cest homme
tojt délivré ou condempné. »
SIHQYLAIITEZ DB TROTB. UVBB I. 129
Hoy. Si le print entre ses bras, et tout ploarant disoit :
las, mon doux cher enfant, que peux tu auoir perpétré en
fi ieane aage, contre la souueraineté des Dieux, quand ilz
tont prédestiné à si mauuaise auenture? Qui pourroit
iamais croire que par toy, qui es si beau et de regard si
begnin soit vne fois Troye destruite? Dont lasse moy,
dolente, il ha fallu pour ceste crainte que ie me aoye obli-
gée, par promesse et serment inhumain, de te deffiiire et
absoonBer en ténèbres mortelles, ains que à peines ayes eu
loisir de Toir la lumière de vie. Si ne voy en ce cas appa-
rence du monde, de vérité (sauue la paix des Dieux). Car
si tu estois bossu, contrefait et monstrueux, il y auroit
quelque coniecture de malice en toy. Mais ainsi mayt la
Déesse luno Ludna, (qui mha esté propice à mon enfante-
ment) ie ne veis onoques si belle créature. Et en ce disant,
les souspirs et les larmes luy entrerompoient la parole.
Alors lune des plus graues et plus anciennes matrones,
laquelle estoit dame dhonneur de la Royne, et luy auoit
baillé lenfant à tenir, va dire : Madame, pose ores que tu
ayes promis au Roy, de le faire destruire, pour le contenter,
et pour aucun fol deuinement parauenture que les Prostrés
en ont peu faire : serois tu pourtant si inhumaine, si
cruelle, et si desnaturee, que tu oubliasses la propre nature
de mère, la ou tu vois, que les Ourses, les Tygres, les
Lyones et les Louues ne le font point : Certes ie ne sau-
roie croire, que les Dieux toussent tolu ton bon sentement
iusques là, pour te faire homicide de ton propre sang. Ne
vois tu comme il te rit : Ne considères tu, que cest la sub-
stance de tes entrailles : commande tant que tu voudras
quil soit occis et mis à mort, tu ne trouueras ame de nous
toutes estans icy, qui seuffre que tu soyes obeïe en ce :
non pas si le Roy mesmes le nous commandoit expresse-
I.
130 ILLYSTRATIONS DB GAVLB, ET
ment sur noz vies, aincois le garantirons de toutes noz
puissances : et parauenture aussi le fait il pour essayer ta
constance et pitié maternelle. lay veu en aucun temps quon
me reputoit quelque peu congnoissante en la physiognomie
des enfans nouueaux nez, mais si ie ne me mesconte, il est
facile à iuger en la face de cestuy, quil est mieux taillé de
seruir vne fois la Déesse Venus en matière damours, que le
Dieu Mars au fait de ses batailles, ne de faire la guerre si
auanty que iusques à destruire ce beau Royaume. Mais
encores pour acquiter ta clémence et debonnaireté en tous
endroits, ie te diray vn expédient qui se pourra faire. Moy*
mesmes (sans ton commandement de bouche) feray bailler
lenfant à nourrir hors de la cité, sans que le Roy en sache
rien, et le recommanderay aux Dieux. Et si cest leur plai-
sir de lappeller en lautre monde, au moins auras ta satis*
fait au commandement de ton seigneur, sans en auoir ta
conscience chargée, ne tes mains polues de son sang. Et sil
vit aussi, ce sera à dire que par trait de temps, les desti*
nées auront fait leur cours, et que lors seurement le pour-
ras faire rappeller céans, sans doute daucun inconuenient,
à la grand ioye et soûlas du Roy ton espoux.
Ce conseil fut tantost approuué par la commune sentence
et ratification de toutes les dames assistantes. Et fut conclu
entre elles, quon bailleroit lenfant à nourrir secrètement à
lun des pasteurs du Roy qui gardoient les troupeaux au pied
des montaignes Idées : comme ces choses sont approuuees
et autorisées par Dictis de Crète, en son troisième liure.
Adonc la dame dhonneur appella lune des plus féales et plus
secrètes femmes de chambre de la Royne. Et en sa présence
luy ordonna de prendre vne autre femme de leans auec
elle, ensemble vn varlet pour porter celeement et sans bruit
lenfant nouueau né dedens son riche berseau en tàcon
■'•»
SIlfGVLÂEITEZ DE TROTB. UYRB I. 131
comme si ce fust autre chose, au principal des pasteurs du
Roy, lequel elle luy nomma et désigna par certaines ensei-
gnes : ce que ladite femme de chambre acompaignee (comme
dessus est dit) feit diligemment et par bonne astuce. Or
est asauoir, que anciennement Tauoir des Princes consistoit
plus en nourriture de bestail, quen or, et en argent : com-
me il appert des Patriarches Abraham, Lotb, lacob, lob,
Moyse, le Roy Dauid et autres, dont lancien Testament fait
mention.
Quand le bon pasteur Royal et sa femme, desquelz les
noms ne sont point recitez par les acteurs, yeirent lenfant
enuelopé de tant riches acoustremens, ilz le receurent moi-
tié en ioye, moitié en doute : Cestasauoir en ioye, pource
quil estoit si beau : et en doute, pource quil leur sembloit
Tenir de trop grand lieu, et ne sauoient comment ilz sen
deussent cheuir. Toutesuoyes ilz sapenserent que quelque
gentilfemme amoureuse, de Thostel de la Royne, le pourroit
bien auoir emprunté dauantage, ainsi quil auient bien
aucunesfois par quelque coup demeschef à lemblee.(l)Si déli-
bérèrent de le nourrir songneusement, comme leurs propres
enians, ainsi que la femme de chambre le leur ordonnoit et
recommandoit. A laquelle chose ilz furent de tant plus
enclins, comme la souueraine grâce et beauté de lenfant les
y esmouuoit, laquelle oultre mesure leur estoit agréable. Et
de bien yenir, (2) la femme du pasteur estoit nouuellement
releuee dun beau filz : Si présenta incontinent la mamelle
à reniant Royal, et des lors le print en telle amour, quelle
délibéra de faire alimenter le sien propre par yne autre
nourrisse.
Ce temps pendant la Royne Hecuba auoit ordonné aux
(1) eUMdcitinemnU. ^ (^)par bonheur.
ISS 1LLT8TRAT10MS DB GAVLB, BT
autres dames et matrones qui la seruoient en gesine, de
tenir ceste chose secrète sur leurs vies, pour doute du Roy :
et quelles eussent toutes bonne bouche, (1) quand dauentore
le Roy se viendroit enquérir délies quest deuenu lenfant :
et elles le feirent tresbien. Car quand ce vint que Priamus
le leur demanda, elles eurent toutes incontinent larmes à
commandement en grand abondance, comme celles qui
feingnoient auoir pitié et horreur, de lordonnance que la
Royne auoit fait de loccire. Et le bon Roy voyant leur pleur
ne peut oncques contenir le sien, ains se destouma dillec,
sans en parler plus auant, et sen alla larmoyant et couorant
sa £ace auec grand force de souspirs, en blasmant la mal-
heureuse fortune du poure enfant, aussi tost mort que né,
comme celuy qui cuidoit ainsi auoir esté fait. Si feit par
tout courir la voix, que la Royne auoit auorty. Laquelle
chose si elle eust esté vraye, et que ses larmes eussent esté
iustes alors, cestadire si le Roy Priam neust point esté
deceu en ce quil auoit commandé, il eust beaucoup espar-
gné de celles quil respandit depuis en sa triste vieillesse,
meslees en son propre sang : Et la mère trop piteuse, nen
fust point morte de desespoir et douleur enragée, comme
elle feit après. Dont pour la corroboration des choses des-
susdites, Euripides poète Grec, translaté en Latin par
Erasme de Roterodam, dit en la Tragédie dlphigenia, et
en la personne dicelle, par manière de condoléance :
Proh proh tectse niuibus rupes,
Atque Idœi Phrygise montes.
In quo8 olim Priamus tenenim
Pater infantem exposait, matre
Procul amotam, vti morte periret Paridem, etc.
(1) être bien stylées.
SIN6VLAR1TBZ DR TROTE. UVRS I. 135
CHAPITRE XXI.
De U première imposition et etjmologie da nom de lenfant Paris, filz
de Priam et de . Hecuba. De la progression de son enfance, aaeo
description locale, du territoire de Troas, en la région de la basse
Phrjgie. Des montafgnes Idées, des fleuues Simois et Scamander :
De la sitoation de Troje et de Cebrine : et des esbatemens inné-
niles, et ezeroitations de lenfant Paris, qui furent de grand louenge,
aaeo plusieurs incidens seruans à la louenge de Troye.
La femme de chambre assez sage et discrette, laquelle au
partir neut pas loisir de sauoir comment il plaisoit à la
Royne que lenfant fust nommé, auoit (de son propre mou-
uement et autorité, et selon lauenture de lenfant) com-
mandé au Pasteur quil lappellast Paris : cestadire, pas-
sant. Car parimi (1) en Grec, signifie en François, ie passe.
Ainsi que met Vbertin sur le comment de lepistre de Paris
à Heleine. Et pource que lenfant auoit passé lauenture de
la mort, elle luy feit donner le nom de Paris, combien que
aucuns y assignent autre interprétation. Or fut il nourry
pastoralement es bordes champestres des bergers. Et par
trait de temps deuint grandet, tant quil pouuoit aller, et
commençoit à parler. Sa nourrice, il lappelloit sa mère, et
le mary délie son père, et leurs enfans ses frères et sœurs,
non sachant auoir parens de plus grand sorte. Les enfans
des autres bergers estoient ses cousins et ses compaignons.
(1) Kàpti/u,
134 ILLTSTRATIOMS DE 6ATLE, BT
Plus venoit en auant, et plus croissoit en beauté singulière.
Et auec ce, estoit doux, plaisant, et débonnaire à merueil-
les : parquoy il estoit aymé parfaitement non sans plus de
ceux qui le nourrissoient, mais aussi de tous ceux qui le
Yooyent et congnoissoient.
Passé laage denfance qui de soymesmes est imbecille, et
venu en puérilité laquelle est vn peu plus ferme. Nature
laquelle il auoit sortie bonne et bénigne au ventre Royal de
sa mère, luy administroit agilité et force correspondante ft
sa beauté. Si commença à aller aux chanfps garder les bes*
tes, auec ses frères et compaignons. Et pource quil estoit san-
guin, (1) ingénieux et bien complexionné, tout ce quil veoit
faire aux autres il lapprenoit de léger, voire et en brief les
surmonta, aumoins ceux de son aage, fust à ietter la pierre
ft la main, et à la fronde, à tirer la boule, à luitter, à cou-
rir, à saillir, ou à noer, aussi à sonner cors, chalemeaux,
harpes, reberbes, (2) et musettes pastorales. Et souueraine-
ment à tirer de lare, au plus loing et au plus droit, à che-
uaucher et dompter chenaux. Et aussi il fut quelque peu
instruit en lecture et en escriture.
Brief à tous les ieux, esbatemens et doctrines ausquelz
les petits ieunes bergerets sont introduits, et ont accous-
tumé de faire, il y estoit propre, ardant et esueillé. Et
non content de seiour, (3) quand il pouuoit auoir licence de
ses parens putatifz, tousiours estoit inuenteur de quelque
nouuelle emprise, consonant à lestude des bergers : en
esmouuant ses frères et compaignons ou à aller cueillir les
houx piquans en la forest, pour faire du gluy à prendre
(1) vif. en anglais sanguine (Palsgrave, p. 265).
(2) rebdcz {éd. 1528).
(3) c.-à-d., délai, repos; mais Yéd. 1512 porte : de ee jour.
SUIGVLARITBZ DE TROYB. U?R8 1, 135
les petis oiselets ramages, (1) vestuz de diuerses couleurs de
plumettes, ou à tistre flletz pour les deceuoir en chantant,
ou faire cages pour les garder et nourrir. Âucunesfois luy
et eux grimpoient sur les hauts arbres pour desnicher les
pies, les chauuettes, les iays et les coquus. Ou ilz alloient
tout coyement parmy les humbles buissonnets chercher les
nyz des chardonnetz et des lynottes. Ou autresfois ilz sur-
montoient les dangereux rochers aguz et mal rabotez, pour
trouuer les gistes (2) et tanières des escuireaux faitiz , des bel-
les martres, des fouynes, ienettes, (3) hérissons, et blanches
herminettes, et emportoient leurs faons auec eux. Et pour ce
fSetire, sans precogiter les dangers des autres cruelles bestes
sauuages de la montaigne (car tel aage est tousjours aueu-
gle et inconsidéré) Paris sauenturoit le premier à descendre
dedens les parfondes cauernes des hautes forestz. Autres-
fois il montoit légèrement sur les fructueux arbres en la
saison, et iettoit à ses compaignons des rouges cerisettes,
mesples, sorbes, cornilles, franches meures, chastaignes,
caroubes, pignoUes, noisettes, et maintes autres sortes de
fruits agrestes dont la région abonde : et puis il les menoit
baigner au fleuue Xanthus, autrement appelle Scamander,
lequel court aual la prairie tout du long de la valee. Mais
à fin que Ihistoire soit mieux entendue, nous declairerohs (4)
icy la situation dudit fleuue, et de la montaigne Ida, et
demonstrerons à lœil, lassiette de la grand cité de Troye,
et du païs circonuoisin : lequel est en Asie la moindre,
quon dit maintenant Natalie ou Turquie.
(1) sauvages ; cf. chant, ramage dans Marot.
(2) gestes (éd. 1512). gystee (éd. 1528).
(3) genette, espèce de fouine.
(4) noos déclarons et demonstrons (éd. 1512).
136 1LLTSTRAT101I8 DE OAf LE, BT
Le territoire de la région de Troas en Phrygie, est asais
sar la mer Hellesponte, laquelle se nomme i présent le
bras saint George, et sépare Asie dauec Earope, est en
partie montueux, et en partie planier, comme met Stralx)
en sa géographie. Les montaignes sappellent Idées, tresno-
bles, et tresrenommees par les poètes et historiens, dont
la pins eminente sappelle Gargarus, et estoient ancienne-
ment dédiées à Jupiter. Or lesdites montaignes Idées de
Phrygie sont fort fertiles et de grand estendue, plaisantes
an regard, bien garnies des (1) herbages et pasturages, et
toutes renestues de hautes forestz, comme tesmoigne Homère
en maints lieux de son Iliade. Si occupent lesdits monts
Tne grand contrée tout du long de la Marine dun costë, et
vontfineràla prouince de Mysie. Et estoient pour lors
tontes habitées et peuplées de gens, villes et citez, tant au
pied comme au sommet dicelles. Lesquelles appartenoient
pour la plus part aux eufans de Priam, Anchises et Ante-
nor. Et es lieux ou lesdites montaignes sont plus vmbra-
geuses de Pins et de Chesnes, elles sont bien fournies de
sauuagine. (2) Et en tous endroits dicelles sourdent fontaines
et ruisseaux en grand abondance : comme met Strabo reci-
tant les vers d'Homère :
Venimus in plenam venatu et fontibns Idam.
Plusieurs âeuues aussi saillent dicelles, dont il en y ha
deux plus renommez : lun sappelle Xanthus ou Scamander,
et lautre Simois. Lesquelz sortans de diuers lieux et en-
droits desdites montaignes, et loing lun de lautre, se vien
(1) de (éd. 1512).
(2) bétes fauves.
SOfOULARlTlZ im TROIS. UYBB I. 137
it finablement rencontrer en la plaine de Troye, laquelle
lia grand et plantureux espace entre la mer, et les monts.
JBt en icelle planure estoit assis le chef de tout le Royaume,
le noble Ilion, la grand cité de Troye, à mille et cinq cens
pas de la mer, comme met Pline au cinquième liure de
Ihistoire Naturelle, en lieu amené et fertile, autant quon
«aoroit souhaiter. Et aussi en ladite plaine furent faites
toutes les batailles merueilleuses dentre les Grecz et les
Troyens, durant le siège. Et rougist souuentesfois le fleuue
Xanthus, du sang des occis : et fut vne fois si plein de
corps, quil en surmonta ses riues, et sespardit parmy la
diampaigne, comme met Homère, au xxi. de l'Iliade.
Or après que iceux deux fleuues ont meslë leurs vndes
ensemble, Simois perd son nom, et Xanthus demeure vain-
queur, et passe parmy la cité de Troye faisant vn lac au
dessouz dicelle, entre la cité et la mer. A cause que ledit
fleuue ameine des montaignes grand sablon, et estouppe les
bouques par ou il entre en la mer : Lequel lac ou palu sap-
pelle Palescamander, comme met Strabo. Et va finable-
ment tomber en la mer Hellesponte, assez près de la ville
et port de Sigee, ou depuis Achilles eut sa sépulture. Ice-
luy port de Sigee, se nommé ainsi pour le silence du petit
Hercules, auquel le Roy Laomedon dénia ledit port, dont
Hercules mal content, dissimula liniure et sen teust, sans
vser de menasses : mais puis il retourna, et sen vengea
durement. Laditte ville de Sigee estoit le port, haure et
station de toutes nauires et fustes (1) marchandes, venans à
Troye. Et illec faisoit le Roy Priam armer et esquipper ses
naux de guerre, quand il entreprenoit aucune chose.
Parquoy il appert, que pour lopportunité du lieu, et
(l) Cf. Dncangevo/mto.
iS8 ILLYSTRATI0N8 DE GAYLE, ET
pour lamenité de la situation, on ne sauroit souhaiter plus
beau ne meilleur que celuy là ou Troye estoit assise et édi-
fiée royalement. Et pource se glorifioient ceux du païs, tant
tant pour la béatitude du lieu, comme pour la somptuosité
des édifices : disans que les puissans Dieux Neptunus et
Âpollo, auoient de leurs propres mains construit leurs Per-
games : cestadire, les murs de la cité de Troye : desquelz
auiourdhuy on ne voit plus rien, sinon quelque peu de
vieilles ruines. Et encores suis ie dopinion, que ce nest
point du remanant de la destruction faite par les Grecz,
mais plustost des reedifications, qui depuis y ont esté
faites. Car Alexandre le Grand, Roy de Macedone, et
monarque du monde, en faueur des vertuz d*Hector, la feit
reedifier, comme tesmoigne Strabo en sa Géographie.
Depuis elle fut derechef destruite par Fimbria questeur
Rommain, du temps de Mithridates Roy de Ponte : Gesta-
sauoir enuiron lxix. ans douant lincarnation nostre Sei-
gneur : comme met laques de Bergame, en son Supplément
des chroniques. Et puis elle vint es mains de Sylla, lequel
repara la cité, et consola les Iliens ou Troyens de beaucoup
de bénéfices. Et depuis aussi Iulius César monarque des
Rommains, print la cure et la solicitude de ladite cité, et
leur donna plusieurs grans priuileges. Et ce feit il, tant
pour ensuiure la magnificence d'Alexandre le grand, duquel
il estoit studieux imitateur, comme pource quil estoit des-
cendu en droite ligne d'Eneas Troyen. Mais tout cela nha
point eu de durée tesmoing Lucan, qui dit :
Ac tût a teguntor
Pergama dumetîs, etiam periere ruinas.
Icy ha assez couleur et matière pour seruir à lenhort et
8I1I6VL1EITEZ DB TROYB. LITBB I. 139
admonestement de noz Princes Troyens : cestadire Chres-
tiens, à ce que par efifect ilz désirassent et sefibrcassent de
recouurer leur patrimoine héréditaire d'Asie la Mineur,
qnon dit maintenant Natalie ou Turquie : et daller voir le
païs Natal, iadis du grand Roy Priam de Troye, et du
Prince Hector, qui furent les vrays sourgeons de toute
noblesse : et reuerender leurs tombeaux, à lexemple de
plusieurs puissans Princes, lesquelz ont fait le semblable :
Si comme Xerxes, le grand Roy des Persans, lequel ains
quil passast son armée en Grèce, voulut contenter son
regard du noble territoire de Troye : Monta sur les mu-
railles ruineuses pour spéculer toute la pourprise à lenui-
ron, en laquelle tant de hauts et excellens hommes auoient
autresfois exercé leurs prouesses raerueilleuses. Puis après
sacrifia auec ses Princes et satrapes, mille bœufs à la
Déesse Minerue, en Ihonneur et reuerence diceux vaillans
hommes trespassez, comme met Hérodote au sixième liure
de son histoire.
Pareillement Alexandre de Macedone, allant en ses con-
qnestes d'Asie, voulut voir la sépulture d'Hector : Et lors
esmu et stimulé de la gloire Hectorienne, publiée et esclar-
cie par le poëte Homère, sescria hautement : fortunate
aiolescens, quem talis tuba decantauit. Et depuis retour-
nant dune grand victoire offrit plusieurs riches dons en vn
temple de Pallas, lequel estoit situé au mesmes lieu ou fut
iadis le palais de Priam. Et en oultre, ledit Roy Alexandre
remit sus la cité d'Ilion, comme met Pape Pie (1) en la des-
cription d'Asie.
Iulius Gesar aussi, après la bataille mémorable des champs
Pharsaliques, se tira oultre la mer Hellesponte en Phrygie :
(1) Pie II (iSneas Sylvias Piccolomini) .
140 11AT8TRÂTIOM8 Dl «àTLB, BT
Et par grand curiosité, auec reuerence et admiration, visita
les glorieuses antiquitez de Troye, comme recite Lucan en
son IX. liure. Si dressa ledit César vn autel, auprès de la
tnmbe d*Hector, feit illecques sacriâce solennel. Et pource
quil estoit du sang Troyen, promit et voua lors, de faire
reediâer et repeupler la cité de Troye, par les Rommains.
Ce quil meit depuis à efiect, comme met Strabo au xni.
liure de sa Géographie.
Nous lisons oultreplus en la description d*Europe, faite
par le dessusnommé Pape Pie, que quand lempereur Con-
stantin le grand, eut prins sa délibération de céder Romme
au Pape saint Syluestre, et transporter le siège de lempire
Rommain sur les marches d'Orient, il choisit sur tous les
lieux du monde la tresrenommee région de Troye. Et de
fait, en la mesmes champaigne ou les Grecz plantèrent leur
siège, il commença les fondemens dune treçgrande cité.
Mais après ce que par vision nocturne il fut admonnesté
daller ailleurs, retourna arrière, en Grèce : et au lieu quon
disoit iadis Byzance, fonda la iadis tresflorissante (et main-
tenant très misérable) cité de Constantinoble. Or retournons
maintenant à la description de nostre territoire de Troye.
Au pied desdites montaignes Idées, à costé dextre, et à
quatre ou cinq lieues de Troye, selon ce quon peult coniec-
turer par les dits de Strabo, y auoit vue bonne ville, nom-
mée Cebrinia, située en la belle plaine sur le fleuue Xan-
thus ou Scamander, qui sépare la marche Cebrinoise dauec
le territoire des Sepsiens qui sont delà le fleuue, tirant en la
montaigne, comme met celuy Strabo au xiii. liure de sa
Géographie. Et semble vouloir, que ladite cité et contrée
de Cebrine fust subiette pour lors à Hector aisné filz de
Priam. Laquelle chose est assez vraysemblable, veu quil
dit aussi que la région prochaine nommée Dardanie, estoit
SJIIGYLARITEZ DE TROTE. LIVRE I. 141
du domaine d'Eneas âlz d*Ânchises, et des enfans d'Ante-
nor, ainsi que par tiltre dappennage. Aussi dit iceluy Strabo
en ce mesme passage, que iun des bastards de Priam estoit
appelle Cebrion, et auoit prins sa dénomination de ladite
cité de Cebrine, ou de la marche circoniacente. Par lesquel-
les choses on peult imaginer, que parauenture la mère dudit
Cebrion estoit de Cebrine, et aussi que le Roy Priam luy
auoit assigné aucun estât et entretenement audit lieu de
Cebrine, du vouloir et consentement d'Hector qui en auoit
le tiltre, et lusufruit. Car Hector aymoit fort ledit Cebrion
pour sa vaillance. Tellement que iceluy Cebrion le seruoît
communément daurigateur, cestadire de conduire ses che-
naux et son chariot, quand il alloit en bataille, comme met
Homère au vni. de l'Iliade. Or combatoient ilz en ce temps
là BUT chariotz, comme sera dit plus amplement cy après.
Par ainsi il faut conclure, que Hector et son frère bastard
Cebrion, souz luy auoient totale prééminence en la cité et
marche Cebrinoise. Et à ce nous arresterons nous, car il
seruira cy après. Ainsi en icelle contrée, pource quelle est
grasse et herbue et bien fertile sur le riuage de deçà le
fleuue se tenoient la plus part du temps les pasteurs gardans
les troupeaux du Roy. Et quand leur pasturage estoit failli
en la valee, ilz montoient en la montaigne .
Or pour reuenir à lenfant Paris et à ses compaignons
(comme dit est) ilz se baignoient souuentesfois au fleuue
Xanthus, dit Scamander, et le trauersoient à no : ou ilz se
plongeoient dedens nageans entre deux eaues : et peschoient
au long des riuages les escreuicettes fourchues et rétrogra-
dantes. Puis après Parisse mettoit à luyter tout nud auec les
plus forts sur Iherbe verde, ou à tenir le pas quon appelle le
croc madame, (1) ou faisoit partie aux barres, au bricoteau (2)
(1) croc et hanche (Littré).
(2) lricotia%i hiïboiia%^ en rouchi m jeu de palet.
14i ILLVSTRÂTIONS DE GàTLE, ET
et à la paulme. Âucunesfois cueilloit des cannes longues et
des grans roseaux : puis comme capitaine diuisoit ses gens
par bendes, et les faisoit marcher les yns vers les autres à
grand criz et huees^ à manière dune iouste ou tournoy.
Âutresfois luy et eux sessajoient à faire soubressauts, et
plusieurs tours de soupplesse. Ou ilz sailloient bayes et fos-
sez, et couroient qui mieux mieux, du long de lapree. Alors
les belles Nymphes et les Fées du païs Cebrinois descen-
doient de leurs montaignes, vuidoient hors de leurs fleuues
et fontaines, abandonnoient leurs forestz et bocages, et
leurs diuers repaires pour venir voir la grand beautë de
Paris. Si le monstroient lune à lautre, par admiration.
Car il estoit blanc comme le noyau de la noix, et auoit les
cheueux dorez, crespes et recercelans. Les membres pleins,
bien faits et bien tournez, selon son aage, et nestoit rien
si beau en ce monde. Et pource conspiroient elles aucunes-
fois, si elles eussent osé, ou si elles leussent trouué seul,
de le rauir et emmener auec elles : comme les Nymphes du
païs prochain de Mysie auoient âutresfois rauy le bel enfant
Hylas mignon d'Hercules, allant à la fontaine : et la Fee
nommée Salmacis, laquelle iadis auoit par force ioint auec-
ques elle le iouuenceau Hermaphroditus, qui se baignoit en
sa fontaine. Paris et ses compaignons voyoient bien lesdi-
tes gracieuses Nymphes et Fées parmy les saulx, les arbres
et les buissonnets, mais ilz nen osoient faire semblant, ne
les araisonner aucunement : pource quilz estoient surprins
de iuuenile honte : et pource aussi quil leur sembloit que
cestoient Demydeesses.
En tous les esbats dessusdits, lenfant Paris demouroit le
plus souuent maistre et vainqueur, et emportoit le prys
par dessus ses compaignons. Lesquelz neantmoins nen pre-
noient aucune hayne, despit ou enuie contre luy. Car il
SIRGYLARITEZ DE TROTE. LIVRE I. 143
auoit ceste grâce et douceur, que quelque chose quil feist,
combien qui! feist mieux que les autres, si nen prenoit il
aucune fierté, insolence, arrogance ne maistrise sur eux,
ains les excusoit quand il leur mescheoit de faillir ou estre
Taincuz, et souuent leur en donnoit le los, le prys et Ihon-
neur. Et par ce moyen il gagnoit si fort leur amour, quilz
ne labandonnoient iamais : et lappelloient leur Roy et leur
Capitaine. Si le tenoient pour leur Demydieu : ne ilz
nauoient ne bien ne ioye, silz nestoient en sa compaignie.
Et quand dauenture il sourdoit quelque petit débat, ou
question entre eux, ilz len faisoient communément iuge et
arbitre. Et il auoit si grand sagacité dy mettre tousiours
bon appointement, que lune ne lautre partie ne trouuoit
iamais occasion de se mescontenter. Par ce moyen il print
le nom et bruit de bien iuger et iustement de toutes choses.
Bt pource selon aucuns fut il appelle Paris,. cestadire met-
tant parité et accord entre les parties ; combien que ie croy
mieux que son nom prend et reçoit plus tost etymologie
Grecque, comme dessus est dit.
Les autres bergers du Roy, pères et parens des compai-
gnons de Paris, voyans la beauté diceluy, ses mœurs et ses
inclinations si bien conditionnées, ne cessoient de le louer :
et disoient souuent par ieu, au pasteur qui le nourrissoit,
que vrayement Paris nestoit point sien, et que sa femme
lauoit emprunté ailleurs : car il ne resembloit en rien les
autres. Et le bon homme sen prenoit à rire, et sa femme
aussi, bien ioyeuse douyr ses louenges : car elle laymoit
mieux que les siens propres. Et en ce poinct Paris passa
son enfance, sans ce que la Royne Hecuba sa mère le veist
oncques. Mais bien sauoit elle tousiours par gens interpo-
sites de son estre et de son portement : sans toutesuoyes
en oser faire aucun semblant du monde : car elle crain^
144 ILLTSTRÀTIOIfS Dl GàVLB, BT
gnoit trop doffenser le Roy son seigneur. Neantmoins elle
proposa bien à par elle de trouuer quelque fois manière
quand il seroit grand, de le faire reuenir à Ihostel. Et ce à
son grand dommage, et destruction finale, comme plus à
plein sera déduit cy après.
SQIGTLIRITEI DE TIOTB. LIYBB I. 145
CHAPITRE XXII.
Recitation des actes louables de ladolescence de Paris, et de ses iaae-
niles exercices en la vie pastorale. Et comment lancien pastear
Royal, son père pntatif, linstiniisoit sagement en la noble art et
pratique de bergerie et dagricultnre.
Le temps coulé si légèrement quon ne sen donna garde,
que le noble enfant Paris commença à approcher laage
dadolescence : Gestasauoir, quatorze ou quinze ans : auquel
temps dame Venus iointe auecques nature, commença &
faire sentir ses ardantes estincelles. Mais pource quil pas-
soit son temps en tous bons exercices et œuures labourieu-
ses, il ne luy challoit destre amoureux, combien quil y
Teist assez de ses compaignons occupez, et que maintes ber-
gerettes ses voisines fussent attaintes de son amour, et luy
feissent beaucoup de familiarité, et de beaux semblans : en
le requérant et semonnant souuentesfois de chanter auec
elles, dancer au viroly, (1) ou iouer de la harpe, ou faire
quelque autre esbatement : mais Paris sen passoit de léger :
et neantmoins en toute gracieuseté leur vouloit complaire.
Or deuenoit il fort et robuste à merueilles, de bonne taille,
ample corpulence, et large croisure, et prenoit tousiours
(i)DocaDge ▼. FiVoZt; danse en rond, sartont A la St-Nicolas.
Vntlai désigne quelquefois une ancienne danse de chasse on Pair de
«elto danse.
I. 10
146 ILLVSTRÂTIOMS DE 6ÀVLB, IT
accroissement, autant en puissance et vigueur, comme en
beauté corporelle. Si sesuertuoit à toutes bonnes choses
sans estre nullement oiseux : Cestasauoir à charpenter
logettes ou maisonnettes, quon appelle Bordes portables,
qui sont de fust, assises sur quatre roues pour les mener
là ou onveult. Et senties habitacles des bergers aux champs,
depuis Printemps iusques en la an d*Âutonne. Âutresfois il
semployoit à faire clayes de verges et gaules, entrelassees
ensemble par industrie, pour clorre les parcs des ouailles :
ou à tistre paniers dosiere et fiscelles de ionc, pour former
les molz froumages : et autres semblables choses, desquelles
il faisoit présent à sa mère putatiue.
le dira; icy par manière dincident, quil me semble en ce
cas auoir grand matière de rire : considérant les fûts ridi-
cules de Fortune la diuerse. Laquelle pour demonstrer
combien grande est sa puissance trop licentiee, se ioue
orendroit à faire occuper le âlz du plus grand Roy d*Âsie
en telz poures négoces pastoraux, et le tient encores cou-
uert en poureté (non ignoble toutesuoyes, mais assez libé-
rale) pour le manifester cy après quand son plaisir sera :
A fin quil soit instrument de la destruction du règne pater-
nel. cruelle moqueresse du genre humain ! faulse détes-
table belue ! Cest exemple suffit assez, pour auoir congnois-
sance pleniere de ta mobilité redoutable, et malicieuse eau-
telle.
Ainsi passoit son temps le iouuenceau Paris, ignorant
les hautes fortunes aduenir : et apprenoit lart et mestier
de bergerie, souz le bon pasteur son père putatif. Lequel
ayant les cheueux tous blancz, et la barbe meslee de véné-
rable vieillesse, aucunesfois les iours de feste se reposoit en
lombre dun tilleul ou dun ormel bien large et bien fueillu,
auec les autres bons hommes ses voisins : et faisoit asseoir
singvlaritéz db trote. livre I. 147
^eaant luy, et alentour ses enfans, ses neueux et le beau
Paris : Et comme le bon précepteur en vne escole enseigne
ses disciples, il leur lisoit debonnairement vne leçon de sa
science Ruralle, et ilz lescoutoient songneusement : Si
disoit en ceste manière,
Mes chers enfans, ma douce nourriture, puis que ainsi
est que la prouidence et bonté du Dieu Pan, et de la grand
Déesse Pales, nous ont appelle en ceste vocation pastorale,
tant noble et tant honnoree, cest bien raison que non seule-
ment nous mettons peine à lexercer deiiement, mais aussi
que nous labourons, à ce que noz postérieurs la maintien-
nent en sa dignité : lay bien osé dire dignité tout à essient :
et encores quand iauroye dit maiesté, nul ne men sauroit
reprendre. Car ie soustiens, que ce labeur cy nest pas seule-
ment Royal, mais plustost vne occupation deïflque. Et quil
soit vray, vous deuez sauoir que iadis le Dieu Âpollo mes-
mes garda les bestes du Roy Admetus de Thessale, par les-
pace de neuf ans. Et Anchises, qui est auiourdbuy lun des
plus puissans Princes de ce Royaume, exerça long temps ce
tresnoble mestier sur le fleuue Simois qui nest pas loing
dicy. Et se y porta tellement, que la Déesse Venus daigna bien
sacointer de luy, tant quil engendra en elle le fort Eneas,
gendre du Roy Priam. Et encores du temps présent, cest
la manière de plusieurs nations prochaines et loingtaines,
quelles eslisent leurs Roys et leurs gouuerneurs de telz gens
que vous estes : Pource quil leur semble quil nest point de
plus libérale entremise, de plus iuste acquest, ne de plus
parfaite générosité, que de pastourerie.
Vous donques qui estes tous pasteurs Royaux, et dignes
destre Roys à vn besoing, perseuerez en vostre affection
courageuse à ceste doctrine. Et quant hautesse de cœur ne
vous y esmouoroiti à tout le moins vous y doit tirer le
148 ILLTSTRATIOHS DB GAVLB, BT
I
proufit qui en vient. Et fait à considérer, que la renenue et
lutilité est si grande et si fertile, quil nen est point de sem-
blable. Car à fin que ie me taise de plusieurs autres menus
prouâts, tout premier la culture des Dieux vous en est plus
facile, moins coustengeuse, et à eux plus agréable. Car des
meilleurs et plus beaux aigneletz que vous prenez en toz
mesmes troupeaux, sans les emprunter dailleurs, tous en
fiEtit sacrifice agréable , et offrande légitime aux Dieux
supérieurs et inférieurs. Et de voz ouailles, moutons et
brebis prenez yne fois lan la laine, et la tonsure, dont on
fait la fine draperie : laquelle par noble artifice reçoit tein-
ture de maintes riches et diuerses couleurs. Si comme des-
carlate, de migraine, de pourpre et de cramoisy. Et se
peult tistre et figurer variablement, auecques le fin or
traict, dont puis après voz Roys, voz Princes et Princesses,
et voz souuerains Prostrés se vestent et se décorent : mieux
que de soye, qui nest que fiente de vermine. Et les somp-
tueuses tapisseries qui sont faites de là laine de voz bestes,
aoment les murs des Temples diuins, et les parois des pa-
lais Royaux. Oultreplus, des peaux de voz ouailles à tout
leurs toisons espesses et drues, vous ne vous pouuez bonne-
ment passer. Car elles vous arment contre la froidure
yuemalle. Et aucunesfois en faites voz liz et couuertoires
pour euiter la malice et la durtë de la terre. De la chair et
des entrailles, nostre syre le Roy et la Royne auec noz
Seigneurs leurs nobles enfans, et généralement tous les
citoyens de Troye, en prennent vigoureuse substance, et
alimentation nécessaire. Et nous mesmes en sommes re-
fectionnez. Et consequutiuement toutes autres choses par-
tàns de voz bestes à laine, sont pleines de bien, de proufit
et de remède : depuis la moindre iusques à la plus grande.
Ce sont les proufits de voz bestes lanigères : lesquelles lu-
SniaTLÀElTEZ DE TROTB. UTRB I. i49
*
piter le souuerain des Dieux ha tant voulu honnorer, quen
son temple d*Âphrique il se fait adorer en forme dun mouton
oomu. Et la noble conqueste de lason en Colchos, prend
son fondement dun mouton à la toison dor, qui resplend
maintenant au ciel, faisant lun des douze signes du Zodia*
que. Pareillement tous autres foucqz (1) et troupeaux de voz
autres bestes bouuines et cheualines sont de grand vtilite et
reuenUy et bien agréables aux Dieux immortelz : excepté
les boucz puans, et les cheures gayes et lasciues : qui sont
haïes du Dieu Bachus et la Déesse Minerue, pource quelles
broutent et gastent de leurs dens outrageux les vignes et
les oliviers. Or donques mes chers et bien ajmez enfans, si
nostre estât de bergerie, ainsi comme ie dis, est totallement
fondé sur honneur et sur prouât (dont lun ne peult estre
sans lautre) honnorez le, et il vous prouâtera. Et imaginez
que vostre manière de viure, nest autre chose fors le vray
exemplaire dun Royaume, et vue espèce de régime politi-
que dune chose publique. Certes mon filz Paris, quand ie
te voy aller aux champs au mylieu de tes frères et compai-
gnons le plus haut et le plus eminent de tous, tu me sem-
blés représenter, et me souuient lors de la noble personne
du Prince Hector enuironné de ses frères et de sa baron-
nie, quand ilz marchent ensemble armez aux behours et
tournoyemens. Car les fers de voz lances, qui sont voz hou-
lettes cleres et bien aguisees aux grosses hantes de mes-
plier, tresluisent au soleil tant que mes yeux en esblou-
issent. Voz blancz rochetz de cotonine, ou de belle toille,
resemblent cuirasses polies. On oyt de loing le cliquetis
de voz hamois, ce sont voz boitelettes, voz coutelets, voz
ciseaux, voz estuyts dalesnes et deguilles : et aussi voz
(1) aatrefbis/ofe, troupe.
180 ILLTSTEÀTIOlfS DE OAYLE, KT
foaets et corgies, et voz riches panetières bien garnies qoi
pendent à voz belles ceintures. On se resueille au son de
Toz deres trompettes* ce sont voz fluttes, voz dougaines, (1)
et Toz ioyeuses musettes. On prise voz guides et hérauts :
ce sont voz moutons sonnailliers, lesquelz en lieu de cottes
darmes ne portent sinon leurs toisons houssues et vne clo-
chette de bonne resonnance. On estime aussi voz gardes, voz
descoureurs, et auanteoureurs : ce sont voz chiens loyaux
et bien abayans, armez de gros coliers cramponnez de
pointes de fer, sur les platines, fermans à belles charnières.
Et puis on regarde par admiration le nombre innumerable
de vostre grosse armée : Ce sont voz ouailles, voz moutons,
TOZ brebis, voz aigneaux, et voz cheures, voz veaux, voz
bœufz, et voz toreaux, qui sont diuisez par esquadres, bon-
des et compaignies, cestadire par foucqz et par troupeaux.
Dont lune partie fait làuangarde, lautre larrieregarde, et
lautre la bataille. Et vous comme bons capitaines et con-
ducteurs de guerre, auez lœil veillant par dessus tout, à fin
que les ennemis, cestasauoir les loups, les leucerues, les
leopars, les lyons, et les ours de la montaigne, et aussi les
fueillars et larrons nocturnes, nentament voz esles, et vous
£Bissent dommage. Ainsi triomphe paisiblement vostre noble
exercite, et vous en acquérez louenge et gloire. Mais
comme les Princes et bons gensdarmes se gardent dentrer
en bataille, ains quil ayent eu response des oracles des
Dieux, ou des Prophètes astrologues et vaticinateurs : aussi
ne vous deuez vous aduenturer de vuider hors de voz re-
paireset herbegeries, (2) ny aussi seiournerenicelles, si vous
nestes premièrement certiorez de la tempeste ou sérénité
(1) douceifie, doukemer, ap. Dacange y Dulciana.
(2) herbegerierea (ëd. 1512), herbergeries (ëd. 1528).
SmGVLABITBZ DE TROTB. UYBE I. 151
:dtur6, par consultation faite auec voz propres deuins et
^tugures familiers. Entre lesquelz les Estourneaux, le Héron
^t TAronde diuersement volans, ou desiouchans de leur
siège et pasture, vous sont bien propices. Si les deuez son-
gneusement entendre et considérer. Et aussi le sifflement
du Huas, quon dit Mylan ou Escouffle, le tonnement du
Butor, le iargon du Pyuert, le caquet de la Pie, le cry de
la Corneille, et le maintien de la Verdiere. Mais encores
nauez vous point de plus vray prognostiqueur, que yostre
mouton débonnaire , nommé sonnaillier, ou clocheman,
lequel vous deuez assoter par mignotise, et souuent luy
ofirir du pain. Car au moyen de sa bonne nature, il vous
donra tousiours certaines enseignes du beau temps ou de
la pluye aduenir. Encores deuez vous tant sauoir de philo-
sophie naturelle, que vous ayez notice de la qualité de tous
les vents, procedans des quatres parties du monde : Cesta-
sauoir Orientale, Occidentale, Méridionale et Septentrio-
nale : Dont les vns sont enclins à causer niebles pluuiales,
et coruscations tempestueuses : Et les autres à clarifier la
région aërine. Les aucuns tendent à chaleur, les autres à
froideur, et les autres à attrempance. Laquelle différente
congnoissance vous est souverainement nécessaire en toutes
les saisons de lan. Ainsi sermonnoit au ieune Paris et à ses
autres enfans, le bon vieillard plein daffection beniuole, en
les encourageant à ce noble labeur : et oultre ce leur en-
seignoit les signes et les remèdes de diuerses maladies qui
molestent et malmainent les bestes de toutes espèces. Et
principalement leur monstroit comment ilz deuoient fîiyr
le pasturage des mauuaises et venimeuses herbes ameres et
dangereuses. Et en oultre le bon pasteur Royal tresexpert
en tout art dagriculture et de labourage, informoit ses enfans
de la conduite et nourrissement de toutes autres bestes
151 ILLT8TRÂTIOII8 DB 6ATLK9 BT
bouines, cheaalines* asinines^pourcelines et camelines,
quelz consiste la grand richesse de lestât pastoral. Et mesme-
ment leur deuisoit plaisamment de la nature et propriété des
mouchettes industrieuses : et de la manière de les preser-
uer de tous inconueniens dedens leurs ruches et catoires. (1)
Esquelles de la substance des flourettes cbampestres, elles
amassent vn grand trésor de miel et de cire. Ou à fin quilz
ne ignorassent rien de ce que bons bergers, et agricoles
doiuent sauoir» il leur monstroit à cultiuer iardinages, et
y planter, enter, et greffer diuerses espèces darbres, tant
fructueux, comme voluptueux : cestadire dont on recueille
aucun prouât, ou délectation. Et par ainsi à tout conclure,
il designoit, que le vray pasteur Royal en toute perfection
ne doit auoir seulement la figure et représentation dun
Roy, à cause quil régit les troupeaux : ou dun Prince,
pource quil est le premier : ou dun Capitaine, entant quil
est le chef de ses ouailles : mais aussi doit estre philosophe,
cestadire amateur de sapience : et médecin. Car cest son
office de curer les vices de ses bestes, et les entretenir en
santé. Et père de famille, car sa charge est de pourueoir à
ce que rien ne leur faille. Et laboureur, pource quil ne doit
iamais estre oiseux. Et hortolan, car il doit discerner le
bon plantage arrière (2) du mauuais, attendu quil est disci-
ple de Minerue la prudente Déesse, qui planta première-
ment la fructueuse oliue.
(1) en rouchi, paaier pour les abeilles.
(2) à part, en dehors, à côte, de côte.
SnSVL&UTBZ !>■ TKOTE, UfU I. iSS
CHAPITRE XXIII.
Des antres labeort et oocopations gentiles de lenfant Paris : meame-
ment & la grosse chasse. Et de la première vaillance quil feit en
reconurant son bestail, contre vne manière de gens appeliez Scep-
siens, qui est illec spécifiée. Et da grand les quil acquit à cette
canse, aaec le surnom d'Alexandre,
Les iovrs de feste et de repos que le noble enfant Paris
ne vaquoit aux actes dagriculture et de pastourerie dessus
mentionnées, il alloit en la montaigne cueillir les bons ifz,
pour faire des arcs à lu; et à ses compai gnons, et du firesne
pour faire dards et flesches : et des plumes de cygnes et
des oyes saunages quil tuoit sur le fleuue Scamander, il en
faisoit les empenons. Et auoit lindustrie de les sauoir tour-
ner, polir, coler et neruer, mieux que nul autre. Et quand
il auenoit dauenture que quelque beste (1) affamée viuant
de proye, descendoit de la montaigne, pour faire son effort
dassaillir autour des parcs aucunes bestes de la bergerie,
cestoit tousiours le premier qui les reboutoit et persecutoit
à force de dards et de flesches. Si luy print courage de
sessayer à plus grands choses : cestasauoir, aller chercher
icelles criminelles bestes en leurs repaires mesmes : laquelle
chose nestoit pas de petite difSculté. Si en prenoit il ainsi
grand enuie, pource quil lauoit yeu faire aux autres plus
aagez de luy. (2)
(1) hesUt supprimé en éd. 1512.
(2; que luy (éd. 1528).
154 ILLnTRATIONS DB GATLB, ET
Admonnestant donques ses frères et compaignons d<
semployer à ce déduit, par instinct de noble nature, iL
estoit tousiours le premier et le plus prest à leur monstrer
le chemin. Et entreprenoit à chasser, non seulement les
bieures aquatiques, les conilz terrestres, les Heures crain-
tifz, les dains légers, les chamois bien saillans, les cheureux
habiles, (l)les cerfz cornuz, les porcz espicz armez de nature,
les renards fins et rusez : mais aussi les chats saunages,
dangereux de longle, les léopards tresapres, les bouques-
tains impétueux, les rengiers (2) bien cheuillez, les sengliers
rudes et fort dentez , les panthères diuerses, les tigres
redoutables, les loups familleux, les terribles loups cer-
uiers, les fiers lyons, et les cruelz ours. Ses compaignons
auoient la charge des limiers, des leuriers, des brachetz,
des allans, des chiens courans, et des mastins : et aussi des
toiUes, des hajes, des huées et des fumées, et autres offices
de chasse. Et il auoit le cor pendu en escharpe, pour son-
ner les mots qui seroient nécessaires. Lare turquois en
main, et le carquois au costé, pour tirer aux bestes quon
ne pourroit auoir à course de chiens, ou de gens. Aucunes-
fois lespieu trenchant sur lespaule, et les dards affilez en la
dextre, pour aconsuiure, retenir, et enferrer toutes bestes
rousses et noires, légères et orguilleuses. Et tellement
exploitoit, quil ne luy venoit beste au deuant, quelque hor-
rible ou merueilleuse quelle fust, quil nattendist hardiment
sans frayeur, ou quil ne rataingnist du pied ou du dard, et
quil ne desfist en la fin par quelque manière, principale-
ment du traict. Car de tous les hommes qui furent iamais
après le preux Hercules, Paris Troyen est renommé pour
le meilleur archer, le plus fort et le plus iuste. Tesmoing
(1) chevreails rapides. — (2) rennes (terme de blason).
SINGVLÂRITEZ DB TEOTB. UTRB I. 155
^Daide, qui dit en la personne dndit Paris :
Figitor ia iasao nostra sagitta loco.
Combien que Homère vueille attribuer semblable gloire
à Teucer, frère bastard d*Âiax Telamonius, disant que pour
ceste cause, Âpollo luy donna lare et la trousse, par ma-
nière dexcellence. Mais brief, Paris estoit vn grand veneur.
Ce que demonstre assez Oenone, en lepistre à Paris, disant :
Retia sœpe comes macalis distincta tetendî,
S»p6 citoa (1) egi per iaga summa canes.
Et ne laissoit nulle fois la chasse quil nemportast bonnes
enseignes de sa prinse : Si comme la despouille dun Ijon
ou dun tigre, les grands pattes dun ours, la hure dun sen-
glier, ou le bois et ramure dun cerf : dont il honnoroit
la Déesse Diane, dame et patrone des yeneurs, et les pen-
doit à yn grand chesne dédié et consacré à ladite Déesse,
selon la superstition d*adonques. Et ses compaignons ap-
portoient la reste de la venaison : laquelle Paris mespar-
toit tousiours iustement sans faire tort à personne, et estoit
content den auoir la moindre portion pour son père et ses
fireres putatifz.
Telles vertuz du noble iouuenceau Paris, faisoient con-
gnoitre et voler sa renommée loing et près. Mais encores
suruint il vne auenture qui en donna plus aperte déclara-
tion : car les ennemis des Cebriniens au moyen dun pillage
par eux perpètre donnèrent à congnoitre quelle et quante
la force et valeur de Paris se monstroit, quand elle estoit
irritée. Antoine Volsc interpréteur de lepistre de Paris à
(1) einetos (éd. 1512).
186 illtstrâtiohs db gavlb, et
Heleine, dit que ce furent les Giliciens : Mais il ne me sem-
ble point yrajsemblable, y eu quilz sont trop loingtains du
Royaume de Phrygie, ainçois marreste plustost à ce que
dit Strabo en sa Géographie. Lequel comme ia dit est des-
sus, ou nous auons parle de la situation de Troje, met que
lautre riue du fleuue Scamander en montant la montaigne,
estoit la région nommée Dardanie. Et là habitoient Tue
manière de gens appeliez Scepsiens, pour pluspart pasteurs
et agrestes : lesquelz auoient incessamment guerre et dis-
sension auec ceux de la marche Gebrinoise, qui demou-
roient deçà le fleuue, comme dessus est dit. Scepsis (comme
met iceluy Strabo au xiii. liure de sa Géographie) estoit
vne cité située en la montaigne Ida : et tant icelle, comme
le territoire de là en tour, qui sappelloit Dardanie (de par
Dardanus ancestre de Priam) estoit du patrimoine d*Eneas
fllz d*Anchises, et des enfans d*Antenor. Et confrontoit à
ladite marche de Cebrine, le fleuue Scamander estant entre
deux : et limitant lesdits deux territoires. Pline au v. liure
de Ihistoire Naturelle, met ladite région de Scepsis, des
dépendances de la prouince de Mysie. Et Dictis de Crète
au u. liure de Ihistoire Troyenne, dit que ladite cité de
Scepsis fut pillée et desmolie par Âiax Telamonius.
Or combien que lesdits Scepsiens et Cebriniens fussent à
deux seigneurs, qui estoient parens, amis et alliez : cesta-
sauoir Hector et Eneas, neantmoins ilz sesmouuoient son-
nent en tumulte, pour faire guerre les vus aux autres :
ainsi que communément on voit les gens qui plus ilz sont
voisins, et plus ont occasion de noise et de discorde.
Leur débat (comme ie coniecture) procedoit à cause de
leurs limites et pasturages. Car quand les vus se trou-
uoient plus forts, ilz passoient le fleuue Xanthus, autre-
ment dit Scamander, et alloient menger la pasture des
SniCVLARITBZ DB TROTB. LIVRE I. 157
mtres. Et peult estre que les bergers et païsans de la
narche Gebrinoise, sç tenans forts de leur seigneur Hec-
x>r, vniz aussi auec les pasteurs du Roy, le plus souuent
x>mme les plus forts fouloient les autres : Et auoient desia
par plusieurs fois passé leurs metes et confins : cestasa-
aoir le fleuue Scamander, et nourry leur bestail aux des-
pens des autres, dont les Scepsiens nauoient osé dire mot,
pource quilz se voyoient les plus foibles et plus mal empa-
rentez, parquoy ilz dissimulèrent leur iniure aucun temps,
liais finablement ennuyez de ce quil duroit trop : et que
desia y auoit grand pièce que les pasteurs Royaux et les
Cebriniens auoient passé la riuiere, en vsurpant et fourra-
geant leur territoire, ilz prindrent cœur en pance, et le
firain aux dents, et conspirèrent vn grand nombre ensemble
de sen venger par quelque aguet et moyen subtil.
Pour laquelle chose mettre à efiect, ilz espioyent de iour
m iour et dheure en heure leur auentage et opportunité.
Si sarmerent vn soir, et sembastonnerent au mieux quilz
peurent, et sauenturerent de venir tout coyement, iusques
aux parcs des Gebriniens, lesquelz ilz trouuerent dormans,
pour la plus part. Si les recueillerent bien lourdement, et
donnèrent sur eux de toutes pars, et aussi sur les pasteurs
du Roy. Lesquelz combien quilz fussent en grand multitude
tous aagez et robustes, neantmoins pource quilz furent
sorprins en desordre, ilz neurent loisir de se mettre en
resistence. Parquoy il en y eut ie ne scay quantz blessez de
ceux qui se cuyderent reuenger, mais la plus part le gaigna
à foyr. Dont les Scepsiens ioyeux et esbaudiz pillèrent le
meilleur du meuble pastoral quilz trouuerent es maison-
nettes des bergers : rompirent et gasterent les parcs, et
cueillerent tout le bestail pesle et mesle : aussi bien celuy
des pasteurs du Roy, comme ceux de Cebrine. Gestasauoir,
188 ILLT8TRATI01I8 DE GATLE, ET
bnf&es, toreaux, moutons, pourceaux, brebis, aigneaux,
bœufz, vaches, veaux, asnes, cameaux, lumens, chenaux,
et boucs, et chieures, et cheureaux. Et à tout ceste proje
grande et opulente reprindrent leur chemin asseurément
vers les montaignes de Scepsis, se confians au bénéfice de
la nuict maleficieuse.
Ceste nuict mesmes dauenture lenfant Paris et ses frères
et compaignons reuenuz tard de la chasse, estoient demeu-
rez aux bordes champestres deçà la riuiere auecques leurs
mères et leurs sœurs qui ceste nuict esbeurroient le lait de
la sepmaine, et en auoient osté la cresme pour mettre le
demeurant en présure à faire des frommages de forme.
Apres la mjnuict quilz se furent couchez, le bruit fiit grand
des a£fuyans : et le cry misérable des naurez, et de ceux qui
auoient perdu tout leur vaillant, lesquelz se retiroient
dolentement vers leurs femmes, leurs enfans, et leurs amis,
pour leur conter lamentablement la somme de leur perte
et de leur desconfiture. Âdonc Paris tout efirajé de si
piteuses et espouuentables vlulations non accoustumees, se
leua bastiuement : et aussi feirent ses frères et compaignons
pour sauoir que cestoit. Si trouua Paris son père, et les
autres les leurs tous mouillez dauoir râpasse la riuiere tous
esperduz : tous hors dalaine, et demy désespérez : lesquelz
contèrent à leurs femmes (en grans plouremens et désola-
tion mutuelle, et en tirant aigrement leurs barbes et leurs
cheueux) tout le comble de leur meschef irréparable, en
tencant et blasmant amèrement la folle ieunesse indiscrète
»
de leurs enfans, lesquelz nestoient reuenuz coucher aux
parcs pour les defiendre.
A ces paternelles reproches et castigations verbales, le
franc Paris sans plus dattente, tout entrepris et tout esmu
dune ire louable, et dune gentile commotion : Cestasauoir
8I1IGYLAE1TEZ DB TROTB. LITEB I. 159
de noble honte meslee de iuste douleur ensemble, sencourut
soudain prendre son arc, ses flesches, ses dards et ses
armures, feit hautement bondir (1) son cor : ralia en peu
dheure ses frères et compaignons et quelque peu dautres
qui le voulurent suiure, mesmes de ceux qui auoient esté à
la première secousse et desiroient de se venger. Si com-
manda généralement à tous de prendre telz hamois quilz
trouueroient de prime face : si comme vieux iaques enflez
de coton, haubers de double maille, et lasserans rouillez :
pauois et targes de cuir et de bois vermolu : Salades,
bauieres, et capelines darain tout rauerdi : (2) auecques ras-
teaux esdentez : Fourches ferrées, guisarmes, badelaires,'
alemelles ployees, iauelotz, paffuz, fondes, holettes, can-
nes bruslees au bout, et autres bastons inuasibles, vncha-
cun qui mieux mieux.
Eux donques ainsi armez et bien entalentez, et après les
auoir enhortez de bien faire à peu de paroles, Paris se meit
deuant et passa le fleuue Scamander moitié de saut moitié
de no (3) : si feirent les autres chacun en son endroit. Mais
leur capitaine plus habille quun dain, et plus eschauffë
quun tigre, quand il ha perdu ses faons, suiuit tant les
Scepsiens ses aduersaires capitaux à la trasse, quen peu
dheure il les eut rataints : et trpuua que desia ilz estoient
assez près de se sauner dedens les bois et les foretz
espesses. Et lors en inuoquant layde de la Déesse Diane,
cestasauoir la Lune qui pour lors luisoit belle et clere, il
se hasta pour leur couper le chemin : Et se print à les es-
crier à mort, en les appellant par gran^ aigreur et indi-
(1) retentir.
(2) vert-de-gris.
(3) à 1a nage.
160 ILLVSTRATIOIfS DE 6AVLB, ET
gnation traytres fiieillars et larrons nocturnes. Et com-
mença promptement à descocher sur eux de son fort arc
bendé, flesches mortifères en grand abondance, dont il
assena plusieurs qui tombèrent à terre vomissans leurs
âmes sanglantes, fretillans des piedz, et mordans Iherbe
desia teinte et souillée de leur sang, auec plainte de hauts
souspirs. Quand sa trousse fut vuidee, il print ses dards,
et dune terrible impétuosité iuuenile, se fourra parmy eux,
ainsi comme vn lyon furieux en vne flotte de brebis. Et à
laborder feit tant darmes en la presse, meit à mort et
naura tant de ses grosses gens rustiques et barbares à grans
coups de dards esmouluz, et puis de sa symeterre bien acé-
rée, et à layde dune bonne targuette qui le couuroit, que
cestoit pitié et horreur, douyr la meslee tumultueuse du
brayement des mourans, du gémissement des blessez, et
de la huée des assaillans. Car desia le secours et le renfort
de ses frères et compaignons, et autres Gebriniens estoit
arriuë, faisant merueilleux exploit : tellement que la tourbe
des ennemis troublée et mise en desarroy, commença à per-
dre terre et reculer. Et les gentilz adolescons voyans la
hardiesse de leur chef, qui de plus en plus se redoubloit :
mesprisoient tous péril z 'pour le suiure. Si feirent tant, que
nonobstant la rude resistence des durs païsans montaignars,
qui se deffendoient rebellement de grosses massues et mac-
ques enquantelees à broches de fer, perches, leuiers, boy-
aux, louchetz, sarpes, coignies, faux, faucilles, et mailletz
de plomb, auant laube du iour leuee, le camp leur demeura
franc et quitte. Dont oultre leur bestail recouuré ilz se
chargèrent de la despouille des Scepsiens morts et descon-
fits en grand nombre.
Ainsi fut la retraite sonnée, et le tresualeureux Paris, à
tout son armée pastorale reprint son chemin vers ses parens
SniGTLÀlITBX DE TROTB. UYEB I. 461
putatifz, anironné de gloire, et marchant pompeusement
en bel ordre. Ses frères et compaignons le suiuoient ioyeu-
sanent par bendes, extollans ses beaux faits et leurs pro-
pres vaillances, et vantans lun lautre, pour auoir louenge
réciproque. Leurs parens demeurez en grand perplexité,
les Attendoient es parcs rompuz, desbiffez, et desemparez.
Et fitisoient toutes prières et vœuz solennelz aux Dieux
inuBortelz, pour leur salut et preseruation. Si ne faut pas
demander silz receurent au cœur vne merueilleuse liesse,
quand ilz apperceurent leur retour si triomphant et si vic-
torieux, et tous leurs troupeaux à sauueté. Alors les mères
krmojâns de ioye non espérée, coururent aux colz de
leurs treschers enfans, pour les baiser et bienueignier : et
les pucelles accollerent doucement leurs tresdesirez amis.
Là fut exaucée la prouesse de Paris, iusques aux cieux :
et la tresheureuse audace, autorisée en la bouche de tous.
Si se prindrent incontinent, tant les pasteurs du Roj
eomme les Cebriniens tous ensemble, & redresser et reparer
leurs parcs, et maisonnettes, feirent grands tentes et faeil-
lees vmbreuses de grosse ramure, tellement* quil sembloit
que ce fust vn ost de Princes. Puis establerent leurs bestes
reconquises à force, tuèrent grand nombre des meilleurs
toreanx et aigneaux quilz eussent : et iceux sacrifièrent
solennellement à la Déesse Diane, à S^luanus le Dieu des
bois, à Pan le Dieu des pastoureaux, et à la Déesse Pallas,
dame des pastourages, sur certains autelz de terre et de
gasons, quilz leur esleuerent en haste, et là, leur rendirent
grsces de fat victoire obtenue. Puis feirent fumer leur
cuisines, et enuoyerent quérir du vin souef et odoriférant,
en la prochaine cité de Cebrine, dedens des peaux de
cheures : Lequel vin ilz eurent par eschange de brebis et
de moutons : car lusage de monnoye nestoit point encores
I. Il
103 ILLTSTRATMMIS ML GATLB, KT
tronuë. Ce fedt, ilz dressèrent festes et conniiies (1) sonz kt
ymbres espesses, faisans tapits de Iherbe verte et dme, en
innitant lun lantre à ioye, et à hilarité par tontes exhor-
tations amonrenses (2) : Si feirent vne chère nomparôlle sur
le territoire mesmes de leurs ennemis. Et après le repts
se resionyrent en tontes manières desbattemens, et ieoz
champestres, principalement pour £Edre honnenr et con-
gratulation au noble iounencean Paris. Là on an contraire
les Scepsiens plouroient et lamentoient amèrement leor
honte dommagense et folle emprise, trop tardine à
repentir.
Or dura la feste lespace de trois iours continnélz
intermission quelconque. Et ce pendant les belles bei^erettes
mignonnes feirent diuers chapeaux et flocquars (3) de ton-
tes espèces de flourettes meslees, lesquelz elles presentoient
pour refreschissement tousiours itératif au noble adolescent
Paris : et en aornoient aucunesfois son chef, antresfois
les mettoient en escharpe, ou les luy faisoient seruir de
brasseletz : Aussi elles meirent sus, dictiers et chansonnet-
tes seruans à la louenge du tresbeau et tresuaillant Paris,
et les dancerent au viroly : et les pastoureaux les iouerent
sur leurs tiouces musettes. Paris aussi composa vn lay plai-
sant et nouuellet, à manière dun hymne, à la louenge des
Dieux et des Déesses, en leur rendant grâces de leur adiu-
toire proprice. Si le prononça sur sa harpe harmonieuse.
Mais les principaux et les plus aagez dentre les pasteurs
Royaux, par nouuelle inuention, et délibération vnanime,
posèrent sur le chef de Paris, vne couronne doliuier, qui
(1) banqueta.
(2) affectaeuses.
(3) en ronchif Jlceart » nœud de ruban avec des bouts pendants*
SIMGVLARITBZ DE TROTB: LIVEE I. 165
est consacré à la Déesse Pallas : et en sa main vne bran-
che de palme, en signe de triomphe : Puis décrétèrent par
ensemble, que désormais pour tesmoignage de sa vertu
^victorieuse, et merueilleuse vaillance, et pour layde quil
leur auoit faite au besoing, il seroit surnommé Alexandre,
qui vaut autant à dire, comme homme aydant, selon letymo-
logie Grecque, ainsi comme met Antoine Volsc, au comment
sur lepistre de Paris à Heleine, et sur ce passage :
Penè puer ciMit abdaoU armenta recepi
Hottibas : et caoïam nominii inde tali.
Lequel surnom d'Alexandre, fut ratifié par commune
acclamation de tous les assistons, comme tresbien appro-
prié k luy, tellement que onques puis ne luy tomba. Des-
quelles choses la renommée vola légèrement par tout le plat
pals, au sceu des ieunes dames et damoiselles,des Nymphes,
des Fées, et des gentilzfemmes de la contrée : et conse-
quemment iusques aux oreilles de la Royne Hecuba, qui de
Paris estoit trescurieuse, et en receut ioye tacite inestima-
ble au cœur : Et conceut adonc certain espoir de procurer
sa reuocation et remise, au nombre de ses frères, en la mai-
son paternelle, au moyen de lostension de ses vertuz,
comme elle feit depuis, ainsi que sera descrit cy après.
164 IU.T6TftATI0II8 M «JkVLS, SI
CHAPITRE XXIIII.
«
De lapparition de plasieart belles Nymphes et Peet ikite aa iooBên-
oeaa Paris Alesandre, aopres de la lontaine Crenaa. Et oomneiit
Tne noble Nymphe Napee, nommée Pegasis Oenone de la marche
Cebrinoise, informa premièrement ledit Paris, de son origine
Rojale. Aaec narration podtiqae da poanoir et beainolenoe
Nymphes, enaers Paris Alexandre.
Certains iours après le rencontre des Scepsiens, Paris
Alexandre tout lassé de la course dun cerf, lequel il auoit
longuement suiuy en la forest Ida, à cor et à cry, et en le
pourauiuant sestoit eslongné de ses compaignons, sendormit
en lombre des lauriers tousiours verdoyans, auprès dune
fontaine nommée Creusa, laquelle est au fons dune plai-
sante valee des montaignes Idées, là ou le fleuue Xanthus
ou Scamander prend son origine. La délectation du val
plaisant et solitaire, et lamenité du lieu coy, secret et taci-
turne, auec le doux bruit des cleres yndes argentines par-
tans du roch, incitèrent le beau Paris à sommeiller et ses-
tendre sur Iherbe espesse et drue, et sur les flourettes bien
flairans, faisant cheuet du pied du rocher, et ayant son arc
et son carquois souz son bras dextre. Âpres ce quil eut
prins le doux repos de nature, recréant les labeurs des
hommes, il sesueilla, et à son reueil en estendant ses forts
bras, et torchant (1) ses beaulx yeulx clers comme deux
(1) essuyant.
SOfGVLAftlTKZ BB TEOTB. UflB I. 485
(, getta son regmrd en drevnferenoe : si yeit tout alen-
tour de Iny vn grand nombre de belles Nymphes gentiles et
gratienses Fées, qui le regardoient par grand attention :
Mais si tost quelles lapperceurent remouuoir, et entrebri-
ser sa plaisant somnolence, toutes ensemble en vn moment
se disparurent, et tournèrent en fiiitte.
Adoncq Paris tout esmerueillé et transmué dune vision
si nouuelle, se dressa sur piedz en sursaut, et dun grand
zele ardant, se print à courir après elles si treslegerement
quil ne sembloit point fouler Iherbe de ses plantes. Et tant
feit quil en rataingnit vne légèrement fuyant, de laquelle
les cheueux aureins voletoient en lair par dessus ses espau-
les : Si la retint doucement par les plis vndoyans de sa
robe gentile, et luy dist humblement en ceste manière :
Déesse spécieuse quelle que tu soyes, au nom de la clere
Diane, plaise à ta grâce et courtoisie demeurer vn petit
(sanue ta bonne paix) et me vouloir dire, quelle est lassem-
blee de ces nobles Nymphes, que iay présentement veiies :
car onques nulle chose ne desiray tant sauoir que ceste cy.
Lors la gracieuse Nymphe, qui se sentit arrestee, se retourna
promptement, et dune chère semblable à coursée, (1) luy dit
ainsi : Quelle hardiesse te meult, ô ieune adolescent Royal,
ne de quelle fiance présumes tu de mettre la main aux
Nymphes (qui sont Demydeesses) en leur faisant violence ?
le te prie déporte toy de telle outrageuse témérité, et nous
laisse aller franches et libres, par lexemple de ceux à \xd
il en est autresfois mescheu.
Le noble enfant Paris Alexandre, quand il ouyt la Nym-
phe ainsi parler impérieusement et hautainement, (2) tout
(1) d'an air qui paraissait irrité.
(2) hauîttment (éd. 1512).
166 ILLTSTRAnOm N OAfLB, IT
craintif et plein de tremeur, (1) senclina en terre, comme «§•
tonné et moitié rauy tant de sa meraeilleose éloquence, comme
de sa souueraine beauté, et la voulut adorer comme vue
Déesse céleste : mais elle le refusa, et ne souffrit luy estre
exhibe si haut honneur. Lors Paris planté debout sans son-
ner mot, notoit son singulier aocoustrement non commun
ou vulgaire, mais bien séant & la forme nompareiUe. Car
en son beau chef elle ne portoit or ne gemmes, mais seule-
ment pour la preseruer da hasle, vn chapeau de branches
de laurier, qui est vn arbrisseau dédié à Phebus, dont les
foeilles obtiennent tousiours florissant verdeur. Sa belle
£eu» sans fard et sans teinture autre que naturelle, modeste
et gracieuse de blancheur sans blandices, pretendoit auto-
rité non austère, et reuerence loingtaine de rusticité. La
nudité de ses beaux bras bien pleins et bien formez, non
enuelopez de lin ne de soje, fors seulement dun crespe cler
et délié, faisoit foy du reste de sa venuste corpulence. La-
quelle nestoit absconce du regard de Paris, sinon par lin-
terpos dune houpelande tenue et déliée, telle que les Nym-
phes et Fées ont accoustumé de porter. Cestasauoir de fine
cotonine tissue & diuerses figures de fleurettes et doiseletz,
fronsee et labourée par haut et sur les lisières & lettres dor.
Ceinte dune riche ceinture purpurine entrelassee à nosuz
damours : et retroussée par dessouz les mamellettes dont
elle monstroit la forme ronde et distincte. Les vndes mul-
ticolores de cest habillement feé, flottoient iusques en terre.
Et le regard diceluy estoit de variable plaisance, semblable
à la superficialité dun ruisselet argentin entrechangeant la
gaye verdeur et florissance de ces riues auecques lazuree
beauté du ciel, laquelle y est ioyeusement reuerberee. Au
(1) cremeur (ibid.).
8UIGTLAR1TEZ DE TROYB. LIYRB I. 167
bas de ce vestement nompareil, pendoient franges vermeil-
lettes auec petis tintinables et cymbalettes, armonieusement
sonnans quand elle marchoit. La forme de ses petis piedz
estoit aornee de iolis escalpins (1) tissuz mignonnement de
ioncz palustres. Et en lune de ses mains mignonnes et
délicates portoit vn petit panier dosiere tout plein de diuers
fruitages. ,
Quand Paris Alexandre eut vne espace considéré la spe-
ciosité de la Nymphe, elle luy sembla belle oultre mesure.
Parquoy il fut esmu dun nouueau sentement damours non
encore à luy accoustumé, et dont luy mesmes estoit igno-
rant. Si ne sauoit trouuer manière dentreouurir la bouche
pour mot respondre : mais sa noble nature lenhardit et
luy bailla élégance de parler (assez en tel cas requise) si dit
en ceste manière : Noble Déesse, quelle que tu soyes, ou
de celles qui habitent le haut manoir Olympique, ou ceste
r^on terrestre inférieure, ie te supplie donner pardon à
ma folle hardiesse et presumption. Et si ie tay fait aucun
desplaisir, en approchant ta hautesse, si nay ie pas este
meu à ce pour cause de te faire yiolence, car auant vou-
droiz ie mourir : Mais seulement pour te supplier par
humblesse de me faire certain, qui sont ces gracieuses
Nymphes et Demydeesses, que iay nagueres veu auec toy, à
fin que ie me mette en deuoir de leur faire la reuerence,
et premièrement à ta hautesse, selon mon possible, et à la
mesure du sauoir dun petit simplet bergeret, lequel pour
autant que (2) ie puis coniecturer par tes paroles, tu prens
en lieu dun autre, veu que tu mattribues tiltre de lignée
Royale.
(1) Mchapins (éd. 1512). esoapinB (ëd. 1528).
(2) location encore fréquente en Belgique.
168 1LLV6TRATI0II8 DB GATLB, tX
Alors la fleur des Nymphes Pegasis Oenone (ainsi sap-
pelbit elle) en souzriant doucement print Paris par h.
main dextre. Et en le regardant dun œil doux, anioiuranx:
et débonnaire, ouarit sa tresbelle bouche, plus yermôUa
que boutons de roses, et luy dit ainsi : Cesse noUa filz de
Roy tresoler, prince de ieunesse : cesse de cuider que la
prudence des Nymphes soit abusée en la congnoissaaoe de
ta noble personne : car à elles qui sont Demydeesses terres-
tres ne peult estre rien incongnu. Nous sauons et de plante
et de lait ton origine. Nous congnoissons que tu es lenfiuit
Paris surnomme Alexandre par ta vertu, nourry (par For-
tune ennemie) entre les pasteurs du Roy, desquelz tu cui-
des auoir prins naissance. Mais ie ne vueil plus que tu
ignores que ton estoc paternel prend racine du propre
sceptre Royal de Priam Roy de Troye, et seigneur de toute
Asie, duquel ignorant tu gardes les troupeaux, comme
poure serf, ou esclaue, frustre dadueu et congnoissanoe de
fllialité. Or te suffise à tant, et me laisse retourner vers
mes oompaignes, lesquelles mattendent : Car il nest pas
bien séant quune Nymphe ou gentilfemme seule, tienne si
longues paroles à aucun homme mortel.
Paris le noble adolescent en doute ambigueuse de son
parentage, ne sceut que faire pour en sauoir plus à plein (1)
la vérité : sinon de se ietter aux piedz délie, et lembrasser
par les genoux, suppliant en ceste manière : Certes noble
Demydeesse, puis que les Dieux par leur prouidence tout
icy amenée, et mont baillé le bienheurté de te trouuer, ie
ne croy point que ce soit pour me laisser ainsi incertain des
choses proposées. Dont le premier ouyr (sans plus ample
déclaration) causeroit en mon rude entendement plus de
(1) àplaiD(ëd. 1512).
SJIIGTLABITEZ BE TEOTX. LlfRB I. 168
yexation que de délectation. Parquoy ie te bas humble
prière de men bailler aduertence de plus grande intégrité,
en prenant vn petit de repos souz ces beaux arbres pro-
chains, tandis que lardeur du Soleil se passera : et en après
ie te conuoieray sauuement; quelque part quil te plaira
aller.
La belle Nymphe persuadée par douces requestes proce-
dans de la pure et simple affection de Paris, sans y penser
malengin, ne sceut vser de plus long refus : mais luy ya
dire ainsi : noble Paris Alexandre, ton doux prier ha ie
ne scay quelle vertu latente, beaucoup plus forte dattraire
Tn courage à ses fins, que la pierre daymant nha de tirer
lacier. Brief, ie ne te sauroye esconduire : comUen que
auecques nul autre homme mortel ie ne demeurasse ainsi
seulette. Lors Paris bien ioyeux la remercia de sa debon-
nairete : et la mena seoir auprès de la fontaine bien reues-
tue et enrichie de mousse et de cresson. Si se posèrent sur
le beau marbre poly, entaille par degrez dœuure naturelle.
Adonc la Nymphe Oenone parla en ceste manière :
Paris Alexandre, le bien aymë des Dieux et des Déesses,
à fin que tu soyes hors du seing, auquel ie tay mis, faisant
mention de la tresillustre origine dont tu es extrait : le te
dis, que ta radicale progéniture ne descend dailleurs que
du haut lupiter le père des hommes et des Dieux. Parquoy
ie suis plus encline à Tser enuers toy de priuauté. Et quil
soit ainsi : Tu dois sauoir que lupiter second de ce nom,
Roy d'Athènes et d'Arcadie, engendra Dardanus en la belle
Blectra, fille du grand Géant Atlas. De Dardanus fut filz
Erichthonius, qui fut père de Tros, duquel les illustres
Troyens ont prins leur nom. Tros engendra le beau Gany-
medes eschanson de lapiter troisième de ce nom, et Roy de
Crète : et aussi Ilion qui fonda la cité dllion, quon dit
170 ILLTSTKATIOM M GATLB, ET
Troye la grand. Ilion après engendra Laomedon père du
noble Roy Priam, daqnel ta es filz naturel et Intime, et
nen as rien sceu iusqnes à présent. Car ton père coide que
desia ayes passe les Destinées mortelles, aasqnelles lès res-
pons et oracles des Dieax tanoient adingé. Mais ta mère la
tresclere (1) Royne Hecuba tha fait nourrir incongnuement
entre les pasteurs Royaux, par pitié maternelle. Or est il
ainsi, que les Destinées fatales te reseruent encores & hau-
teur Royale (si ie ne suis deceue) moyennant que tu eusses
ayde et conduite daucun ton bienuueillant. Toutesuoyes de
ce ne te faut enorgueillir en manière aucune par insolence,
ne faire semblant den rien sauoir, iusques en temps et en
lieu. Car toy mesmes te pourrois bien précipiter en abysme
de mort. Mais te sera mestier de vser en ce de prudente
industrie et de bon conseil, lequel parauenture moy mesmes
te donroye plustost que nul autre, quand lopportunitÀ le
requerroit, pourueu que tu ten monstrasses digne.
Le tresbeau Paris acertené de son origine, à peine se
sauoit contenir de liesse. Son cœur receut vue merueilleuse
ioye, ses vaines se dilatèrent, son sang sesmut et luy monta
au visage (ie ne scay quelle verecunde virginale) tellement
que la couleur de sa face rendoit la similitude de beaux liz
blancz entremeslez de roses vermeilles. Et pensoit à ce
parfondement, pendant que la belle Nymphe Oenone, esmue
dautre part, dun désir naturel, contemploit ententiuement
ses gestes et se miroit en sa beauté merueilleuse : car de
long temps elle lauoit choisi pour son amy, quand premiè-
rement elle le veit baigner au fleuue Scamander. Finable-
ment Paris ouurit sa bouche coralline, et luy dit en ceste
manière : Tresgracieuse Nymphe, sil est ainsi comme tu
(1) iUaatre.
SIRGfLARITBS Dl TROYB. UVRl I. 471
dedaiz en ton parler (dont ce seroit à moy trop grand rus-
ticité de faire donte que tout ne soit véritable) ie ne scay
autre chose que ie fasse en cest endroit, sinon rendre
grâces immortelles aux Dieux souuerains de ce quilz mont
adressé ,ton accointance. Et au surplus, te remercier tres-
humblement et du plus parfond de mon cœur dq tes ofires
non refusables, en me recommandant à ta bonne grâce. Et
si dauenture quelque fois il te semble opportun de faire
Tenir les choses à lumière, ie te promets que dautre uiuant
ne veux ensuiure le conseil que de toy seule : si me gar-
deray bien den faire à autruy mention quelconque. Mais
oultreplus ie te supplie me vouloir dire, qui sont les autres
nobles Fées qui nagueres estoient icy auec toy : et aussi me
faire certain de ta personne illustre : Laquelle si ie remar-
che (1) bien à mon semblant, iay souuentesfois veue de loing
auec plusieurs autres Nymphes et pucelles, dansans souz
les oliuiers assez près de la cite de Cebrine.
O noble Paris sans per, perliflé (2) de toute speciosité cor-
porelle (dit la gente damoiselle) pourquoy te celerois ie la
vérité ? Certes ce que tu diz tient efficace de raison véri-
table. Tu me peux souuentesfois auoir veue auec mes très-
honnorees compaignes, les Nymphes et Fées de ceste
région : Car maintenant et autresfois (quand tu te exercois
en plusieurs nobles œuures de labeur iuuenile) nous nous
sommes délectées en ton plaisant regard, auons aymé ta
présence, et nous somines trouuees promptes escouteresses
de tes louenges. Et par ie ne scay quelle curiosité beniuole,
souuentesfois nous nous sommes mussees et tapies secrète-
ment entre les verds buissonnets sans estre apperceûes,
(1) remarquer. Dans d'Aubigiié remareher a déjà la 86iia moderne.
(2) emb«m.
17S lUTSTRATIOllS DB CAfLB, Kt
poar espier ta belle contenance : Mainteefois anons loué et
extollé ta voix harmonieuse, dont les yalees retentissoient.
Et tousiours ha esté dit entre nous : que celle seroit bien-
heureuse, de laquelle tu daignerois diter m lay amoareux
sur ta harpe gentile, comme de ta cher tenue. Par ainsi
estions nous continuellement desirans ta coUocution prinee,
et fauorisans à toutes tes emprises, sans ton s^u : toutes-
Qoyes esmues à ce mesmement pouroe que après auoir
inuoqué les noms des hauts Dieux célestes, tu ne fidllis
iamais de aussi te recommander à noz grâces et faneurs
particulières. Parquoy mes trescheres sœurs et amyes les
belles Dryades lesquelles ont leurs repaires parmy les bois
fueilluz et les forestz espesses, en contemplation de ta
valeur, tout tousiours administré assez gibier et sauuagine,
pour te déporter abondamment en leur pourpris. Les gentes
Oreades lesquelles habitent sur les hautes montaignes Idées,
prestoient aussi, et prestent encores franc cours et deliure
à ton déduit, parmy leurs landes et champaignes larges et
patentes, pour suiure et prendre toutes manières de bestes,
dont il te prend enuie. Les douces Naiades attreropent la
froidure congelatiue, et mitiguent la rapacité redoutable de
grans fleuues, quelles ont en cure, en extirpant les herbes
empeschantes, à fin que à ton plaisir quand le cas y eschet,
soit en chassant, ou après la chasse, tu les puisses trans-
noer aussi légèrement, que les poissons mesmes, et y lauer
ta sueur, et baigner toy et tes compaignons en seurté.
Oultreplus aussi les Hymnides tresâorissantes qui font
verdoyer Iherbe haute et drue parmy les prairies, et espa-
nir les diuerses flourettes au long des riuages, te baillent
seur accès parmy leur tenement, et chassent serpens, cou-
leuures, aspics, vipères et toutes autres espèces de bestes
venimeuses, en telle façon, que toy et les tiens vous y pou-
SIIIGTLARITBZ DE TEOTI. U?EB I. 173
uez esbatre sans aucune suspicion de danger. Les plaisantes
Hamadrjades ausquelles la Déesse Opis, autrement appellee
la Terre, ha baillé le gouuemement des arbres branchuz et
des ioliz arbrisseaux pour les faire croître et v^eter, et
dresser leurs hautes cheuelures iusques aux nues, quand tu
es las de ton plaisant labeur cotidien, fournissent vmbre
delectatiue à toj et à tes bestes, ensemble fruit et fioriture.
Et si dauenture il aduient quelquesfois que tu ajes eslu
belle amye, qui se treuue digne de reposer entre tes bras,
lors elles te feront tentes et ymbrages encores plus amples,
de leurs rainoeaux florissans, souz lesquels tu te pourrai
rqpaitre des plaisans mets damours iusques à sacieté.
Et en tant quil touche les Nymphes Napees, qui sont
maistresses et gardiennes des fontaines, dont ie suis lune,
(et entre les autres non pas la moindre) tant de la part
deUes qui sont mes trescheres sœurs et compaignes, comme
de ma propre autorité priuee, ie te dis sans reproche, et
ne Yueil que ignores que maintesfois auons estanché ta
soif laborieuse de noz soueues liqueurs, et administré réfri-
gère plaisant à ton palais en noz diuerses fontaines, et
estaint lardeur de ta douce alaine anhelant. Et pource que ce
lieu cy est plaisant, et de nostre propre domaine et demou-
ranoe maternelle, ie y auoye amené vne partie de mesdites
plus priuees compaignes, à cause de prendre récréation
solacieuse souz lopacité des vmbrages qui sont fraiz et gra-
cieux. Mais ton resueil les ha disparees : combien quelles
ne fussent encores saoules de te regarder, et que plusieurs
en y eust qui louoient ta douce somnolence, et estoient dé-
libérées de te desrober vn baiser, en dormant. Toutesuoyes
nonobstant leurs absences, ie vueil que tu goustes du doux
fruit que pour elles iauoye cueilli sur les arbres fertiles de
mes sœurs les Nymphes Hamadryades : lesquelles tiennent
474 ItLTSTRATIOlfS DB 6A?LBy BT
en conserue tous les pins beaux iardinages du monde, sans
excepter celui des Hesperides, qui est comme vn Paradis
terrestre en Afrique : Ne celuj aussi d^Aldnous Roj des
Pheaques en lisle de Corcyre, là ou il ha de nouuel par
grand curiosité planté, enté et greffé, vn nombre infini de
toutes manières darbres.
*
En ce disant la belle Nymphe Napee, versa en son giron
mille espèces de fruits aromatiques, estans au pannier bien
ouuré dosiere, et sembloit que la corne d'Achelous rompue
par le fort Hercules fust illec respandue. Car il y auoit
amandes, coingz, citrons, dates, figues, grenades, melons,
mirabolans, orenges, oliues, pommes, poires, prunes, pes-
ches, raisins de plusieurs sortes, et autres firuits estranges
appeliez lotes. La lote est vn fruit naissant en Afrique,
(quon dit maintenant Barbarie) sur hauts arbres, et toutes-
fois la quantité diceluy fruit nexcede point la grosseur dune
feue. Sa couleur est iaune comme saffren, et dedens est
plein de grains semblables à millet. Mais sa douceur et
suauité est si tresespeciale , que selon Homère en son
Odyssée, après que les gens de Vlysses errans par la marine
en eurent gousté, ilz ne faisoient plas conte de retourner
aux nauires, mais vouloient illec faire seiour. De ce fruit la
Nymphe en présenta par singularité au gentil Paris, en le
semonnant courtoisement de menger du noble labeur des
Nymphes et de leur espargne.
SIMGVLARITBZ DE THOTB. UVEK I. 175
CHAPITRE XXV.
Deacription du banquet gracieux, fait auprès de la fontaine Creuia,
parla Njmphe Pegasia Oenone, à Paris Alexandre. Et comment il
fut ardamment esprîa de lamour délie, et la requist premièrement
damours. Auec lefiect conseqnutif. Ensemble narration légère dan-
canet fitbles en passant.
Qoand le gentil adolescent Paris eut sàuooré de ce gra-
cieux fruitage plus doux et plus substantieux que manne,
lequel luy rendit vn goust plus que délicieux, et vne Tolupté
inestimable, il luy sembla auoir mengé toutes les espices et
bonnes viandes du monde. Lors la Nymphe Pegasis Oenone
dit à Paris : Puis que tu as sauouré du doux fruit de mes
compaignes, ie te vueil abruuer de la liqueur maternelle.
Car à an que tu saches, la noble Fee qui préside à ceste
fontaine, est ma treschere mère, et le grand fleuue Xan-
thus est mon treshonnoré père, lequel tient par tiltre de pos-
session grand partie de ces yalees plaines et fertiles. Et ie
qui suis leur bien aymee flUe, ay le sourgeon de ma belle
fontainette vn peu plus bas en la valee, laquelle porte mon
nom, comme tu pourras cy après sauoir. Ce dit, elle print
lescorce dun citron large et ample, et par grand cerimonie
la plongea trois fois en la fontaine, prononçant ces mots :
Ma tressacree génitrice que les Nymphes et Fées de ce pab
appellent Creusa, ainsi comme il est vray que tu sois dame
1TB
de ce plaisant ponrpris, exauce la prière de ta tendre fille
Pegasis Oenone icr présente : en produisant du parfond de
tes trésors m don que ie te reqoiers maintenant songneu-
sèment. Cest, que tu me propines la substance de tes vndes
souefues et plus sanoureuses que autresfois, et qui soient
dignes dattoucher aux kures Termeilles du noble enfant
Rojal, qui cy est, et darrouser son gosier amoureux.
Incontinent oeste oraison prononcée, la clere vnde de la
f<Hitaîne se print à firemir dedens son réceptacle, en bouil-
lonnant au fons de sa sourse, et murmurant doucement
alendroit des riues, comme si elle auoit sentiment daccor-
der la requeste de la Njmpbe. Adonc Oenone ioyense,
puisa dedens en rapportant son Taisselet plein de la noble
eane dore comme crjstal ou fin berrl, finoide et firesche à
menralles, et le présenta à Paris : disant ainsi : Lepreeslu
des Njmpbes de Phrygie, reçoy le présent matemd adon
la Yoolenté de celle qui le test offrant. Paris le print, et
but i son hait. Et après auoir sauourè la noble liqueur,
plus éloquent que parauant, il parla oi ceste manière :
O noble Déesse, comment suffira iamais ma bouche à
dire tes louenges, nj aussi des glorieuses Nymphes tes
ccHupaignes, desquelles labsence mest à ceste heure grieue
et moleste, pour les hauts biens que ie congnois reposer en
dles ? et me repute iusques à ceste heure auoir esté trop
lasche et sobre de sens, qui ne me suis plustost auancé de
leur offrir mon petit seruice. Mais iuuenile honte, irante
anec rusticité pastorale, men doiuent excuser. Si ne aeay
encores maintenant comment se pourra esuertner ma puis-
sance imbedUe à rendre grâces méritées de toz humanités
et bîeonueillances, sinon que tu et elles par vostre bénignité
aœoufftumee, vueillez supporter ma rude ignonmce passée,
et considérer mon ineptitude présente : Bn attendant que au
UMTLAAITBZ DE TROTB. UTAB 1. 177
moyen de toy (ô bienhenree Nymphe) ie soye constitué en
tel estât et si ample fortune, que lors ie puisse recongnoitre
▼oz bénéfices, et macquiter de mon deuoir enuers tous.
Donques, 6 précieuse gemme, qui mas icy refectionnë de
toute viande céleste, ie ne croy point que les fimits que tu
mas donné présentement ne soient parcruz es champs Ely-
sees, 1& ou il ne repaire que les benoîtes âmes. Bt quant à
la portion melliflue que tu mas administrée, il me semble
quil doit suffire aux supemelz esprits, silz sont semis de
parâUe. Car la seule vapeur nectaree et ambrosienne, est
si pénétrante et si vegetatiue, que des que le flair en ha
esté prochain à mon sens odoratif , mon rude conceuoir sest
esdarcy, mon gros entendement sest ouuert, et mes orga-
nes se sont ampliez, comme pour receuoir vn don supema-
tnrel : tellement que ainsi comme tout enyuré de nouueau
désir, ie suis rauy en ecstase : et aprens à spéculer hautes
choses.
Pourquoy, 6 tresnoble Nymphe, à laquelle il ha pieu me
semondre à tel diuin repas, ie ne scay que penser. Car pour
la grand beauté dont ie te voy pleine, il me vient au deuant
en la fiintasie, que tu soyes lune des hautes Déesses du
del, descendue ca bas en semblance humaine, pour prendre
sonlas auecques les créatures mortelles. Car ainsi coipme
iay ouy dire maintesfois au bon pasteur qui me nourrit,
nha pas trop long temps que dame Venus Déesse de beauté,
laissa lisle de Cypre, et ses beaux iardins qui y sont, pour
se venir esbatre en ces plaisantes valees : esquelles elle
tronua le Prince Ânchises, qui estoit alors en fleur de ieu-
nesse, gardant les bestes (comme ie fais) sur les riuages du
fleune Simois. Et y fréquenta tant, quil print audace de
prier damours vne si haute Déesse, à quoy elle se condes-
cendit finablement, iusques à estre enceinte du noble Eneas»
1. is
i78 ILLTSTEÀTlOliS DE GAVLB, BT
qui ores est gendre du Roy Priam. Ainsi, ô vierge trenl-
lustre, tes yeux Terds et estinoellans, et ton beau oorpi
proportionné oultre la forme commune, me font coniectonr
de toy, et ymaginer que tu soyes parauenture ioelle même
Déesse Venus, transfigurée en habit de Nymphe. Et me
incitent par vne ardeur plus que violente de dire, que celaj
seroit bienheureux que tu voudrois nommer ton semant en
amojurs ; Car si lupiter le Roy des hommes et des Dieux
Touloit béatifier vn corps terrestre sans lassumpter an
supernel habitacle, si ne le pourroit il mieux faire, quen le
laissant vser familièrement de ton regard, et de ta aouefiie
coUocution. Déesse remplie de souueraine speciosité» qui
as daigné tant abaisser ta hauteur que dacquiesoer à ma
prière, et faire icy si gracieux seiour auec moy ton humble
seruiteur, dont ie rens grâces inmiortelles à ma bienheu-
reuse destinée.
Quand Pegasis Oenone, la noble Nymphe Napee eut
ainsi ouy parler Paris Alexandre, elle conceut tacitement
en son cœur vne ioye incroyable, voyant le comble de ses
dcsirs venir à fin prétendue. Car elle nauoit iamais eu son
afFectiou plus enclinee à chose du monde, que destre accoin-
tée de Pat'is, et dauoir son amoureuse alliance : tant pour
sa haute extraction, comme pour lestimation de ses ^ertuz
tresreuommees, et sa bauté mesmes. Toutesuoyes elle nen
faisoit pas grand semblant. Mais voyant Paris tout esmu
et enuelopé de nouueau soing, rafiermoit bellement son
maintien doux et simple, comme vne tourterelle, et luy
rendoit mutuel aspect, declairant assez neantmoins par le
semblant de ses yeux attrayans auoir laffection intérieure
de mesmes à luy. Lequel tout embrasé de feu vénérien dont
encores nauoit esté si viuement attaint, tenoit ses yeux
inséparablement fichez en elle. Mais les pupilles errans et
8UIGTLAR1TKZ DB TROTS. UVRE 1. 179
yagabondes en leur circonférence, estincelloient de désirs
amoareux» comme font les rayz da Soleil matutin, reuer-
beres en la clere fontaine. Et son gentil cœur altéré de
chaleur yehemente, buuoit à grans traits la feruente
liqueur de cupidineux appétit. Laquelle non pouuant dige-
nor, tout ainsi que les flambes dune fournaise, dont le feu
est trop véhément» pressent lune lautre à lentree du sous-
pirail, ainsi du noble estomach de lenfant Paris vuydoient
aouspirs en si grand multitude, que lun ne donnoit lieu à
lantre.
Eox estans ainsi seulets et taciturnes, aucune espace
après, lamoureuse Njmphe rompant le doux silence ennuy-
eux, (1) reprint le propos, et dune uoix plus harmonieuse que
les accords de la harpe d'Orpheus, frappa lair circonferent
«n œste manière : Enfant dextraction illustre, combien que
ta parfonde éloquence soit de telle efSeace, quelle pourroit
tirer en sa sentence mesmes vn cœur adamantin, et faire
q;uun simple entendement cuidast résider en sa personne
beaucoup plus de biens que Dieu et nature nen y auroient
mis, neantmoins la congnoissance de propre mérite doit
estre arbitre droiturier en ce cas. le donques par ton record
mise en estimation telle quil ha pieu à ton iugement la
diter, (2) nen doy prendre gloire (si ie suis sage) sinon par
mesure limitée à la vraye existence : et aussi ne fais ie. Con-
gnoissant que parauenture ton œil peult errer par affection
non modérée, et que la formositë qui pourroit estre en ma
personne (si aucune en y ha) nest pas equiparable à la spé-
cieuse beauté dont les. Dieux et les Déesses sont si ample-
ment garniz. Nonobstant que les Demydieux terrestres de
cy entour se contentassent assez de ma forme, quand ainsi
(l) anzienz. — (2) dicUr {éd. 1512), c.-à-d. prononcer.
1b Piisn dfls bocAgoo^
■sdbet deaa
SÊSkjwm es eat iwntai-
bflMte (telle
teDe liMthieté
fDfceet TiolanoB,
«B fe rwfindHT des beii el des tail-
fil ftnHiamf Gv d*«Bz ie aiy cave» ipwlqpiw Diess on
Beajifam albilez q«ili tnif t ÂiBQois qpand ie aoroje
ddikeree èe m» esadenflidre à ajmer par
ûmaà, koauee «nHBrfkijde anade, fu fisest
vlMloet de att b e ai aoleact aae ta daaeaar et sbanleaBB.
Bt fwaliîfn qae ia ae aoro kaata Daaiwie, coanae dane
Yeaaa Uk da Bot Ivpîter et de la Kjnaplia Dmie, dmt
■Baaaeesiras da eosté Baterad ae riant point de aaiiiidre
lîea, qae de TOcean et Neptane« grans Empmon de la
laer, et de Theôs la Priaœsse des eaaes. Bt qaant an
eosté paternel, chacun scait bien que aïoa père Xanthus
est filz de lopiter. ParqnoT quand daaentare ainsi aeroit
qae tes paroles ne fnssait point feintes on adalatoires, ta
hfnxm^mA proœdant de Maie^ RoTile^ et de landenne geni-
tare des Dieux nen seroit point trop amoindrie ny abaissée.
Mais certes les langages assez légion dentre tous ioaaen-
eeaax, nest sinon m las deœptif, «iglaë de miel soporifere,
ponr attraper et endormir la simple crednlité fiaaùnine,
aaconesfob peo constante et trop liberale.(l)Doat il seosoit,
qae par téméraire foUe, toos en fiâtes ^pres yox eontss
dérisoires à nostre grand deshonnear et proadiee, et à
0)
SlMTLAlUTtt »B TEOTB. UVIB I. 181
TOBtre honte et dommage : comme feit le preallegaé Ânchi-
set» jssa du mesme estoc de ton parentage. Lequel incon-
tinent après le ùàt salla vanter publiquement dauoireu
participation des amours de la haute Déesse Venus. Mais
il nen demeura pas impuni : car en le payant <le sa desserte
eondigne, la Déesse indignée luy toUut lusage de ses yeux»
dont encores à présent il est aueugle, et à bon droit : veu
quil ne fut content dauoir priuee et secrette fruition des
amours dune dame si excellente, ainçois ayma mieux le
publier et vulgariser. Si luy en print tellement, quil est
auioordhuy exemple à tous nobles hommes, de son impru-
dence et indiscrétion & bon droit punie et manifestée. Et
vn miroir À toutes dames et damoiselles. Nymphes et Demy-
deesses de non estre si faciles d*adiouster foy légère à voz
Uandioes, ne de se trouuer si familièrement auec vous. Ce
que iay tousiours songneusement euité, iusques à ce que
par force de ton bien courir, iay esté rateinte. Mais toutes-
noyés, ie fais tant destime de ta vertu, que nulle vilennie
on lascheté ne saurait tomber en si noble courage, ne par
fidt ne par pensée.
Certes, dit Paris, noble Nymphe, en ce nés tu pas
deceue. Car ains que mabandonner à diuulguer le secret de
noz amours (quand ainsi seroit, que accordées me fussent)
oultre laquelle chose ie ne requiers autre chose aux Dieux,
iaymeroie mieux estre mort de mille morts, et cent fois
plus grieuement puni que ne fut Anchises. Donc si nostre
alliance ne demeure pour autre chose, ie te prie et supplie
mottroyer benignement le nom damy, et massigner lieu de
retenue ( 1) en ton franc cœur gentil : sans penser que le mien
parler soit &it par simulation feintiue : ne que le rude
(1) raite. cour, rterra.
182 ILLVBlTRATimiS DB GÀVLB, BT
louer que iay fait de ta personne, soit corrompu de flate-
rie : Car à ce faire ne suis point habitué par coustume.
Attendu que de dame ne de pucelle du monde ie ne quis
onques tant la familiarité, ne me trouuay si auant en deui-
seSy comme à présent. Mais la pure descouuerte de ton bel
estre, et de ton magnifique contenir me contraingnent à
yerité proférer : Sans ce aussi que troublement de raison
par désir aueuglé, ayt occupé ma yeûe.
Et si le nom damy (6 dame illustre) est trop grand, et à
moy non deu, pource que ie ne suis quum simple pastou-
reau et poure bergeret, et vn riens auprès de ta grand et
large noblesse, posséder de tes parents, neantmoins iay
ceste confidence, quil te plaira quelque fois que ie soye plus
grand, et que tu me réduiras au manoir paternel, et patri-
moine héréditaire. A fin que tu mesmes soyes participant
aux biens qui en sourdront, et seule administreresse. Et ce
temps pendant ie me nommeray ton serf humble, et ton
mancipe et esclaue perpétuel, pour faire et disposer de moy
à ton plaisir. Et tu te tiendras, pour ma dame et ma mais-
tresse, ma Nymphe, et ma Déesse, seule et vnique, en
vsant sur moy de totalle prerogatiue et autorité. Si te prie
en signe de ces conuenances ratifiées, me donner vn franc
baiser de ta bouche rosaïque, pour mitiguer vn peu la grand
ardeur du désir amoureux qui me brusle les veines. Et en
ce disant il luy meit le bras senestre au col, et le dextre
sur la clere poitrine, et sauoura lescorce du doux fruit
damours par plusieurs osculations et approchemens ama-
toires. Mais ce ne le saoula point de réfrigération compé-
tente, sans le goust principal du noyau, qui est au milieu
de lescaille.
Les nobles Poëtes disent, que cinq lignes y ha en amours,
cestadire, cinq poincts ou cinq degrez especiaux. Cestasa-
shtotlaeitez de trote. liveb i. 183
noir le regard, le parler, lattouchement, le baiser : Et le
dernier qui est le plus désiré, et auquel tous les autres ten-
dent, pour anale resolution, cest celuy quon nomme par
honnesteté Le don de mercy. Paris donques venu de degré
en degré, iusques au quatrième de ces poincts, lequel luy
sembla plus doux que sucre de Madère, par instinct de
nature ne se sceut abstenir de vouloir parfournir le cin-
quième. Car ainsi comme il aduient aucunesfois que les
pastoureaux des cbamps par inaduertence ont laissé vn
charbon de feu entre les seiches fougieres, et il suruient
aucun impétueux vent chaud et méridional, qui allume les
festuz et fueillettes gisans alentour, tan tost la flambe esparse
prenant vigueur, surprent ce qui luy est voisin, et ne cesse
de forsener parmy les bruyères, iusques à ce quelle ayt tout
mis en cendre : Ainsi pareillement le fort mouuement de
nature esmu au ieune Paris par grand calefaction damou-
reuse concupiscence, trouuant deuant soy obiect plaisant
et propice, ne se peut onques arrester auant son emprinse
acheuee. Et combien que sa partie repugnast par semblant,
neantmoins elle succomba voluntairement sur les tapiz verds
de Iherbe espesse et drue, semez de flairantes violettes. Et
au beau Paris vainqueur en demeura la force non forcée.
184 nXYSTBATIOllS DB OATLS, n
CHAPITRE XXVI.
Annotation de la aaiaon Estiaale : déduction de la fable d*ApoUo, qui
donna à la Nymphe Pegaais Oenone, puissance sur tootea herbes :
et de la promesse de mariage faite par Paris Alexandre, à ladite
Njmphe. Et comment il la mena aux bordes champestres des pas-
t«ara Rojanx, et illeo leaponsa à grand ioje.
Bndementiers que les deux vrajs amans cueilloient le
doux fruit damoureuse iouyssance, le cler Titan passant
par les arcures du Zodiaque, par deuant la maison de la
Vierge, iettoit son regard en terre, et voyoit le noble Âoust
vn moys impérial tout nud, tout haslé recueillant ses espicz
auec la Déesse Ceres, les cygales et ioyeux crinchonnets
estriuans parmy les chaulmes et les buissons : du frémisse-
ment de leurs résonances, faisoient retentir lair et la cam-
paigne. Laquelle de grand ardeur sembloit fumer et estre
prochaine à combustion, si neust esté que le gracieux vent
Eurus venant des parties Orientales se parforcoit de adou-
cir la véhémence du chaud estiual : et faisoit mouuoir la
sommité des arbres, bransler doucettement les branches,
et bruire les fueillettes, pour rendre lombre plus délicieuse
aux amans : lesquelz après le doux exercice damours sassi-
rent sur les verds préaux lun deuant lautre, Paris faisant
chère plaisante et esgayee, mais Oenone portant semblant de
courroux et de troublement, iettoit vn pleur gracieux : et
en souspirant paisiblement dit en ceste manière :
SniGYLARITIS DB TftOTB. UYRK I. 185
Si les trois Déesses nommées parques (pource quelles nés-
pargnent personne, ainçois donnent les destinées À chacun
ainsi quil leur plait) mauoient dauenture souzmise à ceste
fortune, que ie deusse endurer la force et le plaisir de tous
les Dieux et de tous les hommes ausquelz il sembleroit bon
dainsi le faire, si neusse ie iamais cuidé quelles moussent
toUu la puissance de me deffendre et reuenger, comme ie
lay à ceste heure expérimenté : car au temps mesmes que
le Dieu Âpollo me requist damours premièrement, si luy
monstrày ie bien autre resistence. le dis mesmes iceluy
Dieu Apollo qui est surnommé Phebus, filz du haut Dieu
lupiter, et de la Déesse Latone : le trescler et le tresbeau
qui luyt là haut, et nous ha peu voir présentement, si les-
pesseur des fueilles et branches de ces lauriers (qui de tous
temps sont dédiez à luy) ne len ha gardé. Mais pour lors il
estoit banny du ciel, et despouillé de sa diuinité, à cause de
ce quil auoit occis les merueilleux Cyclopiens qui forgent
les fouldres de son père lupiter es monts de Sicile. Pource
que par la fulmination dicelles son filz Esculapius auoit esté
tué. Parquoy il fut contraint de garder les vaches du Roy
Admetus de Thessale neuf ans durant.
Or aduint vn iour que iceluy Dieu Apollo estant en forme
humaine et en habit pastoral comme tu es ores (car main-
tesfois en te voyant il mest souueou de luy) il se vint esba-
tre en ceste contrée à tout sa harpe dyuoire & grands bon-
des dorées. De ceste gracieuse harpe il se print à iouer si
doucement, sur la riue du fleuue Scamander, laquelle est &
mon père, que presques toutes les Nymphes mes compai-
gnes abordèrent à sa douce harmonie. Et quand elles le
veirent à tout son chef auricome, si beau iouuenceau, si
spectable et si aduenant, congnurent tantost à sa face, et À
ses gestes, que point nestoit vn dentre les humains : si luy
186 ILLtSTRATIONS DB 6ATLB, ET
demandèrent courtoisement de son nom, et de son affaire.
Et il leur conta voulentiers le tout, et la cause de son exil,
dont elles furent dolentes et compassibles, et le consolèrent
chacune à son mieux. Puis, après le banquet, à leur re-
queste il ioua vue chanson bucolique, faisant mention com-
ment les Dieux transmuèrent iadis sa dame en amours, la
Nymphe Daphné, en forme dun laurier : et comment luy
metmes transforma la belle Clytie, en vne soucie : et Leu-
oothoë, la fille du Roy de Perse, en vn arbrisseau qui porte
lencens. Que pleust aux Dieux quilz eussent vsé enuers
moy de pareille transmutation, à fin que ie neusse est^
reseruee à liniure que tu mas irroguee (1) présentement.
Ainsi après que le plaisant Dieu Apollo eut mis fin & son
chanter, il feit danser les Nymphes sur Iherbette. Et ie qui
estoye lors simple et ieune pudique pucelle, fus tirée auec
elles pour me solacier. Si croy que mon maintien luy pleut
assez, et plus quo trop. Car à chacun tour de danse, il me
remarchoit de lœil par plusieurs semblans attractifz (sans
ce que toutesuoyes ie y pensasse autrement) mais le tres-
subtil Dieu, après ce quil eut prins congé de toutes les
Nymphes, et que chacune se fut retirée en son repaire, et
moy au mien, il me suiuit diligemment sans mon sceu,
espia mes allers, et mes venirs : et tant exploita, quil me
surprint seulette et impourueue, lauant mon chef en ma
fontaine. Alors ie toute fondue en crainte feis mon effort
de fuyr et de me musser : mais ce fut en vain. Car la pré-
sence dun Dieu si cler voyant est ineuitable. Mon crier
aussi ne me fut vtile, ne mon prier exaucé : ne mes larmes
qui couroient à grans ruisseaux ne furent suffisantes à
estancher sa chaleur véhémente. Voyant donques ma def-
(1) infligée.
SIRGTLARITBZ DE TROTB. LIVRB I. 187
fense petite, ie ne sceu faire autre chose, sinon recourir aux
armes féminines. Si luy violay sa clere face de mes ongles,
ert emportay les poignées de ses beaux cheueux dorez : et
neantmoins tout ce me prouâta peu : Car il rauit violente-
ment la fleur de ma ieunesse, et la despouille de mon
pucelage.
Lors, pleurant mon meschef, et ma mesauenture, vou-
loye donner triste fin à ma vie, dont la trop longue durée
mestoit desia desplaisante. Toutesuoyes par sa douce elo- v
quence, il laboura tant à mon appaisement, que pour me
destoumer de ce propos mortifère, mofTrit le choix de
toutes les choses quil auoit en possesse, en me donnant
hardiesse de les demander, en lieu de ma virginité perdue :
Tellement que après long refus, ie ne fiis encline à luy faire
demande ne dor, ne de loyaux, ne de pierres précieuses
(car il seroit trop deshonneste, quune fille noble changeast
«m honneur à si viles choses) mais par sens plus rassis, et
mieux choisissant, luy requis le don, et la congnoissance
de toutes les herbes qui sont souz le ciel, et de leurs effi-
eaces et vertuz : Ce quil mottroya libéralement : comme
eeluy qui les ha toutes en commande, et qui premier ha
esté inuenteur de les appliquer en médecine.
Neantmoins ces choses ne mesmeuuent en rien à glori-
flanoe, ainçois eusse esté trop plus contente, sil se fîist
déporté de non faire enuers moy telle poursuite damours,
eomme il feit : et que honnoree ne meust de si haut guer-
don. Toutesuoyes les liberalitez que les puissans Dieux
ottroyent, ne sont à répudier. Car (ainsi ou autrement) leur
autorité est si hautaine, et leur loisibleté (1) si extrême, que
nul ne pourroit contredire à leur plaisir. Mais ce dequoy ie
(1) rarbitraire.
•uiiB plos esbahie, oest de toy, qui nés pas ioniaaant de tU-
tre diuin : et neantmoins as eu la presumption de toy eqni-
parer À la souuerainetô des Dieux, en renoauellant en moy
semblable délit, et me rendant cautelle ponr simplesse, et
iniare pour bienûdt. Yen quen ayant estime de ta bonté,
ie me sais osée approcher de ta personne, plus pour te
rendre sanant de ton origine, que pour autre mérite : en
quoy iay bien esté deceue. Nonobstant que ie iuge assez,
que limpetuosité de ieunesse ha rompu en toy les laez dat-
trempanoe et modération. Parquoy il test plus de léger
pardonnable. Lors Paris respondit en ceste manière :
Madame et mamie, certes ie mercie ta debonnairet^. qui
congnoit que non pas comme iniuriant malicieusement^ mais
comme esprins de flambe amoureuse, iay commis la faute
(si faute y ha) de laquelle toutesuoyes, ie ne me fusse point
garde, si le fort Dieu lupiter mesmes par menasses de sa
puissance immortelle, men eust voulu destourber. Mais
encores quand ie seroye digne de reprehension, en tant que
iay attempté chose à moy non pertinente, si pourrois ie
couurir mon erreur par lexemple daucun pastoureau de ma
sorte : Cestasauoir Endymion nostre voisin de la prouince
Ionique. Lequel osa iadis prier damours la clere Déesse
Diane : dont après aucune repulsion, elle ne fut point si
desdaigneuse, quelle luy niast vn baiser de sa noble bouche,
sur la montaigne de Latmie. Et dautre part, se présente
lexcuse plus facile enuers moy, pourautant que ce nest de
roerueilles si vn simple et rude bergeret, tel que ie suis, ha
esté attaint du désir de ta beauté incredible, veu que les
hauts Dieux mesmes et Demydieux célestes et terrestres,
ont esté enclins à semblable effect. Et non pourtant si iay
ensuiui leur exemple, et il soit ainsi que ie ne te puisse
rendre pareille rémunération, à tout le moins ie te fais o£fre
SDIGTLAEim DB TEOTI. UfU I. 189
de ce peu de biens que iay en ma fruition, cest de mon
propre corps : car le demeurant est petit ou nul. Neant-
moins quelque fortune que auenir me soit, ou Royale ou
toosiours pastorale, ainsi que les Dieux lordonneront (sil te
plaist la prendre en gré) tu y partiras comme moy, pro-
mettant asseurément te tenir en reuerence, et en chierté
par légitime alliance, comme ma propre femme espousee.
Le cœur tressaillit de ioye à la gente Damoiselle, quand
elle ouyt son bel amy Paris luy présenter si cordiaUement
k^ iouyssance de sa personne, en forme de mariage : oultre
laquelle chose elle ne demandoit autre félicité aux Dieux :
si luy dist en plourant de liesse : Or pleust aux Dieux
immortels, Paris Alexandre mon cher seigneur, et mon
amy, que ie fusse bien certaine que les paroles par toy
maintenant proférées, prinssent leur source du meilleur de
ton oœur. Car si ainsi estoit, et lupiter mesmes me voulsist
honnorer de mansion céleste, si prefererois ie ces bois et ces
▼alees, à son paradis pour te suiure, et vser le demeurant
de ma Tie en ta bienheuree compaignie : Nonobstant que
(n ie ne faux À ma pretente) gueres ne demeureras ainsi,
ains seras colloque en palais Royal, comme il test deu, et
lors auras souuenance de Pegasis Oenone ton humble an-
celle, laquelle neantmoins ce pendant entre le dénombrement
de aei douaires, apportera en ton hostel, Chasteté pudique,
et jTêje amour coniugale, non possible à enfraindre. Alors
Paris en inuoquant à tesmoings les arbres, les fleuues, les
Nymphes, et les Demydieux champestres, mesmes la Déesse
luno qui préside aux mariages, et Pan le Dieu des pasteurs,
etia grand Déesse Pales, qui administre herbages et pas-
tnrea aux moutons, et aux brebis, dit ainsi : Madame et
mamie, ie te prie ne yueilles penser, que si redoublée malice
pepat aooir lieu en ton seruiteur Paria : et que sa bouche
100 ILLTSTRATIOKS DB GAflA» ET
dittast mensonge si contradictoire au pensement de son^
cœur. Les Dieux et les Déesses par moy inuoquees, feront
foy au temps futur de la promesse, laquelle derechef le ta
&is solennellement, de non iamais auoir autre femme espou-
see : Et le cas aduenant, de te bailler sceptre Royal es
mains comme tu es bien digne de le porter. Ce dit, pour
plus ample ratification desdites conuenances, les deux
amans sentreaccoUerent derechef.
Le beau Pbebus commençant à baisser son chariot deu^rs
Occident, pour plonger ses cheueux ardans es vndes de
Tethys, Paris se partit dillec, et emmena sa Dame nou-
urile aux bordes cbampestres de son père putatif, auquel il
la présenta, et à sa mère nourrisse aussi, en les informant
de la noblesse délie, et de ses singulières vertuz. Et leur
conta toute lauenture ainsi quelle auoit esté, sans toutes-
uoyes sonner mot de ce que la Nymphe luy auoit dit de son
origine : mais bien les aduertit des conuenances mutuelles
de mariage dentre eux deux. Quand les bonnes gens la
veirent, à ce que bien cognoissoient le haut lignage dont
elle estoit yssue, ilz furent tous esmerueiilez dune telle
auenture, et sesbahirent beaucoup, par quel moyen, \ne si
grand gentilfemme sestoit peu et voulu condescendre, à
prendre le berger Paris, pour son espoux. Si la recourent
à grand ioye, honneur et reuerence, et aussi feirent leurs
enfans, en luy priant humblement et courtoisement, quelle
voulsist prendre en gré et en patience leur .petit estât, en
lieu de plus riche appareil. Et au surplus ilz la festierent à
leur pouuoir de telz biens quilz auoient, et conuoquerent
des le soir mesmes tous leurs amis prochains, et vn prestre
de leur loy aussi qui les bénit et espousa selon la manière
d adonques, et couchèrent la nuict ensemble.
Le lendemain matin, tous les frères et parens putatiCz de
SUC6VLAR1TEZ BE TROTB. LIVRE I. 191
Paris, dt ses amis et compaignons, feirent vn grand con-
uiue nuptial : et en inuoquant le Dieu Hymeneus, qui est
protecteur des noces, feirent resonner leurs douces muset-
tes, et burent du vin largement, quilz enuoyerent quérir en
la cité de Cebrine, par eschange de moutons, et de bestes.
Les belles bergères du païs Cebrinois se rassemblèrent
toutes, et bienuiegnerent la gracieuse Nymphe, en chan-
sons, danses, et esbattemens, mesmes les autres Fées ses
oompaignes qui parauant menoient dueil, cui dans lauoir
perdue, reprindrent plaisance et liesse, et démenèrent
ioyeuses festiuitez parmy leurs repaires. Si feit son père le
noble fleuue Xanthus, et la belle dame de la fontaine Creusa
sa mère. Lesquelz au moyen de ce quilz estoient Demy dieux
sauoient tout lestre et lextraction de Paris, leur gendre,
esperans de voir quelque iour leur fille colloquee en hon-
neur Royal. Brief, toute la marche circonuoisine en démena
ioye et soûlas : Car tant estoit Paris agréable à vnchacun,
et tant aymé de tous et de toutes, autant pour sa beauté,
comme pour ses singulières grâces et vertuz, que tout ce
quil faisoit, estoit exaucé en commune congratulation,
comme sil fust vn Demydieu. Et la tresamoureuse Nymphe,
voyant tel honneur a luy estre fait, estoit toute confite en
plaisir et en resiouissance, et se deduisoit et soulacioit
debonnairement auecques les autres, dont par sa bonne
nature elle fut tantost appriuoisee. Si feit tant par sa dou-
ceur et prudence, quen peu de temps elle fut en grand esti-
mation de ses voisins : Mesmement à loccasion de ce quelle
auoit lart et la congnoissance de toutes herbes, plantes et
racines du monde, pour médecine et sanation de toutes
diuerses morsures de bestes venimeuses, et autres espèces
de maladies. Lesquelles (par le don du Dieu ApoUo) elle
sauoit curer, comme dessus est dit, et dont elle faisoit
i9S ILLfBTIUTIORS DB GAtU, BT
beaacoap de secours aux pasteurs et aux bestes de 1& entour»
Tellement que son beau père et sa belle mère, et aussi tou^
leurs voisins et congnoissans, benissoient Iheure et le ioui*
quik lauoient rencontrée.
SIRGYLAKITEZ DC TROTE. LIVRE I. 193
CHAPITRE XXVII.
Db loaable contentement de Paris Alexandre, en son premier mariage.
De la grand amour mutuelle qui estoit entre luy et sa femme : et
des deux enfans quil eut délie. Auec allégations suffisantes pour
pronaer quelle estoit sa femme légitime. Et vne explanation nota-
ble, que cest à dire Nymphe, à parler proprement. Anee proba-
tion de la noblesse dicelle Nymphe Pegasis Oenone.
Le noble Paris Alexandre, et sa compaigne Pegasis
Oenone, demenoient ensemble vie si amoureuse et si plai-
sante, que cestoit vn grand soûlas de les voir. Souuentes-
fois se reposoient au mylieu de leurs troupeaux, souz le doux
ymbrage des hayettes (1) fueillues, et souz lespesseur des
branchettes des arbres : ne iamais lun ne fut veu sans lau-
tre. Et quand ce vint que le riche temps dautomne eut mis
en grenier tout son trésor et amas fructueux de lannee, pour
le viure et prouision des animaux marchans sur terre, et
que tous arbres furent despouillezde leur beauté verdissante,
Vulturnus le froid vent venant de septentrion, comme pré-
curseur^ vint annoncer triste nouuelle de froidure hyuer-*
nalle, et sifflant de sa grieue alaine, escroloit (2) les gros
trônez des hautes forestz. Et son compaignon Boreas congé-
loit la liquidité des fleuues decourans, et les transformoit
en crjrstal immobile. Alors les deux amans se tapissoient en
leors petites maisonnettes pastorales, ayans pour tout habil-
(1) petites haies. — (2) En italien serollare^ seooner.
I. 13
194 ILLYSTIUT101I8 DB GATLB, WT .
lement à résister contre limpetuosité du froid hyemal des
peaux de mouton houssues (1) de leur toison, et bien garnies
de laine : Et se contenoient dedens leurs bordes champes-
tres, couuertes de chaume, ou desteulle, (2) dont les cheurons
flechissoient aucunesfois de foiblesse, pour la pesanteur de
la neige, qui de nuict cheoit dessus. Et ilz se gisoient non
pas en coustres de plume de duuet, mais en poures mate-
ratz farsis de paille, ou de fueilles de chastaignier, esquek
ilz se reschauffoient du feu damoureuse exercitation. Adonc
les troupeaux beslans et mugissans par faute de pasture,
tous hérissez, et racroupis de froid se contenoient dedens
leurs estables, et on leur administroit foin et fourrage pour
leur sustentacle. Mais nonobstant la rigueur de firoidure,
Paris impatient de seiour, mesprisant glaces et bruines par
ardeur iuuenile, aymant le trauail corporel, et fuyant toute
lasche oysiueté, souuentesfois faisoit bondir son cor, et
assembloit ses compaignons pour aller à la chasse. Et la
belle Nymphe par semblable courage le suiuoit parmy la
montaigne : et souuentesfois luy aydoit à mener les chiens,
ou tendre les retz et les filez. Et luy enseignoit les cauernes
des rochers là ou les bestes paisibles et non dangereuses
auoient accoustumé de repairer : mais des autres bestes
cruelles et furieuses elle admonnestoit tousiours Paris de
fuyr les duyeres, (3) en luy racontant Ihistoire du malheu-
reux iouuenceau Adonis.
Adonis, (disoit elle) mon amy, fut fllz de Cynara Roy de
liste de Cypre (laquelle nest pas trop loing de ce païs) en-
gendré incestueusement en sa propre fille Myrrha. Mais il
estoit si beau et si plaisant, que Venus la Déesse en fîit de
(1) travaillées en laine.
(2) d€Stull€ (éd. 1528). En wallon liégeois Wd^/^.
(3} dufferes, retraites.
SUHSTLAMTBI DE TROTS. LIVftK I. 19S
tel désir atteinte, quelle le suiuoit communément allant k
la chasse parmy les bois et les forestz, comme ie &is toy.
Et ponr la souueraine amour et plaisir total quelle auoit
mis en luy, laduisoit maintesfois de se garder des bestes
qui sont flores et rebelles, armées dongles et de dents, et
de cruauté mortelle et périlleuse. Mais ce nonobstant, vn
iour entre les autres lenfant trop hardi et peu robuste, non
tenant conte dexhortations salubres de sa dame (pour lors
absente) sauentura denuahir vn terrible senglier, grand et
orguilleux à merueilles : lequel irrité des chiens, et escu-
mant horriblement, pourfendit lenfant par grand outrage,
et le meit À mort piteuse. Dont la Déesse, quand elle en ftit
aduertie, fut si dolente quelle le ploura long temps amère-
ment, et desrompit ses beaux cheaeux aureins. Et sil ne
fust quelle estoit immortelle, elle en fust morte de courroux.
Mais pour son soûlas final, elle transforma le corps de son
amy en vne fleur de couleur purpurine. Or, mon cher
espoux et amy, si le cas semblable aduenoit de toy (que les
Dieux ne vueillent) soyes seur et certain, que ie qui ne
suis pas immortelle, auroye tantost trouué chemin à la
mort : car après ton defineroent ie ne quiers viure vne
seule heure. Parquoy ie te prie, mon tresdoux cœur, que tu
nous reserues tous deux en vie, tant que nature ayt fait son
droit coars, sans ce que mort violente fasse abréger les
iours lun de lautre. Aussi ie tadmonneste par grand atten-
tion, que tu ne fréquentes en ces forestz présentes, sans
bonne compaignie, de peur que dauenture le haut Dieu
lupiter, ne te fasse rauir et emporter aux cieux, par ses
aigles sacrées, ainsi quil feit iadis le beau Ganymedes ton
ancestre et parent. Car ainsi comme ainsi, ie ne voudroye
&ire demeure en ce mortel monde, après toy. Alors Paris
en lacoollant amoureusement, luy disoit quelle neust aucu-
196 ILLT9TRAT10lf8 DE GAYLE| ET
nement soucj de sa personne, car bien euit^oit tous ces
dangers. Les frères et compaignons de Paris, qui voyoient
et entendoient vne amour si parfaite entre ces deux per-
^nnageSf en prisoient beaucoup laffi^re, et leur attri-
buoient grand félicite.
Ainsi passoit le temps le gentil berger Paris Alexandre,
auec la gracieuse brunette Pegasis Oenone, son espouse,
en vne haute tranquilité, parfonde paix, et amour incre-
dible, content des simples metz de nature, en humble habi-
tation et société pastorale. Lequel estât seur et pacifique
mieux luy eust valu tousiours entretenir, que depuis par
ambitieux appétit vouloir estre vestu de pourpre, et serui
de metz délicieux en palais Royaux, en communication de
Princes, et au mylieu de tumulte bellique : ou ny ha rien
sinon grief soing, et inquiétude insupportable : lesquelles
choses lenuelopperent en grieue tribulation, et finablement
en la mort, trop temprifue, (1) pour auoir aspiré à la beauté
d'Heleine, comme vous orrez cy après.
Or recite Bocace au vi. liure de la Généalogie des Dieux,
que dedens aucune espace de temps, le ventre arrondit et
enfla à la gracieuse Nymphe Pegasis Oenone, pour la
croissance du doux fruit et semence qui dedens se vegetoit.
Si se trouua enceinte denfant, et moult bien luy seoit, si
que Paris en receut vne merueilleuse liesse. Le terme
venu, que par droit de nature elle se deuoit descharger de
sa portée, la Nymphe accoucha dun beau filz, qui fut
nommé Daphnis. En laquelle petite créature, par ioyeux
spectacle on pouuoit facilement recongnoitre la semblance
et grand beauté de Paris. Et consequutiuement lan reuolu,
elle fut derechef grosse dun autre enfant, qui fut appelle
(I) prompte.
81IV6VLÂR1TEZ DE TROYB. LIVRB 1. 497
Ideas. Toutesfois comme iestime, Hz ne vescurent point.
Car on ne treuue par escrit rien de leurs gestes : ou silz
demeurèrent aucun temps en vie, si furent Hz nourris obs-
curément entre les pastoureaux, sans chose digne de mé-
moire. Car ie nay yeu acteur quelconque qui en escriue
aucune chose plus auant, sinon Ouide au quatrième de sa
Métamorphose, qui en touche vn mot en passant : Disant
que Daphnis Ideus, cestadire des montaignes Idées, fut
transmué en pierre, par la maluueillance et ialousie dune
Nymphe du païs. Neantmoins ie ne scaj sil entend diceluy
Daphnis filz de Paris.
Bocace en parlant desdits deux enfans, peult sembler
entendre quilz ne fussent point concenz légitimement :
mais sauue sa grâce : Car Dictis de Crète tresancien histo-
rien, et qui estoit du temps de Troye, nous asseure du con-
traire, disant en son m. liure, en la personne de Priam',
qui parle à Achilles, ces propres paroles : Quem {sciliceô
Alexandrum) coniugio deinde Oenone iunctum, etc. Et
puis au iiii. liure : Alexandri funus per partent aliam
pùTta ad Oenonen : qua ei ante raptum Helena nupserat,
etc. Pareillement Strabo, tresdiligent inuestigateur de lan-
tiquité Troyenne, dit en son xiii. liure de Géographie ces
mots exprès . In Cehrinia reçione^ Alexandri et Oenpnes
sepuîturam ostendi : quatn dicunt Alexandri vxorem
fuisse y priusquàm Helenam râper et, etc. Parquoy appert
quil ne faut aucunement douter, que ladite Nymphe ne
fust sa propre femme et espouse légitime. Et aussi ne faut
mettre en dubitation quelle ne fust gentilfemme, et de bonne
maison : Car à le prendre en bon sens selon ce que met
Bocace au xiiii. chapitre du vu. liure ^6 la Généalogie des
Dieux, Nymphes sont dites toutes nobles puéellés ou femmes
tendres et délicates, de bonne complôlion, fi*esche, san-
198 UJLV^TRATiONS DE GAVLB, ET
guine et humide, souefuement nourries, en chambres et
salles vmbreuses, loing de hasle. Et pour ce les appellent
les poètes Naïades, ou Napees, comme Déesses de fieuues et
fontaines, pour Ihumidité succulente qui est en elles. Et au
pantraire, femmes agrestes, seiches et consumées de labeur
et de peine quotidienne, ne sont point dites Nymphes. Et
en tant que la Nymphe Pegasis Oenone, est tenue fille du
fieuue Xanthus, comme met Vbertin commentateur des
epistres d'Ouide, combien que Antoine Volsc la dise estre
fille du fleuue Yphrites, il faut présupposer que son père
estoit quelque puissant homme, ayant son tenement et pos-
sessions autour du riuage dudit fleuue, et de la fontaine
Creusa : pour laquelle raison elle est appellee Pegasis :
cestadire Nymphe ou Fee de fontaine. Car pege en Grec,
signifie fontaine en François (comme met ledit Vbertin)
j^our lesquelles raisons ladite Nymphe Napee, ou si vous
voulez Naiade, selon ce que met Lucan en son ix. liure,
disant :
qoo vertice Nais Luserit Oenone.
Soy confiant de la grandeur de son origine, reproche en
son eplaire à Paris son ingratitude, disant que trop est
mescongnoissant de la laisser pour y ne autre, quand il est
paruehu à meilleure fortune : Attendu que luy estant
comib'e poure serf, et esclaue entre les pastoureaux, elle
qui estoit femme noble, yssùe de haut lignage, le daigna
bien prendre à mary'. Et ses mots sont telz en ladite epis-
ti'e d'Ôuide :
Nondum tantos erai cùm te contenta mai ito
Edita de Magno flamine Njmpha foi.
.. Qai nunc Pqamides, etc.
SIHGVLARITBZ DE TROTB. LIVRE 1. 199
De toutes lesquelles choses amplement informée la Royne
Hecuba fut trescontente, et luy pleut bien de tout. Si auoit
incessamment loreille aux escoutes, et lœil au bois pour
trouuer occasion de ielter son cher enfant Paris hors de
lexil ou il estoit, et le réduire (1) près de sa personne. Et est
vrajsemblable quelle ne se passa point de laller voir occul-
tement en son nouueau mesnage : en feingnant (parauen-
ture) daller à la chasse, ou pour visiter les troupeaux du
Roy, ou en quelque autre manière. Neantmoins elle nen
feit encores aucun semblant, pource que trop craingnoit
doffenser le Roy. Or quant aux dessusdits deux enfans de
Paris, il nen sera plus faite aucune mention doresenauant
en oe présent volume. Car comme desia est dit, autre
chose ne sen treuue. Mais il faut mettre son entente à con-
tinuer heureusement nostre matière à layde de Dieu.
(1) red%cere, ramener.
200 ILLVSTRATIONS DE GATLE, ET
CHAPITRE XXVIII.
Spécification de la belle valee de Mesaalon, sar le fleuae Scamander,
en laquelle Paria Alexandre gardoit ses brebis. Et de la aemoBce
de tona lea Dieux et Déesses, excepte Discorde, faite aux nooes
du Roj Peleus de Thessale, et de la Nymphe Thetis, par le com-
mandement du Dieu lupiter, en Ihostel de Chiron le Centaure, et
des régions dont vindrent les Dieux et Déesses, là ou la matière
poétique est bien expliquée et dîlucidee.
Tandis que la noble Nymphe Pegasis Oenone estoit en
gesine de son second âlz (comme ie imagine) le ieune ber-
ger Paris Alexandre non sachant plus suiure compaignie si
sa dame ny estoit, comme celuy qui de son amour estoit tant
abruué (1) que plus ne pouuoit, deuenoit ainsi comme tout
solitaire, et ne frequentoit plus tant la chasse quil souloit,
ny ne se tenoit gueres auprès des bergers. Car il nest rien
qui mue si soudain les conditions dun homme, que nouuel-
les amours, comme met Terence en sa première Comédie.
Or aymoit il oultremesure le lieu là ou premièrement il
auoit eu iouyssance de sa dame : et souuent frequentoit la
valee dont dessus est faite mention, en laquelle il en eut la
première accointance. Si sen alloit souuentesfois à tout sa
panetière et sa houlette, sa harpe et ses flageoletz et muset-
tes, menant paitre ses berbisettes, et ses cheures, et ses
gras bœufz et toreaux en la valee prochaine. Car le lieu
(\) abuvré (éd. 1512).
8UIGVLAEITEZ DE TROTB. UYRK I. 201
estoit vmbreoz et odoriférant par laduenement du prin-
temps qui nouuelles fleurs et fueilles y auoit tissu, et sap-
pelloit alors le val de Mesaulon : comme met Bocace au
sixième liure de la Généalogie des Dieux. Et est prochain
en comparaison à celuy qui sappelle Tempe, sur le fleuue
Peneus de Thessale, dont Ouide fait vne belle description
en son volume de Métamorphose.
Car icelle valee de Mesaulon est humble et coye, se bais*
sant doucement entre les deux cruppes des montaignes,
lesquelles seslieuent hautement dun costé et dautre. Et
sont richement reuestues de pins, sapins, cèdres, cyprès, ifz,
huissetz, (1) et houx, geneure, galles, therebintes, et coc-
ques : qui portent la graine descarlate, et de maints autres
petis arbustes aromatiques. Et au fons de la valee le plai-
sant fleuue nommé Xanthus ou Scamander, couloit ses
vndes anal qui sont verdes et bleues par la reuerberation
du ciel et des terres prochaines, et bruit taciturnement
entre ses riues, lesquelles sont bien peuplées de cannes,
roseaux, ioncz fluuiaux, et autres herbes aquatiques. Entre
lesquelz nidifient cygnes, plongeons, pionniers, malars, cer-
celles, fulliques, loucbiers, poulies deaue, et autres oyseaux
de riuiere. Et dessus les hauts arbres disposez au long du
nuage, cestasauoir chesnes, saulx, fresnes, tilleux, allemar*
ches, ormes, plaines, fouteaux, poupliers, myrtes, et lau-
riers, habitent maintes nouuelles espèces doiseaux : dont
las plumettes peintes de diuerses couleurs sont esparses par
dessus Iherbe poingnante : si comme phaisans, hérons, pel-
licans, poulies dinde, bécasses, grues, butors, cicongnes,
corbeaux, cormorans, chauuettes, torterelles et coulons
ramiers.
(1) bniMetz (éd. 1512 et 1528).
902 ILLYSTRATIOKS DE GAYLE, ET
Le doux vent Fauonius, qui souffle d*Oocident et fàuorise
aux boutons sortans des branches des arbres, faisoit cresper
doucettement et figurer multiformement la partie superfi-
cielle des nobles vndes de Scamander. Et le tresbel Alex-
andre se delectoit à ouyr le chant des oiseletz, qui deoo-
roient la fresche matinée de leurs harmonieuses chansonnet-
tes, dont entre plusieurs estourneaux, merles, mauuis, iays,
loriotz, masenges, nonnettes, pies, picz vers, pinçons,
pyuoines (1), passerons, serins, tarins, verdiers, calandres,
lynottes, aloettes, et autres de diuerses espèces, Philomena la
douloureuse sœur de Progne larondelle fille du Roy Pandion
d'Athènes ayant forme nouuelle de rossignol, faisoit grand
querimonie de sa virginité perdue, et Itys son neueu le
malheureux enfant Royal, aussi nouuellement transformé
en vn chardonnereul, ayant encores la teste rougê de son
propre sang, debrisoit piteusement en ses prolations le
deoours de son infortune, tellement que le riuage en reten-
tissoit loing et près, et semonnoit le ioyeux cœur de Paris
à dit ter et composer lais et virelais à Ihonneur de sa dame,
lesquelz puis après il chantoit sur sa harpe harmonieuse.
Et autresfois soccupoit à entailler sa deuise à tout vn cou-
teau, sur lescorce des fouteaux, et autres arbres, en escri-
uant le nom et les tiltres d*Oenone sa dame : A fin que
dautant elle fust exaucée, comme les arbres croitroient : et
dautant que plus ilz croissoient, dautant plus saugmentoit
au iouenceau Paris lamoureux désir dicelle. Dont entre
plusieurs mots quil y meit, vue fois entre autres il ditta
cestuycy :
Qaand Paris délaisser Oenone on verra,
Xanthus le fleuue cler encontremont ira.
(1) bouvreuils.
SniGTLARITEZ DE TROYE. LITRE I. 903
Vn ioor donques entre les autres que la laine du mouton
A la toison dor. Prince des douze signes, resplendissoit
par les rais du soleil vernal, lupiter troisième de ce nom«
Roy de Crète, souuerain des hommes et des Dieux selon
lopinion des anciens, estant pour lors en son grand temple
de Dodone, qui est en vne prouince de Grèce, nommée
Chaonie, pour décorer les noces de son neueu Peleus, filz
d'Eacus, Roy de Thessale, de Àfyrmidone, et de Pharsalie,
lequel espousoit la belle Nymphe Tethys, surnommée la
leune (à la différence de la grand Tethys Déesse de la mer)
feit venir de la cité de Gyllene en Achaie, son filz et son
héraut Mercure, le Dieu deloquence, lequel il engendra iadis
an Maie fille du grand géant Atlas. Et quand il fut venu
deoant sa présence, lupiter luy enioingnit daller prompte-
ment semondre tous les Dieux et toutes les Déesses du ciel,
de la mer et de la terre : et de par luy leur commander, quilz
86 trouuassent tous au grand conuiue qui! vouloit faire sur
le haut mont Pelion de Thessale, en Ihostel de son frère
bastard Chiron le Centaure, cestadire demy homme et demy
eh6iial,âlz de Saturne.et de la Nymphe Phillyra. Car lupiter
aaoit prédisposé en sa céleste prouidence, que de la conion-
etioa matrimoniale desdits Peleus et Thetis naistroit en
brief, le grand chef dœuure en prouesse et en armes, le
treshardy combatant Achilles, qui feroit triompher le nom
des Orecz, en perpétuelle mémoire des siècles aduenir. Et
sekm la prophétie de Proteus le sage diuin Roy d'Egypte,
aeroit plus grand et plus renommé, que celuy qui lauroit
engendré, et pource sestoit déporte lupiter de prier da-
moors ladite Nymphe Thetis, de peur quil nengendrast en
die plus grand que luy. Si conunanda à Peleus son neueu
de lespouser. De laquelle chose ledit Peleus ne vint pas &
chef sans grand peine. Car la Nymphe se transformoit en
9M 1LLT8TRAT10MS VE GAVLB, ET
maintes sortes et manières : oestasauoir, vne fois en oiseau,
et antresfois en arbre, et pais en tigre, comme appert de-
rement par lonzieme iiure d*Ouide en sa Métamorphose.
Mercure donques entendant que son seigneur et père le
Roy lupiter vouloit célébrer la natiuité future de son beau
neoeu Achilles, en la plus grand solennité que &ire se
pourroit : pour accomplir son commandement» affubla sa
riche capeline, que les poètes nomment Oalere» laquelle est
garnie de belles plumes, en signiflance que Ihomme éloquent
est armé de deffence et de diligence, contre tous ennemis :
Puis chaussa ses talonnieres de fin or, garnies de belles
esles, qui luy seruent à voler parmy lair, en dénotant la
grand vélocité de la parole, qui va légèrement en diuerses
régions loingtaines. Et print en sa main sa verge ou masse
de héraut, que les poètes appellent Caducée, enuelopé de
deux serpens entortillez, qui signifient prudence. De la-
quelle verge il enchanta et endormit iadis Argus le eler-
voyant. Car prudence et beau parler humain endort les
plus rusez. Et à tout ces accoustremens Mercure sen coula
parmy la région aërine clere et sapphirine, pour parfoumir
son message, lequel il acheua en peu dheure, combien que
les personnages ausquelz il sadressoit feissent résidence en
diuerses pars, de grand distance et remotion.
Au mandement du Roy lupiter exposé par Mercure, tous
les Dieux inférieurs et supérieurs, et les grands Déesses
aussi, les Demydieux, Heroës, Nymphes et Demydeesses,
obéïrent promptement, et abandonnèrent leurs manoirs,
régions, seigneuries, domaines, citez, temples, autelz, et
autres lieux sacrez, pour prendre leur chemin vers le lieu
assigné, du haut mont Pelion de Thessale. Excepté le vieil-
lard Saturne, triste, mélancolique, et tardif, selon la nature
de sa planette : Lequel sexcusa de venir, pource quil estoit
8IllC^n.ARITBZ DB TROTS. LIVRE I. 908
malade. Et aussi que sa sphère et région est trop loingtaine
ie la terre habitable. Pareillement lancien père des Dieux
Demogorgon demeura en son abyme, et au parfond centre
de la terre : si nen peut onques eschapper. Or diray le de
quelz païs, isles et régions, vindrent la plus part des autres
Dieux et Déesses, par mer et par terre, en ensuiuant Virgile
en ses Priapees, qui assigne à chacun diceux certain lieu
et habitation, et aussi Bocace, et autres acteurs.
Premièrement y alla, de la grand mer Oceane Thetis
Déesse des eaues : et entra par les destroits de Maloch, (1) en
la mer Mediterrane. Icelle grand dame Thetis fut fille du
Ciel et de Vesta, cestadire la terre. Car Vesta est ainsi dite,
ponrce quelle est vestue de fleurs et de verdure. La dessu-
dite Tethys est mère génitrice de toutes Nymphes et Fées :
Car toutes femmes sont humides de nature. Elle estoit mon»
tee sur le chariot de son mary le grand Océan, qui va et
vient, flotte et reflotte deux fois le iour : et estoit trainee
par deux grands balaines : et à sa queiie estoit sa fille
Dons, ainsi nommée pource quelle est amere et salée,
ensemble les Siraines et grand nombre de Nymphes apel-
lees Néréides, pource quelles sont filles de Nereus, et de
ladite Doris : lesquelles estoient montées sur le dos des
Dauphins. Et toutes estoient sorties de leurs parfonds gouf-
fres et repaires de mer, délibérées de venir faire honneur
4 leur sœur et compaigne, la ieune Tethys espousee.
Consequemment des isles qui sont en la mer Mediterrane,
y alla pour le premier Eolus seigneur de lisle de Liparos,
et des autres isles Vulcanes qui sont à lendroit de Sicile.
Iceluy Eolus est Roy des vents, ûlz de lupiter le tiers, et
de la Nymphe Sergeste. Mais il ne mena auecques luy (on
(1) Mâr$ek (éd. 1512).
SOB ILLTWTRATKmS DB 6ATLB, BT
seulement le doax vent Zephyrus, aatrement appelle Fauo-
nias, pouroe quil faaorise aux floarettes : et sa femme la
belle Nymphe Flora. Si enferma Boreas et ses autres oom-
paignons trop terribles et impétueux dedens les cauemes
et gouffres desdites isles. Et de lisle de Lemnos, qui est
IttHe des Gyclades, partit le boiteux Vulcan Dieu du feu,
lequel est feure des Dieux, et forge les foudres de son père
lupiter, tant en ladite isle, comme au mont Etna de Sicile.
Il mena auec luy deux de ses ouuriers nommez Cyclopiens :
Cestasauoir Broutes et Pyragmon, qui sont grans Geans :
et recommanda fournaises, enclumes, et marteaux aux
autres compaignons.
De lisle de Crète, desmarcha la clere Déesse Diane, quon
i4>pelle autrement Phebe ou Luna, laquelle tous les mois
repare ses cornes : et amena auec elle grand nombre de
Nymphes : Elle estoit montée sur vn chariot à deux roues
pour designer son cours ioumal et nocturne, lequel estoit
tiré par deux cerfz blancz : signifiant quelle est Déesse
des Veneurs. Aucuns disoient que cestoient deux chenaux
dont lun est blanc et lautre noir. Le blanc dénote le iour :
et le noir la nuict. De lisle de Rhodes vint ApoUo autre-
ment nommé Sol, ou Phebus, filz de lupiter et de Latone,
et frère germain de ladite Déesse Diane. Lequel portoit en
son noble chef auricome vn diadème cler et irradiant, dis-
tingué de XII. pierres précieuses selon les douze signes de
Zodiaque. Et estoit monté sur son chariot doré, à tout
lequel il circuit continuellement la terre. Iceluy chariot est
aorné richement de diamans, chrysolithes, rubis et autres
pierres précieuses, qui dénotent les diuerses vertuz et pro-
prietez du Soleil, et sont mises en œuure à lenteur des
roues aureïnes, des rays argentez, et du timon de an or
massif. Et Aurora, cestadire laube du iour, sa belle four-
SniGULARITBZ DE TROTS. UTIC I. SOT
riere fille de Titan et de la Terre, le preoedoit chassant
toute ténébreuse obscurité nocturne de deuant luy.
En après vint de lisle de Cypre, la belle Déesse Venus
fille de lupiter et de la Nymphe Dione, et laissa ses nobles
vergers fions qui sont en ladite isle. Si vint auec luy son
filz Oupido Dieu damours, aomé de telz accoustremens
quon scait. Lequel aussi amena sa fille Volupté : et les trois
Grâces filles de la Nymphe Autonoé vindrent auecques leur
maistresse la Déesse Venus. Pareillement de lisle de Tene-
dos, qui est le bien aymé seiour de Neptune, deslogea ledit
Dieu Neptunus, filz de Saturne et de la Déesse Opis, et sen
vint en grand pompe séant sur vn chariot que douze chenaux
marins train^ent, sur fiotz et sur vndes salées. Lequel
chariot dénote la circuition que la mer fait alentour de la
terre : il tenoit en sa main vn grand trident en lieu de
sceptre, en signifiant les trois proprietez de leaue : oesta-
sauoir quelle estlabile, cestadire coulant, nauigable, et pota-
ble. (1) Et menoit auec luy ses instrumentaires et précur-
seurs appeliez Tritons qui cornent en bussines de coquilles
de mer, et désignent le bruit que la mer fait contre les
riuages et rochers. Aussi mille autres monstres de mer le
suiuoient. Si laissa Neptune, la garde des grans troupeaux
de ses poissons et belues marines, à Proteus le sage vieillard
Roy d'Egypte, filz de TOcean et de la grand Thetis, lequel
estoit son berger. Et oultreplus, recommanda la conserua-
tion des ports et haures de mer, à Portunus, autrement
appelle Palemon, le Dieu diceux. Et la defiense des riuages,
à Marica la Déesse. Et ce quant aux isles de mer.
De la région de terre ferme, oultre la mer Hellesponte,
cestasauoir de Phrygie, qui est en Asie la mineur, et du
(1) portable (éd. 1512).
208 ILLTSTRATIONft DB GATLS, ET
mont Berecynte enuiron Troye vint dame Cybele la grand
mère des Dieux, femme de lancien Saturne, et fille du Ciel
et de Vesta. Laquelle est nommée Vesta, pource quelle est
reuestue de fleurs (comme dessus est dit) ou Terre, pource
quelle est conteree (1) et defoulee des piedz, ou Opis pource
quelle baille opulence, et opitulation aux viuans, ou Âlma
et Pales, pource quelle preste aliment et pasture aux ani-
maux. Ladite Gybele donques estoit montée sur son chariot,
attelle de quatre Lyons domptez, pour demonstrer que les
plus forts de la terre sont subietz aux loix de Nature. Et
tenoit vn sceptre Royal en sa main. Ayant au chef vne
grande et merueilleuse couronne, toute estofi^e de tours,
citez et chasteaux. Sa robe estoit bien figurée de bois, her-
bes, et diuers arbrisseaux dont la terre est parée. Et tout
alentour délie ses gens appeliez Corybantes, armez et em-
bastonnez, sonnans tabours, tympanes et bedons, dont ilz
menoient grand noise, en signifiance que chacun doit estre
prest à defTendre sa terre et son païs. Priapus aussi le
Dieu des iardins et de fertilité vint de (2) ce quartier : ces-
ta-dire de Lampsacus, qui est vne cité de Phrygie, située
sur la mer Propontide.
Des parties Citramarines, cestadire de la région d'Italie,
passèrent la mer Adriatique, et allèrent ausdites noces
Hercules filz de lupiter et d*Alcumena, nouuellement deïflé
en la cité Tyburtine, à cause de ses grands prouesses : et
de ce quartier aussi y allèrent Faunus filz de Picus, et
Syluanus son compaignon, lesquelz sont tous deux Princes
et Demydieux des bocages. Pareillement y alla de Sicile la
fertile, la noble Déesse Ceres, fille de Saturne et de la
(1) battue.
(2) à (ëd. 1512).
SmCfLAUTU DB TROTB. LI?BB I.
Opis, laquelle est dominaterease des bledz. Mainte-
nant reste à descrireles Dieux et Déesses, qui y allèrent
deGreoe.
Platon Roy de Molosse, et des régions inférieures, firere
de Ivpiter et de Neptune, et file de Saturne et de la Déesse
Opis aouuent nommée, partit de basse terre et de sa grand
cité noounee Dis, qui est toute barrée de fer, et se fia du
tout en son portier Gerberas le grand cbien à trois testes.
Il estoit monté sur yn chariot à trois roues, que trois che*
uaux plus noirs que meure trainoient : en dénotant que la
puissance Plutonique, eestadire les richesses lesquelles on
prend es régions souzterraines, sont tirées par trois grans
labeurs, cestasauoir délibération dacquerir, tristesse et
difficultë. Si amena auec luy sa compaigne Proserpine, fllle
de Gères Déesse de fertilité. Et de la riche cité de Mycenes
qui estoit en Achaie, y alla la Royne luno bien accompai-
gnee. Aussi Pan le Dieu des pasteurs habitant es landes de
la prouinee d*Arcadie, laissa ses brebis, et se meit à che-
min. Et en oultre, la Déesse Pallas partit de luniuersité
d*Athenes, et se tira celle part. Et les neuf Muses laccom^
paignerent, auec leur mère Mémoire.
DautrecostéMars le terrible, fllz de luno la diuerse(l) qui
estoit bien empesche en ses batailles print tresues, et desmar-
cfaa du plus profond de Thrace sur les frontières de Tartarie,
à simple estât et peu de compaignie : laissant en son ost
Impétuosité, Boutomens de feuz. Homicide, Iniure, Disper-
sion de biens. Ruine, Espies, Menasses, Tristesse, Fureur,
et autres souldars de la guerre, qui ne sont point duisans à
vue assemblée nuptiale. Et sen vint hastiuement monté sur
vn chariot tout dacier, fourbi et destrempé à gros cIou2
(1) dwre^ er%€Uê.
i. U
210 ILLVSTtATlONS DE GAVLB, ET
darain, dont les cheuaux estoient hideusement teints Bt
conuers descume et de sang, fumans et hennissans horrible-
ment : et luy tout eschaufTé ayant les mains sanglantes, et
le visage tout terny de pouldre et de sueur, se vint ruer an
lieu de lassemblee. Mais les dames qui le recueillirent, le
lauerent deaue rose elles mesmes, et le- désarmèrent. Puis
luy baillèrent vn riche manteau de pourpre, fourré dermi-
nes, qui le rendit plus gracieux et plus auenant.
Tous les Dieux estoient arriuez, excepté le gentil Bac-
chos Dieu du vin, âlz de lupiter et de la belle Sëmele. Et
pource quil tardoit beaucoup, à lappetit des attendans, et
que la feste ne valoit rien sans luy, le héraut Mercure fat
renuoyë pour le haster. Si le trouua partant de son lieu
natal : cestasauoir de la cité de Thebes, en Beotie, qui sen
venoit en grand triomphe sur son chariot, trainé par Lyn-
ces, qui sont bestes ayans le regard si agu, quil perce les
murailles, et par Tigres, qui sont bestes tresfarieuses : en
signifiance que quand Ihomme prend du vin raisonnablement,
on en voit plus cler en ses affaires : et quand il en prend
oultre mesure, on perd lusage de raison. Bacchus estoit en
forme dun ieune homme nud et efféminé, pour dénoter, que
le vin diuersement administré, raiouenist, desnue, et amolist
les gens. En son chef il auoit vn chapeau de lierre, dont on
couronne les poètes, en désignant que le vin est tousiours
en sa vigueur et fioriture. Et en sa main tenoit vn sceptre
de lettons de vigne. Âpres Bacchus, venoit son maistre et
gouuerneur appelle Silenus le bon vieillard, lequel estoit
desia.yure, et monté sur vn asne, tenant vn grand flascon
par lanse : çt se laissoit tomber. Mais Marsyas le Satyre,
et ses compaignons le redressoient, et alloient alentour de
luy, à tout leurs barbes et piedz de cheures, sautans et
SUIGTLlftlTBZ DB TtOTB. LIVRE I. 211
treppans, (1) rians et vociferans par grand lasciuité : dont à
lapprocher, la noble assemblée se print fort à rire. Le gen-
til Dieu Bacchas descendit de son chariot, et fut receu et
bienuiengné grandement des Dieux et Déesses, des seigneurs
et des dames, et son noble arroy fort prise.
Oultre les dessusdits, plusieurs autres Dieux et Déesses,
Demj dieux Demydeesses, Heroës et Heroïdes, de toutes
pars arriuerent à la feste, dont le nombre est presques
innumerable. Mais entre les autres y abordèrent et furent
les bien venuz, Honneur, Grâce, Vertu, Victoire, Amour,
Ifaiesté, Fortune, Renommée et Vénération. Et le gentil
prestre Genius, amj de Nature, fllz de Mercure et de Lara
la belle (2) Nymphe : lequel y fut semons pour bénir lespou-
see, auee Hymeneus le gracieux Dieu des noces. Mais au
contraire la faulse diablesse Discorde, autrement appellee
Litige , et sa malheureuse bende, cestasauoir , Labeur,
Enuie, Peur, Dol, Fraude, Pertinace, Poureté, Misère,
Famine, Querimonie, Maladie, Vieillesse, Palleur, Nuict,
Ténèbre, Melencolie et sa fille Tristesse, Paresse, Honte,
Gontarbation, Sommeil, et Mort. Tous enfans de Erebus :
cestadire Enfer, fllz de lancien père des Dieux Demogor-
gon, et de lobscure profondité des abymes appellee Chaos.
Et les trois Furies aussi, ce sont les trois rages infernales :
cestasauoir Âlecto, Tisiphone et Megera, filles d*Âcheron
Ihorrible fleuue, à tout leurs cheueux colubrins se cuide-
rent témérairement ingérer dentrer au pourpris deïfique,
nonobstant quilz ny eussent point este appeliez : (car Dis-
corde et telles manières de gens ne doiuent point estre en
bonne compaignie) Mais ilz furent rudement reboutez par
(1) aaaltans et tripadians (éd. 1512).
(2) la nymphe {éd. 1512 et 1528).
SIS 1LLT8ITRATIOII8 DB GAITLB, R
lanuB à deux visages, portier des Dieux. Lequel tenoit en
ses mains vn grand serpent retortiUé, mordant sa queue. Si
sen retourna la honteuse bende» toute dolente et confuse,
es fauxbourgs d*Enfer dont elle estoit venue. Excepté Dis-
corde la hideuse et la criminelle, laquelle se mussa enVn
cauain parfond crolant la teste, pleine de menasses : et dit
que bien sen vengera.
SIRGYLARITBZ DE TROTE. LITRE 1. 215
CHAPITRE XXIX.
DMcription du haut mont Pelion de Thestale en Grèce. Et célébra-
tion dea noces du Roj Peleae, et de Thetis la Nymphe, en grand
gloire et triomphe, auecqaes toates manières desbatemens, là ou
maintes choses poétiques sont touchées et exprimées asses clere*
ment, qui bien y prend garde.
Le mont Pelion en la prouince de Thessale, auquel ces
noces se faisoient^ est haut et droit à merueilles. Car selon
les escritures (1), si le sommet iusques au pied estoit mesuré
perpendiculairement, cestadire à plomb, il ha bien mille
deux cens cinquante pas de hauteur. Or estoit arriué bien
matin sur ledit mont, le Roy des Dieux et des hommes Jupi-
ter, qui est ainsi dit, quasi iuuans pater : cestadire père
aydant. Et se seoit en son throne deïfique et impérial es-
darcissant les nues par la sérénité de sa chère, (2) auironnë
de gloire et de maiestë triomphale : selon la resplendeur
de sa clere planette, qui est chaude et humide, modeste, et
attempree, hautaine, libérale, miséricordieuse et amou-
reuse. Son noble throne estoit disposé au plus haut de la
montaigne, souz vn haut chesne glandifere. Lequel arbre
est dédié à iceluy Dieu lupiter, en signifiance que au pre-
mier aage, la prouidence diuine paissoit les hommes de
(1) lei livres.
(2) tiiêçe.
SI 4 ILLTSTRÀTIOMS DE 6ÀYLB, BT
glands. Auprès de luy estoit le beau Ganymedes Troyen,
son eschanson, tenant sur le poing vn grand aigle Royal,
lequel oyseau est consacré à lupiter, pource quil vole plus
haut que nul des autres : et dénote présage et signification
de hautesse impériale et victorieuse. Auprès de luy estoit
son héraut Mercure, et larchiprestre Genius, auecques les
dessusnommez : cestasauoir Honneur, Grâce, Vertu, Vic-
toire, Amour, Maiesté, Fortune, Renommée et Vénération.
En sa main il tenoit vn sceptre fulgurin à trois pointes et
rays, pour designer que la foudre que Dieu enuoye en terre,
ha trois proprietez principales. Cestasauoir pour la pre-
mière, quelle est clere et coruscante : pour la seconde,
trenche et pénètre toute chose matérielle : et pour la
tierce, elle brusle et confond tout ce quelle atteint.
Or fut le grand Roy lupiter moult ioyeux quand il veit
si noble assemblée et tant de hauts personnages arriuez
sur la montaigne, tous resoluz à faire bonne chère. Et ne
douta sinon que Mars le grand Dieu des batailles troublast
la feste comme il auoit fait autresfois aux noces de Piri-
thous, et Hippodamie, en ce mesmes païs de Thessale,
esquelles il incita les Centaures moitié hommes moitié che-
uaux, à faire meslee furieuse et mortelle contre les Lapithes,
comme descrit élégamment Ouide au douzième liure >)e sa
Métamorphose. Toutesfois pource quil le veit paisible et
débonnaire entre les dames, il neut aucune souspeçon de
luy. Mais tout le mal viendra dun autre costé : cestasauoir
de la faulse Déesse Discorde, qui sen est allée au iardin des
Hesperides en Afrique, pour quérir vne pomme dor, dont
le noble conuiue sera desemparé. De laquelle chose igno-
rant le bon Roy lupiter, il se tourna deuers ses ministres,
en leur commandant que lappareil fust grand et somptueux,
et que chacun fust diligent de semployer en son office ordi-
ftinGVLARITEZ DE TEOYK. LITBE I. 215
naire. A qaoy faire, ilz furent tous prompts et ententifz.
Car alors Flora la gracieuse Nymphe compaigne du doux
vent Zephyrus, sentremit de tapisser la noble montaigne
de fresche verdure, et de plantes aromatiques et flairans
violettes dyaprees de maintes couleurs, dont son mary le
gentil Zephyrus âlz d'Astreus et de la belle Aurora luy
faisoit fourniture. Si comme de mariolaines, poliot, cyprès,
spic, romarin, euroine, mente, basilisque, marguerites,
soucies, ancolies, iennettes, giroflées, coqueletz, percelles,
1>acinetz, passeroses, passeueloux, glays, noyelles, liz, pen*
cees, muguetz, roses, et œilletz herbuz. Les autres Nym-
phes aussi meirent la main à la paste, et se ayderent de
leur part. Mesmement les Hymnides, lesquelles se prin-
drent à tendre et dresser au long de leurs praries, les
beaux verds buissonnets florissans et les bayes toutes cou-
vertes de fioriture. Faisans tentes, tref, treilles, fueillees,
frescades et^pauillons de rosiers florissans, de flairans
englentiers, groseliers, meuriers, framboisiers, iassemins,
seho^, (1) vignettes, et couldriers, pour faire vmbrages aux
Dieux. Et quand ilz furent tous tendus et bien hourdis,
Rosée la belle pucelle, flUe de la Lune et de l'Air, vint pen-
dre autour des branchettes mille perles rondes, et gemmes
deres et transparentes quelle tira de son espargne, pour
enrichir leur florissance, laquelle rendoit telle odeur, que
toute la région en estoit toute imbue et embaumée. Aucu-
nes des autres Fées, si comme les Napees, sestudierent de
flEdre sortir de plusieurs endroits de la montaigne, plusieurs
fontainettes et ruisseaux courans à douce noise, dont leaue
estoit plus clere que béryl, et le regard amené et délectable.
Si produisirent aussi les Hamadryades, et meirent hors de
(1) eebQz(M. 1528).
216 1LLV8TRÀT101IS DE GATLE, BT
leurs arbrisseaux, plusieurs fueillettes et fruitages de
diuerses sortes, tellement que ce pouuoit sembler vn para-
dis terrestre. Car chacune si employa par grand estade,
qui mieux mieux : Mesmes Sjluanus le Dieu des bois et
des forestz amplia ses ymbres de plus grand estendue pour
rendre le lieu plus plein de délices.
Ce pendant aussi les Heures flUes du Soleil et de Chro*
nis : cestadire, du Temps, portières du Ciel, et palafre*
nieres (1) de Phebus, establirent les quatre merueilleux che-
naux aux frains dorez de leur seigneur, ayans les crins
recercellez et rutilans de an or, et longle des piedz dun
métal nommé aurichalque,. en lieu de corne. Lesquelz cha-
uaux iettent feu et flambe par la gueulle, et sont leurs
noms, Pyrois, Eous, Ëthon, et Phlegon. Le premier est
rouge, le second est blanc, le tiers est iaune et ardant, et
le quart est noir et obscur, selon les diuerses dispositions
du iour. Et auec ce lesdites Heures prindrent la charge de
lescuyrie des autres Dieux : en administrant largement
parmy les râteliers précieuses herbes et fourrages propices
à la nourriture des autres diuerses bestes. Broutes et
Pyragmon, Cyclopiens, enfans de Neptunus et de Amphi-
' trite, grans Geans et de la famille de Yulcan, pource quilz
ayment le feu furent contens dauoir charge de cuisine.
Priapus le Dieu des iardins et de fertilité, fllz de Bacchus
et de Venus, fut verdier ou saulsier. Si fournit la cuisine
de toute verdure nécessaire, et broya la saulse.
Vulcan autrement appelle Mulciber, feure des Dieux,
fut estably à la garde du bufiet, duquel toute la riche vais-
selle auoit prins tournure, merueilleuse et supernelle, par
ses propres mains. Le gentil Perseus filz de Jupiter et de
(1) pallefreniers (^d. 1512).
8I1I6TLA1ITBZ J>B TftOTS. UYEB 1. 217
la belle Danaé, anec le noble lason âlz du Roy Pelias de
Thessale, portant à son col lordre diuine de la toison
dor, furent enrooUez pour escuyers trenchans. Car nouuel-
lement ilz estoient stelliâez et rédigez au nombre des
Dieux. La noble Nymphe Hebe, Déesse de ieunesse et fille
de la Royne luno (de nouuel espousee, au preux cheualier
Hercules lequel estoit dôïfié) fut establie à seruir le Roy
Jupiter, de couppe dor. Et Ganymedes le noble enfant
Troyen à exoercer la charge ordinaire deschanson enuers
les antres Dieux : et attrempa les douces potions nectarees
pour iceux seruir. Certes la Déesse des bledz, eust desia
fonmy tous les offices de paneterie. Les gens de Bacchus
jpareillement eurent fait garnison de toutes sortes de vins,
tant pour la bouche que pour le commun. Pomona lune des
Hamadryades, et Frutesa sa compaigne eurent aussi fait
finance de toutes espèces de fruiterie. Et fut incontinent
tout prest : au moyen de la solicitude et bonne diligence
d*Hymeneus le Dieu des noces, fllz de Bacchus et de Venus,
ayant pour ce iour charge de maistre dhostel, auecques le
Roy Peleus espoux.
Quand les précieuses tables Dyuoire et de Cèdre, estof-
fees dor et de pierrerie, furent couuertes et disposées parmy
la prairie, les Tritons qui sont menestriers et trompettes,
du Dieu Neptunus, cornèrent leaue, alors après que lupiter
le Roy des hommes et des Dieux eut laué, il sassist à table,
et auprès de luy la Royne luno sa sœur et compaigne. Et
consequemment au bout de la table, la belle Nymphe The-
tis ieune espousee. Les autres Dieux et Déesses Demydieux
et Demydeesses furent assis es autres tables chacun selon
son d^^ré et vocation. Et les Heroës et Princes seruirent
en lieu de ieunes gentilz hommes. Les gentilz Satyres fort
l^ers et soudains à tout leurs piedz de cheures coururent
218 ILLVSTRATIOMS DE GATLE, ET
à la viande, comme si ce fussent pages. Laquelle Chiron le
Centaure leur deliura, pource quil seruoit descuyer de cui-
sine. Si ne faut^as attendre la description des mets am-
brosiens confits en manne céleste, dont les Dieux furent
seruiz alors : ne aussi lapprest diceux, ou lordre du ser-
uice : car le raconter excederoit pouuoir humain. Mais il
suffit dimaginer, que ceux qui ont en gouuerne les cieux,
la mer, la terre, les enfers et tous les éléments, neurent
faute daucune chose qui soit désirable en ce monde.
Or feirent les Dieux si grand chère, que iamais ne fut
veiie la pareille. Dont Cybele la grand mère des Dieux
receut au cœur vne ioye inestimable, voyant tant de subli-
mes esprits de sa noble génération tous assemblez en tel
triomphe. Et le noble Bacchus appelle Liberpater, tout
libéral, et tout ioyeux, lestenoit en plus grand liesse, et
les inuitoit à boire ses vins délicieux, et en taster puis de
lun puis de lautre, tenant en sa main vn pesant hanap
large et ample, que souuent il faisoit remplir, pour pleiger
dautant. Aucuns des Demydieux, qui le cuiderent suiure
ne le peurent pas bien supporter, ainçois en furent prins
par le nez.
Apres que le mestier(l)fut seruy, les quatre Siraines fines
ouurieres filles du fieuue Achelous, et de Calliope la Muse,
compaignes de Proserpine fille de Ceres, Déesse de fertilité,
se présentèrent sur le beau bout, ayans visages de pucelle,
esles au bras, pour facilement voler dun lieu à lautre, le
corps féminin iusques au nombril, auquel est situé toute
leur libidinosité, les queues de poissons comme bestes lubri-
ques et légèrement coulans, et les piedz de coq, à tout les-
quelz elles grattent par tout pour trouuer pasture. Ces
(1) la table. Cf. Ducange y* Ministerium,
SIHCTLARITBZ DE TROYB. LITRE 1. 219
^aatre meretrices et monstres marins, se prindrent à chan-
ter et accorder leurs instrumens, ausquelz chacun se rendit
sntentif. La première nommée Parthenope, qui depuis fut
Bnterree à Naples, chanta vn cler dessus de sa voix di-
luante et sonoreuse. Leucosia la seconde ioua la partie du
teneur à tout sa harpe djuoire. Et Lygia la tierce feit la
contrebasse des fluttes doubles. Et la quarte nommée Iligi
attrempa toute Iharmonie par le son bondissant de son
tjmpane. Elles quatre prononçoient si doux accords et pro-
lations de diapason, triple, diatesseron et autres figures de
musique, que à la mélodie non accoustumee, plusieurs sou-
blierent et sendormirent à table. Dont le Roj lupiter se
ionna garde, et de peur quil ne sommeillast, se leua tan-
test de table. Si feirent tous les autres Dieux et Déesses.
Les tables abatues, et la place deliure. Pan se meit en
anant. Pan est le Dieu des pastoureaux d*Ârcadie, qui
rignifle, le tout vniuersel, filz de lancien père des Dieux De-
mogorgon, et de Chaos, cestadire la confusion des choses :
ayant le front cornu, comme le croissant de la Lune : la
bce rouge et enflambee, comme le Soleil : la barbe longue
iusques au pis, signifiant la vertu actiue des quatre Elé-
ments, descendant en terre : les espaules couuertes et
aomees dune peau de diuerses couleurs, appellee Nebride,
représentant le ciel stellifere et la variété des corps
célestes : les cuisses et les iambes lourdes et velues» deno-
tans la superficialité de la terre. Et tenoit en sa main vne
hoolette pastorale, seruant au régime et substentacle de
natnre naturee. Lors soufBa Pan en sa chalemelle de sept
bnseaax accordez selon Iharmonie des sept Planettes, et
feit danser Egle et Galatee les belles Naiades, auec les
plaisans Satyres, Pans, Egypans, et Tityres qui faisoient
merueilles de saillir, de trepper, et de se démener. Si ren-
no ILLTftTBÀTiailS DB 6AYLB, KT
força la douce noise par retentissement des prochaines
Talées, esquelles la Nymphe Echo iadis amoureuse de Nar-
dssus, respondoit tousiours au dernier verbe selon sa
nature.
Tantost après suruint le cler Dieu Âpollo, touchant de
sa harpe dorée par grand maistrise : ayant le chef cou-
ronné de laurier. Et amenoit en yn bransle, les neuf Muses
flUes de lupiter et de Mémoire, ausquelles il préside tous-
iours, à cause que des neuf sphères des cieux, celle du
Soleil est la plus parfaite en harmonie. Icelles neuf Muses,
selon lesdites neuf sphères des cieux, chantèrent diuerses
chansons toutes concordantes en raison de musique, en
remémorant chacune en sa cantilene, ce dont elle auoit este
inuenteresse. Clio pour la première, recita en son chant
les nobles histoires et faits cheualereux des preux de iadis.
Melpomene la seconde, prononça en graue accent, ses au-
tentiques tragédies. Thalia la tierce, descliqua ses plai-
santes comédies treselegantes. Euterpé la quarte, feit nobl^
modulation de ses flattes, dont elle trouua premièrement
lusage. Terpsichore la cinquième, diminua maint bon pas-
sage, de son mélodieux psalterion. Erato la sixième, se
desgoisa, et dansa doucement selon les mesures de Géomé-
trie. Calliope la septième, tressage clergesse, et bien lite-
ree, de sa voix clere et résonante chanta maint dittier
scientifique. Vrania la huitième, fonda toute son harmonie
sur le noble mouuement des cieux. Et Polymnia la neu-
uieme, et la dernière, meslee de plusieurs sciences, accen-
tua maints chants Royaux, balades, seruentois, lays et
virelays, aornez de couleurs rhetoricales. Lesquelles choses
pleurent singulièrement au Roy lupiter, et aux autres
Dieux. Si en prisèrent beaucoup laffaire.
SINGVLAMTBZ DB TROTB. LITRE I. 3M
CHAPITRE XXX.
De la faolse Déesse Discorde, qui ietta la pomme dor, entre luno,
• Pallas, et Venne. Et comment Inpiter nen Toalnt inger : mais fut
renuoy^ le iagement au ieane berger Paris Alexandre : Ters
lequel Mercure guida lesditee trois grands Déesses. Auec mention
dun antre iugement de Paris et de sa harpe.
Tandis que le doux bruit, et la noise accordée du chant
et des instrumens, estoit si grande, que à peine j peust on
ouyr Dieu tonner, et que la noble compaignie, ne pensoit
à autre chose, fors à iouyr de toute plaisance délicieuse,
pour rendre le conuiue nuptial plus illustre, et plus hon-
noré. Discorde la noire Déesse (dont dessus est faite men-
tion) non contente de sa repuise, auoit tant fait dexploit,
à tout ses brunes esles draconiques, quen peu dheure elle
estoit Yolee iusques au riche iardin des belles Hesperides,
filles du Géant Atlas, qui est en Afrique, duquel iardin le
fort Hercules fut iadis hardy despouilleur. Et tant laboura
la criminelle serpente, à force de prières importunes, et
requestes adulatoires, que desdites pucelles, elle impetra
vne noble pomme de métal aurein, qui croissent sur les
entes de leur verger, et sont dédiées à Venus. De laquelle
pomme quand elle se veit saisie, elle ioyeuse retourna légè-
rement au pied du mont Pelion, pour mettre à effect sa
malice excogitee. Si entailla promptement ces mots, autour
du noble fruit :
222 ILLUSTRATIONS DE 6AVLE, BT
La pomme dor enluminée,
A la plas belle aoit donnée.
Pais la charma et empoisonna de tensons, riottes, noi-
ses, et inimitiez. Et la baigna au ius de soucies, mélanco-
lies et dautres plantes plus nuisantes et plus dangereuses,
que nest le ius dune herbe appellee aconitum. Et quand
elle eut ce fait, elle monta cauteleusement (sans estre
apperceûe) au plus haut du mont Pelion, là ou les Dieux
se deduisoient, et se tapit tout coyement, en lombre don
arbre appelle en Latin Taxus, et en François If, duquel
lombre est mauuaise et mortifère : et là se feit inuisible.
lUec attendit Discorde la faulse et deceuable son oppor-
tunité, iusques à ce quelle veit ensemble trois puissantes
Déesses, les plus nobles et mieux emparentees de toute la
feste : cestasauoir luno, Pallas et Venus, qui sestoient
escartees vn petit loing de la grand compaignie, en tu
beau lieu plaisant et vmbrageux, et là endroit se soulas-
soient à cueillir âourettes. Lors elle iugea, quil estoit
heure de besongner ou iamais. Si ietta occultement au my-
lieu délies trois, la malheureuse pomme resplendissante de
noble couleur. Et quand elle eut ce fait, de peur destre
ratainte, elle senfuyt plus vite quun carreau darbaleste, et
s'alla plonger au fin fons d'Enfer, là ou est son domicile.
Mais le grain de sa malheureuse semence demeura et fruc-
tifia si fertilement, que le goust en dure encores par tous
les siècles.
Car incontinent que les Déesses voiront tresluire (1) la
pomme dor au mylieu délies, par conuoitise et hastiueté
feminime, furent esmues à la leuer. Toutesuoyes luno de
qui elle estoit plus prochaine, leut premièrement en sa
(1) reluire.
SraGVLÂRITBZ DE TROTB. LIVRE I. 233
manutenence : dont après lescriture leiie, se sourdit grande
dissension entre elles, à qui elle deuoit appartenir : car
chacune mettoit en auant sa grand beauté. Et tant saug-
menta la question, que le bruit et la rumeur en paruint
iusques aux oreilles du Roy lupiter. Lequel pource quil est
iuste luge, droiturier et souuerain, fut estably par com-
mun consentement, arbitre arbitrateur, et amiable compo-
siteur dentre elles, pour en congnoitre et discuter iusques
en difBnitiue : mais point nen voulut accepter la charge,
ains sen excusa, disant quil ne vouloit encourir la maie
grâce de lune partie, ne de lautre. Car toutes estoient bel-
les oultre mesure, et toutes de son sang. Et par ainsi lu;
sembla difficile den pouuoir discerner (tant estoient indif-
férentes (1) en formosité) mais leur conseilla quelles mesmes
se trouuassent daccord : ou autrement eslussent quelque luge
subalterne, daucun de ceux qui estoient en présence, et si
par appel le iugement luy estoit deuolu, lors il conferme-
roit ou infirmeroit la sentence, selon les mérites de la cause,
et selon ce quil trouueroit par son conseil. Â laquelle chose
ne se peurent encores accorder les trois Déesses : car en
tous et chacuns des assistans trouuerent matière de sus-
pection. Et ce voyant le beau Ganymedes Troyen, mignon
du Roy lupiter, eschanson des Dieux, et lun des douze
signes du Zodiaque, froid et humide, surnommé Âquarius,
sauentura de parler, et dit en ceste manière :
Treshautes et tresredoutees dames et Déesses, puis que
vostre plaisir nest de se condescendre à lelection daucun
des Dieux immortelz, qui sont icy presens, il sensuit don-
ques, si de vous mesmes ne vous appointez en transaction
pacifique (parlant toutesuoyes souz vostre grâce et correc-
(1) peu différentes.
2S4 ILLVSTRATlOffS DB OÀYLB, ET
tion) que tous en reseruez le iugement À aucun de ceux
qui sont mortelz. Dont si mieux trouuez, ien scay m de
mon parentage (descendu toutesuojes de la lignée des Dieux)
qui bien y satisfera, comme celuy qui entre les viuans est
auiourdbuy le plus renommé de sauoir mettre an à sem-
blables querelles. Cest le tresbeau Paris Alexandre, fllz de
mon neueu le Roy Priam de Troye, nourry incongnuement
entre les pasteurs des montaignes Idées, qui sont dédiées k
la tressacree maiesté du Roy qui cy est.
Au parler du noble Ganymedes, les trois Déesses près*
tans escout, et non concluans encores, Mercure le Dieu
deloquence, et dinuention, reprint la parole disant ainsi :
Certes mes dames et mes Déesses, la vérité est telle comme
len&nt Ganymedes Iha récitée (au moins selon la voix com-
mune et plus fameuse) car Paris de Royal parentage (tou-
tesfois sans Royal appareil) met en parité pareille, et accord
pariforme, maintes pairs de pers et départies. Et nest point
accepteur de personnes, ne sousteneur de querelles iniques.
Mais droiturier retributeur de guerdons. Et que cecy soit
véritable, moy mesmes puis faire foy de luy auoir veu faire
vn tour de vray luge iuste, duquel la brieue recitation ne
vous sera point fâcheuse ne désagréable. Il aduint dauenture
nba pas long temps, que pour fournir certaine ambassade
(dont le Roy mon père mauoit donné charge) ie passoye légè-
rement par dessus les montaignes Idées. Si apperceuz au
fons dune grand valee, lenfant Paris appuyé sur sa bou-
lette, qui regardoit ses brebis et ses toreaux paissans selon *
loriere (1) dun bois. Et cependant suruint dauenture vn torel
estrange, de contenance fiere et hardie. Lequel en mugis-
sant dune voix ténébreuse, vint assaillir de pleine course
(1) àTorëe.
SmCTLARITU DB TEOTB. UtlE 1. S2S
Ion des pi» pnissans toreaux qui ftist entre tous ceux du
gentil Paris. Et tant le pressa (quelque deffence que lautre
feist) que finablement fut contraint de se mettre en fuite :
et demeura le camp et la yictoire au torel assaillant. Dont
Paris non seulement non coursé, mais tresioyeux, blasma
la lasebeté du sien, et extolla la force et lemprise du vain-
queur estranger. Et pour deroonstrer la rectitude de son
iugement, cueillit incontinent fleurs de liz, roses et violettes
odoriférantes, dont après auoit tissu vn grand floquart et
chapeau (1), il en aoma les cornes dudit torel victorieux, et
Iny en feit vne couronne pour tesmoignage de sa vertu. De
laquelle œuure ceux qui le yeirent, louèrent beaucoup
P&rie Alexandre, et dirent que mieux estoit digne de ré-
gner, que de exercer pastonrerie. Parquoy si ainsi est, que
vous mes Dames, vous submettez à sa iudicature, il est à
eoniecturer que vous nen pourrez auoir sinon bonne jrssue,
et ie moffre vous j conduire.
De ce conte rirent assez les Dieux et les Déesses. Et mes-
moment les trois principales, lesquelles le trouuerent bon,
et touttes dun vouloir vnanime saccorderent de faire le pas-
teur Paris Alexandre, leur iuge arbitraire en ceste matière,
mojennant que le Roj lupiter y interposast son décret, ce
quil feit assez enuis (2) toutesuoyes : Car bien congnut alors,
que cest ouurage et pratique auoit esté traffiqué par le
moyen de Discorde la maudite Déesse. Si se douta que ce
ne fust vne sourse de nouuelle contention entre les Dieux,
et présage de dissension future. Toutesuoyes il ordonna que
la pomme dor fust séquestrée es mains de son âlz Mercure
leur guide et conducteur, iusques à la chose adiugee par
nouueau luge champestre.
(1) nœud et guirlande.
(2) malgré lui.
I. <»
226 ILLYSTRATlOIfS DE GAVLB, BT
Alors la Rojne lano commanda à la messagère Iris d^
trois couleurs, fille de Thaumas,(l) quelle attellast prompte-
ment son chariot et ses paons à grands queues peintes
esquelles sont les yeux d'Argus. Et Iris obéît par grani
attention, et leur meit au col les beaux coliers dorez« aa
moyen desquelz ilz portent en lair leur maistresse. E^
quand tout fut prest, madame luno se meit dedens le cha-
riot, aaec sa fille Hebé Déesse de ieunesse, et ses quatorze
Nymphes : et la belle Iris se meit douant, pour goauemer
les frains des paons. Pareillement les trois Grâces, qui sont
damoiselles et pedisseques de Venus, accoustrerent oduj
de leur maistresse, lequel ^t mené par six cygnes et dou26
coulons plus blancz que neige. Et la belle Déesse monti
dessus, auecques sa nièce Volupté, fille de son ûlz Cupido,
et de la belle Psyché. Son filz aussi le beau Cupide Dieu
damours, se meit sur le timon auec son dard et ses es-
lettes, et se monstroit curieux (2) à faire seruice à la Déesse
sa raere, en régentant ioyeusement les cygnes et les cou-
Ions de son chariot. Mais Pallas la prudente Déesse, qui
nauoit cure de char, ne de chariot (combien quelle en
eust iadis trouué lusage) appella ses pucelles, et par elles
se feit armer sur ses précieuses robes de ses armes accous-
tumees : Et se feit mettre aux piedz ses riches talonnieres
faees à pinnettes crestees (3) et à belles plumettes : et à ses
bras feit adapter ses nobles esles, richement empennées, qui
par tout le monde la portent.
Quand donques toutes les trois Déesses furent prestes et
attintees, (4) chacune sesleua de terre, et se meirent en la
(l) Thannas{èd. 151-2).
(2; vigilant. — (3) bordure dentelée.
(4) attinter, attinteler = attare (Ducange), aptare^ accommoder,
ajuster.
SINGVLÀBITSZ DB TROTB. UVRB I. 227
Toye parmy lair spacieux et cler, suiuans le noble Dieu
Mercure qui les precedoit, et trenchoit deuant elles la
région azurée, plus viste que nul aigle Royal ne fait quand
il voit sa proye. Le Roy lupiter et tous les autres Dieux
et Déesses les conuoyerent des yeux tant quilz les peurent
choisir. Et quand ilz les eurent perduz de veiie, diuers
propos sesleuerent entre eux : asauoir mon laquelle des
trois gaigneroit : car les vns et les autres estoient diuerse-
mant affectionnez. Et ne fut plus mention de faire si bonne
chère que parauant, depuis que Discorde y auoit mis la
main. Et ce pendant lesdites trois Déesses, et leur guide
et séquelle gaignoient païs, tellement quen peu dheure
elles eurent passé les confins de Thessale, de Macedone et
de Thraoe, et paruindrent sur la mer Hellesponte, en
laquelle elles voioyent les isles de Tenedos, Methelin, Ni-
grepont, Rhodes, Candie, et plusieurs autres Cyclades,
tant quilz furent à lendroit de la région de Troas, et lais-
sèrent la grand cité dllion à gauche. Lors Mercure pro-
chain des nues, iettant les yeux en bas, choisit (1) de prime
face le beau pasteur Paris Alexandre au fons de la valee
de Mesaulon, adossé contre vn grand rocher creux et con-
caue, bien tapissé par dedens dherbes et de mousse, et par
dehors bien reuestu de diuers arbrisseaux. Et tout alentour
du berger ses cheures broutans les branchettes des arbres,
ses berbisettes et ses toreaux paissans Iherbe menue, es-
pesse et drue. El au plus près de luy les gardes de son
troupel : cestasauoir ses bons chiens mastins. Si sestoit
Paris nagueres desiuné dun peu de pain auec des dattes, et
des firanches meures, quil aToit cueilli souz les arbres pro-
chains. Et seoit oiseux, à la frescheur du roch, duquel
(1) ap«rçQt.
2S8 ILLVSTRÀTIONS HB GÂYLB, BT
sourdoit la belle fontaine nommée Creusa. Et après qail
eut assez ioué de ses muses (1) et flageolz, il touchoit yne
chanson de sa harpe mélodieuse, pensant bien ententioe*
ment à la grandesse de la maison paternelle, en laquelle
la Nymphe Pegasis Oenone lauoit promis de remettre.
Mais pour euiter le scrupule daucuns qui pourroient dire,
quil nest pas yraysemblable que Paris sceust iouer de la
lyre ou vioUe : nous ramenteurons icy par manière dinci*
dent, quil leur doit souuenir que le Roy Dauid enoores
exerçant estât de bergerie, manioit tresbien ledit instm-
•
ment. Et qui plus est, Homère en son Iliade introduit
Hector reprochant à son frère Paris lusage de sa harpe,
disant ainsi .
PrAue Paria forma melior, molleisqae paellas
Intrepidas beUare thoro veterator inique :
ytioam nunqaàm ^enitus, seu morte peremptus
Ante nephanda fores connubia, nulla iaaabit
Te dolcedo lyr», Uenerfs nec mnnera dia»,
Nec ooma, neo species : com pnluere lapse iacebis, eto. (2)
Parquoy il suffit quil appere, que non feintement nous
luy auons attribué la science du ieu de la harpe. Quil
sceust aussi iouer des flûtes et musettes pastorales, et quil
gardast les bœufz à la pasture, nous appellerons pour tes-
moing Euripides en sa tragédie nommée Iphigenia, qui dit
ainsi :
Illinc, Pari, es profectas,
Ubi alitns inter Idse
Armenta lœta pastor,
Ubi barbaras cicatis
(1) musettes.
(2) lapsa iacebit (ëd. 1528).
SlllGTLÂElTBZ M TROTS. UVAK 1. 919
Phrygiis canens aolebas
Sonare cantilenas :
Olympiooqae rita
Calamos liquente cera
Adglatinare plareis :
Boumqoe grex obesus
Paacens virente passim
Obambalabat aruo.
Mais retournons À noatre propos. Ainsi marchoit la
pompe des trois Déesses parmy lair cler et serain : sembla-
ble à vn vol de grues qui obseruent leur ordre. Mais incon-
tinent que le héraut des Dieux eut apperceu le berger
Paris, qui se ombrojoit dedens la roche creuse, il le mons-
tra aux nobles Déesses, lesquelles eurent grand plaisir de
le voir en telle contenance. Puis Mercure se ietta en terre
plus impétueusement que ne fait la fouldre dardée de la forte
main de lupiter, et se planta tout court douant Paris. Le-
quel fut bien estonné(l) dételle soudaine vision. Lors le Dieu
deloquenoe parla ainsi : Gentil Alexandre, le plus heureux
des humains, laisse le parfond pensement ou tu es, destre
restably au palais du Roy Priam ton père : car les Dieux
sen soucient assez pour toy. Et saches que le grand lupi-
ter te salue : et de par rooy te mande, que pour le bon rap-
port de ta renommée, tu es eslu à diffinir (2) ce à quoy luy
mesmes nha osé toucher. Cest, à faire le iugement de la
beauté nompareille de ces trois excellentes et diuines Prin-
cesses, lesquelles tu verras tantost sadresser vers toy. Car
entre elles sest roue question sur ceste matière. Or ten
acquite en façon que rapporter en puisses honneur et grâce
(1) stupéfiait.
(2) décider, trancher.
S30 ILLTSTRATIOHS M GATLB, BT
perpétuelle de tout le noble consistoire des Dieux et des
Déesses.
Tandis que le Dieu Mercure informoit Paris Alexandre
de son affaire, Pallas auoit desia prins terre : Venus aussi
et luno estoient descendues de leurs curres triomphans, ou
chariotz, et marchoient de leurs diuins piedz, sur Iherbette
iolie, et se tiroient vers le iouuenoeau Paris. Et luy ce
voyant, estoit tout transporté et tout rauy en contemplation,
comme vn homme qui songe, et ne sauoit sa contenance.
Neantmoins il sauança, et de tout le corps prosterné en
terre les adora deuotement : mais elles le feirent leuer. Et
quand elles leurent veu si beau et de si bonne et Royale
physiognomie, prisèrent beaucoup son estre : et prindrent
fiance de leur besongne. Et pouree que de force desbahisse-
ment il estoit deuenu muet, et ne sauoit prononcer vue
seule parole (car ce nest pas peu de chose destre snrprins
de la présence de telz personnages), le Dieu Mercure luy
bailla audace, et ladmonnesta de ne sesbahir en rien. Puis
les trois Déesses sassirent dun reng sur le tronc dun grand
chesne abatu. Et feirent asseoir deuant elles, sur vn siège
de la viue roche mesmes, leur luge pastoral : lequel selon
la mode des luges antiques, auoit les iambes croisées lune
sur lautre : et pour sa contenance sappuyoit sur sa harpe.
Alors après certain gracieux estrif, meu entre elles, pouree
que toutes faisoient honneur lune à lautre, et nen y auoit
nulle qui voulsist parler la première. Finablement madame
luno se condescendit à entamer le propos, si se prépara
pour faire la harengue priroitiue. Mais auant ie vueil vn
peu descrire les riches habillements dont elle estoit parée.
.UMGVI.iLRlTBZ DB THOTE. LIVRE I. 231
CHAPITRE XXXI.
Hacitation des oraisons et des offres faites à Paris Alexandre, par
les deox paissantes Déesses lu'no et Pallas . Aaec explication totale
da leurs habits, aomemens, Talears et puissances. Bsquelles choses
qui bien y voudra liser, on pealt caeiilir assez de fruit allégorique
et moral souz coulenrs podtiques.
La havte Déesse luno, ayant sa fille Hebé, Princesse de
ieanesse auprès délie, et ses Nymphes derrière qui luy por-
toient la queiie, sappuyoit délicatement sur lespaule de
lune dicelles : et estoit aornee de merueilleux trésors ines-
timables : Car en son chef achesmé (1) dun tresriche atour
deïfique, elle auoit sa couronne de si grand excellence, quil
est impossible de la spécifier : Son précieux colier estoit
gamy de mille espèces de pierrerie : Tant de bullettes pen-
dantes À chaines dor, tant de carquans, tant dafflquetz,
tant de brasseletz, tant de bagues aux doigts, que cest yne
chose infinie, et toutes faites en chef dœuure, par les
mains de Mulciber le feure des Dieux. Sa robe estoit de
pourpre sanguine, batue en or, et garnie par grand prodi-
galité de grosses perles orientales. Et son manteau de cou-
leur azurine, tout ourlé de brodure à lesguiile, et figuré
de diuers oiseletz, volans en lair, bien pourtraits au yif, et
de nues distillantes pluyes et gresles, qui se congregent en
(l)omé.
ILLTflnmATldllS M AâfU, R
lair, dont lono est maistresse. Sa ceinture estoit tissae de
fin or traict, estoffee de gros doux et bouillons dor es-
maillé, et enrichie de plusieurs escarboucles , topaces ,
chrysolithes, diamans, rubis, balais, saphirs, esmeraudes,
et autres pierres précieuses. En sa main tenoit vn sceptre
fait dun bois nomme Âloës, qui vient de Paradis terrestre,
tout bendé de lames dor, et bien entaillé, lequel demonstre
sa puissance regale, sur tous les humains. Brief, tout son
accoustrement estoit riche et pompeux oultre mesure, pour
dénoter quelle est Déesse de toute richesse et opulence.
Son port estoit hautain, et son maintien magnifique, qui
bien monstroit sa Princesse. Les paons estoient attribuez
À son seruice, pource que la puissance des nobles quiert
tousiours aornemens exquis, pour conuertir le regard du
populaire à elle : et aussi pource que ce sont oiseaux Roy-
aux, orguilleux, hautains, et de grand clamosité. Et le
chariot ou curre, luy estoit assigné, en signifiance de la
volubilité de Fortune. Iris aussi (cestadire lare, au ciel)
estoit ordonné pour sa pedisseque, et messagère. A de-
monstrer que comme ladite Iris est peinte et enrichie de
diuerses couleurs, et en vn moment sesuanouit, aussi la
Fortune mondaine combien quelle soit aornee pour vn
temps, de grand resplendeur, et speciosité, neantmoins elle
est légèrement fugitiue, et tost anichilee. Hebë sa fille,
Déesse de ieunesse laccompaignoit, en signifiance, que les
hauts Princes et Princesses ont en leurs courts la fleur de
toute gentille ieunesse. Et quatorze Nymphes la suiuoient,
pour dénoter le grand train des nobles damoiselles qui
sont en leur famille. Si parla la Royne luno (chacun fai-
sant silence taciturne) et prononça son oraison de graue
accent : en asseurant la timidité de lenfant Paris, en ceste
manière :
SlRGfLABim Dl nOTR. UVBI 1. 33S
A4ol606ent Royal, de progéniture illustre, et de tresan-
tique générosité, (1) esmille t<m sens pour hautes choses
desirsr : et prms audace contre pusillanimité, pour mettre
à chef la haute charge qui test eniointe, de laquelle par mon
neuea Mercure peux desia estre aduerl^. Mets ius rusticité
pastorale, aspirant à hauteur Royale. Mets ius ton igna*
uité rurale, pour atteindre à seigneuriant prospérité, et
garde que ne te mescontes au choix des guerdons qui te
seront proposez : car là gist le neu de la besongne. Et pour
euîter que nj procèdes peu meurement, par faute de eon-
gnoitre les parties, ayes le courage esleué en hautesse et
magnanimité. Et saches que ie suis lemperiere des hommes
et des Dieux, fille de lancien Saturne, et de la Déesse Opis :
sesur et fomme du Roy lupiter altitonant, qui est le plus
poissant des mortelz et des immorfelz : égale à luy en
puissance et diuinité : Ayant mon temple merueilleux en
lislc de Samos, en la cité de My cènes, en Ephese, et autres
lieux, tant prochains comme lointains, là ou on me fait
rœux, sacrifices et oblations : Qui suis appellee luno,
Qmii iuuans ofiMês. Cestadire, adiuteresse de tous : ou
Lucina, pource que ie baille lumière et entrée à tous nobles
coBors : et distribue aux meritans richesses mondaines,
noblesses désirées, et baux mariages légitimes : auec les
tiltrés de couronnes Royales, Impériales, et de toutes ter-
restres monarchies. Desquelles choses tu es capable, tant
pour lantiquité de ton origine et progéniture illustre,
comme pour la magnificence de ton priué personnage mes-
mes : et aussi par le port et ayde de tes parens. Mais tou-
sans mon ayde, nen peux paruenir à aucune iouys-
(1) noblette.
SEM 1LLV8TAÀT10IIS DB GATLB, BT
Fiche donc ton aspect en ma beauté non equiparable.
Aduise par admiration le comble de ton humain désir, qui
en moy repose : désire les fruitions de mes dons, dont ie
suis libérale par grand munificence, telle que au mojen
dicelle vn noble cœur se peult saouler de tout honneur ter-
rien. Dresse les voiles de ta pensée fluctuante es flotz de
ieune cupidité, en vouloir hautain de sceptres maintenir.
Regarde la béatitude de ceux qui par moj régnent : Note
la merueilleuse resplendeur dorée et perlifiee, de mon
throne auguste, de mon Royal diadème et sceptre immor-
tel. Boute en ta saueur les mirifiques distillations dont les
hauts Princes sont par moy arrosez. Mesure la grandeur
et amplitude de la bienheuree puissance que ie leur admi-
nistre. Comprens en ton choisir lestendue non limitée
de leurs plaisirs, et de leur large posséder, en or, pierres
précieuses, et toutes choses souhaitables. Sauoure en ton
palais la douceur de leur souueraine loisibleté et firanchise
(non restrainte par loix) laquelle par moy leur est eslargie.
Et aussi le pouuoir et licence dacheuer hauts faits, pour
perpétuer leurs mémoires, et faire voler leurs renom-
mées, par tous les climatz du monde vniuersel, en exal-
tant les grans, et humiliant les petis, qui sont œuures pres-
ques diuines. Et en félicitant les misérables par libéralité
de dons, et impunitez de mesfaits, et eslargissement de
grâce et miséricorde aux subietz : et en punissant lobsti-
nation des malfaiteurs par accomplissement de iustice. Et
autres diuerses œuures appartenantes à ma maiesté tressa-
cree. Impériale, et Royale, et régime de la chose publique.
Et encores plus en debellant les orguilleux rebelles, et en
domptant la proteruité (1) des inobediens par la puissance
(1) Tinsolenoe.
SmGVLAMTBZ Dl TROTI. LITU I. S5
aetioe, des nobles armes chenalereiises de mon filx le Dieu
Mars, craint et redouté par toutes les régions du monde,
et par la relucence de son triomphe et gloire, laquelle te
sera communiquée, en mer, en terre, et dinulguee en la
région aerine, en laquelle ma puissance et vigueur est fort
exaltée.
Et au contraire, réduis en estime lignobilité de ceux qui
en oisiuetë racroupie, et en contemplation solitaire, de ie
ne scay quelz songes de philosophie passent inutilement
leurs iours, sommeillans et baillans après les biens de mon
trésor, desquelz ilz ne peuuent atteindre goutte, pource
que rien ne déduisent en action ^ale et correspondante à
mon vueil. Et aussi naffiert à homme de Royale vocation
muser si parfond en literature, ne tant peser le sens, ou
epiloguer les diffinitions de prudence, et autres vertuz mo-
rales, et les difBcultez de la conduite des choses, par ver-
bale garrulité seulement sans rien mettre en realle efficace.
Congnois aussi dautre part la meschance et vilité des
autres encores plus mesprisables, qui nensuiuent sinon le
délit corporel et la doctrine Epicurienne pleine de contem-
nement et nonchaloir de vertu. Et sont rempliz de luxu-
rieuse immundicité, bannis de conuersation honneste, et
tous enclins à corruption, (l) rapine et homicide. Lesquelz
tous viuans sont enseueliz en ordure mortelle, et détestable.
Leurs forces eneruees, leur pouuoir débilité, leur vigueur
efféminée, et leur renom dénigré, de toute obscure vicio-
site. Et pense que ie te puis bailler déduit assez condigne
et propice à ma hautesse et dignité, et à lequipollant de tes
mérites. Et que iay faculté de te impartir (2) et rémunérer
(1) eorreptùm (éd. 1512).
(2) gratifier.
SB lUtiTRATIMS MK GAVU, fiT
ds i^aisaaoe non aoeoglee de lasciuité yenarieime. Quand
dams laao eut acheue ses paroles, Pallas se présenta con«
sequemment en son ordre.
La noble yierge Pallas Déesse de prudence et de forti-
tttde» estoit habituée (1) de trois riches vestemens de diuerses
couleurs, telz quelle mesmes auoit teint et tissu de ses pro-
pres mains sacrées. Car elle fut la première qui trouua
lusage de lesguille, et de lanifice. En icelles trois robes
eetoient peintes et subtilement tirées douurage de brodure
ke sept ars libéraux, et les sept vertuz tant morales que
oardinales, et plusieurs autres images de force beilique et
humaine prudence. La triplicité diceux trois accoustremens
eatranges et entrechangeaus leurs couleurs inusitées, deno-
toit« que sapience est fort celée et couuerte aux ignorans :
et que peu de gens peuuent discerner sa rarieté merueil-
leoae et sa beauté intérieure. Elle estoit oultreplus armée,
pouroe quelle trouua premièrement lordre des batailles : et
pour designer que prudence est tousiours bien garnie de
deffense contre ses maluueillans. La première pièce de son
harnois estoit vne riche salade crestee et lambequinee (2)
richement : Tymbree dune Chouette, et couronnée dune
branche doliue. En signifiance que lentendement dune
sage personne, doit estre noblement muny et aorné de plu-
sieurs et diuerses choses. Et en sa cuirasse que les poètes
appellent Egide (qui est larmature des corps célestes seu-
lement) estoit imprimée Ihorrible teste Gorgone, pour don-
ner crainte et frayeur à ses ennemis. Elle auoit vu escu
crjstaliin qui est ferme, cier et transparent. En signifiance
que le prudent homme peult faire deux choses ensemble :
(1) vêtue, du bas-latia hahUuore.
(2) A lambrequins.
SniGTLAMTBC VB TBOTB. LI1F»B I. fS7
Cestasauoir se dflflbndre, et regarder aussi pw quel moyen
il poorra mîeax greaer son adversaire en lassaillant. Elle
portoit oulb^las, vne lance baneree et armoyee, dont le
bois estoit de grand longueur : pour dénoter que la parole
dune sage personne flert de loing. Elle auoit esles emplu-
mees aux bras et aux talons. En signe que Prudence est dili*
gente & toute œuure Tortueuse, tant en allant comme en
«xploitant. (1) Sa veûe estoit fiere et regardant de trauers,
pouroe quon ne congnoit iamais lintention dune personne
prudente à sa chère. Ses pucelles et compaignes estoient
parées dbabrts correspondans à leur maistresse, et se nom-
moient Crainte, Terrification, Diligence, et Sagacité, qui
sont toutes choses appartenantes aux sages Princes. Les-
quelz par leur prudence sont craints des rebelles, causent
terreur à leurs ennemis, et sont diligens, sages et indus-
trieux en tous leurs négoces et de leurs subietz. Loliue est
consacrée à ladite Déesse Pallas, à cause que paix qui est
entendue par loliue quise par armes, et la Chouette est
mise en sa tutelle, pource que Ihomme prudent voit aussi
der de nuict que de iour en la difficulté de ses affaires. Or
oyons maintenant par quel langage ladite tressage Déesse
admonnesta Paris :
- Enfant de bonne indole, et de tresingenieuse nature,
lequel ie congnois par la démonstration de ta physiogno-
mie, estre flexible à toute docilité, et & la compréhension
du haut sauoir que les Dieux mesmes ont en leur espargne,
puis que ton vueil est ores en balance, ton pied prest à
desmarcher pour tirer vn chemin ou autre, et les yeux de
ta pensée intérieure vacillent en lelection de choses diffé-
rentes, prens à ceste heure ton ploy non effassable : Imbue
(1) traTftilant*
9tS8 ILLfSTRATIOIIS DB GAVLB, ET
le vaisseau de ta noble ame, de liqueur prudente et ver-
tueuse, et dépeints les tablettes de ta haute perspicacité de
couleurs précieuses et immortelles. Et en ce fitisant, se-
iourne les pupilles de ta circonspection discrète, au miroir
de ma speciosité céleste. Nauenture point la précieuse ga-
lee (1) de ton aage florissant au vent dambition sinistre, et
de gloire vaine et desmesuree, ny en la tourmente de négo-
ces ruineux. Suite les perilz de tyrannique cruauté, les
destroits dauarice insatiable, et le naufrage inconsidéré
doffension de voisins. Ne tabandonne point À la nuict de
terrienne amour : et ne te fie en lobscurté dignorance mon-
daine. Fuy le gouffre de vilaine lubricité : Donne toy garde
des rochers de cupidité effrénée de la graue (2) doutre-
cttidance, et de la plage doutrage sanguinolent. Et pour ce
fiûre, veille à tes créneaux, desploye la meiane (3) et contre-
meiane de ton sens naturel. Guindé la maistresse voile du
mast de ton entendement. Conduis la pointe de ta prore à
dextre, par bonne perspectiue iustement aux rays de ma
resplendeur, dont les yeux des ignorans sont esblouis. Et
dresse là ton esguille, comme bon pilot doit faire. Lors
auras vent en poupe, et prospérera ton nauigage. Si aflfuy-
ront à toy comme à leur vray patron, tous les soudars de
ma famille : Cestasauoir, Sobre planté, Eloquence non
vaine, Congnoissance historiale, Viuacité de sens, Estima-
tion de valeur. Chasteté en délices. Riche suffisance. Mé-
ditation possible, Vertueux exercice, Studiosité humaine.
Inquisition de vérité. Notice de raison. Licite entreprisa,
luste querelle, Hautesse de cœur, Hardiesse demprendre,
(1) Ê^alérô.
(2) grève, gravier.
(3) la misaiae (voile ?).
SnfCVLABITBZ DB TROTI. UmS I. 250
Conseil industrieux. Discipline militaire, Effect de iustice.
Armature de prudence, Conduite louable. Déduction pros-
père, et Glorieuse acheuissance. Sans lesquelles yertnz^
mon frère le Dieu Mars ne sauroit conduire ses batailles,
ainçois appeteroit pour néant, la sublimité des règnes, la
subiugation des puissans, et la vengeance de ses ennemis.
Car il ne fait exploit digne de mémoire, si moy mesmes ne
régis son chariot. Ny aussi la communauté politique des
humains en temps de paix ne peult consister en valeur,
sans mon adhérence. Quand donques tu voudras prendre
repos au port de tranquilité paisible, et distraction de né-
goces, lors ma hauteur te sera assistente, mon renom te
fera bienueigner en terre, ma splendeur enluminera ta
renommée, ma literature esclarcira tes gestes illustres,
mon sauoir obombrera ton chef, mes contemplations esle-
ueront ton esprit, iusques au tiers ciel, et ma rosée refres-
chira tes ardeurs imaginatiues. Si te seront mes trésors
communiquez : et auras la congnoissance parfonde des
choses secrettes, rétention memoratiue des besongnes pas-
sées, cler entendement des présentes, et vtile preuision des
futures. Et aussi se présenteront, pour tes familiers et
domestiques en tes priuez consaulx Acuité Platonique,
mesprisement asseuré de tous cas fortuits, auecques intel-
ligence des artifices de nature, et de sa sapience, et les-
elarcissement dabymes de toute science, diuine et humaine.
Par lesquelles choses la vie des humains resplend, sans
encombrier de iamais suruenant obscurté : et sans les-
quelles les sceptres des Princes sont facilement brisez,
leurs couronnes démolies, et leurs affaires obombrez digna-
uité, seuffrent détriment irréparable, ne leurs délices volup-
tueux ne sont point asseurez de placide oisiueté. Et que
tout ce que iay recité sans vantise, soit en ma puissance de
S40 nXTSTRÂTIOlS BB GATLB, «T
ten &ire iouyssenr, tn en peux prendre fiuâle coniectnre,
par ma natiaité, laquelle fut iadis produite du propre chef
de mon père, le Roy lupiter, sans coadiutoire de sexe fémi-
nin : Et par letymolc^ie de mes noms, qui suis aucunesfois
appellee Pallas, autresfois Minerue, oestadire vierge im*
mortelle, et non corrompable : et autresfois Bellone, pour
ma uertu bellique. Et mesmement te doit à ce inciter lex-
emple de la sage vniuersité d'Athènes, laquelle est exi ma.
tutelle, et mexhibe vne reuerence incaroyable : et ansoi
ladmonnestement de ceux de Troye, qui est ta propre
nation. Lesquelz gardent ma sainte image, nommée Palla-
dium, en merueilleuse obseruation de cérémonies. Et tant
quil2 la garderont bien, ilz me trouueront propice et secou-
rable : ne iamais Troye ne tombera en irrision de ses voi-
sins, ny en proye de ses ennemis. A peine pouuoit atten-
dre Venus, à qui la prudente parole estoit £Bistidiense« que
Pallas eust sa raison acheuee, quand elle ouurit la bouche
pour parler. Mais auant il nous faut descrire ses aome-
mens.
suMfnjuiiTB ftc rmoTB, ufms i. t4l
CHAPITRE XXXU.
DtiMBgtratioB •oidaate des aœoutremeofl de Venoa la Detaïa. Nar-
ration àe aoB oraiaoD délicate et iaduatrieuee, faite ao loge paato-
ral Paris Alexandre, en declairant la beauté, ponnoir et excellence,
anec prometse expreeae dn ioniiaenient de la belle Heleine.
La treabelle Déesse Venus aaoit ses précieux habille-
■1608 tissuz de la main de ses Nymphes, appdlees Grâces,
on Charités. Sa cotte intérieure estoit don verd gay comme
therbette, dn temps vemal : La houppelande de dessus
estoit de couleur iaune et dorée, brochée à estincelles dar-
gSBt, entrechangee dun bleu céleste par si agréable repré-
sentation, que ce sembloit vue nueeyespertine, enflambee de
la reeplendeur du Soleil occidental. Et estoient tous ses aor-
nemens de si déliée filure, que quand le doux yent Subso-
lanus (1) ventillant pressoit iceux habits contre ses précieux
membres, il faisoit foy entière de la rotondité diceux, et de
la solidité de sa noble corpulence. Et estoient aussi les borts
•t les orfrois (2) diceux subtilement ouurez de diuerses es-
pèces danimaux de lun et de lautre sexe, et de petis enfans
tous nuds esleuez bien viuement. Tout au long de la fente
de sa robe, depuis le haut iusques au bas, y auoit tout plein
de camahieux, agathes, onices, comeoles, iacynthes, ame-
(1) Tent d'est.
(2) frange d*or, awrifrigia, orfreiimm.
1. 16
242 ILLTSTRATI0N8 DE GAVLBy ET
thystesy pierres dazur, corail, et autres gemmes grauees et
entaillées de diuerses histoires amoureuses par le noble
imager Pigmalion de Cypre. Sa précieuse ceinture dont elle
estoit ceinte, sappelle Ceston (1) par les nobles poètes. Et
la luy donna et forgea iadis dame Nature mesmes, à fin que
la trop vagabonde lasciuité de Venus, fust cohibeee et res-
treinte par propre vergongne, et aussi par lautorite des
loix coniugales. Et en icelle auoit diuinement esmaillé
ladite Déesse Nature, les figures damitié, désir, fiiconde,
blandiceSy plusieurs signes dampurs et secrettes coUocu-
tiens. Laquelle ceinture icelle Déesse Venus ne porte
iamais, sinon aux noces chastes, honnestes et légitimes. Et
à ceste cause toute autre conuention qui se fait de femme à
homme, est appellee inceste, quand Venus ny ha point sa
ceinture Ceston. En son beau front elle auoit to riche
escarboucle, lie dun petit ruben de soye noire, taillé à
manière destoille, qui rendoit grand splendeur de noictt
pour dénoter la belle relucence de sa planette. Ses blonds
cheueux espes, estoient richement tressez à petis lacs dor
trait à manière de retz» distinguez de fines perles, saphirs,
topaces, et fines esmeraudes, à grands houppes de soye
purpurine pendantes derrière le dos. Et par dessus le tout
vn petit chapelet dun arbrisseau, tousiours verdoyant,
lequel est nommé myrte, et est consacré à ladite Déesse.
Aussi tenoit elle en sa main vn houppeau (2) de roses blan-
ches et vermeilles, rendant soueue odeur : lesquelles luy.
sont dédiées tant pour leur beauté singulière, comme pource
quelles poingnent en cueillant. Son fllz Cupido à tout son arc
dyuoire, et ses saiettes dorées, et Volupté sa fille, estoient
(1) ^ xcarif, ceinture brodée.
(2; bouquet, en rouchi houpiau^ en gantol« kafCcL
SIHGTLARITBZ M TROTS. LITRE I. S43
anec elle : car iamais Venus nest sans amours et sans plai-
sance. Et derrière elle, & sa queiie, estoient ses trois Grâ-
ces, appellees Charités, toutes nues. Gestasauoir Pasithea»
Rgyale, et Euphrosyne. La première attrayant, la seconde
entretenant, et la tierce retenant fermement les amans en
amours : et sont filles de lupiter et de la Nymphe Auto-
nos, ou selon aucuns, de Venus mesmes. Elles estoient
ainsi nues, pour dénoter quen captant la grâce et beniuo-
lence daucune personne, on ne doit point estre feint ne
eouuert. Âpres les Grâces pouuoit on voir consequemment
las deux femmes de chambre, et pedisseques de Venus,
dont lune se nommoit Accoustumance, et lautre Tristesse,
comme met Âpuleius, De asino aureo. Le curre ou chariot
de la Beesse estoit auprès délie, pour designer le cours et
la Telocitë de sa sphère et planette. Et les cygnes estoient
dédiez À son seruice» en signiflance de la blancheur et net-
teté des dames : et aussi pource que cest yn oyseau douce-
ment chantant. Et les coulons aussi estoient souz sa tutelle
et sauuegarde, pource quilz sont luxurieux et fécondes (1) À
procréer leurs pigeons. Venus donques ainsi aornee, dune
Toix doucement organisée procédant du creux de sa poi-
trine amiable, feit resonner la circonférence de lair en ceste
manière:
fleur florissante de naïue beauté, gentil Prince de ieu-
nesse, le plus accomply des dons de formosite corporelle
qui iamais marcha ne marchera sur terre : Apres quil ha
pieu à chacune de mes dames, qui sont icy, toy instruire
de son estre, et de son pouuoir, pour tendre aux fins dusur-
per la pomme dor, qui de soy mesmes est dediee À ma diui-
nité, Teu quelle ha esté cueillie aux iardins des Hesperides,
{\)/ee%nd€i (éd. 1512).
244 ILLf^TRÂTlOllS DE GATLS, ET
ce nest pas raison que ta demeures incertain de mon;
combien que peu de gens en soient ignorans. Dont en tant
quil touche la hauteur de nostre origine, ie croy que toutes
trois approchons en équiparation conuenable, quant à ce,
comme celles qui sommes sorties dun mesmes estoc : Cesta-
sauoir de Saturne, et de lupiter omnipotent : duquel lupiter
ie suis la bien aymee flUe, et de la Nymphe Dione. Mais
de la festiuité élégante et propriété Ionienne et paternelle,
ie suis héritière non dégénérant. Les autres tiennent des
mœurs et complexions de leur grand père Saturne. Or
suis ie donques renommée par tous les climatz du monde,
et nommée Venus venuste, en beauté principale, Princesse
damours amoureuse, À toutes gens gentille et gracieuse,
pleine de vrbanité traitable sans aucun traict de plaintiue
orphanité, et de pénible offension. Quant aux hauts hon-
neurs qui sont instituez À ma deïté parmy la terre habi-
table, nest ia besoing que ie men vante : ains me sufSt
sans plus, que tu tenquieres de la magnificence des tem-
ples qui me sont édifiez es isles de Cypre et de Cythere :
dont aucunesfois ie porte le nom, en la cité de Corinthe,
qui est en Achaie : et sur le mont Eryx en Sicile. Et que
tu te informes du nombre des vierges, qui lÀ sont dédiées
À mon seruice, par prostitution de leurs corps : et de la
fréquentation des autelz, qui là endroit me sont consacrez :
esquelz toutesuoyes ie ne seufire aucunement estre respan-
du sang ne morticine. Car ie ne suis point Déesse sanguino-
lente, ny aymant occision : mais veux estre seulement
seruie par ofirandes de douces prières, et de fleurs bien
flairantes, et par sacrifice de pur encens odoriférant : ny
autrement ne veux estre adorée. Et au surplus, sil faut faire
comparaison de la geniture par moy procréée aux autres,
mon seul filz Cupido, le puissant Dieu damours» lequel est
SlMGTLAtrm M TEOn. UTU I. 245
iûf présent en fera assez foy. Duquel (sauue la paix dun-
cluuniii) le pouuoir non mesurable ioint auec le mien ne
semble pas moins excéder oeluy de tous les autres Dieux et
Déesses, que la clarté du Soleil surmonte celle de la Lune,
Car, qui sera celuy qui niera, que nostre puissance noccupe
mesmes lieu sur les Dieux immortelz, qui maintesfois en
ont esté ratains ? Mais en taisant iceux, ne voit on pas
quelle vsurpe principauté sur les plushauts hommes du
monde, esclarois par les tiltres et richesses de madame
luno» et par les estudes de ma sœur Pallas, qui peu leur
proafltoient & resistenoe. Et pource que les exemples yieux
et récents en sont desia si autorisez, quen les trespassant
souz silence taciturne mesmes les bestes mues et les oise-
letz du ciel, en porteront tesmoignage : den spécifier plus
anant ie me déporte. Et me tais aussi, de dire que la société
du genre humain deperiroit tantost, et tourneroit À néant,
▼oire mesmes la machine totalle de ce beau monde vniuer-
sel se dissolueroit, et tomberoit en ruïne sa perpétuelle
composition par linimitié mutuelle des actions élémentaires,
si elle estoit priuee de nostre amoureuse concordance. Mais
tout cecy ne sert de rien au propos mis en termes, ne la
iactation et gloriflance de noz faits et pouuoirs illustres
nha point de lieu en la matière subiette. Ny tu noble enfant,
nés point institué luge, pour congnoitre de noz valeurs
intrinsèques : Car à ce ne suffiroit ton industrie, ny aussi le
temps qui requiert plus longue spéculation, ains seulement
as receu délégation et faculté deliure (1) de déduire sommai-
rement et de plein, sans figure de plaid, le procès verbal icy
intenté par nous deuant ta présence. Et pour ce faire, choi-
sis de tes beaux yeux corporelz, laquelle de nous trois te
(1) abtolue.
946 KLYSnunon m gatlb, et
semble de prime fiioe deaoir emporter le prys en beantt
natordle : et en déchire ton opinion par arrest diffinitif.
Et en ee, eonsistent les bornes de ta indicatnre : dont ie
tadaertîs Toolntiers, à fin qne ne mesprennes, en laissant
le prindpsi pour laccessoire.
Ainsi donques, 6 perle nidojante de blanchear arrondie,
rutilant escarbonde de beanté mbiconde, surpassant toQte
élégance humaine, Paris le nompareil dentre le ciel et la
terre, arreste ton plaisant aspect sur la speciosité dont ie
suisdeooree, à laquelle toute antre ne peult sortir (1) compa-
raison. Ronire la fiJtisse (2) tournure de ma yenuste corpu-
lence, reflambojant de forme seraphine : et seioume ton
r^^ard corporel en la clarté de ma bce. Equippe le gracieux
nauire de ton firanc arbitre selon la démonstration de ma
carte propice. Evade lennuy de tenebrosité curieuse, et le
labeur de grieue aolicitude. le congnois que la marine enflée
du Tent impétueux des paroles lunoniennes superbes et pre-
sumptueuses, et de ses promesses farcies de vaine gloire, ha
fatigué le vaisseau de ta ieunesse esgaree : iapperçoj que
presques as esté esbranlé par liropulsîon des vndes Palla-
diennes, pleines de strepit et garrulité, inculquée pour en-
ueloper ta noble fantasie, en ses vagues sophistiques, en
ses regorts (3) de disputations morales, phjsicales ou meta-
physicales, et faire hurter ta Galee ingénieuse contre la
roche brune de ses syllogismes politiques, intriquez et en-
touillez (4) de timidité, mal séant à ieune Prince, pour estre
absorbé en ses abymes parfondes et inuestigables : englouty
(1) essayer.
(2) bien faite.
(3) gardus, détroit.
(4) enTelopp^.
S0I6TLAEITBZ DB TEOTB. LIVRB I. 247
aa fons de ses âgares de difficile intellecture, et versé au
canal enigmatiqae de ses propositions douteuses et parabo-
les ambiguës, auquel si tu eusses vue fois esté détenu, ton
plaisir estoit frustré à tousioursmais de volupté corporelle,
qui est en ma saisine : et ta liesse géniale corrompue de
tristeur Saturnienne, et changée en tacitumité mélancoli-
que. Mais il te &ut vigoureusement esuertuer au contraire,
résister à toute rigueur & leurs enhortemens tentatoires, et
ensuiure ma doctrine naturelle, et la propre inclination de
ton sens. Tourne donc À gauche, enfuis le grand chemin
vsité de la plus part des humains. Fay muer tes antennes,
rassenre tes cables et tout ton cordage, commande singler
en la haute mer de menuz plaisirs, laisse le riuage de gra-
nité senile et de trop sage stolidité, euite le pol arctique,
la plage septentrionale, la froideur transmontaine, la mer
congelée de continence lunonique, et stérilité de Minerue,
donne regard À ma planette féconde et fertile, lune des plus
deres et plus refulgentes qui soit entre les estoilles non
fixes au firmament, laquelle est nommée Venus, pource
quelle vient à toutes choses. Âucunesfois aussi est appellee
Hesperus, Vesperugo, ou Lucifer : cestadire portant lu-
mière : Bstoille marine, et sidère ioumal, tousiours précé-
dant le Soleil matutin : Lespoir des nauigans : la Maistresse
de vertu concupiscible et de puissance génitale. Laquelle
principalement esclaira ta natiuite, et propina À ta concep-
tion influence amoureuse, dulciloque, gaye, voluptueuse,
de méditation ague, et de complexion totalement Véné-
rienne et non eui table. Si test nécessité densuiure sa beauté
radiante, et sa fécondité désirable : et ne te chaille de tenir
guet au plus haut de ta hune : Car ie veilleray assez à ta
garde, et foumiray à ton trinquet vent Zephyrin propice à
la boulingue. Si ny aura monstre marin, ne belue si har-
JUS ILLVSTRATI01I8 M GàVU^ D
die, ne pirate counaire si entreprenant, qui t*
cher (attendu que de la mer ie suis extraite) et qaaiid
marine sera calme et tranquile» lors mes Graœs
gens et galiots, (1) mathelots et appetis sensnelz
leurs rames à la vogue. Mes Nymphes, mes Fées et
Siraines en chantant doucement tireront ton yaisaeia Immtb
de toute laboriosité spirituelle, caleront les Yoiles, et le
mèneront À bort, et au riuage de plenté de délices corpo-
relles, de faueur populaire, cherissement des tiens, et
amour des estrangers : là ou tu qui nés ores qaun majUt
bergeret, exilé et banny, seras À grand pompe reoea es
palais triomphans du puissant Roy ton père, maugré Foc-
tune ennemie : et y seras festoyé et bienuiengné, en toiit
musical, en tumulte amoureux, et en ioyeuse noise. Si fer-
merons ton ancre, et en station délectable, ou tu auras mel-
lifluence sans maie influence, douceur sans douleur, auto-
rité sans austeritë, honneur sans horreur, et luisance sans
nuisance. Auecques le iouyr en tiltre de mariage, de ma
propre sœur charnelle, la plus recommandée en beauté qui
onques fut née de mère, ne qui iamais sera. Cest la belle
Heleine Roy ne de Lacedemone, fille de monseigneur lupi-
ter et de Leda femme du Roy Tyndarus lun des plus nobles
du monde. Cest loutrepasse en beauté, non seulement den-
tre celles de Grèce, mais aussi entre toutes celles que na-
ture sceut onques créer. De laquelle ie te reserue la frui-
tion certaine, pour te rémunérer des guerdons desseruis.
Car cest bien raison que les deux plus beaux personnages
du monde soient alliez ensemble. Et aussi nous sauons
assez, que la femme que tu as ores, nest pas correspondante
& ton illustrité. Et pource, mon fllz Cupido te deliurera la
(l) gens âê la galAre.
Sni&TLAAITBE DB TEOTB. UVIS I. 349
Déesse des femmes : et ma nièce Volupté la tentretiendra
en liesse : mon frère et amy le Dieu Mars la te garantira à
la pointe de son espee, enuers et contre tous. Et de tant
plus seray encline à toutes ces choses, comme tu en es
mieux digne. Et de ce dois tu auoir parfaite confidence.
Leloquence artificielle de dame Venus, ses paroles delica-
tes, et sa douce persuasion causèrent telle (1) eflScace et telle
émotion au cœur du ieune adolescent Paris, que encores
en pourra il maudire les rhétoriques couleurs, qui luy se-
ront rétorquées en douleurs. Ce nonobstant, il nosa enco-
res mot respondre, ains demeura comme statue immobile,
pensant à lambiguité soudaine du cas suruenant, iusques À
ce que le noble Dieu Mercure duquel la planette est neutre
et indifierente, bonne auec les beniuoles, mauuaise auec les
maliuoles, maistresse de vertu imaginatiue, fantastique et
cogitante luy administra audace de parler et de procéder
au surplus, et luy dit ainsi : Noble sang Troyen, combien
que ceste auenture te soit autant douteuse, comme esmer-
ueillable, neantmoins, puis quil ha pieu À si hautes Dames
subir ton iugement, il te faut icy desployer la tresample
sagacité de ton entendement, et la prudence de iuger, dont
ta es renommé par tout le monde : en proférant sans plus
longue mutation ou demeure, la sentence dont il sera mé-
moire À tous temps et À iamais. Tu vois quelz offres elles
te fonti et quelz guerdons elles te mettent en auant. Nayes
lœil aueuglé : car en toy gist libéral et plenier arbitrage.
Or considère meurement et attrempément ton affaire : et
puis après selon lordonnance que tu en prononceras hardi-
ment et sans crainte, ie feray deliurance de la pomme
anreine (qui est cause motiue de leur différent) à la plus
belle des trois.
(1) M (éd. 1512).
ILLT8TmAT10ll8 M GÀfLB, ET
CHAPITRE XXXm.
Dé la reqaette eoouertd et modérée qae le loge roral Parie Alezaadn
feit de voir lecditet trois Deeeeet nnes. Et de la denadation ém
oorpolenoee dicellec. Explication de leare beautés aoaaeraiBea : Et
de la lentenee prononcée en la fkaear de Venoa, eontre Iimo et
Pallaa. Da partement detditea deux Deeaeee mal eontoiitea, qvi
point ne retoarnerent à lasaemblee dea Dieox.
Qvand le noble adolescent Paris Alexandre eut r^^anM
aucune espace de temps la pomme dor enrichie de sa tige
et des fueillettes de mesmes« et leu lescriture qui estoit à
lenuiron, il dressa sa parole au Dieu Mercure disant ainsi :
Tressaint et treseloquent Dieu, qui seroit auiourdhuj la
créature viuant sur terre tant douée de parfonde doctrine
ou de perspicacité deotendement, qui ne refusast vne
charge si pesante et si dangereuse que ceste cy, veu que
les Dieux mesmes ne lont voulu desmesler ? Voyans que
sans acquérir la maie grâce des Dieux, ne se peult adiuger
la chose contentieuse à la tierce. Donques si ie suis si témé-
raire que de la cuider mettre à fin, ce nest pas merueille si
la doute que iay de mesprendre me fait tressuer dangoisse,
et de grieue destresse. En mesbahissant comme le plaisir
de mestreshautes et tresredoutees Déesses, sest condescendu
À vouloir accepter le iugement de si basse personne comme
moy, qui ne suis quun simple bergeret, le moindre des
hommes mortelz, encores tout obombré de iuUenile igno-
rance , peu vsité en telz affaires , et qui à peine s*ose
SmCTLAiUTBZ DB TROTB. LIVRE I. 251
adaentnrer de sentremettre des mennz débats de ses com-
paignons pareilz et égaux. Si ne scay coniecturer autre
chose, sinon que par confidence dun trop ample rapport,
qui fiedt leur ha esté de ma petitesse, elles se sont accor-
dées À mettre en hazart la comparation de leurs diuines
formes et speciositez. Voyant donques ny pouuoir alléguer
resistenoe, ains faut que ie fleschisse souz le ioug du leur
et du tien^tressacré et trescremu commandement, ie déli-
bère de men acquiter en brief, sans acceptioA de person-
nes, et sans que les choses promises me meuuent en rien.
Si te supplie en humblesse my vouloir prester confort et
ayde, pour mener & chef ce présent affaire À mon honneur
et preu. Car en tant quil me touche, ie ne voy moyen
aucun dy pouuoir sauuer ma beniuolence enuers chacune
partie : ne aussi dy sauoir rien discerner, au moins à la
pore yerité, tandis que leurs benoites Corpulences seront
couuertes et voilées de ces précieux aomemens.
Âdonc Mercure va dire : Certainement, mes treshonno-
norees dames, sa raison est droiturierement bonne, et bien
fondée : Car si la pierre précieuse estant exposée en esti-
mation de sa propre bonté et value, nest veâe À descouuert,
sans vmbrage et sans fueille, il nest au monde si bon lapi-
daire ne si sage congnoisseur, qui sceust au vray iuger de
sa nobilité. Voz précieux habillemens pourroient deceuoir
son œil. Car ilz occupent (1) la perfection de vostre belle fiic-
tare, et mussent (2) lintegrité de voz perfections. Si vostre
différent gisoit sans plus en lestimation de la resplendeur
des bagues et loyaux dont vous vous parez, ou en la louenge
des façons de voz riches habits, et achesmes, armes, loyaux
(1) empritonDent.
(2) eachent.
SBS ILLTSTRATiOm M GAVLB» BT
et autres accoustremens, ie diroye que ne prinssiaa pas la
peine de mettre ios voz nobles vestemens : Mais non, ains
tend À plus haute chose : Cestasauoir, m, lequiparation de
la formosité de yoz propres diuines corpulences, et en dis«
cerner prudentemoit le choix et lequipolenoe de T02 mem-
bres illustres.
Les autres non respondantes(l) mot, comme surprinsesde
honte et vouloir de non faire, Venus la plus hardie va dire
en ceste manière : Quelle timiditë vous est suruenue main-
tenant, ô mes dames et Déesses ? içy ne voy ie point occa-
sion de refuz : Car puis que si auant les choses sont allées,
il nest point temps de reculer : ainçois tous yoy monstrer
le chemin moy mesmes pour la première. En ce disant, elle
commença À desceindre sa noble ceinture, nommée Ceston,
que dame Nature luy forgea iadis, pour la restraindre de
sa trop grand licence et voluntaireté : et la bailla à gardsr
À ses nobles Grâces et damoiselles. Adonc luno oe voyant,
dit ainsi : Certes dame Venus, de fuyr nauions nous nulle
enuie pour crainte de reboutement : mais ie imagine qoil
est malséant à Déesses immortelles et chastes, m6smement(2)
à Pallas la pucelle, et à moy qui suis femme de Roy et
d*Empereur, de se monstrer nues à aucun homme mortel,
combien que peu destime tu en fasses : comme toute cous-
miere de diuerses compaignies Tiriles. Mais toutesuoyes puis
que cest vn faire le faut, nous ne serons point des derniè-
res. Alors toutes dun accord elles se retirèrent souz diuers
vmbrages, en lieu de garderobes, et se feirent deshabiller
vne chacune à part par leurs Nymphes et damoiselles. Si
meirent ius leurs riches habillemens, tissuz de main ou«
(1) respondant (éd. 1512).
(2) snrtoQt (du latin fMMimê),
SmCTLAmiTBZ M TROTB. UVEI 1. Slt5
ariere, et Pallas ses nobles armes. Et quand elles eurent
deffbblé coiffes, guimpes, atours, couronne, chapeau, salade,
et autres accoustremens de teste : mis ius fermaillets, chai-
ses, aneaux, bulettes, carquans, ceintures et tissuz : et des-
nestu robes,cottes, manteau, cuirasse, et tous habits, fiairans
de diuerses odeurs exquises, semblables À baume naturel,
meslé auec toutes les fleurs de violettes quon sauroit exco-
giter, iusques aux galoches dorées et diaprées douurage
snpematurel, lesquelles elles retindrent en leurs piedz, de
peur que Iherbette poingnante noffensast leurs plantes ten-
dres et doucettes. Lors elles se présentèrent toutes trois
sur le beau bout, telles que laube du iour blanche et clere,
eoulouree de splendeur yermeille se monstre À lœil du pèle-
rin qui beaucoup Iha désirée.
A ce diuin spectable, (1) le cler Soleil fiiisant son cours
naturel parmy son cercle, sarresta tout court, pour auoir
plus longue fruition de leur regard. Le noble fleuue Xan-
thus leua hors de ses vndes son beau chef yerdissant de
ioncz et de roseaux. Les Nymphes des fontaines reuestues de
mousse et cresson, ietterent leurs tresses mouillées hors du
parfond de leurs sourses. Les Dryades gentiles, parmy les
creuasses des escorces de leurs arbres florissans meirent
hors leurs belles faces. Les cheures et brebisettes du berger
Pans en laissèrent le pasturer : et ses chiens se tindrent
tous ooyz sans bouger : et les toreaux en louèrent leurs
testes. Les oiseaux de dessus les branches alongerent leurs
colz pour mieux choisir. Les dains et les chamois reposans
en lombre des pins de la montaigne, dressèrent leurs cor-
nes. Les Demydieux agrestes, sans se oser approcher
espioient du haut des rochers. Les Vents retirèrent leurs
(1) ipectaeU (ëd. 1512 et 1528).
954 ILLfSTRATlOllS DE 6ATU, ET
halaines, et nosoient À peine souspirer de peur de les gre-
aer. Lies fueillettes espesses et draes qui faisoient Tiiibrage
aux Déesses ne se remouuoient tant soit peu» à fin de ne
ùàre bruit. Les ruisselets argentins deoourans au long des
herbages contindrent leurs douces noises. Et brief, toute
chose terrestre feit silence, et se tint en grand paix et
admiration pendant lostentation des corps diuins, lesquek
auoientdesia tout embaumé lair circonuoisin de leur flairante
redolence diuine et ambrosienne. Âdonc le pasteur Alexan-
dre, rauy en ecstase, esblouy de si irradiante lumière, offus-
qué de la clarté procédante des corps célestes, pouriettoit
ses beaux yeux assez foibles du long et du large de leurs
yenustes corpulences, et remiroit tout ce qui fiûsoit à noter
en leurs formes, par grand sagacité.
La Royne luno, pleine de grauitë matronale, et lumnes-
teté pudique, dentre tous ses accoustremens ne reewua
rien : fors quelle eust prins vn fin cœuurechef de crespe,
long et large et bien délié, tout ourlé de franges de fil dor
et de soje, dont lune de ses Nymphes estoit toquée. Et
leust mis sur son espaule senestre pendant en escharpe, et
noué sur le costé dextre. Dont pource que les bouts vole-
tans en lair, par leur légèreté, sesleuoient aucunesfois con-
tre soD gré, au mouuement de sa marche, elle tenoit lune
des mains sur son pis, et lautre plus bas. Dautre costé Pal-
las la prudente pucelle, pleine de verecunde virginale, ne
voulut point mettre ius sa riche chemise, tissue, fronsee
et ouuree de sa tresindustrieuse main, et brodée dor traict,
et de semences de perles selon les lisières. La raison pour-
quoy elle ne la despouilla, fut pource quelle estoit dune
soye bysine, blanche comme lis, si clere et si subtile quon
pouuoit bien choisir parmy sa transparence, toute lintegrité
de sa belle facture.
SmCVLAEITBI DE TEOTB. LIVEI I. 2S5
Mais VenoB la tresmondaine Déesse, non tant pour se
monstrer honteuse et modeste, comme poop donner par
quelque gracieux artifice augmentation À sa spedosité na-
turelle, auoit fait tistre en vn moment par ses trois Grâces,
et sa nièce Volupté, vn grand floquart de roses blanches et
Yermeilles, bien gamy de ioncz palustres par dedens, à fin
que les branchettes espineuses ne violassent sa chair ten-
drette : Et le sestoit fait mettre et adapter en sorte quil
enuironnoit ses larges reins, et reposbit sur ses grosses
hanches, donnant gracieuse obombration à son noble sexe.
Et certes ce simple aomement faisoit obtenir À la Déesse
vue grâce singulière, et vne faneur especiale. Car les roses
Vénériennes, assorties de ioyeuse mesure, auoientesté cueil-
lies et triées sur le riuage du fleuue Scamander, par les
propres mains de son filz Cupido Dieu damours. Si aduint
que au moyen de sa contenance libérale, de sa présentation
moins difScile, de sa propre gayetë et chère plus ouuerte,
elle contraingnit ladolescent Paris, ieune dans et de sens,
à seioumer son regard sur elle, plus que sur les autres.
Venus donques sestoit plantée sur le pied droit : et auan-
çoit le gauche. La main dextre pliee sur la hanche, et
lantre estendue au long de la cuisse senestre. Or nota Paris
tout & loisir, la resplendeur de ses tresses dorées longues
et espesses, dont les floquons espars sans ordre ça et 1&,
donnoient merueilleuse décoration au chef, et aux espaules
ebumines. Considéra lamplitude et spaciosité de son cler
front bien arrondy : larcure de ses sourciz noirs : la splen-
deur admirable, et lattrait amoureux et penetratif de ses
yeux ?ers (1) : la forme de son nez traitiz (2) : la fresche cou-
(1) tain (ià. ÏBli).
(2) joU.
966 lULTITRAnOHS DB «ATLB, BT
leur et le beau teint de sa face : la rondeur de ses ioues pur-
purines : la petitesse de la bouche riant» auec Ideuation de
sesleures ooralines et bien iointisses que délies mesmes
sembloient semondre vn baiser. Et aussi la graoe de son
fosselu menton, et la blancheur délicieuse de son gosier
crystallin. Puis après le ieune berger par grand attention
se print à remirer la gente trossure des deux mamdles de la
Déesse, et le grand interualle qui estoit entre elles : la fid-
tisse gracilité du fauts (1) de son corps, la solidité de ses
bras massifz, et la speciosité de ses mains driicates : U polis-
sure ynie de son ventre marbrin : la grosse tournure de ses
blanches cuisses : la pleine chamure de s^ molz genoux :
la vuidure élégante de ses belles iambes : la fisicon mignote
de ses petis piedz : Et la perfection totalle du demeurant
de sa noble facture et corpulence, que tant luy pleut» que
mieux taulsist que iamais ne leust veiie. Car il nent pas le
sens de la réduire en comparation à lextreme formosité, et
souueraine excellence spirituelle des deux autres Déesses :
aincois sarresta du tout à contempler la beauté corporelle
de Venus. Alors luno et Pallas commencèrent à auoir peur
de leur cause perdue, et craindre la stolidité de leur luge
indiscret : Là ou Venus au contraire, monstroit semblant
tresasseuré, par ses gestes pleins de lasciuité féminine. Tou-
tesuoyes elles se souffrirent (2) vn peu : attendans douteu-
sèment lopinion du berger : duquel les yeux estincelans,
et les prunelles errantes et vagabondes, alentour de limage
Venerique, denotoient assez son appétit sensuel estre ca-
teillë (3) dun désir non chaste, et tout enflambé de luxure
(\)/aul(t{èd. lS12etlS£8).
(2) 86 continrent.
(3) caiillare^ harceler, chatouiller, flam. kUieteiê»
SIKGTLARITU DB TROTS. LITRK I. SSST
excessitte. Si prononça finablement larrest et la sentence
de son iugement. Et dune voix tremulente et casse, et pleine
de crainte, ayant le visage honteux, dit en ceste manière :
Trésliantes et trespuissantes Déesses, puis que ainsi est,
quil ha pieu à voz maiestez sonueraines de souzmettre le
choix de voz formes nompareilles à la loy de mon simple
iogement, ien diray ores (selon la rudesse et petitesse de
mon engin) ce que ien treuue, par la nudité de voz beautez
desconuertes : Cest que après meure délibération bien de-
batae et consultée, entre mes yeux et ma pensée, lesquelz
nont sinon droit, raison et vérité douant leur imagination :
sans &ueur, firaude, ou corruption quelconques : le dis et
prononce par sentence diffinitiue, que combien que toutes
soyez remplies de formosité souueraine, et resplendeur esmer-
neillàble, comme tresinclytes Princesses detâques que vous
estes, neantmoins ainsi quil me semble (souz la bénigne grâce
et supportation de voz hautesses), madame Venus surpasse
en lineature et droitesse de corsage, vous autres deux,
mee tresredoutees Dames et Déesses. Parquoy la. pomme
dor, selon linscription qui est en elle entaillée, luy doit
estre deliuree paisiblement. Si vous supplie prendre en gré,
ce que ma rude sensualité en ha sceu ditter. Et au surplus
me pardonner, si à toutes nay peu complaire.
Des que Paris eut fine la prononciation de sa sentence,
Mercure deliura promptement la pomme litigieuse es mains
de la Déesse Venus sa sœur, laquelle la récent à grand ioye
et exaltation. Mais luno et Pallas qui se furent desia fait
reaeBtir en grand haste, ne pouuoient couvrir ou dissimuler
le semblant de leur douleur. Car il nest point de plus grief
desdain à vne noble femme, que de se voir vaincue et sur-
montée en question de beauté corporelle. Toutesfois la
pucelle Pallas, supportoit assez modestement la passion de
I. il
358 ILLV8TEAT10IIS M 6ATLB. BT
»
80Û cœur, et digeroit tacitornement apart eUe sa grieae
indignation. Mais luno Satornienne (ambrasee de grand
ire et impatience) ne se peut onques abstenir de desgorger
la famée de son despit : aingois don visage palissant, et
duns yeux aUamez par grand fureur, dune yoix «gre.
sonoreose et abrupte, et dune oraison Satyrique et pleine
de mordacité, increpa son luge Paris, en ceste manière :
homme brutal, beste transformée, oreature destinée ^
toute infelicité, Idole fantastique qui semblés ce que ta ne^
pas, vaisseau corrompu de lubricité vilaine, et sac à flens
et pourriture, mal est employée beauté corporellle en si
lasche courage : mal sont assignez les biens de Dieu et de
Nature en chose si desnaturee : Nas tu eu honte de prefe-
rer la vie voluptueuse et inutile, à la vie actiue et contem-
platiue ? Nas tu eu vergongne de postposer (1) la pardurable
à la transitoire ? de laisser le grain pour la paille, la seue
pour lescorce, le fruit pour les fueilles, et le gain pour la
perte ? De mêspriser la vraje viuacité des images célestes,
pour le fard coulouré et teint sophistique, dune statue plate
et vuide ? Et fioablement de changer les trésors du souue-
rain fastige, et lamas de douceur scientifique, aux £anges
de toute basse souillure, et au mespris de toute infameté ?
luge ridicule et syluestre, plus léger que nest la plume au
vent, prodigue de ton honneur, courage de meretrice, poilu
dun léger promettre, tout vermolu dinconstance, mal sai-
nement délibérant, aueugle choisisseur, as tu ose vomir de
ton puant estomach, sentence si orde, si inique et ai san-
guinolente, qui te coustera la vie, et de cent mille meil-
leurs que toy ? En cuides tu demeurer impuny ? Crains tu
point ma puissance immensible, quand elle est addonnee à
(l) Le contraire de préférer.
SllIGVLARlTBZ DE TROTB. LITHB I. SB9
yindication ? Ignores ta comment ie punis iadis ta folle
tante Ântigona fille de Laomedon, et sœur de ton père
Priam ? Scais tu point que le malheureux visage, dont elle
se glorifloit, en osant sa beauté outrecuidee comparer à la
mienne, luy fut par moy transformé en vn bec de cicongne,
duquel iusques à maintenant elle pesche et peschera tous-
iours les crapaux, et les raynes, parmy les marescages,
pour son viure et sustentation ?
le congnois ores que ceux de ta maison ne sont nez, fors
pour me fiiire iniure. II me souuient du rauissement de
Ganymedes, ton proayeul, qui fut ùit et perpétré au desa-
uantage de moy et de ma fille Hebé. Et nay pas oublié la
rudesse que ton ayeul Laomedon feit à mon frère Neptune,
en édifiant les murs de la cité de Troye. Mais ores est
venu le iour, que iay trouué occasion de rétribuer paye-
ment selon le mérite : et de maddonner du tout à hayne et
vengeance immortelle. De laquelle ie ne seray assouuie,
iusques À^ce que la malheureuse maison ou tu a prins ori-
gine soit exterminée par ton moyen : et le païs circonubi-
Bin depopulé, et la nation esparse parmy le monde, ainsi que
la paille dorge que les laboureurs ventillent au vent. Ainsi
que luno disoit ces paroles, et fremissoit encores entre ses
dents, elle monta sur son chariot, redoublant mille menas-
ses. Pallas aussi non contente de sa vilipendence, ne dit
autre chose de cler en ses murmurations, fors quelle le lais-
soit abesty en sa propre ignorance, de laquelle il nauroit
iamais congnoissance, iusques au temps de son final des-
truisement, et mort irrémédiable (car quand la puissance
diuine veult demonstrer grand signe de courroux et ven-
geance sur rhomme,cest de luy tollir son propre sens). Ainsi
partirent les deux Déesses, conceuans vue hayne non appai-
sable encontre les Troyens. Mais elles prindrent diuers
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Dieux. Et
■mr, et BKa frfre [« tr c ayt c iLL Hcrcmlesv lacc aa frofr»
expemtKe. Car cornu» suez bin sceo^ f macrtna Roj de
Tnrc. et p«re de Priam^ print es temp le s d« bm code
5eptinie et d« moT. certûnes crands nrrmiT dor, dont il
feit édifier et bastir les nrars de sa âté dHioii des le fonde-
BMOt iosques aax combles. Ce qoe noos so afktsM cs mffjmt-
oaat promesse et rora solennel par luj bat de rendre ledit
or (k Qoas diidié et consacré) en pareille somme et quantité
ra pins grande : Mais après lacheoement de se» édifiée, le
détestable parinre sacrilège ne dénia pas senlenmt la resti-
tation de son empnnt , mais (qni pis est) par forme deri*
soîre, irrita noz dioinitez en grand eontnmelie, dont mon
oncle Neptnne (iastement esnn à Tindication de teDe
(1) ieMWMingU {èd, I5I2).
8IN6VLARITSZ DB TROTB. UTRB I. 363
impieté) enuoya vn si horrible déluge de ses vndes mari-
nes, par tout le riaage circonuoisin, qae la champaigne de
Troye en fut gastee, et faite stérile. Et non content de ce,
pour plus ample punition du maléfice diceluy Laomedon, il
feit esleuer de ses parfonds abymes vn monstre merueil-
leax et abominable, qui exterminoit toute la prouince de
Phrygie, assise sur la marine. le aussi de mon costé, esmu
par iuste douleur à semblable vengeance (à cause de ma
maiestë lèse) causay de la chaleur et reuerberation de mes
rayz, telle putréfaction en la région aërine, et pestilence si
contagieuse, tant entre les hommes comme entre les bestes,
que les Troyens esbahis de si énorme dépopulation, me vin-
drent (en grands vociférations et consternation de courage)
crier mercy en mon temple de Delphes, et supplier miséri-
corde. Mais pour response brieue, ie leur fois assauoir que
la persécution qui les vexoit par leurs démérites, ne pren-
droit fin ne cessation, ne le sacrilège et pariurement de leur
Roy ne seroit purgé, satisfait et aboly, pour appaiser noz
indignations, silz ne donnoient tous les moys à la Belue
marine, vue de leurs pucelles.
Les malheureux Troyens, ainsi certiorez par mon oracle,
de leur remède greuable, se déterminèrent à lexecuter, de
peur de pis auoir : et par longue espace de temps le feirent
ainsi. Dont plusieurs nobles hommes ce voyans, aymerent
mieux auenturer leurs filles à tout autre desfortune, que
les voir périr douant leurs yeux. Et entre les autres, vn
nommé Hippotes gentilhomme Troyen, embarqua sa belle
Ule Egesthe, accumulée de pleurs et de regretz, en vue
petite nasselle, souz la miséricorde de mon oncle Neptune,
Dieu de la mer, auquel il en print pitié, et la feit aborder
k la bouque et entrée du fleuue Crinisus en Sicile : lequel
Beuue la receut benignement, et lespousa tantost. Si engen-
3^ ILLT8TRAT10N8 DB 6AVLB, ET
dra en elle le gentil Âcestes, qui ores règne paisiblement
en Sicile. Et quand par traict de temps le sort fut tombé
sur la belle Hesionne fille diceluy Roy Laomedon (comme
la sentence diuine le décréta) et que la pucelle Rojalle
fut attachée au rocher, et sur le grauier exposée» pour
estre promptement deuoree du monstre marin et horrible
Belue, (1) et que ses parens misérablement plourans, luy
apprestassent desia obsèques et funérailles, comme non
esperans voye aucune de sa saluation : lors mon frère Her-
cules par 1& passant, auecques son amy Theseos, sarresta
de pitié, et print compassion de la vierge : feit pact auec
Laomedon de la deliurer du danger de la Belue, poomeu
quil luy donnast ses deux coursiers blancs comme neige,
lesquelz estoient procréez de la semence céleste de mes che-
naux : ce que Laomedon ioyenx asseura de faire, moyen-
nant linterpos de sa foy, et de son serment. Mais après la
deliurance de sa fllle Hesionne, le coustumier moqueur des
Dieux plein dinsolence et dingratitude, neut point vergon-
gne de perpétrer second pariure : ains refusa rondement
les cheuaux estans en son estable, à mon frère Hercules,
auquel ilz appartenoient par iuste desserte. Mais point ne
sesiouit longuement en son péché inueteré : car peu de
iours après mondit frère Hercules en print vengeance con-
digne sur ledit Laomedon, et sur sa cité de Troye, laquelle
il démolit, et meit en cendre, tua le Roy, et feit emmener
sa fille en seruage par Telamon.
Ainsi (ô mon tresauguste père, et progeniteur) par la
perception des hauts arcanes fataulx, prescience de tes
ordonnances, et congnoissance du futur aduenir, dont tu
mas priuilegié par dessus tous tes enfans, ie voy à l'œil que
(1) bellua ou bclua^ béte féroce.
8IN«VLAE1T£Z DB TROTB. UVRB 1. Vi^
la> in»lhftnpftttx^ adolescent Paris (ensuiuamt le train de ses
anoestres : cestasauoir qaant aa contemnement des Dieux,
«t qnant ap pariurement et déception de son ayeul Laome-
doii) ooltre ce quil ha proaoqué lire de si hautes Déesses,
si comme ma tante luno, et ma sœur Pallas, pour satisfaire
an. seul appétit de dame Venus., laissera et répudiera
hrieuement sa femme légitime Pegasis Oenone, tresnoble
Nymphe, à laquelle il ha sa foy promise : et à laquelle pour
ses mérites, moy mesmes ay autresfois donné toute puis-
aance sur herbes et sur racines. Et par limpulsion et enhort
de Venus, ira rauir en Orece vne des filles de mon seigneur
lapiter. Parquoy il sensuiura la cause totale de la ruine
ii;neparable de Troye (comme autresfois iay prognostiquë
aaant sa naissance) quand son père Priam enuoya vers moy
en mon temple de Delphos, pour linterpretation du songe de
sa femme Hecuba, laquelle auoit songé enfanter vn flambeau
bmslant et dissipant toute Troye. Or luy eust il mieux valu
eat^indre ce flambeau en eauede mort perpétuelle, que lauoir
reserqé en vie malheureuse sans le sceu de son mary, pour
allumer tu tel feu, qui esprendjra toute Asie, et toute
Burope, et auquel iceluy Paris mesmes périra au ponrchas
des deux Déesses iniuriees, et des autres Dieux leurs adhe-
ntns. Si ne len saura garantir la Déesse Venus, pour retri-
butioa d^ sa pomme. Mais bien seroit aduenu, si luy seul
^.portoit la paste au four : à fin que si grand nombre de
hauts hommes (extraits de la lignée des Dieux) ny prinssent
di^ffioement, ce qui ne se pourra faire : Car entre les autres,
X< termineront leurs vies par mort violente^, Âscalaphus fllz
dfi mon b^w frère. Mai^^, qui tant (^fiaireja guerre, Cygnus
fllB de mon oncle. Neptune. Et munies (dont plus ie me
dueil) men frère Sarpedon Roy de Lycie, 41z de toy mon
seigneur Itipiter, et de la Nymphe- Laodomie : Et aussi y
db BOB fim Hcr-
&9J 4» M^âe, irm «atie de
CûteooBoqper
fmle par 1«
te flnlhearBKX Ruîiw Uns ee ne 86n
.i«^ Ie£t e^ns qm aam sonBé AririlW ajt
plcÛBiirf boxx fiiCi dmes, et prcaeses incradi-
blei. Tovte»oT« ton prockam héritier qm jstn de son
eane, et aon ik» Pnrlns, len teiig g iA après en horrible
farear, et soviillera ses sniits aa saag da tresaohle Roy
Priaai« dont fl aie prend pitié : Car eest edaj destreles
haBiahtf qai plas hooin^e en genoal, et en partiealier
toate U sainte congrégation des Dieax, qai cj sont, par
freqaenee de sacrifiées.
Tootesfois après longue renolotion de ionrs, et qne après
le fea de Troje les siedes auront fidt en leors deoonrs, enai-
ron deux mille sept cens ans : et que les cendres et reliqna
des Troyens seront ventilées et esparses par tous les climatz
de la terre, lors les Destinées fatales, qni ne veulent laisser
dépérir la mémoire diceux, susciteront de leur généreuse
semence es parties Occidentales, plusieurs tresgrans et très-
glorieux Princes, tant de la nation Germanique, Gallique,
Françoise, Belgique, Bourguignonne, Espaignole et Britan-
nique, comme aussi de la gent Italienne. De tous lesquelz
grans peuples, les Princes et dominateurs qui auront prins
origine des Troyens, après labolition de toutes vieilles
quereles et inimitiez anciennes, sarmeront par concorde
vnanime, contre les tyrans de Turquie, qui pour lors se van-
teront estre yssus dextraction Troyenne : et vsurperont les
règnes de Priam en Asie, et passeront en Europe. Dont les-
ditHvrays Troyens naturelz,esmuz de iustezele (au pourchas
ftlRGfLAUTBZ DB TROTB. LITRE I. 967
et mojea dune Princesse Auguste, qui sera lors nommée
Dame de paix yniaerselle) viendront flnablement, à main
puissante et bras excelse, et recouureront leur héritage et
le tenement de leurs progeniteurs, et triompheront victo-
rieusement de leurs ennemis. Toutes lesquelles choses, ie
prédis (souz la correction de toy mon père lupiter, et de
ta haute prouidence, laquelle mha administré la notice des
choses futures) à fin que vous autres Dieux et Déesses, nen
prenez stupéfaction quand les choses aduiendront.
Apres que le Dieu Apollo excellent en diuination, de sa
bouche fatidique et véritable eut prononcé tant de si mer-
ueilleuses destinées futures, plusieurs des Dieux assistans
en furent estonnez : Mais le Roy lupiter sachant que telles
seroient comme il les auoit dites, cheut en grand solicitude
et pensement, pour la destruction fatale des Troyens quil
aymoit, et ne les pouuoit bonnement destoumer. Et dautre
part, print grand délectation en son courage, pensant à la
fortitude desdits Princes occidentaux, qui si vertueusement
remettroyent sus la valeur Troyenne. Mais (1) le Dieu de
batailles, dont la planette (mesmement quand elle est en la
maison de Venus) signifie homme chaud, luxurieux, et
enclin à tout abus et fornication, et qui ne se déduit fors
en noises et riottes, tout estomacqué du parler d'Apollo
(quand à la subuersion de Troye, souspeçonnant, que tout ce
auoit esté dit en la hayne de luy et de Venus, sa dame para-
mours) (2) menoit grand bruit, faisoit horrible vocifération
parmy la montaigne, tout escumant de fureur accoustumee,
et de fieres menasses et vantises insupportables, disant que
pas ainsi nen iroit : Et que quand le remanant de tous les
Dieux auroit conspire au destruisement de Troye, si estoit
(1) Mars (éd. 1512 et 1528). - (2) Eq anglais paramaur, amante.
K8 lUUVftTAATlOMS DE GAVLB| BT
sa paiflsance toute seule assez suffisante pour les en garder.
Venus dautre costé soustenoit sa querelle, auecqnes son
filz Cupide. Neptune et Hercules au contraire, ensemble
toute leur séquelle, deffendoient les dits d'Âpollo, et les
beautez de luno et de Pallas. Ainsi les Dieux se mutinèrent
lun contre lautre : et tant (1) monteront les paroles, que peu
son faillit quil ny eust aspre bataille et contention. Mais le
Roy lupiter ce voyant, y interposa son décret redoutable,
et par grand maiesté impériale, meit entredeuz prompte-
ment son autorité. Et en fronsant la sourcille dune voix
tenante, dont tous les éléments trembleront, les feit cesser
leurs questions, et leur commanda son retourner chacun en
son domaine : ce quilz foirent trestous soudainement,
iq>paisez de frayeur (aumoins par semblant). Mais toutesfois
Uz garderont leurs inimitiez on courage : lesquelles ilz
doclaireront depuis, bien à plein, au temps de la guerre
Troyenne, comme sera dit cy après au deuxième liure.
Au dernier, le Roy lupiter prenant assez triste congé de
son neueu le Roy Peleus de Thessale, de Pharsalie, et de
Myrmidonne, et de la Nymphe Thetis espousee, (lesquelz il
laissa tous désolez) monta sur son merueilleux chariot,
ostofTé de toute matière supernaturelle, et lascha la bride À
ses chevaux deïfiques qui le portoient sur les esles des vents
et sur les pennes des nues : en les menassant par grand
courroux, de son sceptre fulgurin. Si repaira en son habi-
tacle accoustumé, qui est sur le haut mont Olympus, en
Macedone, dont le chef est prochain au ciel stellifere, sur-
passant la région aërine, en laquelle limpetuositë des vents,
et la vélocité des niebles nobtient (2) plus domination. Ainsi
(\) mal {éd. 1512).
(2) nobiiennent (éd. 1512).
SIM6¥LAR1TBZ DB TROVB. LIVBS I. 260
) moyen de Discorde la faulse diablesse, qui machine
maux, la noble feste qui auoit prins ioyeux commen-
nt eut tresdolente yssue, et tresmalheureuse termina-
Car au moyen du discord des Dieux et des Déesses,
gea la désertion irréparable du noble Ilion et de la
ae Troyenne.
270 lUUVSTRATIOlfS DB GATLB, ET
CHAPITRE XXXV.
Explication tant morale comme phiiosophale et hiatoriale, dee nocee
destus escrites : ensemble du ingement de Paris, en plosienn sor-
tes : auec la figure du Ciel, qui fut à la naissance de Paris. Et
lapprobation dudit iugement faite en la présence de saint Pierre,
prince des Apostres. Et comment Paris recita la vision des trois
Déesses à sa femme la Njmphe Oenone, dont elle fat sonciense et
douteuse.
Afin que mieux soit entendue la matière dudit oonoiae,
laquelle est toute obombree de raisons tant poétiques com-
me philosophales, morales et historiales, il est asauoir tout
premièrement que ladite Nymphe, que les poëtes appellent
Thetis, fut appellee de son droit nom Ocyroë, et fut fille de
Chiron le Centaure, et dune Nymphe fille du fleuue Caï-
cus, comme mettent Bocace, au huitième liure de la Généa-
logie des Dieux, et Dictis de Crète, au sixième liure de Ihis-
toire Troyenne. Et la raison pourquoy elle est dite Nymphe,
est semblable à ce queauons dit cy dessus de Pegasis Oenone.
Car toutes nobles femmes sont dites Nymphes. Et est dite
nymphe Nereïde, cestadire. Nymphe de mer, pource quelle
estoit dame de lisle de Thetios, comme iay leu quelque
part, mais ne me souuient ou. Les poëtes feingnent que Pro-
tons le sage deuin admonnesta lupiter de non appeter la-
mour de ladite Thetis : car délie deuoit naistre vn enfant
qui surmonteroit son père, en grandeur de faits et en re-
nommée. Cestadire, que les astrologiens, à Iheure de la
SINGYLARITKZ DE TROTS. UVEE 1. 27i
natiuité délie, prognostiquerent les choses dessusdites. Et
la transformation dicelle en plusieurs formes, signifie que
Peleus obtint à grand difficulté, des parens de Thetis, quelle
luy fut donnée en mariage. Et en oultre, lassemblee de
tant de Dieux, Demydieux et Heroës selon le sens histo-
rial, ne signifie autre chose, fors la congrégation des pa-
rens de lespoux et de lespousee, lesquelz estoient tous Roy s.
Princes et grans seigneurs, et aussi Roynes, Dames et
damoiselles, adorées en terre comme Déesses. Et cela met
expressément Dictis de Crète en son dernier liure. Et le
grand appareil supematurel qui y fut fait, dénote que toute
planté de biens y estoit à labandon.
Mais Fulgentius Planciades en ses Mythologies met vn
autre sens physical en ceste manière. Et dit, que les
anciens philosophes cuiderent iadis chacun des Dieux et
Déesses obtenir certaine seigneurie sur aucune partie des
corps humains. Cestasauoir que lupiter dominast au chef,
Minerue aux yeux, luno aux bras, Neptune à la poitrine.
Mars au fauts du corps, Venus aux reins, et aux parties pu*
dendes. Et par ainsi veulent ilz donner à entendre, que tout
icelles puissances diuines furent présentes et occupées a la
natiuité d*Âchilles : à fin de le faire naistre homme pariait et
accompli, bien complexionné et bien organisé de tous ses
membres. Et encores auiourdhuy noz astrologiens assignent
semblables puissances et dominations aux corps célestes,
cestadire aux planettes qui portent le nom diceux Dieux
et Déesses, et aux douze signes du Zodiaque sur lesdits
corps humains. Discorde nest point appellee à la procréa-
tion d*Âchilles à fin quelle ne dissolue et empesche lœuure
Ynanime des influences célestes, qui se concordent ensemble
par vnion harmonique . Toutesfois en la fin Discorde si ( 1 ) vient
(1) «y (éd. 1528).
372 ILLTSTRATIORS DE 6AVLB, KT
mettre occaltement, et iétte là pomme dor qaëUe ka cnéilly
es iardins des Hesperides, qui sont dédiez à Venas. Car
nul homme nest exempt de cupidité naturellle et venerique.
Et en tant quil touche le ingement de Paris, quant & la
structure literale, iky suiuy en partie ce treselegant acteur
Apuleius, lequel en son liure de Âsino aureo, descrit ledit
iugement par grand mignotîse. Et quant au sens interiore,
ie me suis totalement fondé sur lexplanation du dessusnommé
Fulgentius Placiades (1), lequel au deuxième liure de ses
etymologies (2) lexpose par grand curiosité. Et qui lien j
voudra prendre garde, iceluy iugement est assez déclaré selon
diuers sens. En adioustant ce que ie imagine : Cestasauoir,
que les nobles poëtes ont voulu entendre, que Paris auoit
la planette Venus en son horoscope. Gestadire, selon les
astronomiens, que Venus dominoit à Iheure de sa natiuité,
et lenclinoit à choses amoureuses et vénériennes. Et pour-
tant (3) deliura il la pomme dor à ladite Déesse : Cestadire, son
noble chef qui estoit de rondeur spherique, et de splendeur
aureine comme la pomme : et consequemment son entende-
ment enclos dedens, il laddonna du tout & vie voluptueuse,
et venerique, et mesprisa la vie actiue de luno, et la vie
contemplatiue de Pallas. Lesquelles il veit nues, pource que
son subtil engin les imagina par grand perspicacité et
attention. lupiter nen voulut point iuger : pource que Dieu
laisse faire le cours aux destinées, et ne veult tollir à
Ihomme son franc arbitre. Et aussi si Dieu eust condamné
deux desdites manières de viure, il nen eust laissé quune
au monde. Et bien ftit déléguée ladite iudieature, à vn ioune
(1) Les trois éditioiu portant Placiodei.
(2) myiologico (éd. 1512).
(^) c'est pourquoi.
SIRGYLARITIZ DB TEOTB. L1¥RB 1. S73
pastoareau Royal, comme à celuy qui nauoit encores nalle
fi^2on de viare déterminée, et neantmoins estoit capaUe de
toatee les trois dessasdites.
Et poar mieux prouuer ce que dessus est dit, cestasauoir
que la destinée de Paris fut causée par linfluence des corps
célestes, iaj trouué expressément au cinquième liure des
aatiuitez de Iulius Firmicus mathématique (I), la figure du
ciel dudit Paris Alexandre, laquelle fut telle. Â Iheure de sa
naissance, son horoscope estoit Aquarius : le Soleil au signe
du Lyon : La balance en Liescorpion : Saturne au Lyon :
lupiter en Aquarius : Mars en Lescorpion : et Venus
auec Mercure au signe de Gemini. Laquelle conionction
selon ledit acteur, demonstre celuy qui y est né, deuoir
obtenir noces contentieuses, et mariage sans paix, et tout
plein de malheurté, dont il se peult ensuiure merueilleux
tumulte de guerre mortelle, menasses des contendans, et
concitation de fureur horrible, auec grand respandement
de sang humain. Et tout ce au moyen de cupidité venerique.
Mais à fin que lune des meilleurs parties du firuit de
toute ceste œuure, cestasauoir le iugement de Paris, soit
mieux autorisée et esclarcie, et que les lisans congnoissent
que de tons temps, mesmes les saintes gens en ont fisiit grand
estime, non pas comme de chose friuole et fisibuleuse, mais
comme vtile et de grand substance, nous trouuons que
ceste matière fut disputée deuant saint Pierre lapostre,
ainsi comme recite Clément au diiieme et onzième chapitrea
de son Voyager (2). Lequel autrement est intitulé Des r«^
eoBgnoissanoes de saint Pierre, et dit ainsi :
(1) Julii Firmici Materni JanioriB Sicali V. C. Matheseoi Ubri VIII
(Vaniia, .1497).
(2) Voyagier (éd. 1512). C*ett k propos dat toyagsi de S* Pierre ft
k pooniiite de Shnon.
274 IU«TftTBATIOII8 DB 6AVLB, ET
Clément noble homme Rommain (lequel fbt depuis qua-
trième Pape de Romme, disciple de saint Pierre) estant
nouuellement conuerty à la fojr catholique, disputoit de la
Terité de nostre foy Chrétienne, alencontre don grand phi-
losophe, et orateur payen, nomme Niceta, en la présence
dudit saint Pierre. Lequel Niceta pour deffendre sa créance
payenne, se vantoit de donner raison de toutes choses quon
luy sauroit demander, seruans à ce propos. Et adonques Clé-
ment linterroga ainsi : Expose nous, ie te prie, en quelle
manière vous autres entendez et coulourez le grand con-
uiue des Dieux qui fut fait aux noces de Peleas et de The-
tis. Que Youloient ilz entendre par le berger Paris, et que
signifioient les trois Déesses luno, Minerue, et Venus, les-
quelles se souzmeirent à son jugement ? Quest ce de Mer-
cure, et de la pomme dor : et de toutes les autres choses
qui sensuiuent par ordre ? Alors Niceta le philosophe res-
pondit ainsi :
Lassemblee des Dieux sentend en ceste manière. Lordre
de lassiette en iceluy, cest la situation des estoilles, planet-
tes et luminaires qui sont aux cieux et au firmament. Lies-
quelz Hesiodus nomme Dieux et Déesses engendrez du ciel
et de la terre. Et en conte six masies et six femelles, selon
le nombre des douze signes du Zodiaque, qui circuissent la
terre vniuerselle. Les viandes dudit banquet et conuiue,
sont les raisons et les causes des choses. Lesquelles délies
mesmes sont douces et couuoitables. Et peult on gouster et
apprendre par icelles, comment le monde est gouuerné par
chacune situation des estoilles. Mais toutesuoyes tout homme
ha sa liberté, quant à cela : et nest point tenu de taster de
ladite science, sil ne luy plaist. Car tout ainsi quen vn dis-
ner, ou soupper mondain, nully nest contraint de boire et
menger oultre son gré, aussi la science et lestude de philo-
sophie, est limitée par la mesure du franc arbitre.
SOIGTLARITII BB TROTB. UTEB I. 975
DiflOCMrde est la oonoupiscence, dt sensualité charnelle du
oœnr qui sesliene alencontre de lintention de la pensée
intellectiue, et empesohe le désir de sauoir. Pelens et
Thetis désignent deux éléments contraires, Inn actif et
lantre passif : lun sec et lautre humide, par la commixtion
deeqaelz tous corps sont procréez au monde. Mercure signi-
fie la parole, par laquelle toute doctrine est adressée et
insinuée i nostre entendement. luno est Chasteté, Mineme
Fortitude, Venus Luxure, Paris est lentendement sensitif.
Si donques il adulent que Ihomme soit rude, ignorant et
insensé, et quil nayt point bon sens naturel, il mesprisera
Chasteté, et Vertu, et donnera Ihonneur de sa victoire, à
sa paillardise et sensualité. Pour lesquelles choses il ad-
uiandra, non seulement à luy, mais aussi à tous ceux de sa
maison, de son parentage et voisinage, mal et destourbier,
rnîne et destruction. Comme il feit aux Troyens et aux
Orecz, A loccasion de Paris, qui rauit Heleine.
Et comme Niceta lorateur eut acheuë son propos,
S. Pierre loua et estima la déduction : Et dit, que certaine-
ment les hommes ingénieux recueillent beaucoup de sem-
blances de vérité, par les choses quilz lisent. Et voicy les
propres mots dudit Clément en lonzieme chapitre de sondit
Voyager : Ft Petms collaudans prosecutionem ait : Mul'-
tas (vt video) ingenioH homines ex his qua legunt veriH"
mUitudines eapiunt. Lesquelles choses puis quelles sont
approuuees par le Prince des Âpostres, donnent à con-
gnoitre que ce nest pas labeur perdu, dauoir prins la peine
dexpliquer le iugement de Paris tout du long, ainsi que
nous auons fait : et ce que nul autre nauoit encore fait do-
uant nous, à fin dobuier aux igoorans, qui disent que les
choaes poétiques, ne sont sinon pleines de menterie et
vanité» Or retournons maintenant à Paris et & la Nymphe
sa femme.
S78 ILLYSTUnOllS M GATLB, ET
sestoit f et ses quatorze enfans dont elle sestoit enor-
guillie, furent occis par les saiettes d*Apollo, filz de ladite
Latone. La pucelle Arachné aussi , nostre voisine da
pa!s de Lydie, ne changea elle pas sa propre forme en
celle dune araigne, pource quelle osa faire comparaison de
ses ouurages, brodures et tissuz, à ceux de la Déesse Pal-
las ? Ainsi, mon tresaymé seigneur et frère Paris, tu peux
coniecturer par ces histoires, combien grand péril gist en
courser les hautes Déesses du ciel. Et mesmement la Royne
luno, laquelle est plus puissante que Latone, mère de
Diane, plus irascible, que icelle Diane la clere : et plus
redoutable que Pallas la Déesse armigere : et beaucoup
plus vindicatiue, que nulle des autres. Et ce peux ta con-
gnoitre par lexemple de ta tante Antigona, que iadis elle
mua en cicongne, pource quelle se preferoit en beauté k
elle. Et aussi le dois tu coniecturer par la mesauenture de
Semelé mère du Dieu Bacchus, et fille de Cadmus Roy de
Thebes, laquelle elle feit foudroyer, par ialousie. Et par
plusieurs autres de ses faits le dois tu congnoitre : Mesme-
ment par le conte récent, des grans labeurs quelle ha fait
soustonir au trespreux Hercules, par despit de ce que le
puissant Roy Jupiter son mary lauoit (à son desauantage)
engendré en Alcumena femme du Prince Amphitryon de
Thebes. Lesquelles choses considérées, mon trescher sei-
gneur et amy Paris, il ne reste à toy fors que, si tu sens
auoir commis aucun meffait contre elle, et contre madame
Pallas, tu mettes peine dappaiser leurs diuinitez, par ex-
piations et purgations décentes, et par sacrifices, oblations
et prières dénotes : et faire pénitence de ta mesprison. Et
moy de ma part, my veux aussi ayder.
Ainsi admonnestoit la belle Nymphe Pegasis Oenone,
par douces paroles, son trescher espoux, Paris Alexandre.
SIlfGTLAAlTBZ DE TEOTB. LIYES 1. S79
Mais si elle eost sceu le mal qui puis luy en aduiendra,
elle fust deslors tombée en desespoir. Toutesfois quelque
semblant quelle feist, elle ne se pouuoit bonnement es-
gayer, comme parauant, ne réduire à resiouissement : ains
luy apportoit le cœur occultement tristeur et doleance. Et
ne se donnoit garde, que sans y penser, elle iettoit regretz
et parfonds souspirs tant de nuict comme de iour, lesquelz
luy estoient présage de son infortune. Dont pour auoir le
cœur esclarcy, elle se descouurit à aucuns sages vieillars,
et aucunes bonnes femmes ses voisines qui se congnois-
soient en sortilèges et deuinemens, et sauoient à dire par
art, ou par expérience, les fortunes des gens, et la signi-
fiance des songes et diuerses apparitions. Si trouuoit par
tout, que la vision de Paris, luy adressoit (1) vn grand deuil
et mal nompareil. Dequoy elle fut de plus en plu^ troublée.
Paris aussi esprins dardeur ambicieuse, nestoit point si
délibère quil souloit. Neantmoins il dissimuloit son désir
au plus quil pouuoit.
(1) fin aiiglait to addr$Uf préparer.
S80 lUVSTBÀTlORS DB GàTLE, tX
CHAPITRE XXXVL
De U natiaité, noarritara et adolescence d^Achilles filz da Roy Pe-
leua et de la Nymphe Thetis. Et comment sa mère le caida {uir
tons moyens obuier aux Destinées, lesquelles lanoient adiug^ de-
noir mourir denant Troye.
Or povr reuenir au propos, Thetis la belle Nymphe et
sage auoit escouté et noté diligemment tous les propos des
Dieax et leur débat : et ce que ÂpoUo entre autres choses
auoit declairë des auentures de la portée quelle feroit
Gestadire pource quelle estoit prudente deuineresse, elle
entendoit les secretz des Dieux, et prophetisoit les choses
futures. Si se délibéra de remédier à lordonnance fatale,
par tous moyens possibles. Car desincontinent quelle fut
deliuree de son filz Achilles, lequel elle conceut de son
mary le Roy Peleus, elle le porta es basses régions souz-
terraines : et illec selon la discipline de lart magique, auec
enforcement de charmes et enchantemens, dont elle estoit
ouuriere, luy plongea le corps es noires vndes, dun des
fleuues infernaux nommé Styx, qui est interprète Tris-
tesse : à fin quelle le rendist dur inuulnerable, et patient
aux labeurs. Mais la plante des piedz ne fut mouillée de
ladite eaue. Et au moyen dicelle faute, Paris luy infligea
depuis de sa saiette, playe mortelle, comme sera declairé
cy après au deuxième liure.
Aussi bailla la Royne Thetis son filz Achilles quand il
SIBGTLARITEZ D£ TROY£. UYRB I. 9M
fat grandet à Chiron le sage centaure son ayeul, pour le
nourrir et introduire en tous exercices que filz de Prince
doit sauoir. Ledit Chiron habitoit en la montaigne de Pelion
dessus spécifiée, et estoit filz de Saturne et de la Nymphe
Philiyra, comme dessus est dit : Il fut des premiers inuen-
teurs de médecine, et monstra anciennement à Esculapius
filz du Dieu Apollo ladite art, quant à la propriété des her-
bes et aussi dastrologie. Et pareillement il institua le noble
enfant Achilles, en icelle art de médecine. Et dabondant
luy aprint à toucher de la harpe, comme tesmoigne Ouide
au premier de Lart d'aymer, disant :
Philljrides paenim cithara perfecit Achillem.
loeluy Chiron estoit homme tressage et tresprudent : et
ponree luy fut baillé Achilles à gouuerner, à fin quil na-
prinst nulle mauuaistié auec les autres humains, comme
met Euripides en la tragédie de Iphigenia. Or ne le feit il
pas Yser de nourrissement accoustumé : mais seulement
luy faisoit menger les mouesles des os des eerfz, biches,
dains, sengliers, ours, et autre sauuagine, quil prenoit en
la montaigne : à fin de le rendre plus fort, plus membru,
plus puissant et plus robuste. Et à ceste occasion fut il
appelle Achilles, qui vaut autant adiré comme sans yiande
(aumoins commune) car a, en Grec signifle, sans, en nostre
langue : et chilos, viande (1). Et cest la raison de son etymo-
logie selon Bocace, au xu. liure de la Généalogie des Dieux.
Or par trait de temps Achilles parcreut en beauté, force
et grandeur merueilleuse surpassant la corpulence des gens
de maintenant. Car Philostratus recite au troisième liure
de la vie d'Apollonius, que ledit Apollonius philosophe et
(l) xvirfi, ■uo.
38S ILLfSTRÀTlOHS DB GATLB, BT
grand magicien, lequel viuoit du temps de Vespasien Empe-
reur, alla au sépulcre d*Âchilles qui estoit au port de Sjgee
(et luj auoit lerreur dadonques institué vn temple). Si parla
à lombre dudit Achilles, et luy feit plusieurs interrogations
touchant les faits de Troje. Laquelle ombre luy respondit à
tout : et sapparut en forme dun ieune homme, premièrement
de sept couldees de haut, et puis de douze. Et à ce propos
il me souuient en ieunesse auoir ouy dire à aucuns bons
personnages dignes de foy, quun grand clerc expert en
magique et nigromance, monstra vue fois à feu de clere
mémoire le Duc Charles de Bourgongne , tresuertueux
Prince, et curieux des prouesses antiques, les simulacres
et propres semblances d'Hector et d'Achilles, dont les statu-
res estoient de hauteur énorme et espouuentable. Et certes
ie croy fermement quen ce temps là, les gens estoient plus
grans quilz ne sont ores : tesmoin luuenal en sa quinzième
Satyre, qui dit que des le temps d*Homere les hommes oom-
mençoient desia à descroitre : lequel fut enuiron cent ans
après les faits de Troye :
Nam genua hoc tîuo iam decrescebat Homero.
Et par conséquent les gens doiuent bien estre appetissez
depuis. Hérodote en son viii. liure recite que les os d*Ores-
tes fllz d*Âgamemnon furent trouuez par les Lacedemoniens
long temps après sa mort : et fut mesuré qui! pouuoit auoir
de hauteur bien sept couldees. Martin (1) en sa chronique,
met que du temps de l'Empereur Henry deuxième de ce nom,
cestasauoir enuiron mille quarante ans après lincarnation
nostre Seigneur, le corps de Pallas filz du Roy Euander fut
(1) L*évêque Martinus Polonus, qui au treizième aiècle composa
Chroniea summorum pontificum imperatoruwique.
SnlGTLAElTU DE TEOTB. LlVtl I. 185
tronné tout entier auprès de Romme, lequel estoit de si
merueilleuse stature, quil surmontoit la hauteur des murs
de la cité. Et la playe quil receut en sa poitrine de la lance
de Turnus, pour soustenir la querelle d*Eneas Troyen,
auoit quatre piedz douuerture. Beaucoup dautres exemples
pourroit on alléguer de la grandeur des hommes de iadis.
Mais il faut retourner à nostre propos d*Achilles.
Ouide, au xiii. de sa Métamorphose touche bien à plein,
que quand la belle Thetis mère d'Achilles, oujt le bruit du
rauissement d*Heleine, et sceut que tous les Princes de
Grèce estoient conuoquez, pour le recouurement dicelle,
craingnant la mort prédestinée de son filz, elle le desroba
seeretement à son ayeul et gouuerneur Chiron le centaure,
tandis qu il dormoit en sa cauerne, laquelle estoit entaillée
en vn rocher, et laccoustra en habit de pucelle, puis lenuoja
prestement au Roy Lycomedes en lisle de Scyre. Lhabille*
ment de damoiselle ne luy messeoit point : car il estoit si
ienne, quil nauoit encores poil de barbe au menton. Or se
Contint illecques vne espace entre les dames, qui ne cui-
doient autre chose, sinon quil fust ce qui! sembloit estre,
cestasauoir vne fille. Car il estoit bel adolescent àmerueilles.
Neantmoins à la belle Deïdamie, fille dudit Roy Lycomedes,
ne peut long temps estre occultée la vérité de son sexe.
Âinçois luy en monstra Achilles la Vérité par temps : Car
en couchant auecelle, il engendra le cruel Pyrrhus mutila*
teur de la vénérable vieillesse de Priam, et respandeur du
sang virginal de la noble Polyxene. Neantmoins la gente
Deïdamie pour la commodité du fruit de ses amours cela
la feinte du sexe d* Achilles, iusques à ce que après la con-
iuration des Princes Grecz contre les Troyens, ApoUo don-
na response : que sans Achilles ne se pouuoit tel chef dœu-
nre parfaire.
S^ UXTSTaATlOSS DE GÀTLB, BT
Dont le tresprudent Vlysses Roy de lisle dltaqne, enuojè
pour le chercher, le vint recongnoitre filant entre les pucel-
les au palais du Roy Lycomedes. Car iceluy Vlysses par
nouuelle astuce, habillé en mercier, présenta à vendre plu-
sieurs bagues et loyaux, aux dames de la maison dudit Roj,
lesquelles prindrent communément choses afireans (1) à fem-
mes. Cestasauoir esguilles, fuseaux, bourses, guimpes, et
autres choses semblables. Mais le damoiseau Achilles par
affection virile, saisit incontinent vn arc et vne trousse :
parquoy il fut descouuert, et tantost deshabillé, et mené à
la conqueste de Troye. Et quand il y eut esté long temps,
et fait plusieurs grans faits darmes, et que Hector eut tué
Patroclus armé des armes d* Achilles, Thetis impetra non-
uelles armes à son filz, forgées de la propre main de Vol-
can, le feure des Dieux : ainsi comme recite élégamment le
prince des poètes Homère au xviii. liure de son Iliade. Et
brief , par toute sagacité féminine et maternelle prouidence,
laboura pour le salut de son fllz. Maispource que la néces-
sité des Destinées ne se peult euiter, finablement elle ne
sceut obuier quil ne perdist la vie. Or faut il retourner au
propos dont nous auons fait digression, et continuer nostre
matière principale, qui est de Paris. Neantmoins il estoit
bien séant de dire les choses que dessus, pource quelles ne
sont point hors de propos.
(1) affierans (éd. 1528).
SUIQTLAllTtl M TROTB. UTBB I. 28B
CHAPITRE XXXVII.
Do brait qui oottrut au Rojanma de Phrjgie, que Poljmneitor Roy
de Tbraee Tenoit espoaier lune dee ûMm do Roj Priam : et de la
preparatioe des ieox et combats qui se deooient faire aotditea no-
ces. Aoec explanation de la propriété desdits ieox.
Bn 068 entrefiiites , nounelles cournrent par tout le
Royaume de Phrygie et Asie la mineur, quou dit mainte-
nant Turquie ou Natolie, quun puissant Prince des parties
de Grèce et de la contrée de Thrace estoit nouuellement
Tenu à Troye, pour auoir en mariage yne des filles légi-
times du Roy Priam : Cestasauoir madame Ilione, et se
nommoit Polymnestor Roy des Bistoniens et de Odryse,
lequel deuoit espouser vne des fitles du grand Roy Priam
de Troye : laquelle chose estoit lun des commencemens de
son malheur, comme on verra maintenant.
Iceluy Polymnestor auoit autresfois receu en son
Royaume, le Roy Priam passant par là : et lauoit traité eii
toute bonne chère : et pource fut enclin ledit Roy Priam
de £Edre alliance auec luy, en luy donnant lune de ses filles :
considéré quil estoit son voisin, et ny auoit que peu de
mer entredeux. Mais au plus fort de son affaire, cestasa-
uoir durant le siège des Orecz, il se monstra tresmauuais
homme, traytre et desloyal. Car Priamus voyant sa des-
truction euidente : et loccision cotidienne de ses enfans,
pour en sauner au moins lun (si plus ne pouuoiQ enuoya
386 ILLTATEATIONS AI 6ÀTLB, R
Poljdoras le plus ieune de tous les légitimes, audit Polym-
nestor son gendre, auec grand quantité dor et dargent,
pour le nourrir et ayder quand temps seroit. Mais ioelay
Polymnestor homme tjrant, et tout corrompu daoarioe,
amj seulement de fortune, quand il congnut les afBEÛres de
son beau père Priam tombez en inconuenient, tua ledit
ieune enfant Polydorus frère de sa femme, par conuoitise
des trésors, et ietta le corps en la mer. Et ceste est lopi-
nion de Virgile et Ouide : mais Dictys de Crète autheor
plus ancien, le recite autrement en son deuxième liure de
Ihistoire Troyenne, disant que pendant le siège de Troye,
Âiax Telamonius pilloit et gastoit toute la contrée da
riuage de Thrace, pource que les Thraciens tenoient le
party de Priam. Parquoy le Roy Polymnestor qui illae
auoit son règne, comme dessus est dit, craingnant la grand
yaillance et fureur dudit Ajax, eut peur, et se rendit tan*
tost. Et pour acquérir paix et grâce, meit le petit Poly-
dorus ieune enfant, es mains dudit Aiax : et oultre ce loy
donna planté dor et de viures, en renonçant publiquement
à lalliance et amitié du Roy Priam son beau père, et des
Troyens. Et depuis continua tousiours de fournir victuailles
en larmee des Gréez : et iceux Gréez feirent mourir cruel-
lement lenfant Polydorus deuant Troye, comme sera dit
au second liure. Mais reuenons au propos.
Aux noces donques de madame Ilione, qui fut fiancée
audit Roy Polymnestor de Thrace, comme dit Bocace au
Yi. liure dessus allégué, le Roy Priam lors assis au plus
haut throne de sa bienheuree fortune, voulut bien monstrer
aux estrangers le triomphe de son empire, et la multitude
de ses richesses. Si feit vn merueilleux appareil : et déli-
béra les festoyer en la plus grand magnificence et somp-
tuosité que faire se pourroit. Et commanda À son aisné
SniGTLAElTBZ DE TEOTB. UVRB I. 287
filz le Prince Hector, que aussi de sa part il semployast à
ce que luj et ses frères feissent honneur à leur sœur, et ce
par tous moyens possibles. Pareillement la Royne Hecuba
en pria doucement iceluy Prince Hector son filz, à cause
quelle vouloit honnorer les Princes de Thrace, dont elle
estoit yssue.
Les nobles escriuains disent, mesmement Isidore, au
XYui. liure de ses Etymologies, que les ieux anciens en
lieu des ioustes, courses, behourts, combats, et toumoye-
mens qui se font maintenant, furent premièrement trouues
et instituez à Ihonneur des Dieux, et pour la commémo-
ration des trespassez, en leurs obsèques fîineralles. Car
Hercules de Thebes, qui premier establist les ieux Olympi*
ques, sur le mont Olympus en Macedone, consacra iceux
i lupiter, et les feit en mémoire de Pelops son ayenl ma«
temel. En ordonnant pour guerdons et prys aux mieux
#
faisans, non autre chose que couronnes de rainceaux dar-
bres, si comme de pin, de myrte, ou de laurier : Et depuis
iceux ieux furent continuez par accoustumance, et réduits,
ou transferez à autres propos : Cestasaaoir ou pour exer-
citation de corps, entre les nobles hommes, et pour osten-
tation de force corporelle, ou pour gloire acquérir, et aussi
pour Ihonneur des dames, et pour quelque grand ioye et
festiuité. Laquelle chose comprend en soy plusieurs des
autres causes. Et furent deslors mis en auant prys de plus
grand value, pour reguerdonner les meritans, si comme
aornemens, armures ou bestes viues. Et contenoient iceux
prys ou Spectacles plusieurs manières dexercices,qui en lan-
gue Grecque sappellent Âgons, cestadire tournois. Si comme
la course en lestade, (1) le iect de barre, la sagittation,
(1) le tiade.
288 ILLTSTRATIORS DE 6ATLB, ET
la force de soustenir pesanteur, lindustrie de bien cheuaa-
eher, et contourner chariots et chenaux : et la palestre,
oestadire la luitte, ou le ieu des barres, en laquelle les
champions estoient tous nuds, oincts seulement dhnile
doliue, pour eoiter la prinse.
De tous ces ieux, la fleur de cheualerie, dhonnenr et de
noblesse, le trespreux Hector, assez j enclin de sa propre
nature (sans la solicitation et admonnestement du Roy son
père) feit prys diuers. Et les feit publier par ses hérauts
darmes, à son de trompe, parmy les rues et carfours de la
tresgrand cité de Troye, et ailleurs au Royaume de Phry-
gie. Et iceux ainsi diuulguer par plusieurs prouinces pro-
chaines et lointaines, tant deçà que delà la mer Helles-
ponte, en distribuant par tout le double des articles, et
lordonnance des ieux et du tournoy. Et en ce declairant
vouloir tenir le premier pas : à fin qne pour la renommée
de sa personne, la feste fut célébrée et solennisee par fire*
quentation de plus de nobles hommes priuez et estrangers.
SUIOOLAKITII M TROTB. LltaC I. 289
CHAPITRE XXXVIII.
Da oonsêil qae U Njmplie Pegasis Oenone donna à ion eaponx Pam
Alexandre, de ae tronner aux ieax et oombaU qni se de noient faire
à Troje. Et comment elle deacouorit an paatenr Royal, et à aa
femme, qae Paria eitoit filz naturel et légitime da Roy Priam : et
ae feit monatrer le beraeaa aaqael il aooit eeté apporté. Et eom-
ment la Royne Hecaba manda cooaertement aadit paateur, qui!
amenaat Paria aux ieox de Troye.
Qvand donques le brait de la noble entreprise, fut volé
par Eloyaumes, proainces, citez et yilles, et respandu par
le plat païs, et finablement paruenu iusques à la notice du
berger Paris et de la Nymphe Oenone : après que icelle
Nymphe eut un petit pensé, elle dist à son mary le beau
Paris en ceste manière : « Mon amy, ie me suis aduisee
que pour te desennuyer, et pour voir lassemblee des hauts
Princes de ton sang, et des nobles faits des cheualiers de
Phrygie, il seroit bon que par manière de passetemps tu ty
allasses esbatre. Car aussi ne vis tu iamais la noble cité de
Troye, ne le Roy Priam ton seigneur et père. Et parauen-
ture que ce pourroit estre occasion et ouuerture de quelque
grand bien pour toy et pour moy : et vue entrée pour par-
uenir à noz atteintes, iusques à estre réintégré en la maison
paternelle. » Â ces mots Paris dressa loreille, et luy dit :
t Gomment ne par quel moyen se pourroit il &ire, Mamie,
que la chose print son effect, il me semble bien difficile, n
I. 19
290 ILLTSTRATIOIIS DB GàYLB, ET
— • le te diray, mon amy (fait elle) : Fortune ayde tous-
iours & ceux qui ont hardiesse de se vouloir auancer. »
noble Nymphe aueuglee dambition, et désirant destre
appellee femme de âlz de Roy, toy mesmes tends les lacz
esquelz tu seras prinse, et commences desia à forger le
diuorse, de ton tant cher espoux, qui te causera dueil im-
mortel, et mort finale. Désiste toy (belle dame) si tu peux,
car il me prend pitié de ton infortune. Mais faire ne se
peult autrement. Il faut que les Destinées &ssent leurs
cours : et que pour bien faire tu ayes rétribution non con-
digne. Car tu tefforces de réduire ton mary en la maison
de son père, et luy dis alors ces paroles : t Paris, mon sei-
gneur et espoux. La manière de procéder en ce cas sera
assez facile, pourueu que les Destinées ny donnent encom-
brier : nous taccoustrerons au mieux que possible sera : et
irons là ou se fera la noble assemblée. Et si tant est que (par
la bénignité des Dieux) tu puisses estre receu entre les srà*
gneurs et gentilz hommes, aux ieux quilz feront, cestasauoir
à tirer de lare, à courir, luitter, ou saillir, attendu que de
ces choses tu te scez moult bien ayder, leffîcace de ta vertu,
auec ta singulière beauté, seroient cause parauenture que
le Roy, les dames et barons se voudroient enquérir de ton
estre, et de ton parentage : Alors ie ne seray pas loing, et
pouruoirons bien au surplus. Mais il te faudroit du tout
délibérer de bien faire, et de te monstrer vertueux et vail-
lant, au besoing. Car iamais ne sauroit suruenir matière
de meilleure inuention que ceste cy. »
Quand Paris eut ouy parler la Nymphe si prudentement»
il lacoUa de grand ioye en disant : « Madame et mamie, or
voy ie bien que tu ne dors pas tousiours, et que les Dieux
tont preste merueilleuse sapience, pour me donner ayde :
dont ie tasseure que de tel bénéfice, ie ne seray pas ou-
8UIGTLAB1TIZ DE TROTB. UVRB I. 291
Mieux par ingratitude, si mon affaire prospère. Si me tarde
desia que la ioumee da pas (1) nest venue : Car iespere dy
monstrer assez bon effect de ma possibilité, (2) pour lamour
de toy. Et ay intention de non y acquérir deshonneur, pour-
ueu que iaye lieu et occasion de ce faire. » — « Il sufBst, mon
amy (dit la Nymphe) ; or me laisse auoir la solicitude du
demeurant. » Tantost après en la présence de Paris, elle
appella lancien bonhomme, qui lauoit nourry, et sa bonne
femme aussi : et les tira appart en vn coing de leur maison-
nette. Si leur dit ainsi : a Mon trescher père, et vous ma
tresbonne mère, le vous vueil faire requeste dun petit don :
si vous prie le mottroyer voulentiers. » — t Or demande ce
qui te plaira, ma tresbelle fille (dit le pasteur) et sil est en
nostre puissance, il ne te sera point refusé. » Adonc la
Nymphe dit : t Voicy mon amy et mon espoux, Paris Alex-
andre, que vous deux auez nourry souefuement, tant quil
y port, la mercy aux Dieux : Mais combien que vous le
tenez pour vostre propre enfant, et que luy mesmes layt
tousiours creu ainsi fermement, neantmoins iay ouy mur-
murer en secret, quil nha pas prins sa naissance céans, et
vous ha esté apporté dailleurs. Et le don que ie vous
demande, nest sinon que ie vous prie men declairer la
vérité apporte, pource que quelque grand bien parauen-
tnre loy en pourroit aduenir, et à nous tous aussi. »
t Certes (dit le bon vieillard) ma belle fille, onques à per-
sonne viuant nen descouuriz lauenture : mais à toy ne la
vueil ie mie celer. Or, conuient que tu le saches. La vérité
est telle, que lenfant Paris nest point nostre : car il y ha
enuiron seize ou dixsept ans quune ancienne dame de
Troye le nous apporta céans, à nourrir secrètement sans
(1) pat d*armet. — (2) ma valeur.
/
391 ILLYSTIUTIOIIS M OATLI, KT
dedairer & qui il estoit : ne onques puis nous ne la veis-
mes, ne en oujmes nouuelles certaines, sinon que durant
lénfance de Paris, elle enuoyoit Tue fois ou deux lan voir
comment il se portoit : En nous mandant que tousiours il
fost bien nourrj, et que quelquesfois en pourrions auoir
bonne recompense. Et ainsi lauons nous fait, selon nostre
petit pouuoir. Et nha esté tenu par nous, sinon au lien de
lun de noz propres enfans, comme il scait. • — « De cela suis
ie bien aduertie (dit la Nymphe), et aussi iespere qoil ha bon
vouloir de vous en guerdonner, si iamais il ha puissance.
Or me dites encores : Sil se trouuoit dauenture quil fust de
quelque grand maison, et que aucuns de ses parens qui le
cuidoient auoir perdu le voulsissent recongnoitre, sauries
vous bailler nulles enseignes bien certaines pour ce faire t •
— tt Vrajement (dit la bonne femme, nourrisse de Paris,
tout en pleurant) ouy monstreroit on enseignes assez : Car
encores fineroy ie (1) bien céans à vu besoing, le berseau
et les draps ou mon cher enfant Paris fut apporté, lesquels
sont tous de fine soye, et si les garde chèrement pour
lamour de luy. Mais ia pourtant ne seront par moy mon-
strez à créature viuant, aumoins pour la cause que tu dis,
ma fille Oenone. Car ie ne le veux point perdre, ains layme
autant comme sil fust party de mon ventre. Helas, mon cher
enfant Paris, que t*ay ie fait ? pourquoy veux tu abandonner
ta poure ancienne mère désolée ? t*ay ie si mal traité, t*ay
ie fait aucun desplaisir ? » Ainsi disoit la bonne femme en
plourant, pour la merueilleuse amour quelle auoit à Paris.
Et le bon berger luy disoit ainsi :
— « Femme, tu nentens pas assez : et ne sert de rien ce
que tu te demaines ainsi. Escoute moy. Quand le cas aduien-
(1) trouverai-je s'il le faut.
smcfLAmiTis ra non. litib i. 295
Aroit tel, oomme nostre flUe Oenone ha ey mis en aoant,
nepeneéito qnil me greuast autant comme à toy? Ne
eeais ta que iayme lenfant Paris plus que nul des miens ?
liais toutesaoyes pour m plus grand bien (tant pour luy,
oomme peur nous) il le faudroit endurer. Et quand ie vise
bien aux choses passées, ce que nostre fille Oenone dit, ha
quelque apparence de venté : Car tu scais bien que toy et
moy, nous sommes maintesfois donnez garde, que depuis
quil est céans, il nous ha tousiours porté bon heur, et bonne
aduenture, et sommes accreuz en bien et en bestail. Mes-
mement ceux à qui nous rendons conte des troupeaux du
Roy, et de la Royne, nous ont tousiours mieux traitez, quilz
nont fait les autres pasteurs noz voisins. » — « Certes (dit
la Nymphe) Cest tresbien et tresprudentement coniecturé à
toy mon père. Et pour ce ne faut il pas, ma bonne mère, que
tu estimes que ie le te vueille tolir ou faire perdre, mais
plustost gaigner et recouurer. Car tu le verras aussi sou-
uent que tu fais à présent, et en plus grand honneur, dont
seras plus ioyeuse. Et quand tu voudrois destourber ce
bien et auancement, tu ferois mal et ton dommage propre.
Si te prie nous monstrer le berseau que tu as dit, et ie te
promets te aduertir de chose qui assez te plaira. » Alors la
bonne femme persuadée par paroles (ayant toutesuoyes les
larmes aux yeux, et les souspirs en la bouche) alla ouurir
vn escrin auquel elle tenoit lesdites choses, précieusement
enuelopees de bonnes herbes, et fleurs bien odorantes.
Quand la Nymphe P^;asis Oenone voit le noble berseau,
lequel estoit richement entaillé dun bois noir nommé Hebe-
nus, bien cher et bien exquis, croissant es Indes, dont on
fait les berselets des enfans Royaux : pource quil ha vertu
de les garder despoauentement, ainsi que recite Isidore en
ses Etymologies : et quelle choisit les drapelets, contre et
ILLTSTRATIOMS DE GAfLB, BT
couuertoir de pourpre, et les fasses (1) et liens de soye,
esquelz son seignear et marj auoit esté enuelopë, denfanœ,
et apporté de la maison paternelle : elle senclina deuers
iceux, et les baisa en grand honneur et cerimonie. Dont le
père et la mère putati& de Paris Alexandre, forent tons
esmerueillez. Lors elle leur dit : « Ne vous esbahissez si ie
fais reuerence aux choses esquelles le digne filz du Roy
(voire du plus grand Roy du monde) ha prins nourriture
et croissance. » De ces paroles les bonnes gens furent plus
estonnez que deuant. — « Certes, dit la Nymphe, il est ainsi
sans nulle faute. Cest le tresnoble Paris Alexandre, mon
seigneur et mon espoux, fllz du Roy Priam et de la Royne
Hecuba, lequel vous auez doucement nourry et couché cy
dedans souuentesfois. Et en ce faisant lauez preserué de la
cruelle mort, à laquelle les Destinées fatales lauoient
adiugë. Si est il perpétuellement tenu à vous, de sa vie et
conseruation. » A ces mots les bonnes et simples gens tous
tremblans de peur, et plourans auec grans souspirs, se pros-
ternèrent aux piedz du noble Paris, leur alumne et nour-
riture, et disoient ainsi : « Las, mon seigneur, pour Dieu
mercy. Que ferons nous dolents et malheureux ? Ne com-
ment pourrons nous impetrer pardon, des rudesses et
maltraitemens que tauons faits ignoramment en enfance ? »
Et Paris tresdebonnaire larmoyoit aussi de grand pitié, et
ne leur sauoit dire mot : sinon quil les feit relouer à grand
peine, et les baisoit et accolloit par grand douceur. Adon-
ques la prudente Nymphe Pegasis Oenone (tellement quel-
lement) feit cesser leur pleur. Puis leur conta bien au long
toute lauenture de lenfant Paris : et declaira le moyen par
lequel elle pretendoit le faire recongnoitre à ses parens, aux
(1) fasser'^mm emmailloter.
ftlHOTLAAlTBZ M TMOTB. UTU I. 295
itux prochains qui se feroient & Troye. Et il^ promirent luy
astre obeissans en tout ce quelle commanderoit, sans en
sonner mot nesvn, à personne viuant.
La Royne Hecuba dautre part, laquelle (par incitation
des mauuaises Destinées) bruloit de désir maternel de trou-
ner façon de ramener son cher enfant Paris, au palais
Royal (& sa senglante ioye, et destruction finale) appella la
femme de chambre qui sauoit tout son secret (quant & ce) et
lay dist : « Tu scais que le comble de mes souhaits nha
tousiours esté fors de réduire céans mon tresaymé fllz Paris
Alexandre, qui par lenuie de fortune est encores incongnu
entre noz pasteurs : mais le moyen de ce faire ne sestoit
point offert iusques & ores. Tu vois lappareil que mon fllz
Hector» et tous les autres font de mettre sus esbanois et
toumoiemens aux noces de ma treschere fille Ilione. Par
ainsi me greuera trop, si lenfant Paris ny est, pour accom-
plir le nombre : parquoy ie me suis apensee (veu quil est si
fort, si puissant, si beau, et si dextre de sa personne, com-
me sonnent. tu las ouy dire) que tu luy mandes secrètement
en ton nom, quil vienne à ces ieux : et quil treuue manière
de se y monstrer vertueux : car ie neuz iamais si grand
désir de chose nulle, que iay de le voir : et si ie puis ie
ponruoyeray bien au demeurant. »
La femme de chambre senclina tout bas, et dit que bien
fera le commandement de la Royne. Si feit venir prompte-
ment vn sien varlet féal et diligent, qui desia sauoit assez
la demourance des pasteurs du Roy, lesquels nourrissoient
Paris : et luy enchargea son message. Et celuy sen va légè-
rement, et sadresse aux parcs des troupeaux du Roy, près
des montaignes Idées, la ou il trouua lancien berger et sa
femme, et leur dist ainsi : « La dame qui vous bailla lenfant
Paris à nourrir vous salue, et vous mande par moy, que
196 iLL?8TBAT10lf8 DE 6AVI.B, BT
TOUS ne faillez point de lamener à Troye, le premier iour
de May prochain. Et que sil scait rien faire de force de
corps et dappertise, quil sespreaue hardiement en toutes
manières desbatemens, auec les grans seigneurs. Princes et
gentilzhommes, qui là seront, et grand bien luy en pourra
aduenir, et & vous aussi. Car aucuns y aura, qui le verront
Youlentiers, pour la bonne renommée de ses vertuz, dont
il est loué et estimé. Et gardez que ny fassiez &ate, si vous
aymez son bien et son auancement. » Quand le varlet eut
ce dit, il sen retourna promptement. Et le bon berger et sa
femme, espris de grand ioye accoururent le dire à la Nym-
phe Oenone, et & Paris. Adonc la Nymphe congnut par
ooniecture certaine, que ce mandement ne venoit dailleurs
que de la Royne Hecuba. Et donna seurté i ses gens que
tout se porteroit bien pour eux, au plaisir des Dieux.
SIR6VLAAITBZ M TAOTB. UTU 1. 397
CHAPITRE XXXIX.
Gommaiit plaaiean nobles Prineei et cheoaliera de la maiflon da Roy
Priam faisoient leuri preparatiues, pour deffendre le pat, aa com-
bat et toarooy : et comment Parii Alexandre accompaigné de sa
femme et dei pasteara Royaux départit de la contrée Cebrinoisa
poar aller à Troye.
Commençant à faire ses approches, le premier ionr dn
gentil moys de May, que les nobles champions deuoient
entrer au camp, pour deffendre leur pas. Le trespreux Hec-
tor, Prince et chef de toute lemprise, estoit bien embeson-
gné à faire ses appretz de cheuaux, hamois, bardes, hous-
sures, et autres choses qui luy faisoient mestier, et aussi
estoient tous ses frères, tant bastards que légitimes, et
autres gentilzhommes de Troye, estans du nombre des
entrepreneurs. Et pareillement les Princes et cheualiers
«
de Thrace, et ceux de la basse Phrygie et maison de Priam,
du nombre des assaillans faisoient semblable deuoir dap-
prester toutes choses nécessaires à la iouste.
Tous ces nobles Princes, damoiseaux et enfans dessus-
nommez, et autres (dont la grand antiquité ha oblitteré les
noms) par désir de louenge acquérir au noble pas et tour-
noy, tant ceux qui estoient amoureux pour complaire cha-
cun & sa dame, comme les autres pour se monstrer par
douant les Princes estrangers, meirent toute leur entente,
puissance et diligence destre pompeux et gaillards, en li-
S98 ILLTSTRATIOBS DE GAYLB, £T
orées estranges et deuises nouoelles.et & estre saisis de bon-
nes montures, si donnèrent ordre que les trefz, tentes et
pauillons fussent dressez, et les voiles tendues. Et aussi
que les hourds et eschaffauts fussent faits somptueusement,
peints et dorez richement : fondez, bastis,et appuyez aussi
pardurablement, comme si ce eust esté œuure pour demeu-
rer à iamais. Les anciens appelloient lesdits eschaffauts,
théâtres et amphithéâtres. Et furent toutes ces choses fait»
par bons ouuriers, en la prairie, qui est entre les deux
fleuues Simois et Scamander, hors des murs de la cité de
Troye.
Et quand la veille du premier iour tresdesiré du ioly
moys de May fut venue, Paris Alexandre et la Nymphe
Pegasis Oenone, se louèrent douant laube du iour, si fei-
rent le bon pasteur et sa femme : car beaucoup leur auoit
tardé la venue de ce iour ; Paris print son arc, ses flèches,
et ses dards, quil auoit despiega mis apoint par grand
curiosité. Et la Nymphe saccoustra de ses plus riches habil-
lemens, et cueillit son plein giron de belles fleurs de leur
iardin, lesquelles elle apporta auec elle. La bonne femme
et son mary nourrisseurs de Paris, prindrent le berseau,
les linges et les menuz accoustremens dont il auoit esté
enuelopé à sa naissance : et menèrent auec eux seulement
deux de leurs enfans, cestasauoir vn filz, et vne belle fille.
Ladite fille pour accompaigner la Nymphe Oenone, et le
filz pour eux seruir, en laissant les autres pour la garde
des troupeaux et du mesnage. Et de tout ne sonnèrent mot
à aucun de leurs voisins (et neantmoins aucuns des com-
paignons de Paris le sceurent, si vindrent auec luy) ainçois
se meirent tout coyement en chemin vers la cité de Troye,
qui nestoit que à quatre ou cinq petites lieues de là. Pour-
quoy ilz arriuerent de bon matin au lieu ou les pauillons
SimTLARlTIZ DB TROTB. UTBB I. 29B
estoient tendaz. Et se ineirent en lombre dun figuier, souz
lequel ilz feirent vne petite loge ou fîieillee de verdure. Si
se repeurent illec de telz vinres quilz auoient apporté auec
eux : et burent de leaue du noble fleuue Scamander. Et
après ce, la Nymphe Pegasis Oenone se print à tistre tu
chapeau de fleurettes quelle auoit apporté, etdautres quelle
cueillit parmy la prairie. Et quand il fut acheué^ elle las-
sist sur le chef de son seigneur et amy Paris, lequel pour
rétribution de guerdon luy en rendit vn doux franc baiser.
Si couchèrent illec attendans le lendemain.
SOO nXTSTEATMM» DE OAVLB. Et
CHAPITRE XL.
Dû U bende des auaillana. Et comment U teignearie partit d« U cité
de Troye pour yeoir anx eschaffaati, tar le liea du tooraoj. Aqm
■peciflcatioo des meraeilleaz pryt, et dei ioameei da pae et du
pereonnagee ordonnez chacan ioar À lee deffendre.
Plvsieurs ieunes Princes yenuz aux ieux et tonmoymens,
tant de deçà la mer Hellesponte, comme de delà et des isles
estans là entour (lesquelz seigneurs estoient tous amis,
alliez, affins et vassaux du Roy Priam, et faisoient yna
bende dassaillans apart) couchèrent ceste nuict en leurs
tentes, dehors la cité de Troye. Si se louèrent la firesche
matinée, pour aller cueillir le may, en la montaigne pro-
chaine, puis sen reuindrent desiuner et eux habiller en
leurs tentes, attendans de pied coy la cheualerie de la cité.
Apres les sacrifices solennellement faits de bon matin,
es temples de la noble cité de Troye (selon que la manière
ancienne estoit de les faire douant les ieux agonaux), et
que le Roy eut disné de bonne heure, la seigneurie com-
mença à partir en grand flotte, de la cité. Le Roy Priam
auecques le Roy Polymnestor son gendre nouueau, et lan-
cien Prince Panthus de Troye, père de Polydamas, auec-
ques le Roy Eetion de Thebes en Cilicie, père de madame
Andromacha, montèrent au plus noble eschaffaut, à ce
approprié, grand et riche à merueilles : et aussi feirent les
six Princes establis, pour estre iuges du tournoy. Cestasa-
8I1I6TLARITIS DS TROTS. UTBI I. 301
noir pour le premier, Bauo Roy en la haute Phrjgie, cou-
sin germain de Priam, lequel depuis fonda Belges en Hay-
naut: comme sera plus notoirement delucidë (1) au troisième
liure. Le second estoit Sarpedon fllz de lupiter Roy de
Lycie. Le tiers fut le Prince Âsius ou Asirus fllz de Dy-
manthus, et frère de la Royne Hecuba. Lequel vint depuis
an secours de Priam, comme met Dictys en son Hure. Et
y fut tué par Aiax Telamonius. Le quatrième estoit le
▼ieiUard Ânchises, seigneur de Dardanie. Le cinquième le
Prince Antenor, et Phorbas grand bastard du Roy Priam,
pour le sixième. Iceluy Phorbas, comme met Bocace au
sixième liure de la Généalogie des Dieux, estoit si aagé au
temps de la guerre Troyenne, quil sembloit mieux estre
firere du Roy Priam que son fllz. Et pour la vaillance dont
il estoit plein (nonobstant sa yieillesse) fréquenta souuent
les batailles auec les plus ieunes. Mais finablement il y fut
tué par le Roy Menelaus. Aussi monta audit eschaffaut la
Royne Hecuba accompaignee de madame Ilione lespousee,
et madame Astioche Royne de Mysie : ses fllles, et les
antres seigneurs et dames aux autres loges et eschaffauts
ordonnez & ce : et consequemment entrèrent es lisses closes
tous les Princes et cheualiers qui deuoient combatre, dont
dessus est faite mention.
La pompe estoit grande et merueilleuse : la richesse in-
estimable, et larroy (2) triomphant oultrebort, dont il sem-
bloit au ieune berger Paris (qui iamais nauoit yeu telles
choses) quil fust arriué en vn autre monde, ou en vn para*
dis terrestre. Il sesmerueilloit de tant de peuple et de tant
de chenaux. Il estoit esbahi dun si terrible tumulte. Ses
{l)iilmcidé(id. 1528).
(2) Tordre.
303 ILLTSTBATfONS DB GATLE, BT
oreilles estoient tontes essoardees du hennissement des
coursiers, et du bruit des menestriers, trompettes, clairons,
fluttes, tjmpanes, bedons, cors, busines, et autres maniè-
res dinstruments diuers du temps passé. Il auoit les jeux
tous esblouis, de la resplendeur des riches banieres, penoos
et estandars ventillans au vent, des pommeaux dorez, et
des somptueux pauillons qui là estoient : mesmement de
la radiation des harnois tresluisans dor et dargent, et de
pierrerie, qui reflamboyoient à la repercussion du Soleil. Si
estoit aussi tout estonné de la valeur et richesse des prjs,
lesquelz furent ordonnez en vn grand parquet dos de tous
costez, iusques au nombre de neuf, tous diuers et estran-
gers. Et estoient telz quil sensuit :
Le premier prys estoit pour le meilleur et plus fort luit-
teur, et estoit establj quil deuoit emporter la peau dun
Lyon ayant la hure et les crins tressez de fin or trait à
plusieurs perles orientales de prys, et autres pierres pré-
cieuses pendantes. Les dents et les ongles de fin or massif,
auec la couronne de laurier par manière dexcellence. Le
plus viste coureur en lestade, cest la huitième partie dun
miliaire ou enuiron, pour le second prys, gaignoit vn Tigre
et ses petis faons tous dargent massif, du pois de cinquante
marcz : et vne table dun précieux bois nommé Hebenus,
qui est noir comme layet, pesant et poly comme marbre,
excepté quil ne naige sur leaue, et vient de paradis ter-
restre par le fleuue du Nil, laquelle table estoit toute estof-
fee à bendes et lames dor. Le plus grand Bailleur et le plus
léger, pour le troisième prys, auoit la corne précieuse dune
licorne, mise en œuure, et estoffee richement dor fin, et
de dixhuit que topaces que balais de grand estimation : en-
semble vne ieune pucelle serue et esclaue, de laage de
quinze ans, singulière en beauté, et bien endoctrinée en
SUfGVLAHlTBZ BB TEOTB. UTRE 1. 303
toat ouurage desgaille, de brodure, et de laniflce. Celuy
qui ietteroit la barre de fer, plus pesante et plus loing,
aaroit pour le quatrième prys vn Taureau vif et indompt&t
ayant les cornes dargent mcossif, et vne buUette dor, pen-
dant sur le front, en laquelle estoient enchâssées trois riches
escarboucles de prys inestimable, ensemble la couronne de
palme, en signe de victoire. Le mieux tirant de lare, pour
le cinquième vn riche brasselet dyuoire tout ourlé de bons
saphirs. Lare fait de la corne dun dain, ayant les deux
bouts de fin or. Et le carquois de cuir bouUi richement
ouoré, auec la chaine dor pendant. Et la trousse estoffee de
vingtquatre saiettes de cèdre, empenees dor, et ferrées de
fines pointes de dyamans. Le mieux iettant le dard et le
plus droit, pour le sixième vne targe dacier poly, bordée de
fin laitton, garnie de clers rubis, et de chrysolithes : riche-
ment esmaillee de main ouuriere, à histoires antiques.
Auec vne salade de fin or, et le plumas de mesmes. Et
aussi la couronne doliue, pour démonstration de sa vertu.
Le septième prys estoit pour les mieux combatans & pied,
à la barrière armez de tonnelets, (1) descuz et demy lances
i fer esmoulu, auec certains coups despees trenchans sans
estoc. Et auoit pour ceux, six cottes de maille iadis appel-
lees iasserans, toutes de fin or : et six cuirasses, ancienne-
ment appellees thoraces, toutes de fin argent, ouurees à
esmail et pierrerie, ensemble deux hanaps ou couppes de
fine esmeraude, et de grand valeur. Le huitième prys pour
le combat, toumoy et behourt, des plus dextres cheuau-
cheurs et mieux sachans contourner chevaux et chariots à
la foulle, pour ceux y auoit ordonne dix coursiers de prys,
houssez dorfeurerie et de campanes et poirettes dargent :
(1) pourpoints nommés aussi UmnoleU, tonaeella.
304 ILLTSTRATIOIIS IW OATUI, R
ajans chacun vn6 estoillô dor au front» et vne bague d6
dix pierre3 précieuses au poitral : et à chacun eheval son
varlet ou page de serue condition, natif d'Afrique, ou terre
de Mores : ensemble dix armets ou heaumes dargent doré,
estoffez de pierres précieuses, et enrichis de creetes et tim-
bres de merueilleuse £acon.
Si faut sauoir, que anciennement (et mesmement, an
temps de Troye, comme on peult voir par les nobles escrits
du poëte Homère et Virgile) les cheualiers batailloient sur
chariots, atteliez de quatre grans coursiers bien bardes,
ou de deux fors et puissans pour le moins. Et chacun des-
dits cheualiers auoit son compaignon bon gendarme, et
bien armé, qui le soruoit de aurigateur, et condùisoit les
coursiers, et moderoit leurs freins. Le chariot estoit ds
deux roues : et dessus y auoit vne petite forteresse, comme
vn chastelet, auquel le cheualier pouuoit tenir planté (1) de
lances, dards et autres bastons, et combatre de loing, on
main à main, et descendre à pied quand il vouloit. Et'
quand lesdits chariots estoient à aucun grand Prince, les
lymons, les trefz, (2) et les roues estoient estoffees de cuiure,
de fer ou dacier, et le chastelet de mesmes, auec enrichis-
sement dor et desmaillure, aux armes et deuises du Prince.
Aucuuesfois garny de pierres précieuses, comme estoit
celuy du Roy Rhésus de Thrace. Au chariot d'Hector y
auoit quatre merueilleux coursiers, comme met Homère en
son huitième liure dlliade : et sappelloient Xanthus, Po-
darges, Etbon, et Lampus desquelz le bastard Cebrion
estoit gouuerneur et laurigateur. Toute la maistrise et
industrie desdits chariots, gisoit en sauoir r^ir les freins
(1) abondance.
(2) pièces lîe boit.
SIHGTLAAmZ M TROTI. UfÛ I. 305
dds cheoaux, et de pouaoir descendre et remonter apèrte-
ment armé on sans armnres, sur le chariot, on sur les
dheuauz mesmement quand ilz couroient & bride abatue, et
les sauoir tourner et contourner à son plaisir. Icelle
manière de combatre tindrent ceux de la grand Bretaigne^
descenduz des Troyeus, iusques au temps mesmes que
Iules Gesar entra premièrement en leur païs & main armée,
comme il tesmoigne en ses Commentaires, et sappelloient
adone Essedaires. Aussi estoient contenus audit huitième
prys les meilleurs cheuaux et les mieux courans. Âusquek
estoient décrétées dix bardes de riche estoffe, et dix selles
dyuoire & grands bendes dor, auec les fireins de mesmes.
Et le neuuieme et dernier prjs estoit pour le behourt des
nobles enfans dhonneur, lesqueh deuoient courir sur che-
naux légers, armez de harnois non pesans : et combatre
de dards non esmouluz, de courtois roquets (1) et despees
rabatues. (2) Et les six mieux faisans diceux nobles enfans,
auoient chacun vu colier de fin or, bien tourné, et bien
esmaillé, auecques vne robe de pourpre, toute brodée i
lesguille, et enrichie dor et de perles orientales à fleurettes,
oiselets, deuises de plaisant ouurage Phrygien (car audit
pals fut premièrement trouué lusage de brodure). Et aussi
auoient chacun desdits six enfans mieux faisans, vn riche
chapeau de perles de conte, pour mettre sur son chef. Ce
toumoy et combat de ieunes enfans, fiit la première inuen-
tion des grands ioustes et toumoyemens, qui se font à pré-
sent. Car Ascanius fils d*Eneas le refeit depuis en Sicile ,
aux ieax fiinebres, qui se célébrèrent pour la commemo-
ration et anniuersaire du trespas de son grand père Ân-
(1) laaoat oourtoisM à pointe émoasa^.
(2) mouchetées.
I. ÎO
906 nXTSTftÀTIOlll M OATLl, Wt
I, comme recite tresnoblement Virgile, au cinquième
liare des Eneldes. Et depuis les Romains obseruerent oesta
manière de &ire : et fut tousiours par eux nommé le com-
bat de Troye. Et conseqaenmient les grans Princes ood-
dentauz descenduz des Troyens lont tousiours continué,
iusques à ores.
Selon les neuf prys dessusdits le pas duroit neuf ioun.
Cestasauoir les six premiers iours consequutifz, à pied et
sans armures : et les trois derniers iours à pied et & che-
ual, en toutes manières de hamois. Esdits six premiers
iours du pas, il y auoit dixhiût defiendeurs» contre cent et
huit assaillans et endessus : Cestasauoir tous les iours trois
deffendeurs : dont chacun deuoit attendre six assaillans et
endessus. Ainsi cestoient pour le moins dixhuit assaillsm
pour iour, contre trois deffendeurs. Et chacun desdits six
iours premiers deuoit deffendre le pas, tu des en&ns légi-
times du Roy, vu des bastards et vn des gentilshommes de
Ihostel. Au premier iour, estoit enrollé pour la luitte et
pour les barres, le noble Hector légitime, Esacus bien
ieune, mais le plus fort de tous les bastards, et qui eust
peu sembler vn second Hector, sil eust vescu ; mais il mou-
rut pour lamour dune Nymphe : et le troisième estoit Dares
gentilhomme Troyen , grand luitteur à merueilles, qui
depuis assaillit Entellus le Demygeant, aux ieux funèbres
que Eneas feit en Sicile, pour lanniuersaire de son père.
Au second iour pour la course, furent establis, Deïphobus
légitime : Mistor bastard, et Alcathous Troyen, gendre
d'Anchises. Au troisième pour le sault, Troïlus légitime,
Teucer bastard, et Iphidanas fllz d'Antenor. Au quatrième
pour ietter la barre, Antiphus légitime, Cebrion bastard,
et le fort Eneas ûlz du Prince Anchises. Au cinquième
pour tirer de lare, Polytes légitime, Oorgythion bastard,
SmOYLAEITBZ BK TEOTB, UTEB I. 307
et Phorcys un grand seigneur Phrygien qui depuis vint
habiter en Allemaigne. Et au sixième pour le iect du dard,
Chaon légitime, Doryclus bastard, et Polydamas fliz du
baron Panthus. A la septième et huitième iournee, tous
les dessusnommez, et auec eux le sage Helenus et autres
enfans légitimes dont on ne scait les noms, et autres bas*
tards aussi, si comme Tymetes, Laocoon, Pammon, Ipha-
tes. Tester, Dicomoon et autres. Ensemble les autres enfons
d'Antenor : cestasauoir, Archelaus, Athamas, Glaucus,
Laodicus et Coon. Et Euphorbius second fllz de Panthus,
Pisander et Hippolochus enfans d*Antimachus, de laquelle
bende estoit chef le Prince Hector. Ce seroit chose trop
longue à spécifier lordre desdites deux ioumees, esquelles
iceux Princes et nobles hommes deuoient defiendre le pas,
du combat à la barrière, à pied, et en armes et la iouste et
toumoy des chariotz, et course de chenaux, & la foule en
plein champ. Ceux de dehors aussi de leur costé y auoient
mis grande et ample ordonnance pour assaillir. Mais la
neuuieme ioufnee estoit pour les enfans dhonneur, cesta-
sauoir Turcus filz de Troïlus, duquel la nation des Turcz
est descendue, comme nous dirons plus amplement au troi*
sieme liure ; le petit Polydorus bastard de Priam ; le petit
Priam fllz de Polytes, lequel depuis fonda la petite Troye
en la Duché de Cleues, (1) et autres ieunes en&ns de Princes.
Contre lesquelz deuoit iouster vne autre bende. Cestasauoir
Antiphates fllz du Roy Sarpedon de Lycie, les deux enfans
du Prince Gygnus de Methore, nommez Cobis et Corianeus,
lesquelz depuis furent emmenez en seruage par Aiax Tela-
monios, auec la belle Olauca leur sœur, quand les Grecz
pillèrent la cité de Methore, comme sera dit plus à plein
au troisième liure, et plusieurs autres nobles enfans.
(1) Xanten.
306 ILLTtTRATIOllS ME GATLB, ST
CHAPITRE XLI.
Commeot la noble Nymphe Pegasia Oenone informoit partieilierf*
ment ton seigneur et amj, Paris Alexandre, de tout son parentag*,
qui iosqaes alors laj auoit esté incongnu. Et comment le preux
Hector, poar le premier, se meit en ieu à deffendre le pas. Anee
déclaration expresse dn ien de la Palestre.
Le noble adolescent Paris estant snr m petit tertre es-
leué, regardoit ainsi tout le mistere (1) et ordonnance de la
noble assemblée des Princes, ce pendant que les champions
saccoustroient en leurs tentes. Et la Nymphe Pegasis
Oenone, luy apprenoit à congnoitre tous ses parens. Et luy
disoit ainsi tout bassement : a Mon seigneur mon amj, ce
beau Prince grand et droit, de regard vénérable que tu
vois là, à tout vne barbe meslee, tenant vn sceptre en sa
main, séant en ce riche eschaffaut, et à qui tous les autres
font honneur, est mon seigneur le Roy ton père. Lautre
Prince presques de mesme aage auprès de luy est le Roy
Eetion de Thebes, père de madame Andromacha, femme
de monsieur le Prince Hector ton frère aisné. Et lautre
plus ieune, qui est deçà apuyé, est Polymnestor de Thrace,
Roy des Bistoniens et de Odryse, lequel espouse ta sœur
Ilione. Et ce vieillard à qui il tient paroles, est le baron
Panthus, père du noble escuier Polydamas. Les autres six
(1) cf. minitierium et HHMtiéf.
SIMGTUJUTB M TEOTB. UTU I. 809
Prinoes graues et meurs qui sont après, tous don rrag» sont
les six luges ordonnez pour distribuer le prys : et sont tous
tee parens et affins. Le premier est le Rojr Bauo de la
haute Phrygie. Le second est Sarpedon Roj de Lycie. Le
tiers Asius ton oncle maternel. Le quatrième Anchises.
Lautre après est Antenor, et le dernier le grand bastard
Phorbas. Lesquelz tu congnoitras plus à plein dedens brief
temps, sil plaist aux Dieux. Mais ie te vueil donner com-
mencement de la notice de ces nobles dames, dont tu
Tois illec vn si grand nombre, qui presques toutes sont
tes parentes et alliées.
« Ceste grand Princesse qui est plus deçà, assise toute
seule en ce mesme eschafiaut qui est si blancbe et ha les
jeux si clers, et sappuje contre ces tapis reluisans dor et
de pierrerie, est madame la Royne Hecuba ta mère. Et le
plus grand de ces quatre enfans à qui elle tient parole, est
ton neueu, nommé Scamandrius, filz l^itime de ton frère
Hector, lequel Iha bien Tonla ainsi estre nommé, pour
lamour de mon père le fleuue Scamander : toutesfois aucu-
nesfois on lappelle Astyanax. Le second après est son frère
le beau Leodamas. Et lautré plus petit blondelet, qui ne
peult auoir gueres plus de deux ans, se nonmie Francus,
filz d'Hector, duquel descendra la nation Françoise mer-
ueilleuse et hardie. Et le tiers ensuiuant qui se ioue à elle,
est len&nt Polydorus le plus ieune de tous tes frères légi-
times. Bt le quart est lulus Ascanius, aussi ton neueu, filz
de monsieur Eneas, et de ta sœur madame Creusa. Les
deux ieunes dames si richement atoumees qui sont à dex-
tre rt & senestre, assises assez lolng de la Royne ta mère,
sont ses deux filles tes propres sœurs. La plus ieune sap-
pelle madame Laodice, et surmonte lautre en beauté. Si
est mariée au ieune Prince monsieur Helioaon,. filz du Roy
310 ILLVtTKATlOllt M GAYLB, IT
Antenor de Thrace, lequel tu verras tantost issir de son
pauillon pour luitter contre le Prince Hector ton firere. El
lautre se nomme madame Ilione, espousee, de nonneau (1) au
Roy Polymnestor, que le tay desia monstre auprès du Roy,
et pour laquelle toute ceste feste se fait. Lautre dame après,
laquelle ha si riche atour sur le chef, et est plus aisnee,
cest madame Astioche, ta sœur germaine, femme du Roy
Telephus de Mysie, et mère du gentil Prince Eurypylus :
laquelle est venue à ceste solennité, richement accompai-
gnee par la licence du Roy son mary. Les autres dames qui
sont assises sur les carreaux et tapis, sont autres dames et
damoiselles de la famille de la Royne, ta mère et délie.
« En cest autre eschaffaut prochain, ces deux dames qui
sont ensemble, et se monstrent assez de bon aage, sont tes
deux tantes. Lune est madame Sicambrie sœur au Roy
Priam ton père, et lautre est madame Theano sœur à la
Royne Hecuba ta mère, femme du Prince Antenor, et
mère du beau cheualier Iphidanas, qui nouuellement est
retourné de la court de ton ayeul maternel Cisseus Roy de
Thrace. Ceste dame qui surpasse les autres de toute la
teste, et est assise sur ses riches tapis, et ha la couleur
clere et les yeux vers, est ta belle sœur, madame Andro-
macha, fille du Roy Eetion de Thebes en Cilicie, et femme
de ton frère aisné le Prince Hector. Lautre après est ta
sœur germaine nommée madame Creusa, femme d'Eneas,
et mère du petit enfant lulus Ascanius, lequel ie tay mon-
stré auprès de la Royne. Lautre ensuiuant à qui elle se
deuise, (2) est la belle Hippodamie, fille du Prince Anchises
sœur de ton cousin Eneas, et femme du gentil cheualier
(1) récemment.
{2) En wallon, diviur » converser, causer.
$Ill6TLAftlTBZ BS TEOTS. UYU 1. SU
Alcathous. Celle que ta rois de lautre costé, de moyenne
stature» ayant la face clere, les cheueux roux, les yeux
flamboyansy la bouche petite, et la chère simple, est Gas-
sandra ta sœur tresprudente : laquelle scait et congnoit
toutes choses aduenir. Et lautre ieune pucelle pleine de
douceur, et beauté, laquelle ha les cheueux si blonds et si
dorez, tous tressez à fin or luisant, et à pierres précieuses,
est ta belle sœur Polyxene, aagee sans plus douze à douze
ans.
« Mais en ce troisième eschafiaut, pour la plus part, sont
les concubines de ton seigneur et père le Roy Priam, les-
quelles demeurent en son palais : et aussi tes sœurs bas-
tardes. Dont celle que tu vois la plus aagee de toutes, est
Epithesie fille iadis de Stasippus Mygdonien, mère du grand
bastard Phorbas. Lautre après qui est reluisante en beauté
singulière, est Castianira de Thrace, mère du gentil bas-
tard Gorgythion. La tierce qui tient ce bel enfant par la
main, est Laothoy (1) fille du veiUard Âltaus, seigneur de
Belletesse : et lenfant est son filz, le petit Polydorus bas-
tard. Lautre ensuiuant, est la Nymphe Antidone, mère de
Teuoer le bastard. Et celle clere brunette tant gorgiase, (2)
laquelle aussi porte habit de Nymphe, fut iadis lune de noz
compaignes, laquelle le Roy ton père chassant en noz mon-
taignes Idées, print par force (comme tu feis moy) et ha eu
délie deux beaux enfÎEms masles, dont lun sappelle Iphates,
et lautre Tester. Mais sa prochaine compaigne, est Lycas-
tes la gracieuse, ta sœur bastarde,- nouuellement fiancée au
beau Polydamas : que bien Iha voulu demander pour sa
grand beauté. Et puis lautre qui est presques égale à elle
(1) laoikai (ëd. 1512).
(2) bien attifëe.
31i ILLVSTEAnOIlS DE GATLB, ET
en formosité» et se sied plus bas, est la puoelle MedesîcaaU
aussi ta sœur bastarde. Ces autres que tu vois reluire de
grands richesses et de toute beauté, tant parmy celles que
ie tay nommées, comme en ces autres eschaffauta, sont
autres Princesses et dames tant de Troye, comme de Phry-
gie, Mysie, Lycie, Mygdonie, des isles circonuoisines, et
dailleurs, lesquelles tu congnoitras mieux cy après. Et les
autres Princes, seigneurs et gentilzhommes que tu Tois en
diuers lieux, sont pour la plus part tes parens, ou vassaux
du Roy ton père. Et autres cheualiers estrangars, qui cj
sont venus, pour honneur et bruit acquérir. »
Ainsi que la noble Nymphe Pegasis Oenone, informoit
Paris Alexandre de la congnoissance dé son haut parentage,
les trompettes et clarons commencèrent à bondir mélodieu-
sement. Et voicy le trespreux cheualier Hector, qui va
saillir de sa tente, tout nud, excepté tant seulement dun
brayer, (1) ou demychausses qui luy couuroit le ventre, les
reins, et le dessus des cuisses. Lequel accoustrement estoit
de fin or traict, tissu à figures de pourpre, tout estofifé de
riche brodure, et ourlé de pierrerie. Si auoit les cheueux
troussez en une coiffe dor richement ouuree, et an mylieu
vn escarboucle, et six autres estranges pierres précieuses
de prys inestimable, entaillées à manière de camahieux, et
au demourant semé de grosses perles orientales. Or faut il
sauoir, que anciennement le ieu de la palestre, cestadire le
ieu des barres et de la luitte, se iouoit par les nobles
champions, tous nuds, fors dudit habillement qui leur cou-
uroit les parties secrètes, et estoient oincts dhuile doliue.
Comme tesmoigne Virgile au troisième liure des Enèîdes,
disant :
Exercent patrias aleo labente palœatras Nadati aocii, etc.
(1) des braies.
SIMTLàllTtt M TROTl. UTll I. SIS
A fln que au moyen de Ihuile qui est glissant et conlant,
eussent moins de prise Ion sur lautre. Mais il y auoit
Toîles tendues en haut par dessus les eschaffauts» pour les
preseruer de lardeur du Soleil. Les Hongres maintiennent
enoores ladite manière de luitter ainsi nuds. Mais en lieu
de ceste manière de &ire es marches de Haynaut, les luit-
teurs et loueurs de barres, se restent communément de
cuirs Teluz bien ioints, ou de rude caneuas, pour euiter la
prinse. Et à ceste cause on leur voit aucunesfois rompre et
entamer les ongles, et saigner du bout des doigts.
Quand la fleur des cheualiers Hector se fut monsM hors
de son pauillon, ainsi accoustré que dit est, lors Ideus sou-
oerain Roy darmes des Troyens feit son cry» en appellant
les cheualiers assaillans, et remémorant les prys contenus
es articles dessus mentionnez. Si marcha Hector vers les
Princes et les dames, et leur feit la reuerence : Puis salla
planter au mylieu du camp, attendant son homme, là ou il
le faisoit beau voir. Car il estoit grand et droit, excédant
la commune quantité des hommes, terriblement membru et
ossu : tout le corps assez blanc, mais fort velu : vn large
ttUreoûl, vns yeux ardans : la face lai^e et spacieuse ; le
nez aquilin, esleué au mylieu : la barbe noire et crespe, et
les cheueux de mesmes : grand croisure despaules : les bras
gros et ibumis, tous de ner£s endurcis au labeur militaire :
les iambes seiches, toutes obombrees de poil, de la taille
dun second Hercules, accompli de toute perfection natu-
relle, excepté quil estoit vn peu louche, comme escrit Dares
de Phrygie, et beguayoit de la langue quand il estoit
coursé. Mais de tous les hommes qui onques furent, cestoit
celuy qui estoit le plus à redouter en sa fureur.
Gueres neut là seioumé le preux Hector, quand le gen-
til Prince Elycaon fllz du Roy Antenor de Thraoe» et gen-
514 nxfBTAATiom bb oatlb, bt
dre de Priam (auquel on auoit bien voulu faire ceet hon-
neur que dentamer le pas, contre son beau frère Hector)
se monstra sur les rengs, gaillard et pompeux à merueilles,
en la mesme sorte dhabillement comme Hector. Et après
quil se fut acquité vers les dames, et que Ideus le souue-
rain Roy des hérauts à tout sa riche cotte darmes eut épi-
logue ses tiltres et ses blasons, il vint saluer le noble Prince
Hector, en se recommandant à sa grâce bien courtoisement,
et Hector pareillement À la sienne. Lors sans gueres mar-
chander, les deux nobles champions se mirent en beson-
gne. Hector luy souffrit faire son deuoir et accomplir s^
venues, en le supportant gracieusement : tant que on sap-
perceuoit assez de la feinte, et après tout acheuë au congé
des dames, chacun d eux se retira en sa tente.
Apres le Prince Elycaon selon lordre de ceux dehors, se
meit en auant Glaucus, filz d'Hippolochus, Roj d*Ephyre,
descendu de la lignée d'Hercules, iouuenceau assez robuste,
mais non comparable à Hector. Lequel après quil se fut
présenté gayement, (1) et Hector leut receu de mesmes : il
feit assez deffbrt pour auoir part au prys, et luitta de
bonne industrie : mais en an il fut vaincu. Et consequem-
ment le Prince Eurypylus de Mysie, et plusieurs autres,
que longue chose seroit à la raconter.
Lesquelles choses voyant Paris qui ne se sauoit plus con-
tenir en soy mesmes, ains estoit esmu, et tout eschaufie
destre du nombre des luitteurs, dit à ses gens en efiect,
quil y alloit de ce pas. Adonques la Nymphe Oenone luy
dit : a Monseigneur et mon amy, tu fais bien : Car contre
meilleur ne plus fort cheualier, ne saurois tu esprouuer ta
vertu, que contre le Prince Hector ton frère. Aussi me
(l) vivement.
nilGVIJJlITBZ BE TEOTK. UVEI I. 315
suis'ie donné garde desia par plusieurs fois, que la Royne
ta mère ha ietté son regard en circonférence, pour Toir si
elle te Terroit point. Or va ores au nom des Dieux, et te
fais homme de bien. » Et Paris dit que si fera il : et quilz se
tiennent pretz quand il les appellera. La bonne femme sa
nourisse pleure, et ha grand peur que celuy quelle ha si
doucement alimenté, ne soit outragé par Hector qui tant
est rude. Mais Paris qui de rien ne sespouuente, sen va
trenchant là presse, et se fait faire voye parmy le peuple
moitié par force, moitié par requeste. Et feit tant en peu
dheure, quil perça iusques au droit des lisses (non pas sans
grand peine) et là se contint iusques à ce quun ieune Prince
qui luittoit contre Hector eust acheué ses venues. (1) Lequel
assailloit gentement le trespreux Hector, et faisoit de bon-
nes diligences. Mais finablement Hector luy bailla la
trousse, et le coucha doucement sur Iherbe tout estendu.
Dont la risée fut grande entre le peuple et les dames.
(1) wt assauts.
516 lULTSTRAVlOIIS M GAVUI. BT
CHAPITRE XLII.
De la présentation qne le berger Paris Alexandre feit de soj mesmes,
anx taux et combats, en son habit pastoral. Bt comment le Prinea
Hector le récent à la iaitte, non sachant qoil fost son frttra. Avec
narratiim de Im Tiotoire obteane par ledit Paris, contre le Prince
Hector.
Q?and le ieune berger Paris Alexandre veit ladite Initte
de son firere et dudit Prince acheuee, il saillit légèrement
onltre la barrière : et se iotta dedens les lisses, sans de-
mander congé à ceux qui gardoient lentree, dont chaeim
sesmemeilla, et fut de tons regardé à ceste cause. Sa
robe, & la mode pastorale dadonques, estoit sans plus dun
rochej; de cotonine blanche, ourlé et fronsé deuant et der-
rière, sans manches. Mais aux lisières il y auoit des figu-
res de brodure de laine, de diuerses couleurs , ouurees de
la main de la Nymphe. Cest accoustrement assez longuet
et large, estoit cueilly et retroussé au fauts du corps, et ne
luy venoit que iusques à my iambe : sa ceinture estoit dosiere
menue entrelassee à nœuz damours bien gentement. Et sur
sa teste nauoit autre chose fors le chapelet de fleurs et de
rosettes, que sa dame la Nymphe Oenone y auoit posé. De
lespaule dextre luy pendoit en escharpe son carquois fait
de cuir de biure (1) à tout le poil, et dedens estoient ses
flesches. En sa main dextre il portoit son arc bendé, et en
lautre tenoit deux dars de fresne ferrez et empenez : au
demeurant il estoit tout nud.
(1) bieTr6(éd. 1512).
SIMVLAErriZ BB trots; LIVEI I. 3f7
Grand fut le murmure alors entre le peuple, les seigneurs
et les dames, de la nouueauté du cas. Oenone la noble
Nymphe, et ses bonnes gens eurent grand ioye quand ik
Teirent que le preux Hector receuoit Paris à la luitte. Les
dames commencèrent à extoller entre elles la merueilleuse
beauté dont le berger estoit garnj : et disoient que onques
mais nauoient veu si bel adolescent. Les vues le oompa-
roient à vn Dieu ApoUo, pour sa perruque espesse et bien
dorée. Les autres affermoient que son chapelet de diuerses
fleurettes, ressembloit me couronne de pierres précieuses,
mises en œuure sur vne lame de fin or, et sur vn image
dyuoire, Et ne pouuoient croîre que ce fust vn berger, ains
soustenoient que cestoit quelque noble, homme, qui sestoit
ainsi dissimulé par manière de passetemps. Car combien
quil sentist sa &con pastorale, neantmoins portoit il au
visage yne manière de générosité Royale, qui tiroit les
gens en admiration, et en sa foueur. Sa contenance ne
tenoit rien de rusticité champestre, ains auoit vn estre
naturellement attrayant, et vn port libéral et hautain.
Plusieurs des ieunes Princes ausquelz les gestes de Paris
eomplaisoient, sestoient desia assemblez entour de luy au
pauillon du Prince Eurypylus de Mysie, et eux mesmes
laydoient Toluntairement i habiller. Si luy furent baillez
vns riches draps i chausser, et une coiffe de mesmes pour
trousser les beaux cheueux. Et fut tout son corps oint
dhuile doliue vierge. Apres quil fut gentement accoustré»
il saillit du pauillon : et se monstroit aux assistans beau
comme le beau iour, blanc comme vn cygne (excepté ce qui
auoit esté descouuert au hasle du Soleil) de stature haute et
droite, de membres bien quarrez, et corpulence ferme, et
bien formée : Les yeux rians, les cheveux blonds et molz, et
la bouche venuste et gracieuse. Et nauoit fors vn petit de
318 ILLtSTftATlOMS DE GAfLI» CT
barbe dorée, qui luy commencoit à naistre au menton. Si
feit la reuerence aux dames, comme il auoit veu faire aux
autres. Lors Ideus le Roy darmes (qui ne sauoit autrement
son nom, sinon quil lauoit ouy renommer pour gentil-
homme) se print à escrier en ceste manière : « Or est venu
lescuyer incongnu, portant dargentà vn chef dor, par arti*
fice de nature, qui veult faire armes, pour honneur ac-
quérir. »
A ce cry le Prince Hector sortit douant sa tente, et veit
ce ieune enfant ainsi habillé en berger. Si ne le mesprisa
en rien (car cestoit le plus courtois cheualier du monde)
ains dit aux dames en riant : « Mes dames, ie me recom-
mande à Toz bonnes prières. Si ce nouueau diampion
emporte le prys, tous vous pourrez bien moquer de moy,
et dire que ie lauray mal deffendu. Neantmoins vous y
aurez moins de regret, pour autant quil est beau filz. •
Ainsi disoit Hector, le plus courtois cheualier, qui onques
fut né de mère. Alors les dames et damoiselles se prindrent
à souzrire. Et madame Creusa sa sœur, femme d'Eneas,
luy dit ioyeusement ainsi : « Mon seigneur mon frère, ie
croy que vous len garderez bien au plaisir des Dieux : mais
ie TOUS prie, traitez le doucement : Car le ieune pastourel
nest pas pour endurer grans trauaux. » — « Selon ce quil
me fera, ie luy feray » dit Hector. Alors il leua la main :
et les trompettes et clairons commencèrent à sonner par
grand mélodie.
Les deux tresnobles champions, tous reluysans de beauté
et de leurs accoustremens, et de Ihuile doliue dont ilz
furent oincts, commencèrent à marcher lun vers lautre, à
grans pas, comme font deux taureaux indomptez estans
aux deux cantons dun pré, lesquelz se viennent entrehur-
SHIGTURITEZ DB TEOTB. UYRB I. 319
ter par grand felonnie. (1) Adonc la belle Nymphe Pegasis
Oenone, et ses bonnes gens, prioyent les Dieux par grand
solicitude, à fin quilz fussent propices à lenfEint (2) Paris. Et
fSEÛsoient vœuz et multiplications de dénotes promesses, ten-
dans à ces fins. Si faisoit la Royne Hecuba tacitement en
son cœur. Car elle auoit grand désir, que son cher filz
Paris se portast vertueusement (3) en cest afiaire.
A laborder , ilz sentrelasserent magistrallement , de
mains, de bras et de iambes, comme fait vn bon charpen-
tier, qui assiet ses mortaises ensemble, par grand artifice.
Paris estoit soupple et léger du pied, autant quil est pos-
sible : et Hector fort et ferme, et de merueilleuse puissance
et resistence. Si labouroit Paris autour de luy, comme font
ceux qui assiègent yne grosse tour, et afiustent leurs
engins de tous costez pour labatre, puis baillent lassant
maintenant dune part, maintenant dautre, selon ce quilz
cuident y gaigner auantage. La Nymphe Oenone et ses
bonnes gens, bien empeschez à les regarder de dessus le
tertre ou ilz estoient, faisoient diuers gestes et mouuemens
selon leurs affections. Car ilz contoumoient leurs corps
aucunesfois dun costé , aucunesfois dautre, ainsi quilz
Yoioyent encliner Paris. Et bien le cuidoient redresser, et
luy faire ayde par ceste manière de Mre. Tous les deux
champions tressuoient de peine, sans aucun exploit final.
Parquoy après longue espace de temps ilz se reculèrent vn
peu pour reprendre leurs haleines.
Moult fut estime le berger Paris de grand vertu, par
tous les assistans, quand il auoit peu endurer iusques lÀ la
(1) c.-à-d. fureur.
(2) c.-à-d. jeune prince.
(3) c.-à-d. coai*agea8ement.
820 ILLTSTtÀTIOn K QkltM^ Wt
Tiolence du Prince Hector, et demoarer debout si longoe-
* ment, là où onques homme mortel nen aiioit tant attendu.
Si louoient fort le ieune pastoureau : et monstroient lun à
lautre, comment il estoit façonné despanles M de haute
poitrine, et comment sa contenance luy seoit bien. Le
preux cheualier Hector commencoit à auoir honte et des-
pit, de ce que son aduerse partie duroit tant sans estre
vaincu. Si se remirent tantost en besongne : pour ht
seconde Tenue, rencontrèrent pied contre pied, épaule
contre espaule, et teste contre teste : en mettant en auant
tous les tours de croc et de hanche, et industrie de luittor,
dequoy ilz se sceurent aduiser. Et sentretastoient si lourde-
ment en redoublant leurs prinses, que la chair de leurs
bras, de leurs colz et de leurs espaules, rougissoit à tous
eostes. Toutesuoyes lun ne pouuoit mouuoir lautre de si
place, ny esbranler de son pas. Âdonc Hector ce Toyant,
par grand ire meslee dimpetuosité, sesuertua desmeeurë-
ment, en baillant si grand attainte du plat du pied contre
la Ïambe de Paris, que à peu quil ne la luy froissa : et le
feit chanceler sur vn genouil, tant quil fut prochain de
tomber. Mais Paris par sa force et légèreté, euada la cheute.
Puis se rasseura ferme sur piedz, et de chaude choie, (1)
pressa coup sur coup son frère Hector, en le hastant par
toute manière dimportunité. Puis soudainement le tira à
luy en reculant : et le laissa eschapper par si grand rudesse,
quil luy feit baiser la terre bien Tiolentement, et choir à
dens de sa hauteur tout plat estendu : tellement que au tom-
ber il sembla donner tel coup, comme fait vn grand chesne
en la forest, qui par le soufflement impétueux des vents, ou
dun grand orage est abatu.
(1) colle {éd. 1512), c.-à-d. vivement.
SltfGVLAMtM M TaOTB. LimH I. 331
CHAPITRE XLIII.
ProMcntion de la honte et fareur etmue au courage du Prince Hec-
tor, à cause de éa cheute. Et comment il voulut oultrager Paria,
ignorant qail fait son frère. Et de la reoongnoiasance dudit Paria,
faîte an- moyen do beraeiaa de ion enfance. Et de sa reeeptioa en
la maison paternelle. Et aussi de sa compaigne la Nymphe Pegasis
Oenone : Et de leurs nouueaux accoustremena riches et précieux.
De la chevte menteilleuse du Prince Hector, fut esbahi
tout le monde generallement. Car iamais en nulz ieux du
jÉMde on ne lauoit yen estre vaincu (et certes il faut bien
dire, que ce cas memeilleux ne signifioit autre chose, sinon
la prodiaine ruïne de Troye). Hector donques qui du grand
coup estoit tout défroissé, et auoit le visage et la barbe
ternie du sablon, se leua à peine, & layde de ses gens.
Quand il fut reloué» honte, douleur et despit luy bende-
renl les yeux de raison. Et grief desdain meslé de cholere,
obnubila (1) la clarté de son entendement. Comme il &it
communément en tous nobles hommes, lesquelz ont ce vice
approprié, que quand ilz se voyent surmontez en efficace de
vertu, par aucun homme quilz estiment de basse main (S)
et petite vocation, cela leur est intolérable. Le noble Hec-
tor donques ayant sa splendeur offusquée de ceste faute,
sencourut en sa tente, ou il se feit lauer et nettoyer hasti-
(1) c.-à-d. couvrit d*un nuage.
(2) c.-à-d« de basse condition.
I. il
882 ILLYSTRATIOIIS tfS CATftJI, KT
uement le visage, print son espee, et sarma contre vn
homme desarmé, feit tonner sa voix pleine âhorreur, de
menasses, et de maltalent, en beguaiant de la langue (selon
sa coustume) et comme foudre ou tempeste horrible, forse-
nant parmj lair, courut après Paris en certaine délibération
de le tuer.
Quand lenfant Paris Alexandre veit que cestoit à bon
essient (à ce quil estoit tout nud) il ne sceut faire autre
chose, sinon de se mettre en fuite, pour euiter la fureur de
son frère : mais Hector indigné le poursuiuoit de si près
entre deux lisses, quil ne luy pouuoit eschapper : ne per-
sonne luy osoit faire voye, (1) ne se mettre au douant. Les
quatre gentilzhommes Nisus, Euryalus, Gyas, et Cloanthos
(ausquelz la Royne auoit donné charge de la garde de
Paris) se cuiderent mettre au douant d*Hector, et le prier
qui! le vousist laisser en paix : mais quand il les eut regar-
dez felonneusement et dun mauuais œil, ilz neorent plus
grand haste que de se oster de là. Le Roy Priam ietta son
sceptre en bas, à fin de signifier que ceux qui estoient
commis à la garde des lisses se missent entredeux. La
Royne et les dames crioyent quon gardast de tuer le ieune
berger. Mais cestoit pour néant : car il ny auoit remède
que nul (tant fust hardy) sen osast entremettre. Car onques
lyon ne fut plus redoutable en sa fureur, que estoit Hec-
tor en son courroux. Âuec ce que ire allumée de honte,
luy auoit aueuglé toute sa sensualité, dont la fumiere obnu-
biloit lintelligence raisonnable, comme desia auons dit. Si
ne faut pas demander en quel point estoit la poure Nymphe
Pegasis Oenone, et ses bonnes gens qui voyoient Paris en
tel danger. Et maudissoient Iheure que iamais ilz lauoient
(1) c.-à-d. laisser passer Paris.
SIMGTLAMTBX DB TtOTB. LIVRB I. S2S
amené k Troye, plouroient, crioyent et brayoient piteuse-
ment. Mais ilz nestoient point escoutez pour la noise et
tumulte de la tourbe poptAaire.
Paris Alexandre plus léger quun cerf, et plus habile
quun dain, se contour noit assez, puis ça puis là, et feit
beaucoup de ruses pour euiter la mort, laquelle luy estoit
apparente. Mais le fier Hector tant affectionné que rien
plus, ne le laissoit nulle part estre à seurté. Alors Paris
tout esperdu et hors dhaleine attrape en vn anglet, sans
auoir plus loy (1) de fuyr ne de se sauuer, voyant son frère
Hector qui dressoit contremont son fort bras i tout lespee
flambloyante pour le fendre en deux pars, saduisa de se
ietter aux genoux de son seigneur et frère, et en pleurant
et ioingnant les mains, luy dit piteusement ainsi : « Helas,
monseigneur mon frère, ie te requiers en Ihonneur des
Dieux et de noblesse, quil te plaise auoir pitié de ton tres-
humble frère germain : et ne vueilles souiller tes mains
illustres et vainqueresses de ton propre sang fraternel. »
A ces paroles le tresualeureux Prince Hector, estant de
la mesme nature et générosité royale dun lyon, voyant
son ennemy prosterné, recreu et suppliant mercy, com-
mença à fleschir son grand courage : soustint sa main en
lair, et luy dit ainsi : « Quelle allégation friuole me fais tu
icy de fraternité, pour garantir ta vie ? Il est impossible
que tu eschappes de mes mains par ce moyen. » — • Certes,
dit lors Paris, Monseigneur, ie suis ton humble frère Paris
Alexandre, yssu dun mesme ventre que toy. Mais les mau-
uaises Destinées mont fait demeurer iusques à présent
incongnu entre pasteurs royaux des montaignes Idées, là
où madame nostre mère menuoya des que ie fus né, pour
(1) c.-à-d. moyen, loisir (sens primitif).
324 iLLVflTRATIOnS ftE GAVftB, R
euiter la mort à laquelle iestoye adiugé. Et sil te plaist den
voirenseignescertaines, ielestemonstreray promptement.»
Alors Hector vn peu modéré de 'sa cruelle foreur, luy dit
ainsi : • le te donne respit iusques à ce queayes monstre
par effect, ce que tu produis par parole : mais garde sur
ta vie que tu ne mabuses. » Fortune insensée, condacte-
resse des Destinées ! si tu eusses souffert alors que linstm-
ment de la destruction de Troye eust este deffait par les
mains fraternelles, bien en fust aduenu à toute la lignée.
Mais non : car tu le reseruois à plus grand meschef.
Paris donques leué debout, et vn peu estanchë (1) de la
grand peur quil auoit eue, commmença à appeller par cris
et par signes, la Nymphe Pegasis Oenone, et ses gens : les-
quelz sestoient desia approchez autant quilz anoient peu.
Mais possible nauoit esté dauoir audience ne lieu pour passer
entre la presse. Toutesfois quand le peuple veit que le ieone
bei^er les huchoit, place leur fut tantost fiûte : si entrè-
rent es lisses. La bonne femme nourrisse de Paris, de prin-
sault se laissa choir aux piedz du Prince Hector, et em-
brassa ses genoux dun costé : et le bon homme se rua à
terre de lautre part : tous deux crians et plourans piteu-
sement. La noble Nymphe Pegasis Oenone, et les deux
enfans des pasteurs (qui aussi plouroient amèrement) desue-
loperent acoup (2) le berseau de lenfant Paris, et monstre-
rent à Hector les petis drapeletz esquelz son frère au(Mt esté
fasse. Si luy disoit la bonne femme : a Helas, monseigneur
Hector, helas, qu*as tu cuidé faire à présent ? A peu que tu
ne tes méfiait trop malheureusement. Cest ton propre frère
germain Paris Alexandre, que iay nourry de ces mamelles.
(1) c.-à-d. fatigua.
(2) o.-à-d. tout à coup.
SnaYLAlUTBZ ML TEOTE. UYIB 1. 525
qae iay alaitté si doucement. Et peu sen est fallu, que ne
layes occis. » La Nymphe Oenone faisoit aussi grand deuoir
de fleschir Hector à miséricorde, et à congnoissance, par
son doux et gracieux langage : tellement que de la pitié
délie et des bonnes gens, tombèrent au preux cheualier
Hector, les grosses larmes des yeux. Âuec ce que nature le
semonnoit desia à recongnoitre son propre sang. Si ne
sauoit sa contenance, et se repentoit en luy mesmes de son
ire et précipitation trop soudaine : si ietta son espee à terre
loing de luy. Ces choses ne sont point feintes par manière
poétique : mais sont autorisées historialement par vn très-
noble escriptear. Cestasauoir Seruius Commentateur du
prince des poètes Virgile, qui sur le cinquième des Enrï-
des, et sur ce passage : Solus qui Paridem solitus contefir'
dere contra. Dit ces propres mots : Sa/iU hic Paris secun-
dum TraieaNâronis,{\)/ortissimus/uity adeàvt in Traia
affonali certamine super a/r et omnes, ipsum etiam HectO"
rem. Qui cùm iratus in eum stringeret gladium^ durit se
esse germanum : quod allatis crepundiis probauit, quia
hàbitu rustici adhuc latebat.
Alors le Roy Priam et tous les Princes (descenduz des
eschafiauts) arriuerent là endroit. Si feit la Royne ^ecuba,
et les dames. Le Roy qui voit toutes ces bonnes gens à
genoux, et la belle Nymphe aussi, demanda que cestoit, et
que signifioit ce berseau et ces aornemens. Adonc le ieune
escuyer Ilioneus fllz de Phorbas le grand bastard (lequel
auoit tout entendu) luy va dire : a Sire, ce sont ces bonnes
gens, qui disent que ce ieune enfant nommé Paris Alexan- <
dre, est fllz de toy et de la Royne Hecuba : et quilz lont
nourry,iusques àlheure présente. » Si fat le Roy tout esbahi,
(1) L*épopé6 Irojenae 4e r«mp«r«ar Néron.
396 ILLTSTRATIOIIS BB GAfLS, R
et dit en regardant la Royne : • Mon fllz ! et de quel partit
— « Certes (dit Ilioneus) ceste bonne femme afferme, qnil Iny
Alt apporté tout nouueau né pour alaitter, et produit en
tesrooignage ce berselet, ensemble ces accoustremens, qui
sont ennoblis de tes armes. Quoy que soit, ibs sont de ri
riche estoffe, quilz ne semblent point estre partis de ponre
lieu. »
La Royne Hecuba faisant semblant de grand esbahisse-
ment, regarda le berseau et les draps par grand attention,
et les feit recongnoitre par la femme de chambre, qui lauoit
porté nourrir. Laquelle toute apostee à ce, va dire fiaudle*
ment, qae yrayement cestoient ilz. Alors la Royne Hecaba
se ietta à genoux deuant le Roy, en disant : « Mon tresre-
douté seigneur, ie te requiers humblement pardon, de la
désobéissance que iay enuers toy commise. Certes il est
▼erité (mon trescher seigneur) que cest enfant icy est celuy
propre que tu me commandas faire liurer à mort, pour l68
mauuaises signifiances du songe, que ie vois en mon dor-
mant, et de la response des Oracles des Dieux, il y baenui-
ron XXI. ou xxii. ans. Car bien ie men recorde. Mais de
pitië maternelle esmue, ie ne peux auoir courage de le faire
mourir, ains lenuoyay secrètement aux champs, pour estre
nourry entre ces pasteurs, qui sont tiens, si dauenture il y
pouuoit viure. Maintenant à certaines enseignes, ie con-
gnois infalliblement que cest il : et que les Dieux le nous ont
renuoyé. Parquoy iay espérance, et est vraysemblable, que
les Destinées (si aucunes en y auoit) sont destournees et ont
fait leurs cours. Et quand ores les Dieux eussent voulu la
mort de ton enfant, si leur ha il esté amplement satisfait.
Nha il pas esté mort depuis sa natiuité iusques à présent ?
Certes si ha. Car vn si long et vn si poure exil arrière de
la présence de ses parens, est pis que mort, à vn filz de
smOVLAMTtt DÉ Tti^B. LITBÉ I. S17
BÀy. Or 68t il maintenant resnscité, et commence au pri-
mes à viure. Ta vois comme il est beau, vertneux et fort,
et non- d^nerant à ta lignée. Reçoy le, par ta benignitë en
grâce paternelle : et le remets sil te plaist au nombre de tes
héritiers. » Ainsi disoit la Royne, dont la douce éloquence
auoit persuasion de grande efficace.
»Au noble Roy Priam vindrent les ruisseaux de larmes
aux yeux : par le mouuement du sang paternel. Si feit leuer
la Royne, et demeura vn temps sans dire mot. Alors tous
les Princes et les dames assistantes (pour complaire à la
Royne, et ayder au beau Paris) admonnestoient efforceement
le Roy de le receuoir et aduouer à filz. Et il esmu par limf-
pulsion de leurs prières, et naturelle inclination (combien
qnil dotttast assez, et reuoluast en son courage, ce que les
Diuins et les responses des Dieux en auoient prognostiqué)
neantmoins à chef de pièce, il feit leuer Paris Alexandre
qui estoit à genoux douant luy, et lacdlla et baisa douce-
ment, en signe de réception et adueu. Puis le print par la
main, et le bailla & la Royne Hecuba, en luy disant ainsi :
« Mamie, prens le, puis que ainsi Ta : car de tous les autres
cest celuy qui est mieux tien par double droit, veu que tu
Is^ fait naistre deux fois. Or vneillent les Dieux, que &
toute prospérité future nous puist il tourner, et que le mal-
talent des Dieux (qui de luy nous menassoient) puist estre
expire, et leur ire appaisee, par la fréquence des sacrifices,
que sonnent leur'' auons offert, et offrerons encores plus. •
Mais les Dieux assourdis, ne lexaucerent en rien de ceste
prière : ainçois lestimerent trop débonnaire à sa malheu-
reté. Car par ceste recongnoissance de son filz Paris (la-
quelle il ha faite contre le youloir des Dieux) sensuiura
lannichilation de sa fortune, la ruine de son païs, et la
mort de luy mesmes, et de toute sa famille.
Or fiit la Royne Hecaba si traûojeufle, que im|KM«bte
est de le descrire : Car elle auait tout le comble de ses
désirs. Et lors pleine daffection natardle, elle embrasia
son cher enfant Pa;ris Alexandre, et le baisa BiatAmeUe-
ment : si feit eUe aussi sa belle fille, la Nymphe Pegans
Oenone, femme de Paris. Car bien la eongncHsaoit, et
sauoit assez quelle estoit gentilfemme, et de noble extrsc-
tion. Parquoy elle luy feit tresgrand et tresdebonnaire
recueil, et Ihonnora beaucoup. Et de prime face, tira n
inche colier, qui pendoit à son col, si le meit en celay delà
Nymphe, dont elle la sceut bien mercier. Le Roy Priam
aussi la baisa et festia, après ce quil en fut aduerty par la
Royne. Pareillement toutes les dames, sœurs et parente
de Paris, bienuignerent leur frère hautement, et aussi fei-
rent ilz la Nymphe Pegasis : et en après aussi ses frères
£astierent lun et lautre. Ce fait, lenfant Paris fut inconti-
nent habillé de pied en cap, de laccoustrement mesmes du
Prince Hector son frère : Car ilz estoient tous deux de taille,
en hauteur assez pareille. Si luy chaussèrent les varlets de
chambre dudit Hector vues riches chausses, et les souhers
de mesmes, dont les ourlets estoient garnis de fines pierres
précieuses. Et luy vestirent vne hazaque, (1) cestadire
vn habillement presques de tel sorte, que les Turcz le por-
tent à présent, tout batu en or à figures de pourpre, auec
la ceinture de mesmes. Et sur la teste yne tiare à la mode
phrygienne, laquelle estoit riche et pompeuse oultremesure.
Et puis Hector print sa grand espee, ou cymeterre, à la
façon turquoise, dont le fourreau estoit tout de fin or
esmaillé et estofiîé de pierres précieuses, et pendoit à vne
grosse chaine platte dor massif, garnie tout alentour de
(I) Casaque?
SIMTLAIITIZ M tEOTK« LilM I. 9W
prârettas dor pendans : n la meit en escharpe à son fr^re
Paria, at lacolla par firatemité, en luy requérant courtoi-
aament pardon, de liniure quil luy auoit faite. Dont Paris
eetoU honteux, et ee humilioit de tout son pouuoir enuers
son seigneur et frère. Cest accoustrement décora tant la
beauté de Paris, que à peine le sauroit on escrire, et sem-
Uoit bien Prince de haute affaire.
Et ce pendant la Royne Hecuba auoit appelle messire
Gefariixi de Cebrine bastard : et luy auoit ordonné de fes-
tier sa Toisine P^asis Oenone, et de lamwer à Troye,
pendant que les ieux de ce iour sacheueroient. Laquelle
chose pleut beaucoup audit bastard Gebrion, car bien ccm-
gnoîssoit ladite Nymphe et son parentage. La Royne aussi
commanda à sa dame dhonneur, et à certaines ses damoi-
selles de chambre, quelles allassent faire compaignie à. la
Nymphe, et que des mmlleurs loyaux et accoustremens de
sa garderobe, et de ses coffres elle fust Testue et parée
royalement. Ainsi le bastard Cebrion et ses gens auec les-
dites dames et damoiselles montèrent ioyeusement à cheual,
et meirent ladite Nymphe sur vu riche palefroy. Lun des
ieunes bastards nommé Mistor, auec lun des maistres dhos-
tel de la Royne, et certains autres gentilz hommes se vin-
drent adiouster en lenjr bende. Car la Royne leur auoit
ainsi commandé : et emmenèrent auec eux le bon homme
berger lequel auoit nourry Paris, et sa femme et ses deux
en&ns. Et ainsi sadressa à Troye la noble brigade, deuîsant
auec la Nymphe et ses gens, des hautes fortunes de lenfant
Paris.
Eux arriuez au noble palais d'Uion, la noble Nymphe fut
descendue et menée en vue chambre prochaine à celle de la
Royne. Et illec par les matrones et damoiselles fut promp-
330 IU.YtTEATimi8 M 6ATLB, ET
tement baignée et estatiee (1) en herbes sonef flairans. Pois
après oincte de précieux vngaens et liqneurs odoriférantes :
selon la manière des grands Princesses des marches de par-
delà, ses beaux cheneux luy furent tressez à rabens dor
traict. Puis fut vestue et habillée dune robe de sendal pour-
prin, et dun manteau de samys verd fourré dhermines, tout
bordé de pierres précieuses. Et sur son chef luy fut posé m
riche chapeau de fines perles de conte : en son coi ra car-
quant dor massif, duquel pendoient trois riches escarbou-
cles, qui fort enluminoient le colier que la Royne luy auoit
donné : et en ses doigts, plusieurs aneaux de valeur ines»
timable. Puis fut ceinte dun tissu batu en or, tout esmaillé
de pierrerie : auquel pendoit vne ausmoniere &ite à ouurage
desguille de merueilleuse façon. Alors se présenta la Nym-
phe Oenone belle aux regardans comme vne clere estoille
au firmament quand le temps est serain. Dautre part le
maistre dhostel de la Royne, en exécutant la charge quil
auoit, feit promptement venir vn tailleur, et print des draps
en largenterie pour habiller le bon homme berger, sa
femme, son âlz, et sa belle fille, bien honnestement. Et au
surplus sefibrça de leur faire bonne chère.
Tandis que ces choses se faisoient à Troye, les dames
auoient prins le noble Paris, et lauoient mené aux eschaf-
fauts ou elles lentretenoient en deuises plaisantes, et senque-
roient de sa fortune merueilleuse. Si leur respondoit sage-
ment et plaisamment de toutes ses auentures pendant quil
estoit pastoureau, et les en faisoit rire, et aucunesfois lar-
moyer de pitié. Et en tout estoit si propre, (2) si élégant, et
si bien luy seoit, quil sembloit nauoir iamais bougé dentre
(1) estuve, bain chaud.
(2) c.-à-d. convenable.
smofLAimi Bi noTB. utbb i. 531
elles. Et dantre oosté le Roy et la Royne, appuyez lan près
de laatre^ deuisoient de ceste auenture merueilleuse. Et ce
pendant le tresnoble cheualier Hector, sestoit remis en place
poar acheaer son pas contre son neueu mon seigneur Eury-
pylus de Mysie, ce quil feit. Et receut aussi à la luitte
Pyrechmus de Peonie (quon dit maintenant Hongrie) pour
le quatrième. Toletus qui depuis fonda Toulette, pour le
cinquième. Et le Roy Forgarite de lisle de Methelin pour
le sixième. En après succéda au lieu dudit Prince Hec-
ter son firere bastard, le gentil Esacus, lequel attendit le
ieune Prince Chorebus de Mygdonie, qui depuis fiança
Cassandra. Le Prince Arpalion filz du Roy Philimenis de
Paphlagonie, et Venetus fondateur de Venise. Le baron
Regmon de Thrace, et le Prince Barchus qui depuis édifia
Barselonne en Espaigne. Et Placentulus qui fonda Plai-
sance en Lombardie. Gonsequemment Dares Phrygien le
fort luitteur, pour le troisième de ceux de dedens, defiendit
le pas contre autres six des plus puissans de dehors. Gesta-
sauoir le baron Pandarus de Lycie, le baron Âsius Hirtad-
des, seigneur d'Âbydos, et le Prince Othrinous de Gabese. (1)
Tholosus qui donna nom à la cité de Thoulouse. Et pour le
sixième Eiicius qui depuis fonda Verseil et Nouaire. Ge fait,
ilz louèrent tous ensemble trois ieux de barres. Et les ieux
faillis, (2) tous les champions se radoubèrent. Et se reues»
tit le Prince Hector dautres habillemens quon luy auoit
apporté de Troye, pource quil auoit baillé les siens à son
frère Paris. Le Roy et la Royne montèrent à cheual, et
toute la baronnie les suiuit pour aller soupper en la cité.
(1) Même ponctuation (éd. 1512 et 1528).
(2) c.-àd. finis.
SB nJUVSTRATlOItt M «ATIiB, ET
CHAPITRE XLIIII.
Du retour de Priam en ta cité de Troje après les ieas. Et de la
Nymphe Pegaeis Oenone, qui luy Tint au deuant en atoar de Prin-
cesse. Et de la louenge dicelle : Auec description du grand coioioe
nnptial. Et de la ioje qae le Roy Priam auoit à eanse do raeoaare-
ment de son fils Paris. Delà continuation des ieux. Et de la pro-
uinon du pasteur Royal, et de son mesnage. Et aussi de la dis-
tribution des prys. Du partement des Princes et de la feste. Et
comment le Prince Antenor fut enuoyé en Grèce ambassadeur pour
demander madame Hesione, et autres choses.
Ay pied da noble et somptueux palais d'Ilion, la tres-
gracieuse Nymphe Pegasis Oenone se trouua au deuant du
Roy et de la Royne, accompaignee de messieurs les bas-
tards Cebrion et Mistor, et des damoiselles que la Royne
auoit enuoyé auec elle. Quand le Roy et la Royne, et les
autres Princes et Princesses, seigneurs et dames la yeirent
en tel appareil, ilz sesmeru aillèrent de sa grand beauté. Et
bien trouuerent véritable le prouerbe commun qui dit, que
les belles plumes font les beaux oiseaux. La Nymphe sen-
clina tout bas en faisant la reuerence au Roy et à ]a Royne,
comme bien le sauoit faire. Et le Roy la print courtoise-
ment par la main, si se retourna vers la Royne, et luy dit
en souzriant : « Mamie, nous ne pensions à ce matin faire
les noces que de lune de noz filles : mais les Dieux nous
ont amené ceste deuxième. Parquoy ie vueil que vous vous
délibérez que la feste en soit redoublée, p Et la Royne si
SIllGn.A1IITBZ DE TROTS. LIVRE I. 5S5
tresassonoie de plaisir que nulle plus, respondit doucement :
« Monseigneur, certainement cest bien raison : car à meil-
leur ne plus heureuse ioumee ne le saurions nous faire,
quand à vne mesme heure auons retrouué nostre fllz (si
longuement perdu) et auec luy dabondant vne belle fille . »
Les Princes et Princesses assistantes, disoient tout dun
accord, que bien auenoit à la Nymphe porter habit royal :
et que bien monstroit non estre partie de petit lieu. Le
Roy alors emmena la Nymphe au palais, deuisant et se
coniouissant auec elle. Si ne faut pas demander si le noble
Paris estoit bien aise, quand il Toyoit sa femme ainsi triom**
phamment parée, et que le Roy et la Royne luy faisoient
tel acueil. Mesmement que les dames, entre lesquelles
Paris estoit, ne se pouuoient saouler de louer la beautë et
la bonne contenance délie : et disoient à Paris que bien-
heureux furent ilz tous deux, quand onques ilz sentreren-
contrerent.
Les tables de cèdre et de cyprès toutes estoffees dor et
dargent furent couuertes et leaue cornée. Si sassit le Roy à
sa table laquelle estoit au mylieu dune grande et spacieuse
salle richement tapissée. Et furent assis les Princes et
Princesses chacun en son ordre. Cestasauoir le Prince
lasius firere de la Royne Hecuba : le Roy Eetion de Thebes
en Cilicie, père de madame Andromacha : le Roy Bauo de
la haute Phrygie, cousin du Roy Polymnestor de Thrace,
espoux de madame Ilione : le Roy Sarpedon de Lycie : le
Roy Idomeneus de Crète : le Roy Tlepolemus de Rhodes :
le Roy Cuneus de Gypre : le Prince Elycaon de Thrace,
flk du Roy Ântenor, mary de madame Laodice : le Prince
Rhésus Roy de Threicie et Ismarie : son parent le Roy
Âgamas : et le Roy Forgarite de Methelin. Â la table de la
Royne (qui estoit à dextre) furent assises après la Royne,
354 ILLYETRATIOHS DB GAVLS, KT
madame Sicambria sœur da Roy Priam, et madame Theano
sœur de la Royne, femme du Prince Antenor. Puis ensni-
uant madame Ilione la nouoelle espousee : et auprès délie
fut coUoquee madame Pegasis Oenone, la noble Nymphe.
Et consequemment par ordre, madame Âstioche femme au
Roy Telephus de Mysie : madame Ândromacha femme du
Prince Hector : et madame Creusa femme d'Eneas : madame
Laodice femme du Roy Ântenor de Thrace. Ensemble les
enfans dhonneur Polydorus, Âstyanax, Leodamas, et Asca*
nius. Â la tierce table qui estoit à senestre» furent assis
monseigneur Hector et le sage Helenus, et au mylieu d'eux
le beau Paris Alexandre. Puis après les quatre Ducz de la
hante Phrygie. Les Princes Ânchises et Ântenor, monsei-
gneur Eurypylus de Mysie neueu du Roy, le Prince Arpa-
lion fllz du Roy Philimenis de Paphlagonie, Âsius Hirta-
cides seigneur d'Âbydos, Glaucus et Pandarus de Lyde, et
le grand bastard Phorbas. Les autres Princes et Princesses,
seigneurs et dames, priuez et estrangers, furent assis selon
leurs degrez et prééminences, parmy la grand salle du
palais. Déiphobus et Polytes, seruirent ce iour les dames
Ilione et Oenone descuyers trenchans. Et messieurs les
bastards seruirent les autres dames estrangeres.
Grande et merueiileuse estoit la noblesse (comme on
peult estimer) dun si grand Prince estant au plus haut de
sa fortune prospère, qui tenoit court planiere. (1) Et ne
voyoit on leans reluire, sinon or, pierres précieuses, et pour-
pre au moyen des clers luminaires, tant en vaisselle, comme
bagues et tapisserie. Du somptueux appareil et de lordre
du seruice, ie nen veux rien descrire : car ce seroit chose
superflue. Ainsi le noble Roy Priam, qui voyoit en sa bea-
(l) plfniere (éd. 1512).
SniGTUUUTKZ DS TaOTK. UTRS I. 535
titode, toute sa belle génération (ainsi représentée douant
ses yeux) prenoit en son cœur vne merueilleuse ioye, et ne
luy sembloit defiaillir aucune chose à sa bienheurté mon-
daine : sinon la présence de sa sœur Hesione, qui estoit
détenue en lisle de Salamine, par Telamon Roy dillec. Si
ietta YQ parfond souspir quand il luy en souuint. Puis se
tourna à regarder la beauté de son filz Paris, qui excedoit
celle de tous ceux de leans, autant que lor surpasse les
autres métaux en resplendeur. Notoit aussi tacitement, la
noble contenance de sa belle fille la Nymphe Oenone, et en
ce prenoit volupté souueraine. Pareillement faisoit la Royne
Hecuba« et tous les assistans. Lesquelz communément lais-
soient le boire et le menger pour les r^arder : car telle
grâce residoit en ces deux personnages Paris et la Nymphe
Oenone, quiLs conuertissoient à eux les yeux dun chacun.
Et combien que Paris neust point aprins denfance à boire
en ces grands tasses pesantes et massiues toutes de fin or,
enrichies de pierres précieuses et de somptueuse esmaillure,
ne destre seruy de metz si exquis, ne de sassoir sur ces
riches tapis de pourpre ou de cramoisy, neantmoins il le
print facilement en grë, et y fut tantost appriuoisé.
Le mestier seruy, et les tables abatues, le Roy salla
appuyer sur yne fenestre, qui regardoit sur vn grand verger,
et la Royne auec luy. Chacun aussi des Princes print sa cha-
cune : et chacun des gentiLshommes saborda & quelque dame
ou damoiselle. Le Prince Hector se tira vers madame Oenone,
et se print à lentretenir, comme le plus courtois cheualier
du monde quil estoit. Et elle comme sage et bien apprinse,
luy sceut bien rendre ieu en toutes gracieuses deuises, et
monstra quelle nauoit pas esté nourrie entre les bergers,
sinon pour autant que lamour de Paris lauoit à ce con-
trainte. Paris aussi se tira vers les ieunes dames qui lap-
)
336 lUiTftTRATHMIS M GAnJI, MX
pelloient. Et tantost miraindrant ieax, comédies, moris-
ques, mommeries, barboires (1) et aotres diverses manières
desbatemens, tek que es grands courts des Princes se soa-
loient faire. Pais k chef de pièce on dança. Bt quand il
fut temps de se retirer, Paris se trouna au coucher du Roy
auec ses fireres. Et la Nymphe Oenone, après auoir donné
le bon soir à la Royne, par aucunes dames et femmes de
chambre, ordonnées à ce, fut emmenée en sa chambre
richement meublée et tapissée, ea laquelle son mary, le
tresgracieux Paris snruint tantost après, accompaigné de
ses frères Troilus et Deïphobus. Lesquels après auoir prins
vin et espices auec luy, se retirèrent. Et si feit chacuo,
excepté lesdites femmes de chambre, députées à seruir la
Nymphe. Paris se coucha auec elle : et ceste nuiet dor^
mirent peu. Ains deuiserent assez de leur auenture.
Le lendemain après que chacun fut descouché, (2) et quon
eut &it les sacrifices accoustumez, on disna. Et après dis-
ner on son alla aux eschafiauts pour continuer le pas
selon les ordonnances dessus mentionnées. Si feit on les
iours ensuiuans consequemment. De la description des-
quelles choses ie me déporte, à cause de brieueté. Et aus-
dits ieux la belle Nymphe Oenone fut tousiours menée, en
la compaignie des autres Princesses ses belles sœurs. Le
noble Paris Alexandre, de la licence des luges, et consen-
tement de ceux de dehors, auec ladueu du Prince Hector
et de ses autres frères et compaignons, sessaya à tous les
ieux, esbatemens, ioustes, combats, toumoys et behours
cy deuant spécifiez, pour ostentation de sa force et de sa
valeur. Mais il nestoit homme qui peut durer encontre luy,
(1) c.-à-d. mascarades.
(2) wallonisma et flandricisme.
81NGVLAIIITKZ DB TROTB. UTMB I. 587
comme tesmoigne Ouide en lepistre de Paris à Heleiné,
disant ainsi :
penè puer iaaenet Tario oertamine vid.
In quibof Ilioneus, Deiphobusque fuit.
Lesqaelz vers demonstrent qnen tonte manière dexerci-
tation Paris estoit toosiours supérieur et vainqueur.
La renommée de lauenture de Paris Alexandre» et de la
belle Nymphe P^asis Oenone, estoit desia volée par tout
le Royaume de Phrygie. Si eussiez veu les bei^rs de
Cebrine, de Scepsis, de Dardanie, et du païs circonuoisin
qui oongnoissoient Paris et ladite Nymphe, venir à Troye
par grands tourbes et troupeaux, pour voir la miraculeuse
fortune diceux. Et quand ilz les veoient constituez en telle
dignité ilz ne se pouuoient saouler de sesmerueiller : et au
vray dire, cestoit vn beau ieu de Fortune, de voir esleuer
bei^rs si soudain à hautesse Royale. Entre les autres, y
vindrent les enfans du bon pasteur nutriteur de Paris. Les-
quels cherchoient leur père et leur mère, et après quilz les
eurmit trouuez, apeine les recongnoissoient ilz plus, pource
quilz auoient changé de vesture. La Royne aduertie du
tout, feit aussi habiller lesdits enfans. Et à leurs père et
mère, donna tant de possessions de bestail et de troupeaux,
auec grand quantité dor et dargent, que eux et les leurs en
furent riches à iamais, comme il est vray semblable. Aucuns
nobles aussi du parentage de la Nymphe Oenone sa femme,
furent retenuz en son seruice de par la Royne : Et fut
alors donné ordre total touchant lestât de monseigneur
Paris et de madame Oenone sa femme, ainsi que à enfans
de telle maison appartenoit.
Les iours subsequutifz, les autres combats à pied com-
mencèrent, et les ioustes et toumoys se parfeirent tant des
I.
8SI8 UiLTSTRATUMIS ftB 6AVLS, BT
Princes comme des ieanes enfans selon lear ordre. De la
description desquelz, et des coups qui se y donnèrent ie me
passe légèrement pour euiter ennuy, et pour cause de la-
breuiation de nostre conte. Mais toutesuoyes Hector et Paris
sur tous les autres y feirent plusieurs faits darmes mémo-
rables. Et après iceux acheuez, les prys furent distribuez,
par le Roy Bauo, et les autres luges selon la desserte (1)
des meritans. Mais tous pour la plus part furent donnez
aux estrangers, pour Ihonneur de la maison. Et comUen
que Paris en deust auoir la meilleur et plus grand partie,
neantmoins il quitta le tout. Et pour son guerdon, ne de-
manda autre chose sinon estre fait cheualier de la main de
son frère Hector. Laquelle chose luy fut fieuûlement accor-
dée. Et le Prince Hector par le commandement du Roy et
présent lassistance de tous les Princes luy donna la colee et
lordre de cheualerie en le ceindant de la ceinture militaire
qui sappelle Baltee. Et aussi feit il & plusieurs autres ieu-
nes Princes en grand solennité.
Âpres que le grand festoiement eut eu assez longue
durée, le Roy Polymnestor de Thrace, nouueau gendre de
Priam, demanda son congé au Roy et à la Royne, pour
se retirer en son païs auee sa treschere compaigne madame
Uione et son train. Et si feirent aussi le Prince Elycaon et
la Princesse, Laodice sa femme, le Roy Rhésus de Threi-
cie et Ismarie et son parent le Roy Âgamas, et le Prince
Euphemius Trizenius seigneur de Ciconie auecques le baron
Rhygmon, dont dessus est parlé. Ensemble les seigneurs de
Peonie, ou Hongrie : Cestasauoir Pyrechmus (2) seigneur
Dumydon, et Asteropeus filz de Pelegon, tous lesquelz de
(1) o.-à-d. mérite.
(2) Pyreçamus, ieiçneur Dampdan (éd. 1512).
SmGTLAlITBZ M TROTS. LIVRE f. SS9
deca la mer estoiënt allez & Troye, pour ùàre honnear audit
Roy Polymneetor. Si leur fat ottroyé benignement leur
congé par le Roy Priam, nonobstant qnil les eust premier
beaucoup priez quibs demeurassent plus longuement. Et les
accumula de grans dons, par toute manière de libéralité
royale. Gestasauoir dor et dargent en masse et en vaisselle,
de pierres précieuses, et de tapisserie. Et ordonna ledit
Roy Priam au Prince Ântenor prudent homme et sage
(aoec aucuns de ses enfans, et bon nombre de gentilz-
hommes de sa maison) de les conuoyer et accompaigner
iusques dd& la mer.
Et oultreplus ledit Roy Priam qui incessamment auoit
scrupule et regret au cœur h cause de madame Hesione déte-
nue en seruage par Telamon Roy de lislede Salamis, il bailla
charge audit Prince Antenor après ce quil auroit conuoyé
lesdits deux Roys et Roynes de Thrace, de fournir aussi
tout dune voye vue légation et ambassade enuers aucuns
Princes de Grèce. Et luy feit sur ce depescher par délibé-
ration de son priué conseil certaines amples mémoires et
instructions, pour ce fitire, dont la mémoire en brief estoit
telle : Gestasauoir que souz tiltre dambassadeur, il sen
aUast tout dun chemin vers ledit Telamon Roy des isles
d*Egine et de Salamis, frère de Peleus Roy de Thessale, et
fllz de Eacus, iadis Roy de lisle de Crète : pour le sommer
et requérir de la part dudit Roy Priam de rendre madame
Hesione sa sœur, quil tenoit en seruage, et auoit tenu ia
pieça sans tiltre dhonnesteté, depuis le trespas du feu Roy
Laomedon son père. Et en son refuz, quil se tirast vers
les autres Princes des isles circonuoisines, et aussi de
Qrece, Âchaie, Thessale, et Beotie, lesquelz estoient tous
amis, parens et alliez, dudit Roy Telamon. Pour leur
remonstrer et prier quilz voulsissent donner ordre et tenir
4
540 nxvsTRATioiis db oavlb, ct
la main à ce que ladite Hesione fost rendue. De laquelle
ambassade iceluy Prince Ântenor plein de grand sens,
audace et éloquence, print la charge Toluntaire, et promit
la mettre h chef.
Ce &it, le Roy et la Rojne, et tous les nobles de Troye,
conuoyerent Polymnestor Roy de Thrace et de Bistonie,
auec madame Ilione sa compaigne, et toute sa bende, ius-
ques au port de Sigee, qui nestoit que & demy lie&e de
Troye. La où aussi le Roy Forgarite de lisle de Methdin,
se trouua, et le Roy Idomeneus de Crète, et le Roy Tlepo-
lemus de Rhodes, le Roy Cuneus de lisle Cypre. Bt le
Prince Âsius Hirtaddes, seigneur de Sestos et Abydos. Et
après le congé prins tant dun costé que dantre, lesdits
Roys et Princes sembarquerent, et le Prince Antenor et
aucuns enfans et gentilzhommes de la maison de Piiam anec
eux. Le voit fot propice, si.feirent voile prestement en
grand triomphe et mélodie. Chacun tira son chemin, car
les Roys de Methelin, Rhodes et Crète quon dit maintenant
Candie, prindrent leur chemin à gauche pour aller en
leurs isles. Les autres trencherent de pointe (1) : Cestasa-
uoir, Asius Hirtacides, en sa ville de Sestos où il festia
toute la brigade, et de là ilz prindrent leur chemin en
leui^s Royaumes, et seigneuries. Et quand Ântenor les eut
renduz en leurs territoires, il se disposa daller faire son
ambassade.
Apres que lesdits Roys et Princes de deçà la mer eurent
leué leurs ancres ou port de Sigee, le Roy Priam et la
Royne sen retournèrent en la cité. Et peu de iours après
les autres Princes d*Asie la mineur, quon dit maintenant
Natolie ou Turquie, lesquelz estoient venus de leurs loing-
(1) c.-à-d. couper, par le plat court chenoB.
SniGTLAKlTB M TB0TB. UVRB I. 541
tiines marches, (1) prindrent coDgédaRoyPriam.Si comme
le Prince Arpalion fik du Roy Philimenis de Paphlagonie,
et ses barons Yenetns et Eqnilo. Aussi feit Chorebus de
Mygdonie. Et Othrinous de Cabese. Pareillement le Roy
Baoo de haute Phrygie. Le Roy Sarpedon de Lycie auec
ses barons Glaucus et Pandarus, Âmphius d'Ephese, et les
antres. Âusquelz le Roy par sa grand muniâcenoe Royale,
donna plusieurs grans dons, et les feit conuoyer par aucuns
de ses enfans. Mais Paris auec Deïphobus (2) accompaigne-
rent madame Âstioche leur sœur, Royne de Mysie, auecques
leur neueu le Prince Earypylus son filz, et seioumerent
aucune espace de temps au Royaume de Mysie, 1à ou le
Roy Tel^hus leur feit bonne chère. Le Prince Hector
oonuoya son beau père, cestasauoir le Roy Eetion, et ses
sept enfans, iusques à la cité de Thebes en Cilice. Et mena
auec luy le bastard Cebrion de Gebrine. Et le noble Hele-
nus auec son frère bastard le gentil Bsacus, allèrent auec
leur oncle le Prince Âsius frère de la Royne Hecuba, ius-
ques en yne sienne cité, estant en la basse Phrygie. Et ce
pendant la Nymphe Oenone, demeura auecques la Royne,
et auec ses belles sœurs, faisimt bonne chère. Car tant
laymoîeot toutes^ que plus ne pourroient. Mesmement la
sage Cassandra pour le grand sens et vertu quelle con-
gnoiflsoit en elle.
Le tresnoble Prince Hector, ses frères Helenus, Paris,
Deïphobus et les bastards, après aucun espace de temps
retournez chacun de là où nous auons dit, quilz aûoient
esté conuoyer leurs parens, se^ deportoient à Troye en
toutes manières de passetemps : comme ceux qui de ce
(1) c.-*-d. pays, eomm9 Jlnet en latin.
(2) Deiphebnt (éd. 1512).
SiS ai.fvnuTiom m «âtLB, n
fidre anoiant bien le loisir. Bt «ymoient beaneoap te
mœart et les fiiQOiis de ûdre de Paris Aleiaiidre. Poum
qail estoit hamUa» courtois et débonnaire, ennara la grand
et la petit, dextre et bien adaanant en tontes ehoeee. Btka
dames ses soBors qni fhrmit adnerties par la Nymphe
Oenone, comment Paris sanoit si bien toncbar de la harpe,
luj en présentèrent Tne riche et mignonne, toute dynoire,
garnie dor et de pierrerie, à tout laquelle il leur fett depuis
sounentesfois passer le temps. Et entre antres choses, il
composa m lay, contenant lapparition des trois Déesses, et
du iugement quil en féit : lequel il meit sus et chanta sur
sa harpe. Maintesfois aussi ses frères et luy salloient esba-
tre en la dti de Cebrine, laquelle estoit ^«u Prince Hector
et de son domaine. Et dillec entroient es fiNrests des num-
taignes Idées, ou ilz sexercitoient A la chasse, et le noUs
Paris les y guidoit : car bien en sanoit lea repaires. Bt
leur monstroit les lieux ou il souloit garder les bestes, et
1& où il fut premièrement amoureux de la Nymphe sa
femme. Et où les trois Déesses se monstrerent & luy toutes
nues. Et leur contoit encores assez de ses autres diuerses
auentures, dont il leur donnoit souuent récréation et pas-
setemps, iusques & oe que Ihyuer fut yenu, et alors sen
retournèrent & Troye.
Icy terminerons nous le premier liure de nos Illustra-
tions de Qaule, et singularitez de Troye. Duquel nous nous
rapportons au iugement des nobles lecteurs beniuoles, com*
bien il y ha peu auoir de peine, et dindustrie, dauoir
recueilli et assorty tant de matières diuerses, et de tant
d'Acteurs autentiques pour les fiedre seruir tout à tu pro-
pos. Et si dauenture il y ha iusques icj aucune chose qui
leur ayt pieu, comme nous espérons, lisent tant' plus vou-
lentiers les deux autres pour lamour de la tresnoble dame
811I6TLAR1TBX BB TROTS. LITRE I. 545
et Princesse, au commandement de laquelle ce premier
liore est acheué. Â laquelle, et ausdits lecteurs tant nobles
hommes, que gracieuses dames, Dieu doint félicité présente
et future. Or clorrons nous nostredit premier liure de deux
vers Lucretiens :
Floriferis Tt apes in saltibas omnia libant,
Omnia ium itidem d«eerpaimaB aurea dicta.
De pen assez. Le Maire de Belges.
844 ill^btràtioiis m okwim^ et
LES NOMS DES ACTEVRS ALLEGVEZ EN CE
PREMIER UVRE. (1)
Iulius César, «s Comxnentairts de la gyi^rre Galliqn^.
Strabo, en sa Géographie.
XenophoD, es Equiuoques.
Isidore, es Etjmologies.
Saint Hierome, en lintcrpretation des noms Hébraïques.
laques de Bergame, au Supplément des chroniques.
Berosus de Chaldee, en ses Déflorations.
Pline, en Ihistoire Naturelle.
Moyse, au liure de Genèse.
Philo le luif, en son Breuiaire des temps.
Frère lean Annius de Viterbe, Commentateur.
Virgile, es Eneïdes.
Macrobe, au liure des Saturnaux.
Seruius, Commentateur de Virgile.
Properce, en ses Elégies.
Metasthenes de Perse, au recueil des Monarchies.
Caton lancien, en ses Fragments, de lantiquité d'Italie.
Dauid, en son Psaultier.
Guide, au liure des Fastes, et des Epistres Heroïdes.
Tibulle, en ses Elégies.
Diodorus Siculus, en Ihistoire des Antiquitez fabuleuses.
(I) Sensuyvent les noms etc. (éd. 1512}.
aivoTLAUTBz HE mors* uvbb i. 345
Herodotiu, en son Histoire.
losephos en lantiqaité Indaîque.
Bocace, en la Généalogie des Dieux.
Eusebe, en son liure des Temps.
Maistre Alain Charretier, en la description de France.
Messire Robert Gaguin, en Ihistoire Françoise.
Rajmond Marlian, sur les Commentaires de César.
Diogenes Laértius, en la vie des Philosophes.
Suétone Tranquille, en la vie des douze Césars.
Ptolomee, en sa Cosmographie.
Iginius, en son liure d'Astronomie.
Sempronius, en la diuision d*ltalie.
Fabius Pictor, en lorigine de Romme,
Cornélius Tacitus, en son Histoire.
Petrus Crinitus, au liure de Discipline honneste.
Homère, en son Iliade.
Fulgentius Placiades, en ses Mjthologies.
Archilocus, en son liure des Temps.
Manethon d*Egjpte, en son histoire des Royaumes.
Dares de Phrjgie, en Ihistoire de Troje.
Frère laques de Guise, en Ihistoire de Belges.
Phelippes Beroald, au comment de TAsne doré.
Cicero, au liure de Diuination.
Dictjs de Crète, en Ihistoire Troyenne.
Valerius Maximus.
Vbertin, sur les Epistres d*Ouide .
Antoine Vosc« sur lesdites Epistres.
Lucan, en sa Pharsalique.
Terence, en ses Comédies.
Euripides, en ses Tragédies translatées par Erasme de Rote-
rodam.
Apuleius, au liure de TAsne doré.
Pape Pie, en la description d*Asie.
Iulius Firmicus, en son Astronomie.
S46 itLYvrftàTMMfs M «â?ut, n
Clément en son Voyager, antrement intitulé, lee Reoongnrâ <
•aaces saint Pierre.
HeaiodoB, poète Grec.
LacretioB, poète Latin. (1)
•
(I) Ciaquaat* Mpt Mtran «atmtitqaM (1512).
r
8I1I6VLA1UTBZ DE TROTB. LIVRB I. 547
EXCVSE DE LACTEVR.
Seigneurs vertueux, et dames honorées, qui lisez ce
liure, iasoit ce que le volume entier des Illustrations de
Gaule et Singularitez de Troye, contienne deux autres
liures particuliers, lesquelz sont desia dressez, et mis en
ordre : et que par le priuilege du Roy Treschrestien (à qui
Dieu doint les ans de Nestor, et la prospérité d*Octauien
Auguste) soit loisible à Lacteur, de publier iceux par im-
pression, à la tresgrand gloire, honneur, volupté, doc-
trine, et exaltation de toutes nations qui vsent de langue
Gallicane et Françoise, ainsi comme il appert au commen-
cement de ce liure, (1) neantmoins pour le présent, il vous
(1) L*^ditioii de 1549 contient le pri^ilAge accordé par Henri II à
Antoine dn Moalin, ^teor. En t4te de Tédition de 1512 flgnre le
privilège accordé par Lonia XII à Jean le Maire loi-même.
« LA TENEUR DU PRIVILEIOE ROYAL.
« Loys par la grâce de Dien A>j de France. Aux Senechal de
Lyon BaiUy de Maacon PreTost de Paris. Et à tous noi antres Josti-
ciersy on à leara iieotenans. Saint. De la partie de nottre bien êjmé
Maiitre Jan le Maire de Belgea, non* a esté exposé qnil a intention
de brief fUre imprimer nng certain liTre des singularités de Troye et
ninstrations de Oaole, contenant trois Tolnmes (par Iny Cdts et eom-
pilex) à la lonenge, gloire et honneur de la nation gallicane. Et anisi
nXfSTRÂTIMS K QkfhHf CT
sofBra de ce premier, pour trois raisons. Lune pooroe qiM
aucun Princes et Princesses de ladite nation en yealent
anoir la première veûe (ainsi que bien est de raison). Lantre
pource que le dernier Hure ha encores mestier daucune
reueue, correction et ampliation, & cause de sa grand im-
QDg petit tndetié par luy faiet et oonpilé, intitulé la légende des Veni-
eiens. Maie il doubte qnil ne petut on otast ce hire tans nos congé
et licence. Et à cette eaase noua a iceliuy exposant fait supplier tt
requérir que nostre plaisir soit luj permettre ce faire. Et qne inhibi-
tiona et deifenses soient faietes a tons antres (quels quils soyent) de ne
les pouToir imprimer Jusqnes à trots ans. A oe que ledit exposait
puisse estre reconpensé de ses paines, salaires, labeurs, eousts st
mises qn*il a fidctes à oonpiler ioenlx livres. Et sur oe Inj ottrojer net
titres à ce convenables. Pour ce est il que nous (ces choses considé-
rées) vous mandons, commandons et enjoignons à chascun de vous,
ticomme à luy appartiendra, que vous permettes, et souffres audit
exposant (et auquel nous stous permis et souffert de grâce espeoiallt
par ces présentes) quil puisse et luy loise imprimer, ou faire impri-
mer, les livres dessusditz, toutes et quantesfois que bon luj semblera.
Et à ce faire et souffrir et obéir contraiguez on faietes contraindrt
résument et de fait tous ceulx quil appartiendra et qui pour ce feront
à contraindre, par toutes voyes, et manières deues et raisonnablee.
En faisant, ou faisant faire inhibition et deffense de par nous, sur
certains et grans peines a nous a applicquer a tontes manières de
gens de quelque estât ou condition qu*ilz soient, quilz najent à im-
primer , ne faire imprimer lesditz livres , jusques à ce que ledit
temps de trois ans soit expiré et passé. Et en cas de débat, lesdictes
inhibitions, défenses et contrainctes ou cas dessusdict tenans (et A ce
contrainctz tous ceulx quil appartiendra, par la manière devant dicte.
Nonobstant oppositions ou appellations quelzconques faiotes ou s
faire} faietes et administrez au surplus aux parties oujes, Raison et
Justice. Csr ainsi nous plaist estre faict. Et quelzconques lettres sub*
reptices À ce contraires. Mandons et recommandona à tous nos jus-
ticiers, officiers et subgeotz, que a vous, vos commis et députes en ce
faisant soit obey. Donné à Lyon le trentiesme jour de juillet, Tan ds
sniGTuuunz de teoïb. ufu i. 549
portance, et de la meslare et diuersité des choses qui y
sont déduites. La tierce raison est : A fin que ledit acteur
sache premièrement et fasse la prenne, conune les petites
forces de son industrie auront impetrë fiiueur, recueil et
grâce douant les yeux de yoz magnificences et benignitez,
et de toutes la chose publique de Gaule. Donques atten-
dans que plus à plein les voyez, nous auons icy fait anno-
tation compendieuse, de ce que par la veiîe, lecture et
intellecture desdits deux autres liures vous pourrez estre
informez ains quil soit long temps, moyennant la graoe de
Dieu.
graoe mil cinq cens et nenf. Par la Roy a Tostre relation. Ainii
sign^ Raza.
« Les dictât lettres patentes du Roy, ont est^ interinees et falotes
interiner par noble et magnificque seignear Messire Claude le Char-
ron docteur es droitz, lieutenant gênerai de noble et puissant sei-
gneur Monseigneur Gilbert du 6u4, chevalier, seigneur de Ternes,
conseiUer et chambellan du Roy nostre sire. 8on bailly de Mascon,
senechal de Lyon et commissaire royal député en ceste partie. Et par
les lettres dataohe dudit seigneur lieutenant datées du xx Jour daoust
lan mil cinq cens neuf, annexées audit mandement royal, est permis
audit maistre Jan le Maire, de fidre imprimer lesditz livres par Iny
composez, toutes et quantesfois que bon luy semblera. Et faicte inhi-
bition et défense a tous autres, qui pour ce feront a contraindre, qnili
nayent à imprimer ou faire imprimer lesdictz livres avant le terme
desdits trois ans passez et expirez sur peine de cinq oentz livres tour-
«m, A applicqver au Roy. »
ILLVmATIQM SB OklOf
SiMdt M qiM MùitBdiMt 1m dMiz antrtf Uatm 4« niMfanitUM
â« Ganli, «( Siagalaiitts d« TroT*.
La saeond liore oomprendn tonte Mrtoire de Troya,
depaiB le restablissemeût de Paris en U maiion paternelle,
inaqnea à la mine de Troye. En qnoj eat comprise la
déduction dea Tîea dndit Paris, de sa première femme, la
Nymphe Oenone, etladinerse manière de leors deffine-
mens. Bt de la mort vilaine d'Heleine la omélle adultère.
Auec tontes leurs oiroonstances, garnies de éhoses non
Tulgaires et non acooustumees destre le&es en François,
iusques à ores. Et corroborées des autorités de plusieurs
nobles acteurs Orecs et Latins selon lordre du liure pre-
cèdent.
AT tiers liure seront contenues toutes les Généalogies des
Princes yssus des Troyens qui peuplèrent diuerses con-
trées en nostre Europe depuis la désolation de Troye.
Mesmement de Francus fllz d*Hector, duquel sont yssus
les François. Et de Bauo son parent, duquel ont prins
origine les peuples de la Gaule Belgique, cestasauoir les
Vualons, Henuuyers, Namurois, Ârdenois, Champenois et
autres nations circonuoisines, et encores dautres assez qui
dominèrent tant en Germanie comme en Hongrie, Espai-
gne, Italie, et la grand Bretaigne, et ailleurs. Et finable-
ment sont rédigez en histoire, les gestes en gênerai et en
particulier de la postérité de Turcus fllz de Troïlus, dont
aucuns maintiennent que la nation des Turcz est yssue de
père en fllz, iusques au temps présent. Et comment lesdits
Turcz tiennent et possèdent auiourdhuy tous les règnes que
le Roy Priamus et les siens vassaux et alliez obtindrent
SINGTLAIITBZ BB T&OTB. UlhK I. 351
iadis en Asie : Et oultreplus, tout ce que possedoient alors
Agamemnon, Menelaus, Achilles et les autres Princes de
Grèce, qui destruisirent le Royaume de Troye. Et de tous
les voyages, passages et croisées iadis faits en Turquie, par
noz Princes d*Europe iusques au temps moderne : et de
leffect et conséquence diceux. Lesquelles choses ne ten-
dent à autres fins, sinon pour recouurer leur héritage
d*Asie la mineur, quon dit maintenant Natolie, ou Turquie.
TABLE DES CHAPITRES.
Notice inr la vie et les œuvres de Jean Le Maire de Belges . . ▼
La ligne des rojs de Toscie ot Hetrrrie, desquels sont descen-
dus les Trojens 2
Prologue du premier livre 3
LIVRE L
Chapitrs L — Gomment la publication de ceste œuvre ha este
par le commandement exprès de madame Marguerite Auguste.
Et comment par lintitulation et adresse dudit labeur, les
dames de la langue Pr^inçoise sont benignement saluées. Et
puis par trois poincts principaux sont rendues tresamples
raisons du tiltre de ce volume. Et de la concorde et adhé-
rence que ont ensemble ces deux termes icj, Gaule et Troye.
Aussi j est faite mention de Prancns et de Bauo Troyens, qui
dominèrent en Gaule après les ruines de Troye 9
Chapitrb II. — Les expositions de ce terme Gallus, lequel est
equiuoque, et signifie plusieurs choses. Comment et en quelle
manière les Gaulois et les Trojens deduysoient iadis leur ori-
gine et noblesse, par la tresparfonde antiquité du Patriarche
Noè, surnommé lanus : qui luy huitième seulement au temps
du déluge, fut sauué des vndes 16
Chapitrb III. — Nod lanus, et sa femme Tytea la grande, répa-
rateurs du genre humain, eurent plusieurs enfans spres le
déloge. Et acqnist ledit saint Patriarche Noë plusieurs nobles
I. »
su TABLI
tiltres et inniomB. Il monstra aux Scythes et Armeniena
Ineage de labourer la terre, et coltiner la yigne. Et fat en
parfln ledit Nod» rendu stérile» charmé, et enchanté par son
fllsCam 20
Châpitiib IIII. — Le genre humain desia grandement moltiplié,
No« lanus, commença A distribuer la terre vninerselle à ses
enûuBS et neueux : et leur monstra la cosmographie : cest-
adire, la situation de la terre, comme il lauoit vefte auant le
déluge. Et premiereâient eatablift la mon«rdiie de« Babylo-
niens en Asie* Mais en Europe il institua quatre Royaumes
principaux : dont celuy de Oaule fut lun. Et puis alla visiter
sa génération par tout le monde, et fonda plusieurs cites en
Asie tf
Chapitei y. ^ fin Espaigne Tint le bon Patriarche Noë, du
temps de son neueu lubal, premier Roy des Bspaignola^ et y
fonda deux citex. Puis alla finablement régner en Italie, et en
chassa son fils Cam, lequel lauoit ysurpee par tyrannie, et cor-
rompue de tous maux. Et y fonda ledit Prince Noè lanus, la
dté de lanioulnm, ou depuis Romme ha esté assise. Si re-
cueillit benignemeat son neueu Sabatius Saga, autrement
dit Saturne : et régnèrent ensemble pacifiquement. Puis très-
passa ledit bon père Noë lanus : et après son trespas fut es-
timé Dieu. Et furent grans honneurs attribuez à luy et à sa
femme Tytea la grande 31
Chapits VI. — Des gestes de Cam, qui fut tresperuers et très-
malicieux tyrant, et surnommé Zoroast, pource quil fut pre-
mier inuenteur de lart Magique. Et aussi Ihistoire de sa
femme surnommée Rhea 40
Chapitrb VII. — Du tresnoble Empereur Osiris, qui circuyt et
enuii*onna tout le monde : et fat filz de Cam et de la grand
Déesse Isis, autrement nommée Ceres, qui fut soeur et femme
dudit Osiris. Et du grand Hercules de Libye filz dudit Osiris.
Et aussi est faite mention especiale des grans Qeans du
temps iadis 46
Chapitkb VIII. — La mort du Prince Osiris fut procurée par
son frère Typhon le géant Egyptien : et depuis vengée par la
eœur et femme dudit Osiris, laquelle estoit nommée Isis on
Ceres, et par le grand Hercules de Libye son filz et neueu . 53
DES CHAPITRES. S55
Chapitre IX. — De lupiter Celto neauieme Roj de Oaule,
qui donna le nom à la Gaule Celtique, laquelle eat amplement
descrite. Et ooUoqua ledit Roy Celte, en tiltre de mariage,
sa fille Galatee la belle geande, au grand Hercules de Libye,
Et de la fondation de la puiaaante cité d'Alexia, faite par ledit
Hercules dixième Roy de Gaule : laquelle cité fut fondée en
▼ne province dudit Royaume, quon dit maintenant la Duché
de Bourgogne , 57
Chapitre X« — De la treaancienne noblesse et parentage de
la belle Geande Galatee, Royne de Gaule : commençant au
tressage Prince nommé Samothes, filz de laphet : lequel
Samothes surnommé Dis, fut ordonné premier Saturne, et
Roy de Gaule, par son grand père Noë lanus. Des gestes
dudit Roy Samothes, et de sa treanoble postérité, insqaes
audit neuuieme Roy Celte, père de Galatee. Et daucunes cites
premièrement fondées en Gaule, snccessiaement par lesdits
Roys 63
Chapitre XI. — En Italie passa à force le grand Hereoles da
Libye, dixième Roy de Gaule : et y dompta les orgoilleax
et tyranniques Geans. Puis y régna pacifiquement lespace
de vingt ans. Et finablement couronna son fils aisné Toseiui
Roy et lupiter dioelle. Et establit aussi son filz pnisné GaU-
teus onzième Roy de Gaule. Puis ledit grand Hercules alla
finer ses iours en Espaigne, dont il mourut Roy, et y fiit de
grans biens, parquoy luy furent faits de grans honneon après
sa mort , 72
Chapitre XII. — Lhistoire de Tnscns fils da grand Hercolai
de Libye : et d'Araxa la ieune Royne de Scythie, quon dit
maintenant Tartarie, laquelle estoit demy femme et moitié
serpent. Et de la postérité dudit Tuscus Roy et lupiter d*Ita-
lie, duquel porte le nom la prouince de Toscane. Et de luy
descendit lupiter Camboblasoon, père de Dardanus, premier
fondateur de Troye 78
Chapitre XIII. — Galateus onzième Roy de Gaule, filz du grand
Hercules de Libye, et de la belle Galatee, peupla lisle de Sieila.
Et de luy est dénommée toute la nation de Gaule, en gênerai.
Si est faite description de deux parties principales diosUs :
3S6 TABLB
cestataaoir, Aqnitaniqae et Belgique. Et tooehedes fondatiom
de Narbonne, Lyon, et Belges, qui portent lea noms des Koyt
fondateurs dicelles : cestasauoir Harbon, Lugdus, et Belgius.
Puis Tient Ihistoire à lasius lanigena, frère de Dardanus des-
cendu de Tuscus. Lequel lasius fut Roj d*Italie, et de Gaule.
Et des noces triomphantes dndit lasius et de la Rojne Cybe-
les, esquelles la Déesse Isis enseigna la manière de faire les
premiers pains 84
Chapitre XIIIL — Entre lasius lanigena lupiter et Patriarche
d'Italie et xt. Roy de Gaule, et son frère Dardanus, sourdit
guerre trescriminelle, à cause de laquelle Dardanus le plus
ieune, occit traytreusement son frère aisnë lasius, aux bains
de Viterbe. Lequel cas perpètre, il senfuyt en vne isle de TAr-
chipel, appellee Samos, en Grèce. Et audit lasius occis, suc-
céda au Royaume d'Italie, son filz Corybantus et en celuy de
Gaule, Allobrox. Lequel fonda plusieurs citez en Dauphiné et
Sauoye 92
Chapitre XV. — Dardanus qui sen estoit fuy en lisle de Samos,
frustré de tout espoir de iamais retourner en Italie, pour le
crime de parricide par luy commis en la personne de sondit
frère lasius, passa de lisle de Samos en Asie la Mineur, quon
dit maintenant Turquie. Là ou il fonda la cit^ de Dardanie,
qui depuis fut appellee Troye, en la prouince de Phrygie la
basse, par eschange quil feit du droit quil pouuoit auoir en
Iheritage du Royaume de Toscane en Italie. Lequel droit il
résigna à Turrhenus filz de Athus le ieune Roy de Meonie,
extrait d'Athus lancien filz du grand Hercules de Libye, et
dune dame nommée Omphale : et lors se font grands muta-
tions et rénovations de Royaumes, sans toutesfois changer le
sang Herculien 97
Chapitre XVI. — Deuers le Roy Dardanus de Phrygie, se
retira la Royne Cybeles, vefue de lasius, iadis Roy de Gaule
et d'Italie : et y mena son filz Corybantus auec multitude de
peuple et grans trésors : dont le pouuoir de Dardanus se aug-
menta beaucoup en Asie, quon dit maintenant Turquie. Il
estoit grand clerc et magicien, dont il composa des liures : et
eut vn filz nommé Erichthonius. Enniron lequel temps AUo-
DBS GHAPimS. 857
broz iQCceasear de lasius lanigena (quant an Rojanme da
Oaale) laissa pour héritier son filz Romas, qui f<mda Romans
au Dauphin^, et donna le nom à la langue Rommande. Bt eut
TU filz nommé Paris fondateur de la noble cité de Paria en
France 102
Chapitre XVII. — Enuiron le temps que ledit Paria dizhuitieme
Roj, regnoit sur les Gaulois, Tros fili de Brichthonius com-
mença à régner sur les Phrygiens : et donna le nom à la cité
de Troje, qui parauant se disoit Dardanie. Et eut ledit Tros
guerre mortelle à lencontre de Tantalus Roy de la haute
Phryg^e, son Toisin, et aussi de Paphlagonie. En laquelle
guerre ledit Roy Tros perdit son bel enfant Ganymedes frère
de Illus et Assaracus, desquels sortirent Ijaomedon et An-
chises. Et y sont aucunes fables poétiques exposées. Aussi est
faite mention daneuns antres Roys de Gaule, contemporains
à autres de Troye, successeurs des dessusdits 107
Cbapitrb XVIII. — Galatas le ieune xxi. Roy de Gaule» floris-
soit en grands Tertuz, tant de science de lettres, comme de
conqnestes lointaines : et ent m filz nommé Namnes, qui
fonda la cité de Nantes en Bretaigne. Enuiron le temps que
Laomedon filz du Roy Ilion et père de Priam regnoit à
Troye, ledit Namnes fondateur de Nantes engendra Rhemus
XXII. Roy de Gaule. Lequel fonda la cité de Rheims en Cham-
paigue. En ces entrefaites Troye fut destruite, et Laomedon
occis par le petit Hercules Grec. Et fut Priam Roy des Troyens
contemporain au Roy Rhemus de Gaule 112
Cbapitrb XIX. — Du commencement du règne de Priamus à
Troye, au temps duquel regnoit en la hante Phrygie Bano
son cousin germain, lequel depuis Tint habiter par deçà en
nostre Gaule Belgique : Et fonda la iadis tresgraade dté de
Bauais en Haynau, et selon aucuns Beanuais en Picardie. Et
comment le Roy Priam restaura sa cité de Troye, destroite
par le petit Hercules Grec, et amplia grandement sa seigneu-
rie, et multiplia sa lignée en grand prospérité 118
Cbapitrb XX. — Des visions nocturnes, maonais présages st
deuinemens sinistres, qui précédèrent la naissaaoe de Isnfiuit
Paris, fila ds Priam et ds U Royns Bscaba. Cestaamoir q«e
868 VABLB
par aoii moyatt Mroit mÎM Troye en totale raina. A cauBe
deqvoy» ladit Roj Priam enaoja an temple d*Apollo an Del-
phoa : Aaeo deacription dadit temple, et de aee circonitaneei.
Et de la raaponae de TOracle. Enaemble deelaratîony comment
Paria fut condamné par set parena, d^estre ocda incontinent
aprta aa natîaité» A fln detiter linfortone. Ce qui ne fat point
exécuté» aiaa fat aaoaé da oonaeDtement de aa mère, et ennoyé
secrètement poor eatre noorry, et montaignei Ideea, anec lei
paiteort da Roy 124
CHÂPiraB XXI. — De la première impoaition et etymolog^e da
nom de lenfuit Paria, fila de Priam et de HecnlMU De la pro-
greiaion de son enfance, aaec deacription locale, dn territoire
de Troaa, en la région de la baaae Phrygie. Des montaignes
Ideea, des fleaaea Simoia et Scamander : De la sitoation de %
Troye et de Cebrine : et des esbatemena iaaeniles, et exerd-
tations de lenfant Paris, qai farent de grand loaenge, aaeo
plosieurs incidens seraans à la loaenge de Troye . • . . 133
Chàpitrb XXII. — Recitation des actes looablea da ladoles-
eence de Paris, et de ses inueniles exercices en la rie paato-
rale. Et comment landen pastear Royal, son père putatif,
linstroisoit sagement en la noble art et pratique de bergerie
et dagriculture 145
Ghapitrx XXIII. — Des aatres labeurs et occupations gentiles
de lenfant Paris : mesmement a la grosse chasse. Et de la
première vaillance quil feit en recouurant son bestail, contre
▼ne manière de gens appeliez Scepsiens, qui est illec spéci-
fiée. Et du grand los quil acquit à ceste cause, aueo le surnom
d'Alexandre • ... 153
Chapitre XXIIII. — De lapparition de plusieurs belles Nym-
phes et Fées faite au iouuenceau Paria Alexandre, auprès
de la fontaine Creusa. Et comment Tne noble Nymphe Napee,
nommée Pegasis Oenone de la marche Cebrinoise, informa
premièrement ledit Paris, de son origine Royale. Auec nar-
ration poétique du pouuoir et beniuolence desdites Nymphes,
enuers Paris Alexandre 1^
Chapitre XXV. — Description du banquet gracieux, fait au-
près de la fontaine Creusa, par la Nymphe Pegasis Oenone, à
DBS QflAnTRES. SS9
Paris Alexandre. Et comment il fat ardamment espria de
lamoor delle^et la reqaist premièrement damoars* Anec leffeot
consequotîf. Ensemble narration légère danconea lablea en
passant « 175
CHAPiTas XXVI. — Annotation de la saiaoB Eatinale : dedno-
tion de la fable d*Apollo» qni donna à la Nymphe Pegasia
Oenone, paissanee sur tontes herbes : et de la promesse de
mariage faite par Paris Alexandre» à ladite Nymphe. Et
comment il la mena anx bordes champestres des pastenra
Royaux^ et illec lesponsa à grand ioye 184
Chapitrb XXVII. — Du louable contènement de Pftris Alexan*
dre, en son premier mariage. De la grand amour mutuelle qui
estoit entre luy et sa femme : et des deux enfans quil eut délie.
Aneo allégations suffisantes pour prouuer quelle estoit sa
femme légitime. Et Tne explanation notable, que oest à dire
Nymphe, à parler proprement. Auec probation de la noblesse
dicelle Nymphe Peg^is Oenone 193
Gbapitrb XXVIII. — Spécification de la belle Talée de Mesan-
lon, sur le flenne Scamander, en laquelle Paris Alexandre
gardoit ses brebis. Et de la semonce de tous les Dienx et
Déesses, excepta Discorde, faite aux noces du Roy Pelens de
Thessale, et de la Nymphe Thetis, par le commandement du
Dieu lupiter, en Ihostel de Chiron le Centaure, et des régions
dont rindrent les Dienx et Déesses, là ou la matière poétique
est bien expliquée et dilucidee . . * 800
Cbàpitrb XXIX. — Description du haut mont Pelion de Thes-
sale en Grèce. Et célébration des noces du Roy Peleus, et de
Thetis . la Nymphe, en grand gloire et triomphe» auecquea
toutes manières desbatemens, l où maintes choses poétiques
sont touchées et exprimées assex clerement, qui bien y prend
garde 213
Chapitrb XXX. — De la âiulse Déesse Discorde, qui ietta la
pomme dor, entre luno, Pallas, et Venus. Et comment lupiter
nen Toulut iuger : mais fut renuoyë le iugement an ieune ber-
ger Paris Alexandre : vers lequel Mercure guida lesdites trois
grands Déesses. Auec mention dan autre iugement de Paris
et de sa harpe S21
360 TABLB
Cbipitrb XXXI. — Récitation des oraisoni et dee offres ûdtet
A Parie Alexandre, par lea denx poissantes Déesses luno et
Pallas. Aaee explicatien totale de leurs habits, aomemens,
▼alenrs et poissances.Esqaelles choses qui bien y vondra viser,
on peolt eaeillir asses de fnàt aUegorique et moral soux cgd*
lears poétiques 231
Chapitkb XXXII. — Démonstration eoidente des accoostre-
mens de Venos la Déesse. Narration de son oraison délicate
et indostriease, faite an loge pastoral Paris Alexandre, en
declairant sa beaaté, poauoir et excellence, anec promesse
expresse du iooissement de la belle Heleine 24\
CsAPTTBB XXXIII. — De la reqaeste ooanerte et modérée que
le loge roral Paris Alexandre fait de voir lesdites trois
Déesses noes. Et de la denodation des corpulences dicelles.
Explication de leurs beaotes soooeraines : Et de la sentence
prononcée en la fimeor de Venus, contre luno et Pallas. Du
partement desdites deux Déesses mal contentes, qui point ne
retournèrent A lassemblee des Dieux 2SÛ
Chapttrb XXXIIII. — Do retoor de la Déesse Venos au mont
Pelion de Thessale A tout sa pomme dor. Et comment mur-
mure Bourdit entre les Dieux pour rabsence des deux grands
Déesses luno et Pallas. Et de loraison faite par Apollo remé-
morant les anciens forfaits des Troyens : Ensemble aucunes
▼aticinations et prophéties prononcées par luy. De linimitié
commencée à ceste cause, entre les Dieux : et du départe-
ment diceux * 261
Chapitre XXXV. — Explication tant morale comme phiioso-
phale et historiale, des noces dessus esciites : ensemble du
iugement de Paris, en plusieurs sortes : auec la figure du
Ciel, qui fut à la naissance de Paris. Et lapprobation dudit
iugement faite en la présence de saint Pierre, prince des
Apostres. Et comment Paris recita la vision des trois Déesses
A sa femme la Nymphe Oenone, dont elle fut soucieuse et
douteuse. . . . • 270
Chapitre XXXVI. — De la uatiuité, nourriture et adolescence
d*Achilles filz du Roy Peleus et de la Nymphe Thetis. Et com-
ment sa mère le cuida par tous moyens obuier aux Destinées,
lesquelles lauoient adiugé deuoir mourir deuant Troye. . . 2d0
DBS ghàpitrbs. 361
Chapitre XXXYII. — Dn brait qai courut au Royaume de
Phrygie^que Polymnestor Roy de Thrace venoit espouser lune
des filles dn Roy Priam : et de la preparatiue des ieux et com-
bats qui se deuoient faire ausdites noces. Auec explanation
de la propriété desdits ieux 285
Chapitre XXXVIII. — Du conseil que la Nymphe Pegasia
Oenone donna à son espoux Paris Alexandre,de se tronueranx
ieux et combats qui se deuoient faire à Troye. Et comment elle
descouurit au pasteur Royal, et à sa femme, que Paris estoit
filz naturel et légitime du Roy Priam : et se fait monstrer le
berseau auquel il auoit esté apporté. Et comment la Royne
Hecuba manda connertement audit pasteur, quil amenast
Paris anx ieux de Troye 289
Chapitre XXXIX. — Comment plusieurs nobles Princes et
cheualiers de la maison du Roy Priam faisoient leurs prépa-
ra tiues, pour deffendre le pas, au combat et tonmoy : et
comment Paris Alexandre accompaigné de sa femme et des
pasteurs Royaux départit de la contrée Cebrinoise pour aller à
Troye 297
Chapitre XL. De la bende des assaillans. Et comment la sei-
gneurie partit de la cité de Troye pour venir aux esohaffants,
sur le lieu du toumoy. Anec spécification des merueilleux
prys, et des ioumees du pas et des personnages ordonnez
chacun iour à les deffendre 300
Chapitre XLI. — Comment la noble Nymphe Pegasis Oenone in-
formoit particulièrement son seigneur et amy, Paris Alexan-
dre, de tout son parentage, qui iusques alors luy anoit esté
incongnu. Et comment le preux Hector, pour le premier, se
meit en ieu à deffendre le pas. Auec déclaration expresse du
ieu de la Palestre 308
CHAPrrRB XLII. — De la présentation que le berger Paris
Alexandre feit de soy mesmes, aux ieux et combats» en son
habit pastoral. Et comment le Prince Hector le récent à la
luitte, non sachant quil fust son frère. Auec narrration de la
▼ictoire obtenue par ledit Paris, contre le Prince Hector . . 316
Chapitre XLIII. — Prosecntion de la honte et fureur esmue
au courage du Prince Hector, à cause de sa chente. Et com-
Sn TABLE m ClAMTâES.
ment il ipoulot oultrager Parii, igttortnt qoil fait ton fron».
Et de la reoMignoiMiaoe dadK Paris, ûdta aa moyen dn b«r-
teaa de ton «nfaBeê, Bt de ta ree^ilioii en la maiaoB pater-
nelle. Bt anati de ea oom|Ndgne la Nymphe Pegaaia Oenoae ;
Et de Unra noaneaax acooastremeae riohei et preeieiiz • .321
CHAPtina XLini. — Da retoar de Priam en sa citd de Troye
aprea les ieoz. Et de la Nymphe Pegasis Ooione, qui lay
Tint an denant en atonr de Princesse. Et de la lonenge di-
oelle : Aoec description da grand eonnine nnptial. Et de la
ioye que le Roy Priam auoit à cause du reeonnrement de son
fils Paris. De la oontinnation des iens. Et de la prooision da
pastesr Royal, et de son mesnage. Bt antsi de la distribotioa
des prys. Du partement des Prinoes et de la feete. Et com-
ment le Prince Antenor M enaoyd en Grèce ambassadeur
pour demander madame Hesione, et autres choses. • • . 332
Les noms des acteyrs alleg? es en oe premier lirre 344
BzcTss de laetefr 347
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CECIL H. GREEN IIBRARY
STANFORD, CAIIFORNIA 94305-6004
[4151 723-1493
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1995
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